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L’octroi du Mandat sur la Palestine est passé par deux étapes : la Conférence de la Paix à Versailles en 1919 et la Conférence de San Remo en 1920. Mais entre ces deux événements a été créée une commission d’enquête internationale chargée d’étudier la situation dans la région de la Grande Syrie et de rapporter les vœux des populations.

A- La Conférence de la Paix et la Palestine

A la Conférence de la Paix à Versailles en 1919, furent reçues plusieurs délégations : arabe, sioniste, kurde…. Chacune exposa ses revendications. Les Arabes, représentés par le Prince Faysal, fils du Chérif Hussein, réclamèrent leur indépendance en se fondant sur la doctrine wilsonienne du droit des peuples, dans les limites promises par les Britanniques en 1916146. Or cette Conférence semblait vouloir traiter le cas de la Palestine sur la base de la Déclaration Balfour, ce qui impliquait le rejet des promesses faites au Chérif Hussein147. Devant le manque d’enthousiasme des Alliés, Faysal décida de laisser de côté la Palestine pour que son sort soit réglé par ceux que cette question concernait. Les principaux concernés, les Palestiniens, se réunirent à Jérusalem en Congrès général, du 28 janvier au 8 février 1919, et votèrent une motion envoyée à la Conférence de la Paix. Ils rejetaient les revendications françaises sur la Syrie ainsi que celles des sionistes, reconnaissant la Palestine comme la Syrie du Sud et demandant l’indépendance de toute la Syrie.148

Les Sionistes présentèrent un mémorandum exposant leurs revendications149 et leur feuille de route pour les années à venir, autrement dit les étapes à suivre pour réaliser l’objectif d’un « foyer national ». Nous résumons ce plan en 4 points :

- La reconnaissance du « droit historique » du peuple juif sur la Palestine et le droit des Juifs à y établir leur « foyer national ».

146 Voir Charles Zorgbibe, Terres trop promises, op. cit., p. 68.

147 Voir Omar Massalha, Palestiniens, Israéliens : la paix promise, op. cit., p. 117. 148 Voir Henry Laurens, Le retour des exilés, op. cit., pp. 268 et s.

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- La possession souveraine de la Palestine sera dévolue à la SDN et son gouvernement confié à la Grande-Bretagne en tant que mandataire.

- Dans le cadre du Mandat britannique, la Palestine devra être placée dans des conditions politiques, administratives et économiques qui assureront l’établissement du « foyer national » et en dernier lieu un « Commonwealth » juif autonome.

- L’immigration juive devra être favorisée à grande échelle jusqu’à former la majorité de la population en Palestine.

Ils soumirent également une carte précisant leurs revendications territoriales. Ce projet de délimitation territoriale de la Palestine englobait en plus de la Palestine, le Sud du Liban, le Sud-Ouest de la Syrie et tout l’Ouest du chemin de fer du Hedjaz jusqu’au golfe d’Akaba, autrement dit les châteaux d’eau de la région et les plaines fertiles à l’est du Jourdain. Ces revendications furent rejetées, plus tard, par les puissances Alliées, surtout par la France qu’elles inquiétèrent puisqu’elles portaient sur sa zone d’influence au Levant.150

La Conférence de la Paix ne statuera sur le sort de la Palestine ni dans le sens des Arabes ni dans celui des sionistes. Cependant, l’article 22 du Pacte de la SDN, élaboré au cours de la Conférence de la Paix, énonce le principe des mandats à confier aux « nations développées». En ce qui concerne la Syrie géographique, apparaît un désaccord franco- britannique. En effet, la France demandait le partage de la Syrie en plusieurs mandats, conformément à l’accord Sykes-Picot, tandis que la Grande-Bretagne mettait en avant ses engagements auprès du Chérif pour « équilibrer sa démarche prosioniste en Palestine »151. Le Président Wilson proposa alors, conformément à ses idées sur les droits des peuples, l’envoi d’une commission d’enquête interalliée pour consulter les populations au Proche-Orient.

B- Le sort de la Palestine entre la Commission King-Crane et la Conférence de San Remo

La France et la Grande-Bretagne acceptèrent dans un premier temps l’idée d’une commission internationale d’enquête. Cependant, les Français exigèrent, pour participer à la Commission, la relève des troupes britanniques en Syrie par des troupes françaises. Or l’inquiétude des deux pays, quant aux possibles recommandations de cette Commission, les poussa à s’accorder. La Grande-Bretagne accepta un mandat français sur la Syrie et

150 Mais ces revendications sionistes persisteront et se transformeront plus tard en occupation du Sud du Liban et

du Golan.

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finalement les deux pays renoncèrent à participer à la Commission152. Elle sera dirigée par les Américains Henry King et Richard Crane. Elle rendit son rapport en 1919, lequel, même s’il ne fut pas suivi d’effet, n’en demeure pas moins très intéressant. Il constitue une source d’information irremplaçable sur l’état de l’opinion dans la Grande Syrie de l’époque, due à des observateurs extérieurs. Il porte un regard occidental nouveau sur le programme sioniste et ses conséquences, il est également tout à fait prémonitoire en ce qui concerne le destin de la Palestine.

