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Paragraphe I : Nouvel exode des Palestiniens et nouvelle occupation du territoire

B- L’occupation des territoires palestiniens

2- Le rôle de la Cour Suprême israélienne

Nous n’examinerons pas dans ce travail le fonctionnement de la Cour Suprême israélienne ni sa compétence à contrôler des actes entrepris dans les territoires occupés468. Après une période où elle s’interrogeait sur le fait d’étendre ou non sa juridiction sur les territoires occupés, cette Cour Suprême, en sa qualité de Haute Cour de Justice, a commencé, dans les années 1970, à donner aux Palestiniens résidant dans les Territoires Occupés le droit de contester les décisions du Gouvernement militaire469. Elle a rendu des dizaines de décisions couvrant un large champ d’actions dans les Territoires Occupés, allant de la construction des colonies et l’expropriation des terres jusqu’à la destruction des maisons, la détention administrative et les assassinats ciblés.

Nous allons exposer les décisions de cette Cour concernant quelques importantes affaires relatives à l’expropriation des terres palestiniennes. Jusqu’en 1979 et l’affaire Elon Moreh470, la Haute Cour rejetait systématiquement les requêtes des Palestiniens contestant les saisies de leurs terres pour ‘‘raisons militaires’’ et qui servaient en réalité à la construction de colonies juives. Elle entérinait toutes les décisions de saisies émises par les autorités militaires

467 Ibid.

468 La Cour Suprême prend le nom de Haute Cour de Justice quand elle siège pour des affaires opposant les

individus à l’Etat. Pour une étude approfondie sur la Cour Suprême israélienne, voir David Kretzmer, The occupation of justice: the Supreme Court of Israel and the Occupied Territories, State University of New York Press, Albany, Albany, 2002.

469 H.C.J 302, 306/72, Abu Helou v. Government of Israel, in Yifat Holzman-Gazit, Land expropriation in Israel,

op. cit., p. 132.

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en invoquant l’argument que ces colonies représentaient une protection vitale et jouaient un rôle militaire471.

Dans l’affaire Abu Helou v. Government of Israel, la Cour a ainsi jugé que :

« Les expropriations des propriétés privées dans les Territoires Occupés pour l’établissement de colonies juives civiles sont légalement valides puisque ces colonies font partie du système territorial de défense et sont des ‘‘mesures temporaires’’ nécessaires aux besoins militaires et sécuritaires. »472

Elle a eu recours à la même approche en 1978 dans l’affaire Ayub v. Minister of Defense. En outre, elle a considéré que « la construction des colonies civiles ne créait pas de faits permanents », voulant ignorer que ces colonies dans la réalité constituent de véritables cités de peuplement avec des milliers de familles, des écoles, des cimetières …. et sont donc destinées à perdurer, ce qui est interdit en Droit International.473

L’affaire Elon Moreh, de 1979, constitue un précédent dans la jurisprudence de la Haute Cour de Justice israélienne. La Haute Cour y a réitéré sa position selon laquelle « la réquisition des propriétés privées pour l’établissement des colonies civiles est légale tant que cela reste temporaire et est destiné à satisfaire des besoins militaires ». Elle a, toutefois, annulé la décision du Commandant militaire d’exproprier des terres pour la construction d’une colonie juive. Cependant elle s’est abstenue de statuer sur la légalité des colonies juives en Droit International. En effet, dans cette affaire, elle s’est contentée de constater la faiblesse des arguments de la ‘‘nécessité militaire’’ et le fait que c’était le Gouvernement israélien qui était à l’origine de la décision d’expropriation et non l’autorité militaire dans les territoires occupés. En conséquence la Haute Cour a estimé que les raisons de l’expropriation et de la construction de la colonie étaient clairement politiques et elle en a ordonné le démantèlement ainsi que la restitution des terres à leurs propriétaires.474

A la suite de quoi il est apparu que la méthode de saisie pour ‘‘raisons militaires’’ n’était plus un moyen privilégié d’expropriation des terres. Désormais, Israël préféra saisir les terres proclamées ‘‘terres d’Etat’’. La position de la Haute Cour sur la légalité de cette

471 Voir par exemple les affaires ; H.C.J 302, 306/72, Abu Helou v. Government of Israel, H.C.J 258/79 258/79,

Amira v. Minister of Defense, H.C.J 606/78, Ayub v. Minister of Defense, mieux connu sous le nom ‘‘l’affair Beth EL’’

472 H.C.J 302, 306/72, Abu Helou v. Government of Israel. in Yifat Holzman-Gazit, Land expropriation in Israel,

op. cit., p. 132.

