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Méthodes et justifications israéliennes de l’expropriation des terres palestiniennes occupées

Paragraphe I : Nouvel exode des Palestiniens et nouvelle occupation du territoire

B- L’occupation des territoires palestiniens

1- Méthodes et justifications israéliennes de l’expropriation des terres palestiniennes occupées

En Cisjordanie, avant 1967, le droit combinait des fragments des lois de la période ottomane, le restant des lois britanniques du temps du Mandat et les lois jordaniennes. Depuis 1967 s’ajoutent au droit en Cisjordanie des régulations et amendements israéliens, sous forme d’ordonnances militaires. A Gaza puisque l’Egypte ne l’a pas annexé après 1948, les lois relatives à la terre sont en majorité issues du Mandat britannique et des ordonnances militaires israéliennes. Il faut noter que la proclamation militaire n° 2 du 7 juin 1967 abroge en réalité toutes les lois préexistantes en contradiction même avec cette proclamation ou avec les futures proclamations et ordonnances militaires449. Lorsqu’Israël occupe, en juin 1967, la péninsule du Sinaï, les hauteurs du Golan, la Bande de Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-est, et commence à coloniser le territoire, il a déjà une vaste expérience en matière d’expropriation de terres, puisque toutes les procédures pour ce faire avaient, comme nous l’avons démontré, déjà été testées à l’intérieur de ce qui est devenu Israël450.

En résumé, ces procédures comprennent la coordination des ministères et des organismes juifs, les mécanismes de désignation des sites, l’administration et le financement, la stratégie d’interconnexion entre les zones juives existantes pour créer une continuité, la fragmentation des centres de population arabes existants, la concentration sur les mises en place de blocs de colonies juives puissantes, la saisie de terres arabes et leur transfert vers une propriété juive exclusive, l’organisation matérielle et sociale des colonies juives individuelles. Ces principes ont été posés et suivis par le mouvement sioniste en Palestine dès le début du XXe siècle et ont été, peu après la création de l’Etat d’Israël en 1948, mis en œuvre à travers un système juridique. Les normes juridiques les plus importantes en matière de propriété des terres sont : la Loi fondamentale : Israels Land451, l’Organisation Sioniste Mondiale (OSM) et l’Agence Juive (Status) Law de 1952452. L’OSM et ses branches, telles que l’Agence juive et le Fonds National Juif (JNF), constituent une arène pour discuter et décider de la stratégie de colonisation. Ces discussions ont lieu et les décisions sont prises dans un contexte éloigné de tout débat démocratique et des regards de la communauté internationale, où l’approche ethno- religieuse et les objectifs de colonisation de la terre sont bien acceptés par les membres. Afin

449 Ruling Palestine: A History of the Legally Sanctioned Jewish-Israeli Seizure of Land and Housing in

Palestine, Centre on Housing Rights and Evictions (COHRE) and BADIL Resource Center for Palestinian Residency & Refugee Rights, Genève, Beithlehem, mai 2005, p. 79.

450 Supra.1- Les bases juridiques de l’expropriation des propriétés.

451 The Basic Law: Israels Land, Laws of the State of Israel, vol. 14, 1959-1960, p. 48.

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de faire passer le plus de terres possible dans les territoires palestiniens occupés sous contrôle israélien, les commandants militaires de la Cisjordanie et de la bande de Gaza ont promulgué une série d’ordonnances militaires amendant les lois en vigueur. Elles constituent donc la base juridique de l’expropriation et de la restriction de l’utilisation des terres palestiniennes sur lesquelles des colonies juives seront construites.

Car Israël procède dans les territoires occupés, surtout la Cisjordanie, à la transformation du système juridique, qui ouvre le chemin à l’expropriation ‘‘légale’’ des terres palestiniennes. Elle s’effectue selon le procédé suivant :

- Promulgation dans un premier temps des ordonnances militaires plaçant la Cisjordanie et Gaza sous le contrôle absolu du Gouvernement militaire israélien. Elles priment sur les lois existantes.

