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Paragraphe I : La Palestine et le nationalisme juif

B- Le sionisme face au Droit International

1- Quel droit sur la Palestine ?

Pour les Juifs religieux, la Palestine est la « terre d’Israël » que Dieu leur a promise. Selon le professeur Georges Hansel, « du point de vue de la tradition, le lien entre le peuple juif et sa terre n’a pas pour origine la conquête de la terre effectuée à la sortie d’Égypte, ni même la promesse faite à Abraham, promesse en vertu de laquelle a été forgée l’expression habituelle de Terre promise. Il faut remonter bien avant, il faut au sens littéral remonter au Déluge. Dans la répartition des terres effectuée entre les fils de Noé, la terre d’Israël est échue en partage à Sem, le deuxième fils de Noé. Mais elle fut par la suite conquise par les descendants de Canaan, le troisième fils de Noé, de sorte que la promesse faite à Abraham, descendant de Sem, n’est en réalité que la promesse de recouvrer le moment venu une terre qui lui revient légalement. Autrement dit, pour la conscience juive, le lien entre le peuple juif et sa terre n’est pas fondé sur les vicissitudes de l’histoire et la contingence des conquêtes et

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reconquêtes. La terre d’Israël est d’emblée son héritage, elle est un élément constitutif de l’identité juive »60.

Le mouvement sioniste a su transformer le judaïsme en un facteur de nationalisme. Par l’interprétation de certains textes religieux, le sionisme a voulu légitimer ses prétentions sur la Palestine. Grâce au concept de droit divin, il a tenté de mobiliser les Juifs et de faire progresser l’idée de l’Etat dans l’opinion juive. Au niveau international, le sionisme a recours à des termes comme le droit historique, en plus des textes religieux, dans le but d’appuyer sa requête, en se référant aux siècles de présence hébraïque en Palestine.

Du point de vue palestinien, le sionisme politique semble négliger un fait notable : les Hébreux ne furent pas les seuls occupants de la Palestine. Longtemps avant leur arrivée, le pays était habité par les Cananéens61. Les historiens s’accordent sur le fait qu’entre 1300 et 1100 av. J-C, des Hébreux venant d’Egypte s’installèrent à l’Est, tandis que des Philistins venant de l’Ouest s’installèrent dans la partie sud et le long de la côte méditerranéenne jusqu’à Jaffa. Hébreux et Philistins étaient en guerre, ils se disputaient le contrôle de la région frontalière62.

Les considérations religieuses ne trouvent pas place en Droit International dont les seules sources sont énumérées à l’Art 38 du Statut de la Cour Internationale de Justice (CIJ). Et ce sont : les conventions internationales, la coutume internationale, les principes généraux du droit et, dans certaines mesures, les décisions judiciaires et la doctrine. Incontestablement, la souveraineté ne peut se fonder que sur des faits de nature juridique ou politique. Il en découle qu’aucun texte religieux ne possède de valeur juridique obligatoire, pouvant accorder, aux adeptes d’une religion donnée, un cadre étatique. Depuis les Traités de Westphalie de 1648, seuls les principes de souveraineté et d’égalité régissent les relations interétatiques en Europe et ailleurs, et nous sommes toujours dans un monde westphalien63.

En outre, la promesse divine du don de la terre à Abraham, selon certaines interprétations de la Bible, est sélective, car elle ne bénéficie qu’à l’un des deux fils d’Abraham. Selon le géopoliticien Frédéric Encel, « la promesse de la terre […], se double de

60 Georges Hansel, Terre d’Israël, politique et controverse. Conférence donnée à la réunion de l’association La

Paix Maintenant, le 2 décembre 2002 à Paris, disponible sur le site de l’association http://www.lapaixmaintenant.org/Terre-d-Israel-politique-et

61 Les premiers habitants connus de la Palestine étaient les Cananéens. Vers 3 200 av. J-C, cette civilisation

occupait l’ensemble de la Palestine. C’était une population sédentaire et agricole. Les Cananéens donnèrent à la Palestine son premier nom. Elle devint « le Pays de Canaan ». Ainsi, ce sont les Cananéens qui ont fondé la ville de Jérusalem. L’historien juif Flavius Josèphe note que « son fondateur fut un prince cananéen surnommé Le Juste à cause de sa piété. Il consacra le premier cette ville à Dieu en lui bâtissant un temple, et changea son nom de Solyme en celui de Jérusalem. ». Voir Omar Massalha, op. cit., pp. 79 et s.

