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La transformation de la conception ricœurienne de l’identité narrative

6. Le prolongement de Ricœur et la réalisation du double défi de l’identité personnelle

6.2. La transformation de la conception ricœurienne de l’identité narrative

Si l’articulation entre les conceptions de Ricœur et de Tengelyi de l’identité personnelle implique une révision de la conception de l’identité narrative de Ricœur, c’est parce qu’elle diffère de celle de Tengelyi qui permet de répondre au défi de l’identité personnelle. En effet, la résolution de ce défi dépend de son décuplement en une institution de soi et une formation de soi proposée par Tengelyi. Or, l’identité narrative chez Ricœur est univoque et c’est à ce niveau qu’il faut donc la corriger.

Comme nous l’avons souligné plus tôt, l’identité narrative pour Ricœur découle des histoires racontées sur soi-même qui sont elles-mêmes l’expression de nos histoires vécues. Cela ne signifie pas que l’identité est une construction narrative de soi-même. Selon Ricœur, l’identité découle des histoires vécues et en ce sens elle est « retrouvée »447. Toutefois, cette identité découverte

dans l’expérience n’est pas différence de celle explicitée dans les récits de soi. Autrement dit, l’identité personnelle qui, non encore explicitée, est la même que celle qui relève de l’exercice de la narration de soi. La notion d’identité personnelle chez Ricœur est donc univoque, alors que la résolution du défi de l’identité personnelle repose sur son dédoublement en une identité explicite et une identité tacite. Cette univocité est la conséquence de la compatibilité entre les histoires racontées et l’expérience vécue, que nous avons également évoquée à l’occasion de l’étude de la conception de Tengelyi de l’histoire d’une vie. D’un côté, l’expérience vécue a toujours la possibilité d’être exprimée448. Les histoires inchoatives – c’est à Ricœur que Tengelyi reprend ce

concept –, les histoires non dites et même les histoires refoulées sont disponibles à l’expression. C’est en ce sens que Ricœur parle de l’expérience vécue comme une « histoire potentielle ou virtuelle »449. Plus encore, l’expérience, désirant être dite, se rend elle-même disponible à

l’expression : Ricœur parle la « vie comme d’une histoire à l’état naissant, et donc de la vie comme une activité et une passion en quête de récit » 450. De l’autre côté, la narration vient expliciter le

sens de cette expérience. Ricœur reconnaît que la narration transfigure l’expérience vive, mais cette transformation vient de pair avec une révélation du sens de l’expérience, et non son altération ou son appauvrissement : « révélation et transformation se manifestent

447 « Il apparaît alors que notre vie, embrassée d’un seul regard, nous apparaît comme le champ d’une activité constructive, empruntée à l’intelligence narrative, par laquelle nous tentons de retrouver, et non pas simplement d’imposer du dehors, l’identité narrative qui nous constitue. » Ibid., p. 275.

448 Jakub Čapek, « Experience beyond storytelling : László Tengelyi on the Narrative Identity Debate », loc. cit., p. 108.

449 Paul Ricœur, « La vie : un récit en quête de narrateur », Écrits et conférences I : Autour de la psychanalyse, op. cit., p. 272. 450 Ibid., p. 270.

inséparablement »451. C'est pourquoi on ne peut pas dire qu’il y a une adéquation entre expérience

vive et narration chez Ricœur, mais plutôt une certaine compatibilité ou une communicabilité. Cette compatibilité semble découlée à son tour de la continuité ou de la différence de degrés entre ces deux termes de l’histoire d’une vie. Chez Ricœur, les histoires vécues ne sont pas différentes des histoires racontées, mais elles n’en sont que des versions moins explicites, moins intelligibles. Il n’y a donc pas entre les deux termes de l’histoire d’une vie une différence diacritique ou de nature de laquelle dépend la division de l’identité entre une formation de soi et une institution de soi.

