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Paragraphe I : La Palestine et le nationalisme juif

A- Le contexte international

1- Accords et promesses contradictoires

Avant même l’éclatement de la première Guerre Mondiale, l’Empire ottoman était déjà mis à mal. Les Puissances Alliées, la France, la Grande-Bretagne et la Russie, attendaient la fin de « l’homme malade » pour se partager son héritage. Comme la dislocation de cet Empire allait créer une nouvelle donne géopolitique dans le monde, ces puissances ne cachaient pas leurs ambitions territoriales au Proche-Orient. Elles entamèrent dès 1912 des échanges diplomatiques, où chaque Etat donnait sa vision et son ambition dans la région. Peu à peu une nouvelle carte du Proche-Orient se dessina jusqu’en 1916 où elle se concrétisa avec l’Accord Sykes-Picot, aux termes duquel la France et la Grande-Bretagne se partagèrent la région. Cependant dans le même temps, la Grande-Bretagne considérait comme très important de rallier les Arabes contre les Ottomans, afin d’affaiblir l’Empire de l’intérieur et de s’assurer un succès militaire. Elle pensait aussi que l’autorité religieuse du Chérif permettrait de contrer tout appel ottoman à la Guerre Sainte. Dans ce but, elle entra en contact avec le Chérif de la Mecque, par l’intermédiaire de Sir Mac Mahon, et le convainquit de déclarer la guerre à l’Empire ottoman, contre la garantie de créer un Royaume arabe dans la région. Ce Royaume ne verra jamais le jour, car la Grande-Bretagne mena les négociations avec le Chérif et la France, séparément, mais pratiquement à la même période, et partagea avec la deuxième ce qu’elle promit au premier104.

a- L’Accord Hussein-Mac Mahon: la Palestine et l’indépendance d’un royaume arabe

Cet Accord sera conclu sous forme de correspondance entre le Chérif Hussein et Sir Henry Mac Mahon, Haut Commissaire au Caire. Ces lettres furent échangées entre juillet 1915 et janvier 1916. Contre l’engagement de mener une révolte, le Chérif réclama l’indépendance des pays arabes à l’intérieur des frontières suivantes : d’Adana au Nord jusqu’à la frontière perse, à l’océan Indien, à la mer Rouge et à la Méditerranée, autrement dit toute l’Asie arabe et une partie de l’Anatolie.

Mac Mahon accepta, mais émit des réserves quant à la région de Mersin et Alexandrette au nord de la Syrie, qui furent acceptées par le Chérif. Cependant, il émit aussi une réserve concernant les parties situées à l’ouest de Damas. Homs, Hama et Alep qui n’étaient pas considérées par les Anglais comme « purement arabes et [devaient] donc être

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exclues de la délimitation ». En fait, Mac Mahon confondait intentionnellement les dénominations « Arabe et Musulman », afin d’exclure la partie littorale de la Syrie peuplée, entre autres, par des Chrétiens et revendiquée par la France105. Le Chérif répondit simplement : « il n’y a pas de différence entre un Arabe chrétien et un Arabe musulman ». A la suite de cette réponse, Mac Mahon exposa officiellement, dans une lettre au Chérif, les intérêts de l’Allié français dans la région et renvoya l’examen de la question à un moment plus approprié106. Le Chérif, pour éviter de nuire à l’Alliance entre la France et la Grande- Bretagne dans la guerre, accepta de reporter la question. « Toutefois [écrivait-il] -et cela Votre Excellence doit le comprendre clairement- nous considérerons de notre devoir de vous réclamer, le plus tôt possible après la fin des hostilités, Beyrouth et ses régions côtières sur lesquelles nous n’insisterons pas, provisoirement, par égard envers la France. »107.

L’imprécision, l’ambiguïté des termes employés et l’absence de toute carte lors de ces échanges eurent des conséquences graves pour l’avenir de la Palestine, lorsque son statut fut mis en question après la guerre. D’ailleurs la Palestine ne fut jamais citée, explicitement, pendant ces échanges. Cependant, Henry Laurens estime que, dans la logique de Mac Mahon, les territoires à l’ouest de Damas, Homs, Hama et Alep, sont des régions levantines. Par conséquent, « la Palestine que [Mac Mahon] n’a pas nommée, n’est pas comprise dans la zone accordée aux Hachémites. »108. En effet, Sir Mac Mahon déclara en 1937 qu’il n’avait pas eu « l’intention d’inclure la Palestine dans la zone d’indépendance arabe quand [il donnait] des garanties au roi Hussein.109 ».