62 Voir Omar Massalha, Palestiniens, Israéliens : la paix promise, op. cit., pp. 79 et s.

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précisions sur les héritiers qui doivent en jouir : la postérité abrahamique, récipiendaire de l’Alliance, perd rapidement son caractère multiple, universel et indéterminé et, génération après génération, Dieu désigne la branche de l’arborescence patriarcale qui bénéficie de la promesse divine. Ainsi, des deux fils d’Abraham, c’est le puîné, Isaac, qui hérite de l’Alliance, au détriment de l’aîné, Ismaël, ce schéma se renouvelant à la génération suivante avec Jacob et Ésaü »64. Les Arabes avancent l’argument selon lequel des textes comme « Je donnerai ce pays à ta postérité » (Genèse 24 :7) ou « Je donne ce pays à ta postérité, depuis le fleuve d’Égypte jusqu’au grand fleuve, au fleuve d’Euphrate » (Genèse 15 :18), visent toute la descendance d’Abraham, y compris évidemment les Arabes, Musulmans ou Chrétiens, puisqu’ils descendent d’Abraham par son fils Ismaël65. Mais dans la Bible nous lisons : « Dieu apparut encore à Jacob, après son retour de Paddan Aram, et il le bénit. Dieu lui dit : Ton nom est Jacob ; tu ne seras plus appelé Jacob, mais ton nom sera Israël. Et il lui donna le nom d’Israël. Dieu lui dit : Je suis le Dieu tout puissant. Sois fécond, et multiplie : une nation et une multitude de nations naîtront de toi, et des rois sortiront de tes reins. Je te donnerai le pays que j’ai donné à Abraham et à Isaac, et je donnerai ce pays à ta postérité après toi»66. Ainsi Jacob devient Israël et la « Terre promise » devient la « Terre d’Israël ».

Selon Yeshayahu Leibowitz, la nouvelle dénomination « Eretz Israël » (La Terre d’Israël) est un concept qui existe depuis trois mille ans. Le Pentateuque l’appelle « Terre de Canaan », « Terre des Amoriens» ou « Terre des Hébreux ». L’expression « Terre d’Israël » ne s’y trouve pas. Chez les premiers Prophètes, l’expression «Terre d’Israël » désigne sans précision géographique ou politique la région où vivent les tribus d’Israël67.

Au moment de l’alliance avec Abraham, le pays décrit et destiné à sa descendance, s’étend du Nil jusqu’à l’Euphrate : «En ce jour-là, l’Eternel fit alliance avec Abram, et dit : Je donne ce pays à ta postérité, depuis le fleuve d’Égypte jusqu’au grand fleuve, au fleuve d’Euphrate»68. Mais les Palestiniens, en majorité de conviction musulmane, « ne connaissaient pas cette version de l’histoire religieuse juive de l’Antiquité. Ils ne savaient sûrement pas que leur terre était « hantée » par la présence d’ « esprits » hébreux qui la peuplaient de promesses depuis des millénaires. Ils n’ont pas compris la vraie nature du lien symbolique des Juifs avec la Palestine ; « Terre promise » aux Juifs par Abraham. Car, pour

64 Frédéric Encel, Géopolitique de Jérusalem, Flammarion, Paris, 2008, pp. 82 et s. 65 Voir Omar Massalha, Palestiniens, Israéliens : la paix promise, op. cit., p. 109. 66 Genèse 35 : 9-12

67 Yeshayahu Leibowitz, Peuple, Terre, Etat, Plon, Paris, 1995, p. 160. 68 Genèse 15 :18

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les Musulmans, Abraham n’était ni juif, ni chrétien, mais il était « un pur monothéiste, musulman » (Coran, 3 :67). Alors comment Abraham le « musulman » n’a-t-il pas pour héritier son fils aîné, selon les coutumes ? »69.

Le sionisme politique se fonde également sur l’histoire des ancêtres hébreux qui habitaient et contrôlaient la Palestine voici 2000 ans. La présence continue des Juifs depuis leur arrivée au XIIIe siècle av. J-C est le deuxième argument le plus utilisé pour légitimer l’entreprise sioniste en Palestine.