- Ensuite, émission d’ordonnances militaires amendant les lois jordaniennes et autorisant le Commandant militaire à remplacer les fonctionnaires jordaniens par des militaires ou d’autres fonctionnaires israéliens.

- Enfin, affaiblissement et suppression des protections accordées aux Palestiniens en vertu des lois antérieures afin de faciliter la réalisation des objectifs israéliens dans les Territoires Occupés, notamment l’acquisition de terres et la construction de colonies juives.453

Comme c’était le cas pour les expropriations de terres en Israël, l’acquisition de terres palestiniennes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza se met en place à travers plusieurs modes d’action mis en œuvre simultanément. De manière générale, les principaux pour l’acquisition de terres correspondent aux catégories suivantes : expropriations à des fins spécifiques, par exemple pour l’usage militaire ou l’utilité publique, expropriations des terres dites d’Etat et achats individuels. Les différentes méthodes de transfert de propriétés des Palestiniens aux Juifs sont facilitées par un réseau complexe d’ordonnances, de lois et d’amendements aux lois existantes. Pour constater l’ampleur des expropriations des terres palestiniennes par Israël nous citerons deux chiffres.

Le premier, 5 % ou 30 000 dounams, représente la totalité des propriétés juives en Cisjordanie jusqu’en 1948. La superficie de la Cisjordanie est de plus de 5.8 millions de dounams.

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Le deuxième est que 60 % de la superficie de la Cisjordanie sont expropriés ou retenus par Israël jusqu’en 1992, pour le service et l’utilisation des colons et des colonies.454

Nous allons maintenant passer en revue les plus importantes des méthodes, qui ont été largement employées par le Gouvernement militaire israélien, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, afin d’exproprier les terres palestiniennes.

a- Déclaration des terres occupées comme « biens des absents », l’ordonnance militaire n° 58 de 1967

De la même façon que pour les biens des réfugiés palestiniens de 1948 et des habitants arabes d’Israël qui ont été considérés comme ‘‘biens des absents’’, le Commandant militaire israélien prend le contrôle des propriétés appartenant à des Palestiniens de Cisjordanie ou de Gaza qui ont fui ou ont été expulsés pendant ou après la guerre de 1967. L’ordonnance militaire n° 58, concernant les biens des absents, fournit la base ‘‘légale’’ pour prendre possession de ces biens, qui sont définis comme des «Biens dont le propriétaire légal, ou l’ayant droit par la loi, a quitté la région (Cisjordanie) avant le 7 Juin 1967 ou par la suite ».

Selon cette ordonnance, tout droit sur un bien qui a été précédemment accordé au propriétaire devenu ‘‘absent’’ sera automatiquement transféré au curateur, le Custodian des « biens des absents, qui a été nommé par le Commandant de la région et qui est « compétent pour négocier des contrats, gérer, entretenir ou développer la propriété ».

L’article 5 de cette ordonnance militaire dispose que « toute transaction effectuée de bonne foi entre le Custodian des biens des absents et toute autre personne, concernant une propriété que le Custodian avait crue ‘‘bien d’absent’’ quand il a entamé la transaction, ne sera pas annulée et continuera à être valide même s’il a été prouvé par la suite que la propriété n’était pas à cette époque une propriété d’absent ».

La propriété expropriée de cette façon ne peut être ni vendue ni cédée, mais pour contourner cette règle, des baux de très longue durée sont accordés aux Israéliens. Lorsqu’un propriétaire, qui n’est plus absent, revient revendiquer sa terre, il se voit accorder une compensation symbolique. Sur la base de cette ordonnance, près de 430 000 dounams de terres ont été expropriés en tant que ‘‘biens des absents’’. 455

454 Raja Shehadeh, From occupation to interim accords: Israel and the Palestinian territories, Kluwer Law

International, La Haye, CIMEL, SOAS, University of London, London, 1997, p. 80.

