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Le Mandat britannique, constitution d’un quasi-Etat juif

Paragraphe II : La Palestine sous Mandat britannique

B- Le Mandat sur la Palestine : de l’indépendance palestinienne à l’Etat juif

2- Le Mandat britannique, constitution d’un quasi-Etat juif

Ce Mandat, qui était censé promouvoir les droits de toutes les populations en Palestine, ne favorisait en fait que les droits d’une minorité. Il devient ainsi un instrument de modification de la société palestinienne. Il permet la territorialisation de la doctrine sioniste en favorisant les structures nationales, l’immigration juive et la possession de terres.

a- Les institutions autonomes juives

La Charte du Mandat fut habilement rédigée: les articles 2, 4, et 6 constituent ensemble un socle solide pour la mise en place des institutions juives qui furent, plus tard, le noyau d’un véritable Etat juif sous le Mandat. Ces articles en effet jetaient les bases d’un futur Etat. Ils permettaient la création d’un organisme juif doté de compétences dans l’administration de la Palestine et qui deviendra l’Agence juive, une sorte de gouvernement autonome. Ils rendaient également possible la constitution d’une communauté, qui pouvait, à terme, devenir majoritaire en facilitant l’immigration juive, ainsi que l’établissement intensif des Juifs sur les terres du pays. Tout cela fut soutenu par l’instauration de conditions

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politiques, administratives et économiques favorables à l’implantation d’un foyer national juif.

La communauté juive de Palestine appelée le Yichouv était appuyée par l’Organisation sioniste, le Fonds National Juif, ainsi que par des associations de colonisation comme la Palestinian Jewish Colonization Association. Le Haut-Commissaire pour la Palestine, Herbert Samuel180, prit ses fonctions en juillet 1920 après la fin de la gouvernance militaire qui avait duré de décembre 1917 à juin 1920. Dès septembre 1920, avant même l’entrée en vigueur du Mandat, il reconnut l’Organisation sioniste et lui donna l’exclusivité pour superviser l’immigration juive. Des règlements britanniques en 1927 et 1930 permirent au Yichouv d’élire une « assemblée représentative » qui élut à son tour un « comité national » doté d’un exécutif. Ainsi fut créée une sorte de gouvernement propre au Yichouv, avec des compétences étatiques en matière d’éducation, de santé et de sécurité. L’Agence juive, créée en 1929, remplaça progressivement le « comité national » et prit en charge l’organisation de l’immigration, l’acquisition des terres, la sécurité et les relations extérieures de la communauté juive181. Le « Jewish Settlement Police » assura la défense armée des colonies et constitua avec l’organisation militaire juive la « Haganah », le noyau de l’armée israélienne. La Histadrouth, qui regroupait les syndicats, fonctionnait comme entrepreneur capitaliste, banquier, propriétaire foncier. Le Fonds National Juif s’occupait particulièrement de l’acquisition des terres vendues le plus souvent par de grands propriétaires étrangers182.

Ainsi le Mandat a-t-il permis au Yichouv d’avoir des structures autonomes et de fournir une base organisationnelle au futur Etat juif. Le Mandat favorisait également l’immigration intensive des Juifs et l’acquisition des terres.

b- L’immigration juive

La question démographique en Palestine demeurait une préoccupation majeure du mouvement sioniste car la construction d’un Etat juif ne pouvait se réaliser tant que les Juifs seraient en infériorité numérique. Les sionistes dès leur premier Congrès à Bâle en 1897 mirent l’immigration au centre de leur stratégie pour la création du foyer national. Le premier point du programme de Bâle prévoit « L’encouragement de façon appropriée à l’installation

180 Qui était d’ailleurs juif et sioniste, il écrit dans ses mémoires : « J’ai été nommé par le Gouvernement de Sa

Majesté qui connaît parfaitement mes sympathies sionistes et sans doute à cause d’elles… » voir Nadine Picaudou, Les Palestiniens un siècle d’histoire, op. cit., p. 72.

181 Voir Alain Gresh et Dominique Vidal, Palestine 1947, un partage avorté, Complexe, Bruxelles, 1994, p. 46. 182 Ibid. p. 44.