Le texte biblique peut être interprété comme conditionnant la présence du peuple juif en « Terre d’Israël » au respect par la société de certaines valeurs. Ainsi il est écrit dans la Bible : «Vous observerez donc mes lois et mes ordonnances, et vous ne commettrez aucune de ces abominations, ni l’indigène, ni l’étranger qui séjourne au milieu de vous». « Prenez garde que le pays ne vous vomisse, si vous le souillez, comme il aura vomi les nations qui y étaient avant vous.»70. Dans ce sens le Rabbin David Meyer considère que « cette promesse et cette sainteté sont […], dans une perspective juive, teintées d’un paradoxe profond. Ainsi, contrairement aux idées reçues, l’idée de ‘‘terre sainte’’ ou de ‘‘promesse inconditionnelle’’ sur la terre d’Israël n’existe pas dans la tradition juive. […] le saint et le sacré, ainsi que la notion de promesse divine, sont liés au comportement moral des hommes et non pas à une valeur intrinsèque d’un bout de terre, quel qu’il soit »71. Il attire l’attention sur un danger qui, selon lui, « ronge la pensée religieuse juive et qui fait passer les notions de sainteté et de sacré avant celle du respect de la vie humaine ». Ce danger est « l’idolâtrie de la terre d’Israël, du Grand Israël »72.

La revendication sioniste d’un « droit historique » sur la Palestine fut avancée officiellement pour la première fois dans le mémorandum de l’Organisation Sioniste, à la Conférence de la Paix, à Versailles en février 1919. L’Organisation Sioniste y soumet lors de la Conférence de la Paix un projet de résolution reconnaissant « les titres historiques du peuple juif sur la Palestine et le droit des Juifs à reconstituer leur foyer national en Palestine »73.

En Droit International, le terme employé pour désigner le « droit historique » est appelé « prescription acquisitive ». Elle « permet l’acquisition d’un territoire étranger par un

69 Omar Massalha, Interactions des représentations du partage de la Palestine Côté Israélien – Côté palestinien,

Thèse pour le Doctorat en Droit Mention droit international et européen, Université de Nice Sophia Antipolis, Nice, le 6 octobre 2006, pp. 22 et 23.

70 Lévitique, 18-26 et 28.

71 Le Rabbin David Meyer, Ni’’ terre promise’’ ni’’ terre sainte’’, Le Monde, 09/01/2001. 72 Ibid.

73 Voir l’intervention de Nahum Sokolow devant le Conseil Suprême des Alliés. In Henry Laurens, Le retour des

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Etat qui y exerce son autorité de manière continue et pacifique pendant une longue période »74.

A la lumière de cette définition peut-on considérer l’existence d’un « droit historique » juif ?

Afin de répondre à cette question un rappel de l’histoire de la Palestine semble indispensable. Les Hébreux arrivèrent d’Egypte. Après des affrontements avec les Cananéens, ils réussirent, sous Josué, à conquérir certaines parties de la Palestine (la Galilée, la Samarie et la Judée). Les tribus hébraïques, installées sur ces parties, demeurèrent en conflit avec le peuple autochtone, les Cananéens, mais aussi et surtout avec les Philistins75. Après Josué, c’est David qui réussit à bâtir une unité religieuse et nationale. Il conquit Jérusalem vers l’an 1000 av. J-C et, grâce à sa position stratégique, domina les tribus organisées en Cités-Etats au Nord-est de la Palestine ; il réussit à les regrouper et à construire son royaume. Ce royaume durera 73 ans. Il éclate après la mort de Salomon, fils de David, vers 925 av. J-C, en deux Etats : Israël au Nord-est et Juda au Sud-est76. En 721 av. J-C, les Assyriens attaquèrent et détruisirent le royaume du Nord, déportant ses habitants. A son tour, le royaume du Sud tomba aux mains du Babylonien Nabuchodonosor, qui en 586 av. J-C conquit Jérusalem, détruisant le temple de Salomon, et la transforma en une province babylonienne, mettant fin à l’existence d’un Etat juif qui aura duré quatre siècles. Ensuite, la Palestine tomba sous le contrôle des Perses de 538 à 332 av. J-C, année où Alexandre Le Grand envahit le pays et mit fin au règne perse77. En 163 av. J-C, les Macchabées se révoltèrent contre les Grecs et réussirent à imposer un gouverneur à Jérusalem. En 63 av. J-C, les Romains s’emparèrent de la Palestine qui devint une province romaine. En l’an 70, Titus détruisit le Temple une deuxième fois. La révolte juive de Bar Kochba fut écrasée en 135 et l’Empereur Hadrien fit proclamer l’interdiction aux Juifs d’entrer à Jérusalem. Ainsi, les Juifs perdirent ce qui restait de leur autonomie politique. Beaucoup d’entre eux quittèrent la Palestine. Parmi ceux qui restèrent, une partie se constitua en communauté religieuse, une autre se convertit au christianisme comme le reste de la population78. Au VIIe siècle, les Arabes occupèrent la Palestine et mirent fin à la domination latino-romaine puis byzantine. La Palestine devint arabo-musulmane et ce jusqu’en 1948, malgré son rattachement à l’Empire ottoman en 1517,

74 Patrick Daillier, Alain Pellet, Droit International Public, op. cit., p. 537.

75 Voir Samaha Khoury, Palestine – Israël : Approches historiques et politiques, presse universitaire Bordeaux,

2002, p. 22.

