• Aucun résultat trouvé

Paragraphe I : La Palestine et le nationalisme juif

B- La valeur juridique de la Déclaration Balfour

2- Les contradictions de la Déclaration

Les sionistes pensaient obtenir par cette Déclaration la garantie de droit public et la reconnaissance internationale, tant recherchée, indispensable à leur projet. Pourtant, cette Déclaration peut-elle être considérée comme une source juridique de la revendication sioniste en Palestine ? La réponse réside dans la nature même de la Déclaration Balfour. En effet, elle n’est pas le fait d’un accord interétatique. Elle a été donnée, par l’intermédiaire de Lord Rothschild, une personne privée et sujet britannique, à la Fédération sioniste, qui représentait une partie de la communauté juive, laquelle, au demeurant, était dispersée dans le monde et appartenait à plusieurs nationalités, et en outre, point le plus important, n’était pas un sujet du droit international. De surcroît, la Déclaration Balfour porte sur un territoire avec lequel la Grande-Bretagne était sans aucun rapport de droit et sur lequel elle n’avait acquis aucun droit de souveraineté. En ce sens, George Corm estime que «… par ce texte, un gouvernement, celui de la Grande-Bretagne, disposait d’un territoire, la Palestine, sur lequel il n’exerçait aucune souveraineté de droit ou de fait, au profit d’une communauté religieuse, les Juifs, vivant dans sa quasi-totalité hors de cette terre. »137. Rappelons que la Palestine au moment de la Déclaration faisait encore partie intégrante de l’Empire ottoman. De ce fait, comme l’explique Jules Basdevant (ancien président de la CIJ) : « Nul Etat n’a le pouvoir d’étendre à son gré sa propre compétence au détriment des autres Etats et des autres peuples. Le droit international ne reconnaît à l’Etat britannique de compétence que sur ses territoires et sur ses sujets et nationaux. »138.

Le Mandat britannique sur la Palestine n’a été confié par la Société des Nations (SDN) que le 24 juillet 1922. Quant à l’occupation militaire britannique de la Palestine, elle ne peut constituer un argument juridique permettant à la Grande-Bretagne de disposer du territoire occupé, car cette occupation n’a été effective que le 9 décembre 1917, date de l’entrée du Général Allenby à Jérusalem, soit un mois après la publication de la Déclaration Balfour. De

136 Cité dans Origine et évolution du problème palestinien1917-1988, Nations Unies, New York, 1990, pp.16-17. 137 Georges Corm, Le Proche-Orient éclaté 1956-2007, op. cit., p. 485.

53

plus, cette occupation ne donnait en aucun cas à la Grande-Bretagne le droit de disposer de la Palestine, car, en vertu de la Convention n° IV de La Haye de 1907 sur le droit de la guerre, « L’Etat occupant ne se considérera que comme administrateur…» et les populations des territoires occupés « restent sous la sauvegarde et sous l’empire des principes du droit des gens…»139. Les Britanniques soumettront la Palestine à cette Convention dès la fin de 1917.140 Lorsque la SDN fut créée en 1919, la Déclaration Balfour se trouva en contradiction avec certaines dispositions du Pacte de la SDN. Par exemple, dans l’article 20 qui stipulait que : « Les membres de la Société reconnaissent chacun en ce qui le concerne que le présent Pacte abroge toutes obligations, ou ententes inter se, incompatibles avec ses termes…. Si avant son entrée dans la Société, un membre a assumé des obligations incompatibles avec les termes du Pacte, il doit prendre des mesures immédiates pour se dégager de ces obligations. ».

Remarquons que l’article 22 du Pacte de la SDN plaçait sous la tutelle des Etats occidentaux les anciennes colonies et territoires, qui, à la suite de la guerre, avaient cessé d’être sous la souveraineté des Etats vaincus et la Palestine en faisait partie. Néanmoins, cet article déclare que :

« Certaines communautés qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme Nations indépendantes peut être reconnue provisoirement à condition que les conseils et l’aide d’un Mandataire guident leur administration jusqu’au moment où elles seront capables de se conduire seules.». Cette formule reconnaît ces territoires comme nations indépendantes, ce qui implique le respect des droits des peuples et l’intégrité de leurs territoires. Or la Déclaration Balfour était contraire à l’esprit de cet article. Pourtant, cette Déclaration ne sera pas annulée, comme elle aurait dû l’être, et ce en vertu de l’article 20 du Pacte de la SDN. Au contraire, la Déclaration sera incluse dans les termes du Mandat sur la Palestine.

