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Acquisition du caractère obligatoire du principe du droit au retour

Paragraphe II : Le transfert face au Droit International

A- Le Droit International applicable

2- Acquisition du caractère obligatoire du principe du droit au retour

Certains auteurs jugent que le droit de quitter son pays et d’y revenir semble être si naturellement et universellement accepté et exercé qu’il n’a pas fait l’objet d’une codification formelle et spéciale358. Pour eux, le droit au retour est un droit naturel reconnu depuis la Grèce antique359, et par la suite par le droit positif : La Magna Carta de 1215 mentionne clairement le droit au retour dans son article 42 : « Il sera dorénavant légal pour toute personne qui Nous est loyale de sortir de notre royaume et d’y revenir, librement et en toute sécurité. ». La Constitution française de 1791 dans son titre premier « garantit pareillement, comme droits naturels et civils : - La liberté à tout homme d’aller, de rester, de partir, sans pouvoir être arrêté, ni détenu ».

Cependant, le droit au retour, devenu partie intégrante du système des droits de l’homme, trouve ainsi le fondement de son caractère obligatoire dans l’obligation du respect des droits de l’homme dans leur ensemble. La Charte des Nations Unies dans son article premier dispose que le respect des droits de l’homme fait partie de ses buts360. L’Assemblée Générale des Nations Unies a complété sa Charte, en matière des droits de l’homme, par l’adoption de la Déclaration Universelle et des deux Pactes Internationaux relatifs aux Droits de l’Homme.

La Déclaration Universelle a été le premier texte du Droit International à énoncer des droits reconnus à la personne humaine, dont le droit au retour. Ainsi est-elle devenue en quelque sorte la référence que les Etats devraient respecter. Cette Déclaration « vise à élever [les droits de l’homme] à un stade supérieur, au-delà des contingences nationales [et] leur donner une valeur éthique et juridique et un contenu effectif par des mesures progressives »361. A l’instar de toutes les résolutions de l’Assemblée Générale, la valeur juridique de cette Déclaration est celle d’une recommandation sans effet contraignant à l’égard des membres de l’ONU. Toutefois, selon Patrick Daillier et Alain Pellet, « l’absence de force obligatoire des recommandations ne signifie pas qu’elles n’ont aucune portée […].

358 Voir W-T. et S-V. Mallison, Analyse, dans le contexte du droit international, des principales résolutions de

l’Organisation des Nations Unies concernant la question de la Palestine, op. cit., p. 28.

359Dans les Dialogues de Platon nous lisons qu’il est loisible aux Athéniens «d’aller où bon leur semble et de

garder par-devers eux leurs biens» in Droit de retour du peuple palestinien, Nations-Unies, New York,1979,p.3.

360 L’article 1.3 dispose que : «Les buts des Nations Unies sont les suivants : … 3- Réaliser la coopération

internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion.»

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Leur impact politique est souvent fondamental et même leur valeur juridique n’est pas négligeable. »362. La Cour Internationale de Justice rappelle, dans son avis consultatif de 1996 sur la « Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires », que même si les résolutions de l’Assemblée Générale n’ont pas force obligatoire, elles « peuvent parfois avoir une valeur normative. »363

Au fil des années la Déclaration Universelle semble avoir acquis, aux niveaux international et national, une valeur juridique qui dépasse celle d’une simple recommandation. A titre d’exemple, la Cour Internationale de Justice s’est référée à la Déclaration Universelle à plusieurs reprises, comme c’est le cas dans « l’affaire relative au personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran » de 1980, où nous pouvons lire :

« Le fait de priver abusivement de leur liberté des êtres humains et de les soumettre dans des conditions pénibles à une contrainte physique est manifestement incompatible avec les principes de la Charte des Nations Unies et avec les droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.»364

Dans la jurisprudence française, nous remarquons que la Cour de cassation dans l’affaire Barbie a fait référence à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ; selon Patrick Daillier et Alain Pellet, c’est parce que la Cour de cassation « s’est convaincue de l’enracinement progressif dans la pratique internationale des principes énoncés en 1948 et de leur transformation en normes coutumières. »365

Autrement dit, chacun des droits contenus dans cette Déclaration, y compris le droit au retour, a acquis une valeur coutumière effective même si la déclaration elle-même n’a pas,

362 Patrick Daillier, Alain Pellet, Droit International public, op. cit., p. 379.

363 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Avis consultatif : C.I.J. Recueil 1996, p. 254. 364 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil 1980, 42.

Dans un autre Avis consultatif de la CIJ de 1971, sur la question de la Namibie, il est fait référence à la Déclaration Universelle. Le vice-président de la Cour a déclaré que : « Quoique les énonciations de la Déclaration ne soient pas obligatoires en tant que convention internationale selon l’article 38, paragraphe 1 a), du Statut de la Cour, elles peuvent lier les Etats en vertu de la coutume aux termes du paragraphe 1 b) du même article, soit qu’elles aient constitué une codification du droit coutumier, ainsi qu’il a été dit dans l’avis pour l’article 6 de la convention de Vienne sur le droit des traités, soit qu’elles aient acquis force de coutume par une pratique générale acceptée comme étant le droit, selon les termes de l’article 38, paragraphe 1 b). Un droit qui est certes à considérer comme une norme coutumière obligatoire antérieure à la Déclaration universelle des droits de l’homme et que celle-ci a codifiée, est le droit à l’égalité, droit que l’on s’accorde à considérer, depuis les temps les plus anciens, comme inhérent à la nature humaine.» Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de Sécurité, Avis consultatif : C.I.J. Recueil 1971, pp. 34 et 64.