Nous pouvons rajouter à présent que l’univocité de l’identité narrative résulte de la conception du sens de Ricœur implicite à sa conception de l’histoire d’une vie comme continuum. Si l’histoire vécue n’est pas différente de l’histoire racontée c’est que l’une et l’autre appartiennent à la même catégorie de sens : toutes deux ont un sens linguistique ou langagier. Elles se distinguent par l’actualité de leur sens : le sens de l’expérience vive est tacite alors que le sens de l’histoire racontée est explicite. Cette conception linguistique du sens trouve son origine première dans « la condition langagière – [...] la Sprachlichkeit – de toute expérience humaine »452, sur laquelle

se fonde toute son herméneutique et selon laquelle l’existence humaine, dans toutes ses facettes – émotions, perceptions, actions, désirs, etc. –, peut être portée au langage. Cette thèse, reprise par Ricœur à Gadamer, ne doit toutefois pas être confondue avec un « panlingualisme » selon lequel tout serait une production du langage, selon Jean Greisch453. Selon Ricœur, les

significations d’ordre linguistique ont un caractère dérivé, au sens où elles expriment une expérience antéprédicative, l’expérience humaine, qui les précède et à laquelle elles sont subordonnées454. Mais la distinction entre l’antéprédicatif et le prédicatif, le dit et le dire, le vécu

et le raconté représente encore une fois une différence de degrés et non de nature : tout est invariablement langage, mais variablement actualisé. Ainsi, plutôt que d’élargir la conception du sens par-delà la signification des expressions linguistiques, c’est comme si Ricœur avait étendu

451 Paul Ricœur, « Identité narrative », Revue des sciences humaines, loc. cit., p. 46. « révélante, en ce sens qu’elle porte au jour des traits dissimulés, mais déjà dessinés au cours de notre expérience praxique ; transformante, en ce sens qu’une vie ainsi examinée est une vie changée, une vie autre. nous atteignons ici le point où découvrir et inventer son indiscernables. », Paul Ricœur, Temps et récit. Le temps raconté, op. cit., p. 285.

452 Paul Ricœur, Du texte à l’action. Essais d’herméneutique, op. cit., p. 62.

453 Jean Greisch, Le cogito herméneutique : l’herméneutique philosophique et l’héritage cartésien, op. cit., p. 61 454 Paul Ricœur, Du texte à l’action. Essais d’herméneutique, op. cit., p. 65

la signification linguistique à tous les phénomènes455, oblitérant du même coup la distinction

entre sens et signification dont dépend celle entre le sens-se-faisant et l’institution de sens et par suite celle entre la formation de soi et l’institution de soi.

À rebours, la limite de Ricœur tient à ses allégeances herméneutiques qui l’empêchent de distinguer le sens expérientiel de la signification linguistique et de tracer une scission entre l’expérience vécue et l’histoire racontée à son sujet, scission de laquelle dépend la division du soi entre une formation de soi et une institution de soi. Plus précisément, ses allégeances l’empêchent de rendre compte de l’épreuve de la dimension passive456, inconsciente,

indisponible, inénarrable de l’histoire de la vie457, solidaire du sentiment d’une identité

personnelle tacite qui nous habite. Nous ne pensons pas que cette formation de soi soit absolument étrangère à la pensée de Ricœur. Par exemple, ses réflexions sur la psychanalyse, avec lesquelles il admet l’hypothèse d’un inconscient, sont compatibles avec l’idée d’une identité tacite. Au niveau de la question de l’identité personnelle, certaines idées de Ricœur le mettent même sur cette piste, telles que son concept d’histoire inchoative et à sa thèse selon laquelle l’identité n’est pas créée mais découverte. Bien que la conception de l’identité de Tengelyi n’est pas incompatible avec la pensée de Ricœur, nous pensons qu’il ne dispose pas d’une conception adéquate du sens pour en rendre compte. C'est donc l’inscription de Ricœur dans la tradition herméneutique qui est la principale responsable de son irrésolution du défi de l’identité personnelle posée par l’expérience. Pour relever ce défi, pour être se concilier avec celle de Tengelyi, la conception ricœurienne de l’identité narrative doit être corrigée au niveau de ses présupposés herméneutiques.