473 H.C.J 606/78, Ayub v. Minister of Defence. Ibid.

474 Dans cette affaire le Comité interministériel de colonisation avait décidé l’expropriation sous la pression d’un

puissant mouvement de colons « Gush Emunim ». La colonie Elon Moreh a été tout de même reconstruite dans les Territoires Occupés mais sur d’autres terres expropriées cette fois en tant que ‘‘terres d’Etat’’ voir Ibid. pp. 132-133.

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nouvelle méthode d’expropriation ne varie guère de celle qu’elle a exprimée sur la légalité de l’expropriation pour ‘‘raisons militaires’’. En effet, la Cour jugeait les proclamations des terres comme ‘‘terres d’Etat’’ parfaitement ‘‘légales’’ en vertu du Droit International et des lois militaires s’appliquant aux territoires occupés. Elle estimait par ailleurs que les propriétaires pouvaient faire appel des décisions d’expropriation devant l’’’objection Committee’’, par conséquent elle renvoyait les plaignants vers ce Comité d’objection et rejetait toute plainte le récusant.475

Alors qu’auparavant cette Haute Cour jugeait nécessaire d’intervenir dans la procédure de réquisition des terres privées, elle s’en abstenait chaque fois que des colonies étaient construites sur des terres déclarées comme ‘‘terres d’Etat’’. En effet, à partir du moment où la Cour jugeait ‘‘légale’’ la proclamation par les autorités militaires des propriétés comme ‘‘terres de l’Etat israélien’’, elle ne reconnaissait pas aux propriétaires palestiniens le droit d’ester en justice pour des affaires relatives à l’utilisation faite de ces terres. C’est pourquoi elle a rejeté des requêtes contestant les expropriations et la construction de colonies pour des motifs tels que:

« La requête porte sur des questions politiques propres à d’autres branches du Gouvernement. »476

« Le but de la requête est d’attaquer la politique générale du Gouvernement sans lien avec des faits concrets »477.

Dans une affaire opposant un propriétaire palestinien à l’’’objection committee’’, le Président de la Haute Cour a précisé que :

« Le plaignant a soulevé la question de savoir quel sera à long terme le statut de la terre réquisitionnée par l’Etat et qui a été mise à la disposition de la colonie Hadassah. Il n’est pas nécessaire pour nous de traiter de cette question, car elle ne concerne pas du tout l’affaire en cours et, en tout état de cause, le plaignant n’a pas le droit d’entreprendre une action en justice concernant cette question. »478

Il ne restait donc plus aucune possibilité de remettre en cause la légalité des colonies juives dans les Territoires Occupés, et cela, même si elles n’avaient pas été construites pour des besoins militaires et même si elles étaient a priori destinées à rester indéfiniment.

475 H.C.J 285/81, Fadil Muhammad a-Nazar et al v. Commander of Judea and Samaria,

voir Israeli settlement in the Occupied Territories as a violation of Human Wrights: Legal and Conceptual Aspect, une étude préparée par The Israeli Information center for Human Rights in the Occupied Territories (B’TSELEM), mars 1997, pp. 22 et s. disponible sur internet

http://www.btselem.org/Download/199703_Settlements_Eng.rtf

476 HCJ 4481/91, Gabriel Bargil et al v. Government of Israel. Ibid. p. 23 477 Ibid.

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En conclusion, nous constaterons que l’extension de la compétence de la Cour Suprême israélienne sur les Territoires Occupés et le fait de donner à la population civile un accès au système juridique national israélien est sans doute exceptionnel479. Cela a permis de combler le vide juridique résultant de la position israélienne sur l’applicabilité du droit de la guerre dans les Territoires Occupés. Cependant, comme nous l’avons démontré, pour les Palestiniens, la Cour ne s’est pas acquittée de cette tâche de manière satisfaisante. Par ailleurs, le fait de donner aux civils palestiniens un accès à la juridiction nationale israélienne n’a ni légitimé les actions israéliennes dans les Territoires Occupés ni accru la crédibilité de la Cour elle-même parmi la population palestinienne. Pour garder un minimum de légitimité, il aurait mieux valu que la Cour refuse d’examiner les affaires des Territoires Occupés et de jouer le rôle d’un agent des autorités militaires cautionnant de graves violations et de sévères restrictions des droits humains les plus fondamentaux.480

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