455 Ruling Palestine: A History of the Legally Sanctioned Jewish-Israeli Seizure, op. cit., p. 85. Le texte de cette

166 b- Expropriation pour « raisons militaires »

La Convention n° IV de La Haye de 1907 autorise la puissance occupante à réquisitionner des propriétés dans un territoire occupé sous certaines conditions. Bien que la réquisition restreigne les droits de possession et d’usage, elle n’annule pas le titre de propriété. L’article 52 de la convention de La Haye de 1907 stipule que :

« Des réquisitions en nature et des services ne pourront être réclamés des communes ou des habitants que pour les besoins de l’armée d’occupation. Ils seront en rapport avec les ressources du pays et de telle nature qu’ils n’impliquent pas pour les populations l’obligation de prendre part aux opérations de guerre contre leur patrie. Ces réquisitions et ces services ne seront réclamés qu’avec l’autorisation du commandant dans la localité occupée. Les prestations en nature seront, autant que possible, payées au comptant; sinon, elles seront constatées par des reçus, et le paiement des sommes dues sera effectué le plus tôt possible.»

La méthode d’expropriation des terres pour des raisons militaires fut largement utilisée par l’armée israélienne de 1968 à 1977 où près de 50 000 dounams ont été expropriés. Les terres étaient principalement utilisées pour la construction de colonies juives et de routes de contournement en Cisjordanie. Le Commandant militaire de la région émet l’ordonnance de saisie et l’adresse au propriétaire ou au mokhtar du village. Le propriétaire ne dispose que de 72 heures pour demander l’annulation de la saisie devant le tribunal militaire. Si la demande est rejetée, le propriétaire dispose alors de 72 heures pour faire appel devant la Haute Cour israélienne. 456

Il faut noter que la méthode d’émission des ordonnances militaires de réquisition sur la base de la Convention de La Haye de 1907 implique le caractère temporaire de la présence israélienne dans les territoires occupés. Après l’arrivée au pouvoir du Parti de droite, le Likoud, en 1977, ce mode d’expropriation n’étant plus compatible avec sa propre conception politique de la question de la terre, il en adopte, pour la construction de colonies juives, un nouveau qui consiste à déclarer une terre comme ‘‘terre d’Etat’’.

167 c- Expropriation des « terres d’Etat »

La propriété juive en Cisjordanie, acquise avant la guerre de 1948, s’élevait à 30 000 dounams sur les 5.8 millions qui en constituent la superficie totale,457 c’est-à-dire 5%. Jusqu’à

l’occupation israélienne de la Cisjordanie en juin 1967, cette propriété était administrée par le Gardien jordanien des biens des ennemis. En 1973 la superficie totale des ‘‘terres d’Etat’’ a atteint les 700 000 dounams. La méthode de déclaration des propriétés arabes et palestiniennes comme ‘‘terres d’Etat’’ fut essentiellement employée dans les années 1980458.

Afin de mieux faire comprendre le processus de déclaration des terres comme ‘‘terres d’Etat,’’ nous devons expliquer brièvement le système d’enregistrement des terres en Cisjordanie quand la Palestine était sous Mandat britannique puis sous contrôle jordanien et enfin sous occupation israélienne.

Le processus d’enregistrement des terres commence en Palestine en 1928 sous le mandant britannique et continue sous le Gouvernement jordanien en Cisjordanie de 1950 à 1967. A l’époque il n’existait qu’un seul système d’enregistrement et qu’un seul registre, à savoir le cadastre jordanien. Les terres enregistrées au nom du Gouvernement jordanien pouvaient être considérées comme terres publiques ou ‘‘terres de l’Etat jordanien’’. Avant l’occupation israélienne, la superficie de ces terres était estimée à 750 000 dounams459.

En juin 1967, immédiatement après l’occupation israélienne, les terres de l’Etat jordanien furent placées entre les mains du Custodian des propriétés gouvernementales en vertu de l’ordonnance militaire n° 59 du 31 juillet 1967. Laquelle définit les ‘‘terres d’Etat’’ comme :

« Tout bien mobile ou immobile qui appartenait avant le 7 juin 1967 à un Etat ennemi ou à un organisme lié à un Etat ennemi ». Cette définition comprend toute terre non enregistrée ou en cours d’enregistrement ainsi que les terres non enregistrées en tant que propriétés privées ou qui ne sont pas la propriété du Waqf islamique460. Toutes sont

susceptibles d’être déclarées ’’ terres d’Etat’’461.