Cette révision ne serait cependant pas sans conséquence sur la philosophie de Ricœur. En effet, se trouveraient alors ébranlées toutes les autres thèses de Ricœur qui s’appuient sur ces présupposés herméneutiques. La condition langagière de l’expérience humaine, remise en

455 Le fait que pour Ricœur l’institution du langage est le point de départ de tout sens est exprimé très clairement dans son entretien avec Castoriadis, cf. Paul Ricœur et Cornelius Castoriadis, Dialogue sur l’histoire et l’imaginaire social, Paris, EHESS, 2016.

456 Sur l’exclusion de la dimension passive de l’identité narrative par Ricœur, cf. Sophie-Jan Arrien, « Ipséité et passivité : le montage narratif du soi (Paul Ricœur, Wilhelm Schapp et Antonin Artaud), Laval théologique et philosophique, vol. 63, n. 3, 2007, p. 448-449.

457 En 1998, Ricœur a lui-même reconnu la limite de ses analyses de l’identité narrative, qui excluaient toute dimension indisponible et inénarrable de l’histoire d’une vie : « Je suis frappé par la convergence avec ma propre critique de vos remarques sur le deuil à faire de la prétention à rassembler ma propre vie de façon exhaustive dans le récit. Dans le travail que je fais actuellement sur la mémoire ce thème du deuil de la volonté de maîtrise tient une place croissante. Outre qu’il y a de l’irréparable, il y a de l’inextricable ». Cité dans Muriel Gilbert, « Pour une critique psychanalytique de l’identité narrative », loc. cit., p. 341.

question, se trouve notamment à la base de la critique ricœurienne du cogito et de sa conception du sujet comme soi. Négativement, Ricœur définit le soi comme un cogito blessé, c’est-à-dire un cogito instruit de l’impossibilité et de la fausseté d’un rapport avec soi-même immédiat, transparent et apodictique458. Positivement, il accorde au soi la possibilité de se réfléchir, mais

seulement de manière médiate. Ce retour est médiatisé par les œuvres, les textes, les documents, les institutions, les monuments, bref les œuvres culturelles qui sont garantes d’une compréhension de soi. C’est parce qu’elles expriment l’expérience humaine, présupposant que l’expérience humaine, même dans ce qu’elle a de plus innommable, se laisse exprimer, qu’elles peuvent renvoyer alors à l’individu son reflet459.

Or, si l’on endosse la distinction phénoménologique entre sens et signification et si, à partir d’elle, on admet avec Tengelyi qu’il y a toujours une partie de l’expérience qui nous restera irrémédiablement indisponible, qu’advient-il de la conception ricœurienne du soi ? Ricœur pourrait continuer à soutenir que les œuvres culturelles communiquent l’expérience humaine, tout en reconnaissant la dimension partielle et affaiblissante des œuvres culturelles par rapport à l’expérience. Il pourrait encore défendre l’idée que la médiation nécessaire de ces œuvres vient invalider la conception du sujet comme un moi se connaissant intuitivement – un « moi, maître de lui-même » – à la faveur d’un sujet se connaissant par les textes – un « soi disciple du texte »460.

Toutefois, la reconnaissance de la distinction entre sens et signification et celle du processus de formation de sens qu’elle implique chez Tengelyi viendraient également radicaliser la critique du cogito et relativiser la conception du sujet comme soi. Ce ne sont pas seulement les caractères de l’apodicticité, de l’adéquation et de la transparence du rapport à soi qui se trouveraient remis en question, mais également le rapport à soi, lui-même : l’altérité irrémédiable du sens-se-faisant rend impossible toute saisie totale et toute expression adéquate de soi-même. L’institution de soi est toujours précédée par une formation de sens qui lui reste partiellement indisponible, sauvage et dépossédée. La formation de soi, solidaire de cette formation de sens, est tout aussi subliminale. Introduisant une « altérité propre »461, la formation de sens vient miner de l’intérieur

le rapport à soi constitutif du soi. Le moi, maître de lui-même et le soi disciple du texte laissent place à un soi s’échappant à lui-même. Ainsi, du détour par la conception de l’identité narrative de Tengelyi, avec lequel le problème de l’identité personnelle posé par Ricœur se trouverait enfin

458 Paul Ricœur, Réflexion faite, op. cit., p. 30. 459 Jean-Marc Tétaz, loc. cit., p. 473.

460 Paul Ricœur, Du texte à l’action. Essais d’herméneutique, op. cit., p. 57. 461 László Tengelyi, L’histoire d’une vie et sa région sauvage, op. cit., p. 189.

résolu, la conception ricœurienne de l’identité narrative subirait le même sort que celui qu’elle impose au cogito : elle en ressortirait blessée.

