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CHAPITRE V : LA LITTÉRATURE DE LA RÉVOLUTION

A) Trahison de la patrie

La Perse subissant perpétuellement lřingérence politique et économique des deux pays colonisateurs, lřAngleterre et la Russie, et étant contrainte de faire face aux guerres suscitées par ces deux pays, elle sřaffaiblit, surtout à lřépoque des derniers rois des Qâjârs. La Révolution constitutionnelle, créant un nouvel espoir, devait sortir le pays de cettte situation. Mais le clivage politique survenu, dès le début de la Révolution, entre les Partis politiques, dřune part, et les complots des anticonstitutionnalistes et des Russes contre la Révolution, de lřautre, affaiblissaient de plus en plus le pays. Fiers du passé brillant de la Perse, les poètes et les écrivains pré-révolutionnaires, et surtout ceux de lřépoque de la

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BALAY et CUYPERS, Aux sources…, op. cit., p. 58 et ROHANI, Intellectuels…

op. cit., p. 117.

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Révolution, en recourant à la satire, condamnaient alors tous ceux qui contribuaient à lřaffaiblissement du pays. En sus des politiciens, ils nřhésitaient pas à condamner aussi certains intellectuels qui, ne prenant parti ni pour les constitutionnalistes et ni pour les anticonstitutionnalistes, pensaient plutôt à présrver leurs propres intérêts. Dans cette dénonciation, Dehkhoda, en se souvenant la grandeur de la Perse, évoqueait le rôle de certains ambassadeurs, ingénieurs et intellectuels persans, qui trahissaient leurs pays et provoquaient son sous-développement.

Dans la haute antiquité, il y avait lřÉtat de lřIran (la Perse) et, dans son voisinage, il y avait lřÉtat de la Grèce. LřÉtat de lřIran était très hautain et bien content de lui-même. Ça veut dire quřil avait beaucoup dřinfluence. Il avait la prétention dřêtre « le Roi des rois » (Châhanchâ) du monde […] Un jour, lřÉtat de lřIran leva son armée et alla doucement jusquřau mur de la Grèce. Pour entrer dans ce pays, il nřy avait quřune seule voie par laquelle lřarmée de lřIran devait obligatoirement passer. Derrière cette voie, il y avait aussi […] un passage que lřarmée de lřIran ignorait. Dès que lřarmée de lřIran arriva derrière le mur, elle a vu que les Grecs, méchants et rusés, lui barraie la voie […] Tout à coup, lřarmée de lřIran vit quřune personne, comme Messieurs Jafar Qoli ou les fils des Messieurs Biglar 314 cosaques, ça veut dire une personne bienveillante, philantrope et hospitalière se sépara de lřarmée grecque et quřil vint à pas de loup au camp des Iraniens. Il dit : « Bonjour, soyez les bienvenus, [jřespère que vous avez fait un] bon voyage » Il montra également aux Iraniens la rue étroite et il leur dit à voix basse que « nous les Grecs, nřy avons pas dřarmée. Si vous passez par là, vous pouvez conquérir notre pays ». Les Iraniens acceptèrent, passèrent par ce chemin et entrèrent en Grèce […] [Ce monsieur], il sřappelait Efilatus. Que Dieu maudise le diable. Je ne sais pas pourquoi à chaque fois que jřentends le nom dřEfilatus, je me souviens de certains ambassadeurs de lřIran.

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On appelait, déjà à lřépoque des Qâjârs, les gouverneurs de district Biglar ou

Biglar beygi. On pense que lřauteur, en choisissant le nom Biglar et Jafar Qoli au

pluriel, ainsi que le mot cosaque, voulait généraliser la trahison de cette couche de la société.

Quand Monsieur Mirza Abdorrazzaq Khan, lřingénieur et lřenseignant de lřécole militaire, traça pour les Russes, après trois mois de marche, le plan de guerre de la route de Mazandarân, nous avons dit que ça serait dommage quřune telle personne nřait pas un surnom.

[…]

Un jour [nřayant pas trouvé un surnom], jřétais de très mauvaise humeur. Jřai pris donc un livre dřhistoire pour mřamuser. Dès que jřai ouvert le livre, jřai vu quřil est écrit à la première ligne de la page droite: « Dès lors, les Grecs dirent à Efilatus quřil était un traître, et ils le tuèrent. » Que Dieu vous maudisse, vous les Grecs. Mais quřest-ce quřil avait fait pour que vous lřayez appelé traître ? Est-ce que lřhospitalité était un sacrilège dans votre religion ? Est-ce que vous ne croyez pas en lřhospitalité ?!!!

Voyant ce nom, je me suis dit quřil vaudrait mieux quřon choisisse ce surnom pour Monsieur Mirza Aborrazzaq Khan. Puisque ce surnom était original et que ces deux personnes se ressemblaient beaucoup. Tous les deux étaient hospitaliers. Tous les deux disaient : si je ne le fais pas, un autre le fera. Il y avait une seule différence : le bouton de redingote (sardâri) dřEfilatus nřétait pas taillé dans le bois dur de la patrie. Bon ces détails ne sont pas dignes dřêtre notés 315.

Lřhospitalié ironique est donc le point commun qui assimile les deux traîtres : Efilatus et Mirza Abdorrazzaq Khan. Ce dernier trace « le plan de guerre de la route de Mazandarân » où il y a la forêt, et il porte un sardâri dont le bouton est « du bois dur de la patrie » : cřest-à-dire du bois de la forêt de Mazandarân. Mais cřest la seule chose qui le distingue dřEfilatus.

Le nom de Mirza Abdorrazzaq Khan a été choisi, on le croit, intelligemment par Dehkhoda. Mirza = homme lettré ; Abd = esclave, serviteur ; razzaq = nourricier (une épithète de Dieu), Abdorrazzaq = seviteur ou esclave de Dieu et Khan = chef (de tribu). Il veut dire quřune telle personne, bien quřelle porte tous ces titres, peut encore trahir sa patrie. À son avis, les ambassadeurs,

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DEHKHODA, Ali Akbar, Čarand-o parand, première année, n˚ 2, prés. par NAFISI, Saeid, Châhkârhâyé Nasré fârsi, Téhéran, Mařrafat, 1336 hs., pp. 38Ŕ41. Cřest nous qui traduisons.

les ingénieurs et les intellectuels, dont Mirza Abdorrazzaq Khan est le représentant, sont les personnes plus capables de trahir la patrie.