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Paragraphe II : Le Plan de Partage des Nations Unies

Section 2 : Conséquences de la résolution 181 ; transfert de population et annexion de territoires

B- Application de l’idée du transfert

Les sionistes, devenus Israéliens après la création d’Israël en 1948, ont toujours avancé la thèse selon laquelle les Palestiniens avaient quitté leur terre volontairement, à la suite des combats pendant la guerre déclarée par les Etats arabes à Israël. Les Palestiniens quant à eux affirment que leur exode était planifié, prémédité et mis en œuvre par des plans d’expulsion massive. Les travaux des « nouveaux historiens » israéliens soutiennent, tout comme les Palestiniens, la thèse d’un projet préparé des années à l’avance et dont le but était d’expulser les Arabes de Palestine. Cependant Benny Morris, l’un des premiers « nouveaux historiens », assure que « war and not design, Jewish or Arab, gave birth to the Palestinian refugee problem. » Mais il se contredit dans le même livre quand il écrit qu’au début d’avril 1948 : « Clear traces of an expulsion policy on both national and local levels with respect to certain key districts and localities and a general ‘atmosphere of transfer’ are detectable in statements made by Zionist officials and officers »304. Cette contradiction résume tous les débats entre historiens sur les causes de l’exode palestinien. Est-ce qu’il s’était produit seulement en conséquence de la guerre israélo-arabe ou constituait-il l’aboutissement de l’idée d’un transfert mûrement réfléchi et planifié ? Mais si une partie de l’exode palestinien s’explique par le fait de la guerre, c’est-à-dire après le 15 mai 1948, comment explique-t-on l’expulsion des Palestiniens avant cette date ?

Il est d’usage chez les historiens de distinguer deux phases du transfert des Palestiniens. La première s’étend entre la date de la résolution de partage, le 29 novembre 1947, et le 14 mai 1948, date de la Déclaration d’indépendance d’Israël (1). La deuxième dure du 15 mai 1948, date de l’entrée des troupes arabes en Palestine, à juillet 1949, date de l’armistice entre Israël et la Syrie (2).

1- Le transfert avant le 15 mai 1948

Le Plan D (Dalet, en hébreu), datant du 10 mars 1948, constitue généralement le point de départ privilégié des travaux des historiens en ce qui concerne la mise en œuvre de la doctrine sioniste du transfert. Pourtant, Walid Khalidi nous révèle que ce Plan D était en vérité calqué sur un autre plan « Avnir » établi en 1937, précisant les phases militaires du

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projet de conquête de la Palestine305. Khalidi révèle également que le Plan D était la dernière partie d’un plan plus large en quatre parties (A, B, C et D). Les trois premiers plans expliquaient la stratégie de la direction sioniste pour régler le problème de la présence des Palestiniens sur les territoires que les sionistes voulaient conquérir.

Des affrontements éclatent, dès le lendemain de l’adoption de la résolution du partage fin 1947, entre les communautés juive et arabe. Ces affrontements ont provoqué, jusqu’en janvier 1948, le départ de 70 000 à 80 000 Palestiniens, appartenant aux élites, en majorité de riches propriétaires, membres de la bourgeoisie urbaine306. Mais une période d’exode massif commence aux premières semaines de 1948. Elle correspond à l’intensification des opérations de la Haganah et d’autres milices juives. En effet : « hundreds of thousands of others, intimidated and terrorized, fled in panic, and still others were driven out by the Jewish army, which under the leadership of Ben-Gourion, planned and executed the expulsion in the wake of the UN Partition Resolution. »307. Les services de renseignement de la Haganah ont établi un bilan, daté du 30 juin 1948, estimant à 391 000 le nombre des Palestiniens ayant quitté le territoire aux mains d’Israël308. Ce rapport, cité par Dominique Vidal, révèle qu’ « Au moins 55% du total de l’exode ont été causés par nos opérations » et que les opérations de l’Irgoun et du Lehi « ont directement causé environ 15% de l’immigration ». Vidal ajoute que 2 % [sont] attribués aux ordres explicites d’expulsion donnés par les soldats juifs et 1% à leur guerre psychologique », ainsi 73% des expulsions sont provoquées directement par les Israéliens et 22% sont causées par les « peurs » et la « crise de confiance »309.