CONCLUSION.DEVIENS CELUI QUE TU ES

Et moi je marche, je ne sais pas pourquoi, ce qu’on veut encore de moi. Ce qu’on veut que je fasse encore demain. Non rien n’est bouché tout à fait à ce qui n’est pas encore mort. Dans demain j’aurai ma place aussi. Que je le veuille ou non. Et jusqu’où on mènera à travers les jours et les jours, je l’ignore. Je pourrais essayer de m’arrêter là sous la pluie et refuser d’avancer mais ça ne servirait à rien. Ce serait toujours une place pour moi, une façon de place462.

Comment une personne peut-elle rester identique dans le temps malgré les changements qu’elle traverse au cours de sa vie ? Cette interrogation, que nous avons fait nôtre, a initié une longue excursion dans les réflexions de Paul Ricœur sur l’identité personnelle. Les débuts de ce parcours ont été consacrés à la restitution des concepts et des phénomènes d’identité personnelle décelés par Ricœur dans Soi-même comme un autre. Cela a nous permis d’identifier le caractère, la promesse et l’identité narrative comme trois formes de permanence dans le changement pouvant être exprimées à partir des concepts de mêmeté et d’ipséité. Ces avancées ont toutefois été contrariées par la rencontre d’un imprévu. Avec la découverte d’un second défi de l’identité personnelle, concernant les situations de pertes d’identité personnelle, la conception ricœurienne de l’identité a confronté sa propre limite : il est apparu que la promesse et l’ipséité n’appartiennent pas, tout compte fait, à la problématique de l’identité personnelle. Or, sans l’ipséité comme forme d’identité, nous ne disposions plus des moyens conceptuels pour prendre en compte les changements dans la permanence dans le temps d’une personne. Ne pouvant plus cheminer avec Ricœur, nous avons dû emprunter un détour, celui de L’histoire d’une vie et sa région sauvage, ouvrage dans lequel László Tengelyi conçoit l’identité personnelle comme une forme d’identité narrative. Malgré ces imprévus, ces obstacles et ces détours inévitables, cette longue excursion n’a pas été vaine : à la croisée des chemins de Ricœur et Tengelyi, nous avons proposé une conception composée de l’identité personnelle – en termes de mêmeté, d’ipséité, d’institution de soi et de formation de soi – capable de relever les deux défis de l’identité personnelle.

Ce parcours, consacré à la résolution des défis de l’identité personnelle à partir de la restitution, de la critique et du prolongement de la conception ricœurienne de l’identité, a

également été l’occasion de saisir trois traits du phénomène de l’identité personnelle. La restitution de la conception ricœurienne de l’identité nous a permis de jeter la lumière sur la temporalité de ce phénomène. Puisque « rien de l’expérience intérieure n’échappe au changement »463, l’identité

personnelle ne peut être confondue avec l’immuabilité ou l’invariabilité de la chose. Le caractère singulier de l’identité personnelle tient à ce que malgré les variations et les changements que subit une personne à travers le temps, la permanence de la personne n’est pas pour autant compromise. L’identité personnelle apparaît alors comme une tension incongrue, un équilibre paradoxal entre la permanence et le changement464. En outre, la lecture critique de la conception

ricœurienne de l’identité nous a permis de saisir l’identité personnelle dans sa consistance. La question « Qui suis-je ? » appelle comme réponse l’individualité d’une personne ou l’ensemble des traits caractéristiques auxquels on la reconnaît465. L’identité personnelle exprime ainsi bien