457 (1000 dounam = 1 km²)

458 Raja Shehadeh, From occupation to interim accords, op. cit., p. 80. 459 Ibid. p. 80.

460 Le Waqf: est un acte juridique par lequel un propriétaire immobilise une partie ou la totalité de ses biens

fonciers ou immobiliers, les plaçant sous la protection de la loi islamique, au profit d’une institution religieuse ou de membres de sa famille nommément désignés. Des fondations pieuses furent créées de cette manière. Ce système permettait, en figeant la propriété, d’éviter le démantèlement des biens, la loi islamique les garantissant

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Une mesure supplémentaire fut adoptée par Israël pour la transformation des terres de la Cisjordanie en ‘‘terres de l’Etat israélien’’. Comprise dans l’ordonnance militaire n° 291 de 1968, elle consistait à suspendre le processus d’enregistrement des terres en Cisjordanie, processus qui avait commencé sous le Mandat britannique et s’était poursuivi sous le régime jordanien462. Ainsi, d’un côté tout enregistrement de terres était suspendu pour les Palestiniens, de l’autre d’énormes quantités de terres commençaient à être enregistrées au nom du Gouvernement israélien ou d’agences juives quasi publiques. En effet jusqu’en 1967 un tiers seulement des terres de la Cisjordanie avaient été inscrites au cadastre jordanien. De plus, l’enregistrement des terres avait été suspendu en 1968. Il en est résulté que de larges parts n’ont pas été enregistrées et se sont vues en conséquence inscrites au registre israélien.463

Les propriétaires pouvaient, dans un délai de 45 jours, contester les décisions d’expropriation en présentant un titre de propriété. Toutefois, ce recours se faisait devant le comité de contestation : « objection committee », qui est une instance spéciale désignée par le Commandant de la région et dont les décisions ne sont absolument pas contraignantes pour les autorités militaires.464

d- Expropriation des terres pour «utilité publique »

Le Gouvernement militaire israélien a procédé à des expropriations sur la base d’une loi jordanienne de1953, concernant l’expropriation des terres pour utilité publique. Cependant il avait supprimé, par le biais de l’ordonnance n° 321 entre autres465, certaines garanties comme la nécessité de publier la saisie dans le Journal Officiel, d’en faire notifier la décision au propriétaire par un greffier du cadastre, ou encore d’obtenir une approbation gouvernementale, enfin le droit de faire appel devant une cour de justice.466

de toute saisie par les autorités. Les revenus étaient utilisés pour la construction de mosquées, d’écoles ou d’hôpitaux et pour leurs frais de fonctionnement.

461 Ruling Palestine: A History of the Legally Sanctioned Jewish-Israeli Seizure, op. cit., p. 89.

462 Ordonnance militaire n° 291, 19 décembre 1968, concernant le règlement des différends portant sur les terres

et l’eau.

463 Raja Shehadeh, From occupation to interim accords, op. cit., p. 81. 464 Ibid. pp. 81-82.

465 - L’ordonnance militaire n°321 : sur l’expropriation des terres pour utilité publique, 28 mars 1969.

- L’ordonnance militaire n°108 : amendement de la loi d’expropriation pour l’utilité publique, 22 septembre 1967

- L’ordonnance militaire n° 949 concernant la notification des saisies aux propriétaires, 30 novembre 1981.

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Dans la loi jordanienne en vigueur en Cisjordanie et qu’Israël était tenu de respecter en tant que puissance occupante, le terme « public/que » dans exproprier pour «utilité publique» ou pour « l’intérêt public » concernait logiquement les Palestiniens en Cisjordanie et non pas les colons juifs encouragés à quitter Israël pour s’installer dans les colonies en Cisjordanie. Pourtant, la plupart des terres expropriées en vertu des ordonnances militaires ont été utilisées au profit des colonies juives et de leurs expansions. Des routes d’accès et des réseaux d’autoroutes ont été construits sur les terres expropriées pour faciliter l’expansion des colonies.467

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