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en Palestine d’agriculteurs, d’artisans et de commerçants juifs. »183. A la Conférence de la Paix, à Versailles en février 1919, les sionistes demandent clairement de favoriser l’immigration juive à grande échelle jusqu’à former la majorité de la population en Palestine184. La première vague d’immigration « Aliya »185 composée de 25 000 Juifs, arrive en Palestine en 1882-1883. Avec le Mandat, l’immigration juive prend une forme organisée et en quelque sorte légalisée, puisque son article 6 oblige l’Administration de la Palestine à « faciliter l’immigration juive » et « l’établissement intensif des Juifs sur les terres du pays ». En septembre 1920 l’Administration civile en Palestine promulgue un règlement ouvrant le pays à tout immigré justifiant de moyens d’existence ainsi qu’à un nombre annuel de 16 500 immigrés sans ressources dont l’Organisation sioniste assumera l’entretien pendant un an. Mais la contestation arabe, comme lors des émeutes de Jaffa en 1921, pousse l’Administration à restreindre l’immigration à ceux qui ont des ressources, une profession ou un contrat de travail. Dans le même sens, le Livre Blanc de 1922 conditionne l’immigration juive à la capacité du pays d’absorber les nouveaux immigrants qui ne doivent pas être « une charge pour les habitants de la Palestine » ni priver « de leur emploi aucune partie de la population ». Il prévoit aussi un filtrage permettant d’exclure les personnes « politiquement indésirables » en clair les bolcheviques186 . Cependant entre 1920 et 1929 environ, 100 000 Juifs arrivèrent en Palestine et la population juive passa de moins de 10% à plus de 17% de la population totale.

Un deuxième Livre Blanc, dit de Passfield en 1930, fut publié par le Gouvernement britannique à la lumière du rapport de la Commission Shaw et de l’enquête menée par Sir John Hope Simpson à la suite de la révolte palestinienne de 1929. Ce Livre met en avant la nécessité de restreindre ou, au besoin, de suspendre l’immigration juive quand elle a pour résultat de priver la population arabe des moyens de travail qui lui assurent son gagne-pain, conformément à l’article 6 de la Charte du Mandat qui dispose que l’immigration ne doit pas porter atteinte aux droits et à la situation des autres parties de la population187. Mais devant les critiques et la pression de l’Organisation sioniste, le Gouvernement britannique recule et donne une interprétation du Livre Blanc. C’est dans une lettre de son Premier Ministre MacDonald à Weizmann en 1931 que le Gouvernement britannique réaffirme que le Mandat

183 Voir le programme de Bâle dans Henry Laurens, Le retour des exilés, op. cit., p. 57.

184 Voir le mémorandum de l’Organisation Sioniste devant le Conseil Suprême des Alliés. Ibid. pp. 256 et s. 185 Aliya est un mot hébreu signifiant littéralement ascension ou élévation spirituelle. Ce terme désigne l’acte

d’immigration en terre sainte par un Juif.

186 Le Livre Blanc de 1922, appelé aussi le Livre Blanc de Churchill, Ministre des colonies à l’époque, voir

Henry Laurens, Le retour des exilés, op. cit., pp. 322 et s, p. 356.

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« constitue un engagement envers le peuple juif tout entier et non pas seulement envers la population juive de Palestine » et que le seul critère du contrôle de l’immigration est « la capacité d’absorption » économique188. Dans les années 1930, surtout avec l’arrivée de Hitler au pouvoir en janvier 1933, l’immigration juive prit une grande ampleur. Entre 1930 et 1939 près de 223 000 immigrés juifs entrent en Palestine, faisant passer la population juive pour la même période de 164 796 à 445 457 personnes189.

Le Gouvernement britannique publia en 1939 un troisième Livre Blanc, dans lequel il reconnaissait le danger d’une immigration illimitée pour la stabilité de toute la région, et se disait résolu à mettre un frein à l’immigration illicite. Selon ce Livre, l’immigration devait cesser après l’admission de 75 000 immigrés juifs aux cours de cinq années suivantes. Les dispositions de ce Livre concernant l’immigration furent assouplies, en 1944, face au problème des juifs d’Europe qui fuyaient la violence et les persécutions. A la fin de la guerre, on assista à une forte immigration en Palestine deréfugiés juifs rescapés des camps nazis et cette immigration fut combattue par les Anglais190.