365 Patrick Daillier, Alain Pellet, Droit International public, op. cit., p. 381.

Notons aussi que les principes énoncés dans la Déclaration Universelle ont été consacrés dans le droit interne de certains Etats, classés parmi les Etats du tiers-monde, comme le Niger, qui fait référence à la Déclaration Universelle dans le préambule de sa Constitution du 09 août 1999 révisé le 13 mai 2004.

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selon certains juristes, de valeur obligatoire. Remarquons ici que le Médiateur des Nations Unies pour la Palestine, le Comte Bernadotte, dans son rapport intérimaire du 16 septembre 1948, n’a pas recommandé la création d’un droit nouveau, mais déclare que le Droit au retour pour les réfugiés palestiniens « devrait être proclamé », « should be affirmed » (dans le texte anglais), par les Nations Unies366. Son rapport semble considérer que le droit au retour constituait, déjà à l’époque, une norme de Droit International « faisant partie des principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »367

Si le caractère obligatoire de la Déclaration Universelle ne fait pas l’unanimité parmi les juristes, nous pouvons toutefois souligner qu’elle a été suivie depuis 1948 par l’adoption de plusieurs conventions spéciales des Droits de l’Homme, aussi bien internationales que régionales, prévoyant des dispositions des droits de l’homme citées par la Déclaration Universelle parmi lesquelles figure le droit au retour.368 Ces conventions des Droits de l’Homme, ‘‘contrairement’’ à la Déclaration Universelle, impliquent l’engagement des Etats parties à les respecter. De plus, ces Etats ont accepté d’être sous le contrôle d’organes, comme par exemple le Conseil et le Comité des Droits de l’Homme, qui sont chargés d’en surveiller la situation, de veiller au respect et à l’application des conventions en question. Notons en ce sens la conclusion d’une étude de la Commission Internationale de Juristes : «…la Déclaration Universelle […], a acquis un statut qui l’apparente à un principe général de droit international par le fait que, dans la pratique, les Etats s’y sont à maintes reprises reportés. S’il subsiste quelque ambiguïté quant au statut juridique de la Déclaration, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui se présente sous la forme d’une convention internationale, a force obligatoire pour les Etats parties. 369

Notons également que le Conseil de Sécurité a adopté plusieurs résolutions concernant certains cas de réfugiés dans le monde, lesquelles prévoient le droit au retour de ces réfugiés. Dans sa résolution 385 de 1976 concernant la Namibie, le Conseil de Sécurité exige de

366 Documents officiels de l’Assemblée Générale, troisième session, Supplément n° 11 (A/648), 16 septembre

1948, Paris, 1948, p. 20, disponible sur le site de l’ONU http://unispal.un.org/pdfs/A648f.pdf

367 Voir W-T. et S-V. Mallison, Analyse, dans le contexte du droit international, des principales résolutions de

l’Organisation des Nations Unies concernant la question de Palestine, op. cit., p. 31.

368 Comme les 4 Conventions de Genève de 1947, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les

formes de discrimination raciale de 1965 et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, voir supra. 1- Le fondement juridique de la reconnaissance du principe du droit au retour Il y a également des conventions régionales qui se sont inspirées de la Déclaration Universelle comme le Protocole n°4 à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des Libertés fondamentales de 1950, la Convention américaine relative aux droits de l’homme de 1969, la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 et la Charte arabe des droits de l’homme de 1994.

369 Loss of Nationality and Exile, The Review of the International Commission of Jurists, n° 12, Genève, juin

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l’Afrique du Sud d’« accorder inconditionnellement à tous les Namibiens actuellement en exil pour des raisons politiques toutes les facilités pour rentrer dans leur pays ». Pour le cas des réfugiés résultant du conflit en Ex-Yougoslavie, le Conseil de Sécurité dans sa résolution 1031 de 1995 exprime sa satisfaction que « les parties [aient] ont affirmé leur attachement au droit qu’ont tous les réfugiés et personnes déplacées de regagner librement leurs foyers en toute sécurité ». Enfin citons le cas des réfugiés géorgiens d’Abkhazie et des personnes déplacées affectées par le conflit, qui éclate en 1992, à qui le Conseil de Sécurité a réaffirmé « le droit […] de retourner en toute sécurité dans leurs foyers, conformément au droit international […], et souligne qu’il est inacceptable d’établir un lien quelconque entre le retour des réfugiés et des personnes déplacées et la question du statut politique de l’Abkhazie (Géorgie) ».

De ce qui précède nous pouvons conclure que le principe du droit au retour a acquis effectivement un caractère obligatoire. Il a été inscrit dans plusieurs instruments internationaux et a fait l’objet d’innombrables résolutions émanant de différents Organes des Nations Unies. Du fait de cette reconnaissance, de l’acceptation et de la pratique internationale du principe de retour, nous pouvons affirmer que les Etats ont exprimé une opinio juris à l’égard de ce principe, lui conférant ainsi un caractère coutumier.

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