76 Pour approfondir cet aspect historique voir Omar Massalha, Palestiniens, Israéliens, op. cit., pp. 88-92. 77 Ibid.

78 Boas Evron, Sionisme et Judaïsme encore plus inconciliables, LMD (Le Monde Diplomatique),

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mais l’attachement des juifs à cette terre a suscité des mouvements de retour en permanence et des communautés s’y sont constitué.

Reste à mentionner que chez certaines figures du judaïsme, comme Maïmonide79 et Nachmanide80, une controverse a eu lieu concernant le retour et la résidence en Terre d’Israël. Pour Maïmonide, dans le Livre des commandements (le Sefer haMitsvot), un livre où il dresse la liste de tous les commandements de la Thora, prendre possession et habiter la Terre d’Israël n’y figure pas comme obligation81. Pour Nachmanide, Il s’agit bien d’un commandement et non d’une promesse. C’est « une obligation valable pour toutes les générations qui oblige chacun d’entre nous même en période d’exil »82. Mais selon Rabbi Shlomo bar Chimeon, « Mon ancêtre Nachmanide a compté la résidence en Terre d’Israël parmi les obligations de la Torah selon ce qui est dit : ‘‘vous en prendrez possession et vous y habiterez’’. Cependant, pendant toute la durée de ce dur exil, ce n’est pas une obligation collective reposant sur la communauté d’Israël. Bien au contraire, sa réalisation nous est défendue en vertu des serments que Dieu a fait jurer à Israël de ne pas hâter la fin des temps et de ne pas monter en force. Il s’agit donc [seulement] d’un commandement concernant chaque individu de venir résider en Terre d’Israël »83.

Ce bref rappel historique nous permet de constater que les populations juives, et ce malgré leurs liens spirituels et historiques, ont été contraintes, au cours de l’histoire, par les puissances dominantes à quitter la Palestine ; et ainsi de conclure que la présence continue d’un peuple juif souverain en Palestine n’a pas été effective. En effet, jusqu’en 1882, il n’y avait que 25 000 Juifs en Palestine84. De plus, le peuple juif n’a pas exercé d’autorité sur la Palestine de manière continue jusqu’à la création du mouvement sioniste. La dernière forme de souveraineté juive date en fait de 135 av. J-C, et fut exercée par la dynastie des Macchabées à Jérusalem. Après cette date, il n’y a pas eu de souveraineté, ou de pouvoir politique juif proprement dit. Quant au lien spirituel, George Corm explique que « L’accueil du judaïsme comme sujet actuel de l’histoire au Proche-Orient supprime la discontinuité historique, puisque ‘‘le peuple juif’’, notion biblique, aurait conservé le lien spirituel avec la

79 Moïse Maïmonide est un rabbin andalou du XIIe siècle. Il fut aussi médecin, philosophe et jurisconsulte en

matière de Loi juive. Il est considéré comme l’une des figures les plus importantes du judaïsme.

80 Moïse Nahmanide, est un rabbin catalan du XIIIe siècle. Médecin, exégète de la Bible et du Talmud, poète

liturgique et philosophe. Il est considéré comme le décisionnaire majeur de sa génération, et l’une des plus éminentes autorités rabbiniques du Moyen Âge.

81 Voir Georges Hansel, Terre d’Israël, politique et controverse, op. cit. 82 Ibid.

83 Cité par Georges Hansel, ibid.

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terre de Canaan ; mais, dans ce cas, c’est alors la continuité historique de la Palestine ‘‘arabe’’ depuis le VIIe siècle qui est effacée de la mémoire collective européenne»85.

Ainsi, au regard du Droit International, le « droit historique » sur la Palestine est difficilement démontrable.

Pour conclure, nous estimons que malgré l’importance de la dimension religieuse dans la conscience collective et la construction des identités nationales des peuples et comme le souligne Henry Laurens dans la préface de son œuvre, Le retour des exilés :

« Le discours des acteurs tend à renvoyer aux temps les plus anciens, voire les plus mythologiques, les origines du conflit : Israël et Ismaël, fils ennemis d’Abraham ; poursuite de la lutte entre les Hébreux et les Cananéens, dont les Palestiniens seraient les descendants. L’historien est plus réaliste : le temps des origines n’est pas celui de l’aube de l’histoire mais plutôt le moment où la modernité s’affirme dans toutes ses manifestations, le XIXe siècle »86.

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