La Commission débuta son enquête en Palestine, où elle arriva le 10 juin 1919. Les commissaires visitèrent les villes, écoutèrent les représentants de toutes les communautés et recueillirent les témoignages des habitants. Le rapport King-Crane comporte un long paragraphe sur la Palestine. King et Crane reconnaissent dans ce rapport avoir abordé leur enquête avec «l’esprit favorablement prédisposé à l’égard » du sionisme.153

Ils recommandent « une sérieuse modification de la forme extrême du programme sioniste pour la Palestine, qui équivaut à une immigration illimitée de Juifs dans le but de faire de la Palestine définitivement un Etat juif ».

Ils constatent que par la Déclaration Balfour «un encouragement sans équivoque a été donné aux sionistes ». Cependant, ils mettent les Alliés en garde contre le danger d’une interprétation extrême de cette Déclaration, qui aboutirait à un Etat juif. Ils mettent en doute l’idée que « la création d’un tel Etat juif puisse se faire sans causer la plus sérieuse entorse aux ‘‘droits civils et religieux des communautés non juives existant en Palestine’’. A de nombreuses reprises au cours de la rencontre des commissaires avec les représentants juifs, les sionistes ont dit envisager une dépossession quasi complète des habitants non juifs actuels de la Palestine, par différents types d’acquisitions. »154

A propos du principe de l’autodétermination, la Commission se réfère au discours du Président Wilson en juillet 1918, et constate que :

« Si c’est ce principe qui doit s’appliquer et qu’ainsi les vœux de la population de la Palestine doivent être déterminants quant à ce qui doit être fait de la Palestine, alors il y a lieu de rappeler que sa population non juive (pratiquement les neuf dixièmes du total) s’oppose énergiquement à l’ensemble du programme sioniste. » Par « l’ensemble du

152 Ibid. p. 78.

153 Philippe Daumas, La Commission King-Crane, une occasion perdue, REP, n° 96, été 2005, p. 82. 154 Ibid. p. 83.

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programme sioniste », King et Crane entendent le sionisme sous quelque forme qu’il se présente, aussi bien la version « hard » qu’ils condamnent que la version « soft » qu’ils recommandent implicitement.

« Les graphiques montrent qu’il n’y a pas un seul autre point à propos duquel la population de la Palestine ne soit plus unanime. Soumettre un tel peuple à une immigration juive illimitée et à une pression financière constante pour qu’il vende la terre représenterait une violation grossière du principe ci-dessus rappelé et, quand bien même elle satisferait aux formes de la légalité, une violation du simple droit des gens. »155

La Commission rapporte les résolutions du Congrès général syrien, réuni à la même période que l’enquête King-Crane à Damas, et qui regroupe des représentants de toutes les provinces constitutives de la Syrie, Palestine comprise. Les Syriens y déclarent leur refus des prétentions sionistes, ainsi que de la migration sioniste en Palestine, ne reconnaissant pas « la validité de leur titre à le faire ». Les Juifs habitant la Syrie sont des « compatriotes » et ils « jouiront des mêmes droits que nous et assumeront les mêmes responsabilités. » Ils demandent qu’il n’y ait aucune séparation du territoire syrien ni en Palestine, ni au Liban. Ils condamnent tout accord et engagement privé qui stipulent la partition de la Syrie et réclament leur complète annulation.156

Enfin, la Commission résume la situation en Palestine et attire l’attention des Alliés sur l’injustice que peut causer le programme sioniste dont elle met en doute le fondement. « La Conférence de la Paix ne devrait pas fermer les yeux sur le fait que le sentiment antisioniste en Palestine et en Syrie est intense et qu’il est impossible d’en faire fi à la légère. Aucun des officiers britanniques que la Commission a consultés n’a pensé que le programme sioniste pourrait être appliqué sans avoir recours à la force des armes. Ces officiers pensaient en général qu’une force d’au moins cinquante mille soldats serait nécessaire, ne serait-ce que pour la mise en œuvre du programme. [...] Des décisions qui demandent des forces armées pour être appliquées sont parfois nécessaires mais, en aucun cas, elles ne sauraient être prises, sans réflexion, pour soutenir une grave injustice. Car la revendication initiale, maintes fois reprise par les représentants sionistes, selon laquelle ils ont un “droit” sur la Palestine, qui se fonde sur une présence dans le pays remontant à deux mille ans, peut difficilement être prise en considération. »

En vertu de ces considérations, la Commission recommande que :

155 Ibid.

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« L’immigration juive soit nettement limitée et que le projet de faire de la Palestine un commonwealth spécifiquement juif soit abandonné. Il n’y aurait alors aucune raison pour que la Palestine ne fasse pas partie comme d’autres portions du pays, d’un Etat syrien uni…» 157.

Or, les vœux d’unité de la Syrie, d’indépendance ou de mandat unique de même que le refus du sionisme, exprimés par les populations, ne seront pas pris en compte, non plus que les recommandations de la Commission King-Crane. Bien au contraire, les Alliés, à la Conférence de San Remo en avril 1920, allèrent à l’encontre des vœux des populations et donc à l’encontre des dispositions de l’article 22 du Pacte de la SDN, qui en son Alinéa 4 stipule que « les vœux de ces communautés doivent être pris d’abord en considération pour le choix du Mandataire». En effet, le Conseil Suprême des Alliés réuni à San Remo décida le 25 avril de confier à la Grande-Bretagne le Mandat sur la Palestine, et reconnut les visées sionistes en Palestine, en reprenant les termes de la Déclaration Balfour et en chargeant la puissance mandataire de la mettre en œuvre.

Le 24 juillet 1922, le Conseil de la SDN entérina les Accords de San Remo et confia officiellement à la Grande-Bretagne le Mandat sur la Palestine.

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