L’établissement d’un registre détaillé de tous les villages arabes jouera un rôle déterminant dans le projet d’expulsion des Palestiniens. L’idée de ce registre naît en 1940 et sera mise à jour régulièrement jusqu’en 1948. Des informations détaillées sont recueillies lors des missions de reconnaissance, sur chaque village : situation topographique, routes d’accès, qualité de la terre, points d’eau, sources de revenus, composition sociopolitique, affiliations religieuses, l’âge des hommes et beaucoup d’autres informations. Ces missions de

305 Le « Plan Avnir » fut élaboré sous les ordres de Ben Gourion donnés au commandant de la Haganah, à l’été

1937, en prévision du retrait britannique de Palestine à la suite du rapport Peel. Voir Walid Khalidi, ONU 1947 : La résolution de partage revisitée, op. cit., p. 5.

306 Dominique Vidal, L’expulsion des Palestiniens revisitée, LMD, Manière de voir, n°98 avril –mai 2008, p. 14. 307 Simha Flapan, The Palestinian Exodus of 1948, Journal of Palestine Studies, Vol.16, n° 4. Summer 1987, p.8. 308 Dominique Vidal, L’expulsion des Palestiniens revisitée, op. cit., p.14. Simha Flapan citant le même bilan des

services de renseignement de la Haganah, parle de 370 000 Palestiniens, The Palestinian Exodus of 1948, op. cit., p.8. Ilan Pappé estime qu’à la mi-mai 1948 les expulsions avaient déjà touché le tiers de la population palestinienne, c’est-à-dire plus de 400 000, voir Ilan Pappé, Une terre pour deux peuples, Fayard, Paris, 2004,p.144.

309 Voir Dominique Vidal, L’expulsion des Palestiniens revisitée, op. cit., p. 14, et Simha Flapan, The

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reconnaissance étaient sans danger car « les infiltrés savaient qu’ils pouvaient compter sur la traditionnelle hospitalité arabe » 310.

Ces informations s’avèrent extrêmement utiles lors de la mise en œuvre du Plan D, dont l’essence était « de chasser toutes les forces hostiles et potentiellement hostiles de l’intérieur du territoire futur de l’Etat juif, d’établir une continuité territoriale entre les principales concentrations de population juive et d’assurer la sécurité des futures frontières avant l’invasion arabe attendue. Comme les irréguliers arabes étaient basés et cantonnés dans les villages, et comme les milices de nombreux villages participaient aux hostilités contre le Yichouv, la Haganah considérait la plupart des villages comme activement ou potentiellement hostiles »311. Les méthodes d’expulsion sont précisées dans le Plan D. Elles consistent à mener des opérations de destruction de villages « en les incendiant, en les faisant sauter et en posant des mines dans leurs décombres » ; ou par des opérations de contrôle des villages par encerclement, de recherches à l’intérieur de chacun des villages, « en cas de résistance, les forces armées doivent être liquidées et la population expulsée hors des frontières de l’Etat »312.

A la lecture des différents textes que nous avons cités concernant le Plan D, nous voyons bien qu’il s’agissait d’un plan général, mûrement réfléchi, dont l’objectif premier était d’expulser le plus grand nombre possible de Palestiniens du futur Etat juif. Rien que pour le mois de mars 1948 plus de 30 villages palestiniens ont été rasés, ils seront 58 détruits au 14 mai 1948.

Tous les historiens que nous avons cités soulignent le facteur atrocité et le rôle de la guerre psychologique dans l’expulsion des Palestiniens. L’exemple qui revient souvent, bien que loin d’être le seul, est le massacre de Deir Yacine Malgré un accord de non agression avec les colonies juives voisines, plus de 250 civils palestiniens du village de Deir Yacine furent sauvagement exterminés par les groupes armés de l’Irgoun et du Lehi (dont les chefs se retrouvent être Menahem Begin et Itzhak Shamir, deux futurs Premiers ministres d’Israël)313.