Notons que les Alliés tentèrent de conférer à la Déclaration Balfour une légitimité ex post facto. Ils tentèrent en effet de la faire reconnaître par l’Empire ottoman, l’ancienne autorité souveraine de la Palestine. Ils conclurent alors en 1920 avec l’Empire ottoman le Traité de Sèvres qui incluait dans son article 95 la Déclaration Balfour. Lequel toutefois ne

139 Le préambule et l’Art.55 de la Convention n° IV de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la

guerre sur terre, ratifiée par la Grande-Bretagne en 1909.

54

sera pas ratifié par l’Empire ottoman et sera remplacé par celui de Lausanne, conclu avec la Turquie en 1923 et ne faisant aucune mention de cette Déclaration141.

Force nous est de constater les nombreuses contradictions politiques et juridiques entre la Déclaration Balfour et les différents textes qui l’ont précédée, accompagnée ou suivie. Nous avons évoqué certains de ces textes, tel l’Accord Hussein-Mac Mahon, qui devait inclure la Palestine dans l’Etat arabe, du moins du point de vue du Chérif Hussein, et l’Accord Sykes-Picot, qui devait soumettre la Palestine à une administration internationale. La Déclaration Balfour était en contradiction avec d’autres textes que nous évoquons brièvement ici.142 La déclaration du Général Allenby, lors de son entrée à Jérusalem le 9 décembre1917, affirmait le principe du consentement des populations quant au futur gouvernement. Le Message de l’envoyé du Gouvernement britannique, le Commandant Hogarth, en janvier 1918, donnait l’assurance au Chérif, que la réalisation des aspirations juives en Palestine ne se ferait que dans la mesure où elle était compatible avec les libertés politique et économique de la population actuelle de la Palestine.

La déclaration franco-britannique, publiée le 7 novembre1918, énonçait le but de la guerre des deux puissances en Orient et fut approuvée par les Américains. Et nous pouvons y lire que le but de la guerre était :

«… l’établissement d’administrations et gouvernements nationaux, puisant leur autorité dans l’initiative et le libre choix des populations indigènes. Pour donner suite à ces intentions, la France et la Grande-Bretagne sont d’accord pour encourager et aider l’établissement de gouvernements et administrations indigènes…». Nous notons dans cette déclaration une inspiration wilsonienne, quand elle évoque les populations indigènes et les gouvernements nationaux, en d’autres termes le droit des peuples à l’autodétermination. Nous remarquons également une contradiction flagrante entre ce texte, qui prévoit pour la population indigène un gouvernement national, et la Déclaration Balfour, qui fait de la Palestine un foyer national pour un peuple venant d’ailleurs.

La Déclaration Balfour était incompatible, comme nous l’avons démontré, avec la Convention n° IV de La Haye de 1907 quant au droit de la guerre, ainsi qu’avec le Pacte de la SDN, notamment les articles 20 et 22. Elle l’était aussi avec certaines dispositions du Mandat britannique, notamment l’article 5 qui, comme nous allons le voir, met à la charge de la

141 Ibid. pp. 512 et s.

142 Ces différents textes sont cités par Henry Laurens, La question de Palestine, Tome I, 1799-19222, op. cit., pp.

55

puissance mandataire l’obligation de « garantir la Palestine contre toute perte, ou prise à bail, de tout ou partie de son territoire… ».

Enfin, il faut noter que les Arabes, Musulmans et Chrétiens, à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine, s’opposèrent vigoureusement à la Déclaration Balfour, qui, comme en témoigne cette note envoyée à Paris le 8 février 1918, « […] a produit une profonde impression parmi les Syriens (chrétiens et musulmans) d’Egypte. Cette impression fut particulièrement pénible parmi les réfugiés palestiniens… »143. Ces mêmes Syriens, réunis dans le Comité syrien du Caire, envoyèrent une note de protestation au Gouvernement britannique144. Nous pouvons citer aussi le Comité islamo-chrétien de Jaffa et le Congrès palestinien à Jérusalem qui insistèrent tous deux sur le caractère indivisible du peuple arabe de Palestine, majoritaire par le nombre et par la possession de terres145.

Documents relatifs