Toutefois, pour le Chérif, la question ne semblait pas se poser et la Palestine devait lui revenir. En effet, il réclamait le Wilayet110 de Beyrouth et ses régions côtières qui, selon le découpage administratif ottoman111, comprenaient la partie nord de la Palestine. De plus, les régions exclues par Mac Mahon, pour préserver les intérêts français, c’est-à-dire les territoires à l’ouest des districts de Damas, Homs, Hama et Alep, « ne correspondent pas à la Palestine, qui serait plutôt couverte par les districts de Hauran et Maan. Et la nécessité de tenir compte des concessions à faire à la France ne s’applique pas à la Palestine»112. Enfin le Journal

105 Ibid. p. 43.

106 Edouard Atiyah et Henry Cattan, Palestine, terre de promesses et de sang, Cujas, Paris, 1968, p. 28. 107 Ibid. pp. 28-29.

108 Les Hachémites sont les descendants du Prophète Muhammad et gardiens des lieux saints de l’Islam. Voir

Henry Laurens, Le retour des exilés, op. cit., p. 176.

109 Charles Zorgbibe, Terres trop promises, op. cit., p. 55. 110 Wilayet signifie district en arabe

111 Voir Henry Laurens, Le retour des exilés, op. cit., p. 177. 112 Charles Zorgbibe, Terres trop promises, op. cit., p. 53.

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anglais The Times publia, le 17 avril 1974, des extraits d’un mémorandum secret, que le Political Intelligence Department du Foreign Office établit à l’intention des délégations britanniques, à la Conférence de la Paix à Versailles, en 1919. Dans ce mémorandum, nous pouvons lire : « En ce qui concerne la Palestine, le Gouvernement de Sa Majesté s’est engagé dans la lettre adressée par Sir Henry Mac Mahon au Chérif Hussein le 24 octobre 1915 à l’inclure dans les limites des territoires arabes promis à l’indépendance… »113.

b- L’Accord Sykes-Picot : un partage colonial du Proche-Orient

Nous avons montré la valeur stratégique de la Palestine pour la Grande-Bretagne, qui y voyait un rempart pour la protection du canal de Suez, devenu la clef pour la route de l’Inde. La France avait, elle aussi, ses intérêts dans ce qu’elle appelait le « Levant » qui comprenait la Palestine. Dès 1915, les deux puissances décident donc de mettre en place un projet d’accord qui conciliait leurs intérêts. Elles confient à deux diplomates experts de la région, l’Anglais Marc Sykes et le Français François George-Picot, la mission de trouver un accord. Les négociations durent plusieurs mois et se concluent en mai 1916. Dans cet Accord, l’Asie arabe sera divisée en cinq zones : bleue comprenant le littoral de la Syrie, le Liban et le Nord de la Palestine, sous administration française directe ; rouge comptant les Wilayets de Bagdad et de Bassora, sous administration britannique ; brune placée sous administration internationale, comprenant le centre de la Palestine avec Jérusalem, à l’exception des ports de Haïfa et d’Acre qui sont accordés à la Grande-Bretagne. Enfin, deux zones A et B constituent les Etats arabes indépendants, qui seront partagés en zones d’influence, l’une au nord confiée aux Français, l’autre au sud aux Britanniques.

Par cet Accord, les Britanniques choisirent de privilégier l’alliance avec la France au détriment des promesses faites au Chérif Hussein, qui vit ses espérances d’un grand Etat arabe se réduire considérablement114. L’Accord Sykes-Picot, étant inscrit dans la tradition coloniale de l’époque, donnait à penser que les zones A et B seraient rattachées, par les puissances d’influence, aux zones d’administration directe. Charles Zorgbibe décrit cet Accord comme « un curieux compromis entre l’impérialisme classique du XIXe siècle et la prise en considération des nationalités »115.

113 Origine et évolution du problème palestinien 1917-1988, étude établie à l’intention et sous la direction du

Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, Nations Unies, New York, 1990, p. 7.

114 Charles Zorgbibe, Terres trop promises, op. cit., p. 56. 115 Ibid.

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Cependant, en ce qui concerne la Palestine, les Britanniques ne respecteront pas non plus leurs engagements envers les Français. En effet, les ambitions françaises au nord de la Palestine et même la mise sous administration internationale de Jérusalem, point que les Français avaient concédé, furent balayées et ce même avant la fin de la guerre116. A partir de janvier 1917, le tout nouveau Gouvernement britannique affiche sa volonté d’occuper le plus de territoire possible, en Syrie, Mésopotamie et Palestine. En avril 1917, une commission gouvernementale britannique recommandera la modification de l’Accord Sykes-Picot de « sorte que soit donné à la Grande-Bretagne un contrôle précis et exclusif sur la Palestine »117. Ainsi, les troupes britanniques envahirent la Palestine en novembre 1917, sous

le commandement du Général Allenby qui y établit une autorité militaire.

116 Ibid. 117 Ibid. p. 57.

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