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Le transfert, comme idée centrale de la doctrine sioniste

Paragraphe II : Le Plan de Partage des Nations Unies

Section 2 : Conséquences de la résolution 181 ; transfert de population et annexion de territoires

A- Le transfert, comme idée centrale de la doctrine sioniste

La présence arabe en Palestine est apparue, chez les pères fondateurs du sionisme, comme un obstacle à l’établissement d’un Etat pour les Juifs en Palestine. Israël Zangwill écrit en 1920 : « Nous ne pouvons pas permettre aux Arabes de se mettre en travers d’une entreprise de reconstruction historique… »283. A partir de ce constat, l’idée du transfert, c’est- à-dire du déplacement des Arabes hors du territoire de la Palestine, prend de l’ampleur dans la classe dirigeante sioniste et apparaît comme une solution à « la question arabe». Il faut rappeler que les chefs sionistes présentaient à leurs partisans la Palestine comme une terre inhabitée, d’où la formule « une terre sans peuple pour un peuple sans terre». Cette pratique du double discours était largement employée.

Israël Zangwill par exemple qui avait déclaré en 1905 : « Nous devons être prêts à repousser par le glaive les tribus [arabes] qui détiennent la terre, comme nos ancêtres l’ont fait » déclare en 1920 : « il n’y a pas là un peuple arabe »284.

Dans ses mémoires, Herzl écrit en 1895, c’est-à-dire avant même le premier Congrès sioniste : « Nous tenterons d’encourager la population miséreuse à passer la frontière en lui procurant de l’emploi dans les pays de passage, tout en lui refusant tout travail dans notre propre pays. Le double processus d’expropriation et de déplacement des pauvres doit être mené de façon à la fois prudente et discrète.»285

Dans le même registre, Israël Zangwill estimait qu’il faut convaincre « gentiment » les Arabes, qui « ont l’Arabie avec ses millions de kilomètres carrés », « de prendre la piste. […]

282 Parmi eux, Benny Morris, Ilan Pappé, Avi Shlaim, Tom Segev, Simha Flapan. L’ouvrage de Dominique

Vidal et Joseph Algazy, Le pêché originel d’Israël, op. cit., présente une synthèse des travaux de ces chercheurs israéliens.

283 Israël Zangwill jouait le rôle de porte-parole du Mouvement sioniste, in Ilan Halévi, Le transfert des

Palestiniens, une obsession centenaire, REP, n° 14, hiver 1998, p. 17.

284 Ibid. p. 16.

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Plier leur tente et disparaître en silence est leur proverbiale habitude : qu’ils la mettent donc maintenant en pratique. »286

Chaïm Weizmann estime que les « autres habitants [de Palestine] doivent être transférés ailleurs ». Pour lui, c’est la seule solution possible car « notre idéal est plus grand et plus noble que la préservation de quelques centaines de milliers de fellahs arabes.»287

Le Baron de Rothschild suggérait de « ne pas transférer d’Arabes vers la Syrie ou la Transjordanie, qui font partie de la Terre d’Israël, mais plutôt vers la Mésopotamie. »288

Il est important de souligner que les dirigeants sionistes avaient accueilli avec satisfaction le rapport de la Commission britannique Peel de 1937 qui recommandait le partage de la Palestine et évoquait pour la première fois officiellement et publiquement l’idée d’un transfert des populations palestiniennes hors des régions destinées à l’Etat juif. Benny Morris constate que: « the Peel report had, for the first time, accorded the idea of transfer an international moral imprimatur. »289

Ben Gourion commentait ce rapport, lors d’un Congrès du Parti des travailleurs de la Terre d’Israël à Zurich (Mapaï) en août 1937, en ces termes : « La Commission n’envisage pas de spolier les Arabes, elle préconise leur transfert et leur réinstallation dans l’Etat arabe. Il ne me semble pas nécessaire d’expliquer la différence radicale entre expulsion et transfert. Jusqu’ici, nous avons aussi implanté nos colonies en transférant la population d’un endroit à un autre…ce n’est que très rarement que nous avons pu nous installer sans être forcés de transférer les précédents habitants. »290.