310 Les autres données incluaient des détails sur les affiliations politiques, la hiérarchie sociale, les noms du

personnel civil du Gouvernement mandataire, les cultures, le nombre d’arbres, le bétail, la qualité de chaque verger, la surface moyenne des terres, le nombre des véhicules, etc. Voir Ilan Pappé, 1948 :Le projet de purification ethnique en Palestine, op. cit., pp. 77-78.

311 Benny Morris, The Birth of the Palestine Refugee Problem revisited, op. cit., p. 164, cette citation est traduite

en français et rapportée par Dominique Vidal, L’expulsion des Palestiniens revisitée, op. cit., p. 15.

312 Voir le texte du Plan D, en anglais, in Walid Khalidi, Plan Dalet: Master Plan for the Conquest of Palestine,

Journal of Palestine Studies, vol. 18, n° 1. Autumn 1988, pp. 24 et s. Voir aussi Ilan Pappé, 1948: Le projet de purification ethnique en Palestine, op. cit., p. 81.

313 Pour plus de détails sur ce massacre et sur d’autres, Issa Nakhleh, Encyclopedia of the Palestine problem, op.

cit., chapter 10, Alain Gresh et Dominique Vidal, Les 100 clés du Proche-Orient, op. cit., p. 147, Erskine B. Childers, L’indicible rêve, REP, n° 15, printemps 1998, p. 17, Elias Sanbar, Les Palestiniens dans le siècle,p. 58.

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A la suite de quoi la direction sioniste politique et armée mène une campagne d’exploitation de l’extrême terreur ainsi suscitée. Le message adressé aux autres villages palestiniens était clair « si vous ne partez pas de chez vous, vous connaîtrez le sort de Deir Yacine »314, Menahem Begin écrit : « Toutes les forces juives avancèrent à Haïfa comme un couteau dans le beurre. Les Arabes pris de panique s’enfuirent aux cris de Deir Yacine »315. Plusieurs massacres ont eu lieu autour des villes mixtes. Après l’étude des archives récemment déclassifiées, Benny Morris découvre que « les Israéliens ont commis bien plus de massacres qu’ [il] ne l’avai[t] pensé auparavant. »316. Ilan Pappé affirme que « les exemples de barbarie pure et simple ne furent pas rares » et ils visaient « à convaincre les Palestiniens établis dans des zones qui tombaient aux mains des Juifs de prendre la fuite. » Il ajoute que « ces atrocités ne furent pas commises par hasard ; elles s’inscrivent dans un schéma directeur » visant à l’expulsion des Palestiniens317. Les autres facettes de la guerre psychologique étaient l’utilisation de barils explosifs, la diffusion par la radio ainsi que par des camions sonorisés de messages incitant à la panique. Ainsi les villes de Haïfa, Jaffa, Safad, Saint-Jean d’Acre, Tibériade, Beisan et Nazareth tombent aux mains des forces sionistes aux premiers mois de 1948.

Il faut rappeler que jusqu’au 14 mai 1948 la Palestine était sous gouvernance britannique, autrement dit les Britanniques y étaient officiellement responsables du maintien de l’ordre, de l’application des lois et de la protection des civils.

2- Le transfert après mai 1948

La deuxième phase d’expulsion commence avec le retrait des forces britanniques, la déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël et l’éclatement de la première guerre israélo- arabe avec l’entrée en scène des armées arabes.

Si avant le 15 mai les expulsions ont surtout touché la Palestine urbaine, après cette date c’est la population rurale qui sera victime de la politique d’expulsion israélienne. En effet, 350 villages arabes, se trouvant à l’intérieur du nouvel Etat Israélien, seront méthodiquement rayés de la carte. Les soldats israéliens les enserraient de trois côtés, obligeant les villageois à fuir par le quatrième ; ceux qui refusaient de partir étaient conduits

314 Erskine B. Childers, L’indicible rêve, op. cit., p. 18.

315 Alain Gresh et Dominique Vidal, Palestine 1947, un partage avorté, op. cit., p. 205. 316 Cité par Dominique Vidal, L’expulsion des Palestiniens revisitée, op. cit., p. 14. 317 Ilan Pappé, Une terre pour deux peuples, Fayard, Paris, 2004, p. 144.