plus que la singularité du soi, à savoir le fait d’être distinct des autres et de pouvoir se rapporter à soi-même. Avec le prolongement de la pensée de Ricœur, à partir de la conception de l’identité personnelle de Tengelyi, les réflexions de Ricœur sur la manifestation de l’identité personnelle se sont également trouvées prolongées. Lorsque l’identité personnelle se fait caractère, dont les traits sont physiques et observables, elle peut faire l’objet d’une saisie et d’une vérification perceptive. Mais comme ipséité ou identité narrative, l’identité personnelle échappe nécessairement au regard : c’est en se racontant, en se faisant langage que l’ipséité parvient alors à s’attester. Dans les situations d’errance identitaire, où elle ne peut ni être observée ni être dite, l’identité se manifeste encore, mais de manière plus fragile. Le fait d’être soi-même relève alors d’un sentiment de soi qui est prégnant malgré son caractère flou, changeant et multiple.

Au terme de ce parcours, l’identité personnelle apparaît donc comme la permanence dans le changement de l’individualité d’une personne se manifestant à la fois de manière perceptive, langagière et affective. Malgré l’éclairage multiple jeté sur l’identité, l’un de ses visages est resté dans l’ombre. C'est celui de la valeur de l’identité personnelle. Pourtant, cet aspect de l’identité personnelle ne constitue pas une thématique négligeable par rapport à nos recherches : au contraire, notre enquête sur l’identité personnelle suppose que l’identité revêt une certaine valeur ! Si la question du défi de l’identité personnelle demande d’être résolue, c’est d’abord parce qu’elle mérite d’être posée. Et si l’identité personnelle revêt un quelconque intérêt théorique,

463 Paul Ricœur, « Identité narrative », Revue des sciences humaines, loc. cit., p. 36.

464 Paul Ricœur, « Les paradoxes de l’identité », Anthropologie philosophique. Écrits et conférence 3, op. cit., p. 379. 465 László Tengelyi, L’histoire d’une vie et sa région sauvage, op. cit., p. 31.

c’est en raison de sa valeur existentielle indéniable. En effet, l’identité personnelle comme permanence dans le changement semble être une réalité structurante de notre quotidienneté : avec l’identité personnelle, il devient possible de se tenir responsable de nos actions passées, de se projeter dans le futur, de s’engager auprès d’autrui, de tisser des relations d’amitié, d’amour, etc. Ce qui a motivé et ce qui justifie, dans l’après-coup, nos recherches sur l’identité personnelle, c’est sa valeur pragmatique ou éthique.

Paul Ricœur et László Tengelyi, thématisant tous deux l’identité personnelle dans l’horizon d’une réflexion plus générale sur l’éthique, ont nécessairement abordé la question de la valeur éthique de l’identité personnelle. Dans Soi-même comme un autre, l’identité personnelle et plus précisément l’identité narrative joue un rôle charnière dans l’herméneutique du soi de Ricœur : l’identité narrative opère le passage de la sphère de l’action à la sphère de la prescription466 ou de

l’éthique, avec laquelle l’ipséité s’atteste de manière « véritable »467. Selon Ricœur, l’identité

narrative, venant rassembler notre vie, permet d’orienter éthiquement nos actions, c’est-à-dire selon un principe de « vie bonne » : « Comment, en effet, un sujet d’action pourrait-il donner à sa propre vie, prise en entier, une qualification éthique, si cette vie n’était pas rassemblée, et comment le serait-elle si ce n’était précisément en forme de récit ? »468. Ce rassemblement de la

vie semble également permettre l’engagement : seule une personne capable de dire qu’elle sera la même demain peut s’engager auprès d’autrui et réussir en amitié469. Toutefois, à l’occasion de

l’étude des situations de perte d’identité personnelle, le rapport d’appui entre l’identité personnelle et l’engagement éthique se trouve questionné. Puisque l’engagement éthique consiste d’abord et avant tout en une réponse à la sollicitude d’autrui470, il n’est pas nécessaire de se

connaître, de se posséder pour agir éthiquement. Même absolument changeant, versatile, il est possible d’engager une action471. Revenant sur sa position, Ricœur suggère alors que « la

possession n’est pas ce qui importe »472. La dépossession de soi-même aurait même un certain

avantage éthique sur la possession de soi-même, qui menace toujours de se convertir en une

466 « La théorie narrative occupe dans le parcours complet de notre investigation une position charnière entre la

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