Mais Ben Gourion, comme tous les hauts dirigeants sionistes dans leurs écrits personnels, correspondances privées et débats internes, était parfaitement net sur la question du transfert. Dans sa pensée, le transfert était désormais clairement associé à l’expulsion et il comptait sur la force armée sioniste pour le réaliser. Il écrit dans une lettre adressée à son fils en 1937 : « Les Arabes doivent partir, mais nous avons besoin d’un moment favorable pour que ça arrive, par exemple une guerre. » Il rajoute : « Nous devons expulser les Arabes

286 Ibid. p. 17.

287 Chaïm Weizmann, 28 avril 1930, cité par Ilan Halévi, Ibid. p. 18. 288 Ibid.

289 Benny Morris, The Birth of the Palestine Refugee Problem revisited, 1947-1949, op. cit., p. 48.

290 David Ben Gourion président de l’Exécutif de l’Agence juive et futur Premier Ministre, in Israël Shahak,

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et prendre leur place. Et si nous devons faire usage de la force […], pour garantir notre droit à coloniser ces régions, nous avons la force requise à notre disposition »291.

Un autre dirigeant du Mapaï apporte quelques précisions quant à la proposition du transfert des Arabes, avancée par la Commission Peel : « Il n’est pas juste de comparer cette proposition à l’expulsion des Juifs d’Allemagne, ou de tout autre pays. Ici, il ne s’agit pas d’expulsion mais du ‘‘transfert’’ de quelques Arabes d’un territoire donné vers un Etat arabe, c’est-à-dire de les rapprocher de leur propre peuple…»292.

Dès le Congrès du Mapaï le transfert est devenu un choix réfléchi et privilégié par les dirigeants sionistes. Pour ces derniers, il devient très vite une condition sine qua non à la réalisation de l’objectif du sionisme, car jusqu’ en 1948, les Juifs ne constituaient qu’un tiers de la population et possédaient 6% des terres, alors que tout le reste était aux mains des Palestiniens. Menahem Ussishkin, le Directeur du Fonds National Juif, déclare lors de la réunion de l’Exécutif de l’Agence juive en 1938 : « Nous ne pouvons pas commencer l’Etat juif avec une population dont les Arabes […] constituent 50 ou 45% de la population [et possèdent] 75% des terres. Un tel Etat ne pourrait même pas survivre une demi-heure. »293

Nous soulignons le fait que nous n’avons trouvé au cours des différents congrès ou dans les réunions et écrits personnels des dirigeants sionistes aucune objection d’ordre moral au projet de l’expulsion des Palestiniens. Au contraire les dirigeants sionistes, qui se voulaient « socialistes », considéraient que le transfert était moralement justifié. Les seules objections, timidement formulées, étaient d’ordre politique ou pratique. Un chef sioniste, Shlomo Lavie, considérait que :

« L’exigence que les Arabes s’en aillent […] est en soi juste et morale. Mais dans la situation actuelle nous ne pouvons pas le présenter au monde politique comme une revendication ferme, et contre notre gré, nous devons nous ranger à l’avis des Britanniques… »294. Un des idéologues influents du mouvement sioniste, Tratakover, s’interroge en 1937 sur la question du transfert, du point de vue des futures colonies juives dans les autres pays au Moyen-Orient :

291 Cité par Ilan Pappé, 1948 : Le projet de purification ethnique en Palestine, REP, n° 103, printemps 2007,

p.75, et Ilan Halévi, Le transfert des Palestiniens, op. cit., p. 25.

292 Eliezer Kaplan, in Israël Shahak, L’idée du transfert dans la doctrine sioniste, op. cit., p. 113.

293 Menahem Ussishkin, l’une des personnalités centrales du mouvement sioniste et de la colonisation juive en

Palestine et directeur du Fonds National Juif, cité par Ilan Halévi, Le transfert des Palestiniens, op. cit., p. 26.

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« N’y a-t-il pas un risque, si nous établissons pour principe qu’un Etat national doit être exempt de minorités nationales, qu’ils puissent nous retourner l’argument…N’est- ce pas là payer trop cher pour débarrasser l’Etat hébreu de quelques dizaines de milliers d’Arabes, car on ne nous permettra sans doute pas d’en éliminer d’avantage ? »295. Berl Katzenelson, surnommé « la conscience du sionisme travailliste » dit à propos du transfert : « J’ai la conscience parfaitement tranquille sur ce point. Mieux vaut un voisin lointain qu’un ennemi proche. Ils ne perdront rien à ce transfert, et nous n’y perdrons certainement rien non plus…! »296

Le directeur du Département de la terre au Fonds National Juif, Yossef Weitz, déclare dans ses mémoires en 1940 : « It must be clear that there is no room in the country for both peoples […] The only solution […] is a land of Israel [i.e., Palestine] without Arabs. There is no way but to transfer the Arabs from here to the neighbouring countries, to transfer all of them[…] Not one village must be left, not one [beduin] tribe. The transfer must be directed at Iraq, Syria and even Transjordan. »297