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de force dans des camions en Cisjordanie318. Le 11 mai 1948 Ben Gourion note dans ses mémoires qu’il avait donné les ordres « for the destruction of Arabs islands in Jewish population areas. »319

Le village de Tantura qui se trouvait coincé en plein territoire juif et comptait près de 1500 habitants, connut le même sort que le village de Deir Yacine Le 23 mai 1948, cette petite bourgade fut complètement encerclée et attaquée, 200 hommes et enfants âgés de 13 à 30 ans furent séparés des autres prisonniers et massacrés par une des unités de la Haganah. L’épisode le plus tragique de ces opérations de destruction des « îles arabes » va avoir lieu les 12 et 13 juillet 1948, soit deux mois après la proclamation de l’Etat d’Israël, à Lydda et Ramleh, deux villes palestiniennes comprises dans l’Etat arabe selon le plan de partage de l’ONU. « Expulsez-les ! » ordonne Ben Gourion, alors Premier Ministre d’Israël, à Yigal Allon et Itzhak Rabin. Cet ordre sera bel et bien exécuté le lendemain, tous les habitants de Lydda et Ramleh, soit 70 000 civils palestiniens, ont été rejetés de leur terre.320

Une autre opération, baptisée « Purification », fut lancée en août 1948 dans le but d’expulser les habitants arabes de la région côtière, entre Jaffa et Ashdod. Au total 531 villages palestiniens furent détruits et 11 villes vidées de leurs habitants.

Durant les opérations militaires, tout comme après la fin des hostilités, force est de constater que les forces sionistes se hâtaient de créer une situation de fait accompli sur la terre vidée afin d’empêcher « à tout prix » le retour des réfugiés, qui « must be confronted with faits accomplis »321 . En avril 1948 Yossef Weitz obtient la création d’un ‘‘Comité de Transfert’’ : un organisme qui dirige la guerre avec pour visée l’expulsion d’autant d’Arabes que possible. Il devient officiel en juin 1948 et supervise la destruction des villages arabes ou selon les cas leur repeuplement par les immigrants juifs. Un mémorandum de ce Comité, intitulé ‘‘Retroactive Transfer, A Scheme for the Solution of the Arab Question in the State of Israel ‘‘ est présenté à David Ben Gourion le 5 juin 1948. Il indique qu’Israël doit être habité principalement par des Juifs, que le déracinement des Arabes devrait être considéré comme une solution à la question arabe et conduit selon un plan calculé vers l’objectif de ‘‘ transfert rétroactif ‘‘. Voici les mesures qu’il préconise pour prévenir le retour des réfugiés :

· Destruction of villages as much as possible during military operations.

318 Ibid. p. 150.

319 Ben Gourion 11 mai 148, cité par Simha Flapan, The Palestinian Exodus of 1948, op. cit., p. 13.

320 Voir le récit de cette opération d’expulsion à Lydda et Ramleh in Erskine B. Childers, L’indicible rêve, op.

cit., pp. 23-24, et Simha Flapan, The Palestinian Exodus of 1948, op. cit., pp. 13-14.

321 Ezra Danin membre du Comité de Transfert, in Benny Morris, The Birth of the Palestine Refugee Problem

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· Prevention of any cultivation of land by them [i.e., the Arabs], including reaping, collection [of crops], picking [olives] and so on . . .

· Settlement of Jews in a number of villages and towns so that no “vacuum” is created · Enacting legislation [geared to barring a return].

· [Making] propaganda [aimed at non-return]. 322

Un Comité de dénomination est chargé d’hébraïser les noms arabes d’origine des villages palestiniens : Lubya devient Lavi et Safuria devient Zipori etc. Ben Gourion pensait que cette mesure devait éviter toute revendication future sur ces villages.323

Seulement 160 000 Palestiniens sur un million ont pu demeurer à l’intérieur de ce qui deviendra l’Etat d’Israël et sont devenus des citoyens israéliens ; néanmoins la moitié d’entre eux seront traités comme des réfugiés dans leur propre pays, comme nous allons le voir.324

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