Au total entre 1920 et 1945, 367 845 immigrés juifs sont entrés en Palestine, la population juive en a été multipliée par sept, passant de 83 790 à 528 702 en 1944.

c- L’acquisition des terres

Jusqu’à la première moitié de XIXe siècle la propriété foncière en Palestine fut caractérisée par l’absence de législations régissant l’exploitation des terres. La propriété des terres cultivées est souvent collective : Masha’a et exercée par la communauté villageoise, mais l’exploitation reste individuelle. En 1858, un code foncier de l’autorité ottomane rendit obligatoire l’enregistrement des terres sous le nom d’un propriétaire. Les paysans, souvent débiteurs des collecteurs d’impôts, les moltazem, enregistraient leurs terres au nom de leurs créanciers comme remboursement de leurs dettes. Cela eut pour effet la concentration des terres entre les mains de grands propriétaires, des notables vivant souvent à l’extérieur de la Palestine et qui n’étaient autres que les collecteurs d’impôts191. 40% des terres acquises par les sionistes durant le Mandat furent achetées à des propriétaires libanais et syriens « dont les

188 Ibid. p. 431.

189 A survey of Palestine, Commission d’enquête anglo-américaine 1945-1946, réédité par The Institute for

Palestine Studies, Washington, 1991, pp. 141et 185.

190 Voir Origine et évolution du problème palestinien 1917-1988, op. cit., p. 58.

191 Acquisition des terres en Palestine, Etude établie à l’intention du Comité pour l’exercice des droits

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intérêts n’étaient pas en conflit avec ceux de la puissance d’occupation » et qui ont « tiré un certain profit de la vente de terres au cours des années qui ont précédé ou suivi directement la première guerre mondiale. »192 Aussi les contrats de vente passés entre les propriétaires arabes et les acheteurs juifs comportaient-ils tous une clause stipulant que la terre était achetée inoccupée, ce qui faisait des paysans qui y étaient installés des résidents illégaux et par conséquent, expulsables. L’ordonnance de 1920 sur le transfert des terres, amendée en 1921, était prévue pour protéger les cultivateurs de l’expulsion, quand la terre était vendue par le propriétaire. Cette ordonnance exigeait le consentement du gouvernement pour tout transfert foncier, dans le but de laisser aux cultivateurs palestiniens une part suffisante de terre leur permettant de subvenir à leurs besoins et ceux de leurs familles193. Cette ordonnance et son amendement n’atteindront pas leurs objectifs : « de 1921 à 1929, il fut procédé à la vente de vastes étendues de terre : nombre d’Arabes furent dépossédés sans qu’on prît la précaution de mettre à leur disposition d’autres terres. »194

En 1929 the Protection of Cultivators Ordinance supprime les obligations de l’ancienne ordonnance et se contente d’accorder des compensations pécuniaires à certaines catégories pour trouble de jouissance, sans aucune mesure pour faire face à la vague de dépossession de ces cultivateurs. Cette ordonnance fut amendée en 1931 principalement par une mesure qui protégeait les cultivateurs qui avaient exercé de manière continue une activité agricole pendant au moins cinq ans en cas d’acquisition de la terre. Selon cet amendement, ces cultivateurs ne peuvent être expulsés, à moins que le propriétaire de la terre ne leur prévoie l’équivalent pour leurs moyens d’existence195.

D’autres lois, comme la Mewat Land Ordinance en 1920, suppriment le titre de propriété des terres non cultivées depuis trois années consécutives, une loi de 1929 sur l’expropriation permet de confisquer une terre au titre de l’utilité publique.

Au total jusqu’à 1945, les Juifs acquirent près de 1600 km² soit 6% de la surface de la Palestine (26 323 km²)196. Sur ces 6%, 18.7% furent achetés à des propriétaires juifs, 40% à des propriétaires libanais et syriens, 32% à de grands propriétaires palestiniens absentéistes ou à de petits paysans en difficulté, et 10% cédés ou loués par le Gouvernement mandataire.

192 Ibid. par exemple les familles libanaises Salam, Kabbani, Twayni ont vendu des villages entiers, la famille

Sursock a vendu à elle seule en 1924, 40 000 dounams ( 1 dounam = 1000m²) au Fonds National Juif. Voir Henry Laurens, Le retour des exilés, op. cit., p. 355.

193 Voir A survey of Palestine, op. cit., p. 289.

194 Conclusions du rapport de la Commission Shaw 1930, voir Henry Laurens, Le retour des exilés, op.cit., p.417 195 Voir A survey of Palestine, op. cit., p. 290.

196 Un total de 1 588 365 dounams dont 650 000 dounams acquis avant 1920 et 938 365 acquis entre 1920 et

1945. Les chiffres sont donnés par la Commission d’enquête anglo-américaine d’après le rapport A survey of Palestine, voir Ibid. pp. 244, 258, 266.

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Ainsi, sur les 24 600 km² possédés par les Palestiniens et d’autres Arabes, 480 km² furent vendus par des propriétaires palestiniens, soit 2%de leur terre.

Source: Palestinian Academic Society for the Study of International Affairs (PASSIA)

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