Weitz joue à partir de 1941 un rôle très important dans la mise en place d’une stratégie pour le transfert des Palestiniens. Il est à l’origine de l’idée de la création d’un conseil permanent chargé de préparer le transfert, lequel sera effectivement constitué en mai 1942. Mais Weitz n’a pas attendu la création de ce conseil pour réfléchir à des solutions pour le problème que pose la présence arabe en Palestine. Il écrit en juin 1941 : « La Terre d’Israël n’est pas du tout petite, si seulement on la vide des Arabes et si on élargit un peu ses frontières ». Son idée phare était de transférer le plus grand nombre de gens vers la région d’Al-Jazirah, au nord-est de la Syrie et sa partie irakienne. 298

Pour les sionistes, donc, la mise en œuvre de leur projet, qui sera entériné par la résolution de partage de l’Assemblée Générale en novembre 1947, dépend entièrement de l’expulsion des Palestiniens de leur terre. Les sionistes envisagent de convaincre la Commission royale britannique, Woodhead en 1938299, de trancher en faveur d’un « transfert obligatoire ». « Je dirais donc à la Commission et au gouvernement que nous n’accepterons pas une terre d’Israël réduite sans que vous nous donniez la terre d’un côté, et que vous

295 Ibid. p. 114. 296 Ibid.

297 Benny Morris, The Birth of the Palestine Refugee Problem revisited, op. cit., p. 54.

298 Voir Israël Shahak, L’idée du transfert dans la doctrine sioniste, op. cit., pp. 116-117, et Ilan Halévi, Le

transfert des Palestiniens, op. cit., pp. 30-32.

299 La Commission Woodhead, chargée d’étudier les conditions pratiques d’un partage de la Palestine, dépose

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n’évacuiez le plus grand nombre possible d’Arabes […] de l’autre. » Ils croient que seul le Gouvernement britannique peut « procéder au déplacement forcé [grâce] à la poigne anglaise et l’argent juif […] vers la Transjordanie, et non pas vers l’Etat arabe prévu. »300 Les sionistes souhaitaient passer un accord avec les Etats arabes susceptibles d’absorber les Palestiniens transférés. Ben Gourion qui était particulièrement enthousiaste à l’idée de transférer les Palestiniens en Irak, propose dans un mémorandum adressé à un comité d’action sioniste en 1938 de verser à l’Irak « dix millions de livres sterling en échange de la réinstallation de 100 000 familles arabes de Palestine en Irak. »301 Non seulement le choix du transfert est adopté et les pays d’accueil choisis, mais encore les sionistes commencent à mettre en place des stratégies destinées à rendre ce transfert définitif comme le dégagement des régions frontalières vidées des autochtones pour y installer des colonies juives.

Il est à remarquer que l’idée du transfert s’est bien installée dans l’idéologie sioniste et est devenue la pierre angulaire du projet d’Etat juif. Ainsi cette idée a-t-elle traversé toutes les générations du leadership sioniste : des pères fondateurs, Herzl et Nordau, aux architectes de l’Etat juif, Weizmann et Ben Gourion, aux organisateurs, Weitz et Kaplan, aux exécuteurs :la Haganah, l’Irgoun de Menahem Begin et Lehi d’Itzhak Shamir ainsi que Yigal Allon et Yitzhak Rabin. Cette idée est restée intacte après la création de l’Etat d’Israël, et revenait systématiquement après chaque guerre israélienne. Même tout récemment, le 12 décembre 2008, la Ministre des Affaires Etrangères et candidate au poste de Premier Ministre en Israël, Tzipi Livni, s’est déclarée favorable à l’installation des Arabes israéliens dans un Etat palestinien. Pour elle « la solution à [leurs] aspirations nationales se trouve ailleurs. »302 Il faut mentionner également que le parti d’extrême droite ‘‘Israël Beitenou’’, qui préconise des échanges territoriaux et de populations entre Israël et l’Autorité palestinienne « pour créer deux Etats ethniquement homogènes », est arrivé troisième aux dernières élections de février 2009 et forme le Gouvernement avec le Likoud303.

300 Menahem Ussishkin, in Ilan Halévi, Le transfert des Palestiniens, op. cit., p. 27. 301 In Ilan Halévi, Le transfert des Palestiniens, op. cit., p. 30.

302 Voir http://www.rfi.fr/actufr/articles/108/article_75973.asp 303 Voir http://www.lefigaro.fr/international/2009/02/10/

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