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CHAPITRE II : LES ACTIVITÉS CULTURELLES DES FRANÇAIS EN IRAN

A) Les missionnaires religieux (les Lazaristes)

De 1838 à 1841, le père Eugène Boré, le premier missionnaire religieux, accompagné des pères Lazaristes, fut envoyé en Perse par François Guizot, Ministre des Affaires étrangères de la France. Les premières tentatives de Boré à Khosroâbâd dřOroumiyéh 47 rencontrèrent la résistance des Arméniens (des chrétiens) non catholiques, notamment des messionnaires protestants américains qui s'étaient instalés à Tabriz et en Azarbâijân depuis 1830 48. Il créa malgré cela sa première école à Tabriz, en 1839 ; elle était fréquentée par des élèves musulmans et chrétiens. Boré, qui était venu en Perse pour y propager le christanisme et lutter contre l'islam, voyant l'accueil chaleureux des Persans, renonça à son idée initiale et sřemploya à la diffusion la langue et de la culture

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Bulletin de l’Alliance française, 5e

année, 15 novembre 1889, p. 709.

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Un village à l'ouest de l'Iran.

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NARAGHI, Ehsan, Enseignement et changement sociaux en Iran du XVII aux XX

françaises dans ce pays. Les Persans, étant ouverts aux autres religions, ils « peuplèrent ses classes » 49. Bientôt il ouvrit une autre école à Ésfahân, la ville sainte du chiřisme à l'époque. Pendant son séjour en Perse, le Comte de Sercey, l'ambassadeur de la France, obtint du Chah plusieurs farmans en sa faveur. L'un de ces farmans « assurait la protection des catholiques » 50. Avant de quitter la Perse, Sercey remit les farmans à Boré en lui disant que : « rien ne serait plus convenable que de concéder les avantages de ces firmans à la Congrégation des Lazaristes qui avaient l'intention de fonder des écoles en Perse » 51. Après le départ de Sercey, Boré rencontra des difficultés. Le 17 juin 1841, les Arméniens, lřépée à la main, se révoltèrent contre Boré. Afin de sauver ce dernier, Mohammad Chah envoya « 20 personnes armées à Ispahan pour y arrêter les principaux pertubateurs arméniens schismatiques » 52. Mais c'était trop tard et Boré quitta donc la Perse.

Boré fit ensuite venir des missionnaires lazaristes qui s'installèrent dès 1850 dans les villages d'Azarbâijân et commencèrent rapidement leurs activités scolaires.

Le but de la fondation des écoles par ces missionnaires était plutôt la rivalité religieuse avec les protestants et les orthodoxes que la conversion des musulmans, car ils ne pouvaient jamais faire de prosélytisme pour crainte du clergé musulman. Par conséquent, jusquřà la première guerre mondiale, ils ne firent dřévangélisation qu'en milieu chrétien. Ce fut durant cette période, quřaprès avoir fondé des écoles pour lřenseignement de la langue française ils admirent comme élève des musulmans ainsi que des juifs.

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NATEGH, H., « École de Boré »,

http://homanategh.e-monsite.com/rubrique,ecole-de-bore,35501.html

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Mission de Monsieur de Sercey en 1840, « Mémoires et Documents », M.A.E.F. Cité par NATEGH, « École de Boré », op. cit.

51

« Mission de... » Cité par NATEGH, « École de Boré », op. cit.

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La présence des missionnaires entraînait deux résultats, lřun positif et lřautre négatif. Dřune part, en instituant des écoles, ils ont contribué à l'évolution socio-politique et littéraire de l'Iran ; mais, dřautre part, ils répandaient la discorde entre les sectes chrétiennes, qui vivaient jusquřalors dans la paix et la tranquillité. Ils préparèrent également le terrain pour lřexpédition des troupes turques dřOttomane en Iran.

Pourtant, malgré tous les troubles créés par ces missionnaires, ils ont été sous la protection du roi Qâjâr, Mohammad Chah, et son vizir, Haji Mirza Aqasi pour deux raisons principales, religieuse et politique. Dřune part, grâce à son adhésion au soufisme, Mohammad Chah admit la liberté des religions et donna son appui à tous leurs partisans, et dřautre part, en raison des problèmes frontaliers et de la lutte contre lřinfluence russe et anglaise, il cherchait lřintervention dřune troisième puissance pour créer lřéquilibre sur le plan politique et préserver l'intégrité du pays.

Pour ces raisons, Mohammad Chah laissa aux Français les mains libres dans les domaines culturel et politique, sans voir que ni la France ni les missionnaires, qui représentantaient la France, nřavaient aucun intérêt à lřunité de lřIran. De surcroît, les missionnaires étaient eux-mêmes parfois la cause de désordres et de révoltes dans le pays. À titre dřexemple, ils ont incité, en 1920, les chrétiens à se révolter et à demander lřautonomie dřOroumiyéh, une province à lřouest de lřIran.

De toute façon, la présence des deux autres puissances, russe et anglaise, empêchait la France d'atteindre ses objectifs politiques. Par la suite, elle se concentra vers les activités culturelles et fit tout son possible dans ce domaine.

Sous le règne de Nasereddin Chah, et au cours du ministère de Mirza Taqi Khan Amir Kabir, les Lazaristes étaient toujours sous la protection du gouvernement de lřIran. Mais avec lřassassinat dřAmir Kabir par le Roi, ils durent affronter de nombreuses difficultés. Le ministère de Mirza Aqa Khan Nouri, jugé anglophile, ne pouvait être en faveur des Lazaristes, et il entrava

lřaction de ces missionnaires. Les querelles perpétuelles avec les Russes et les Anglais, les invasions des Turcs dřOttomane, lřhostilité et la rivalité des missionnaires américains comptaient parmi les difficultés des Lazaristes. Cependant, ils ont réussi à créer des écoles à lřouest de lřIran, surtout dans les villages Khosrow Abâd, Mârânâ, Tapâvar, Golzân, Naqadéh,... aussi Téhéran (au nom de Saint-Louis), Ésfahân et à Tabriz.

Au cours du ministère de Sepahsalar et Mochir od-Dowleh, les ministres de Nasereddin Chah, les écoles lazaristes ont retrouvé, comme les autres écoles françaises, leur prospérité. Mochir od-Dowleh, ayant étudié en France, se montrait très favorable à la France et aux Français, en protégeant les écoles françaises. Pourtant, les écoles lazaristes nřétaient pas toutes à lřabri des invasions ottomanes et les missionnaires furent obligés, parfois, de fermer leurs établissements. Au début du ministère de Sepahsalar, les écoles lazaristes et leurs élèves à Oroumiyéh se répartissaient ainsi :

Ville Khosrow Âbâd de Salmâs Patâvar Golzân Koulân Jâch écoles 1 2 1 1 1 élèves 100 25 30 19 30

Les autres écoles avaient été pillées par les Turcs ottomans. En 1290 hq./1874, les Lazaristes reconstruirent donc les écoles détruites par les Turcs à Oroumiyéh, et géraient 26 écoles 53. La liste suivante nous montre le nombre des écoles et des élèves cette année-là.

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École des garçons : Villes Qaréh julân Chir âbâd Châpurgân Abdollâh kand Hâvân [...] élèves 53 30 30 30 24

Écoles des filles : Villes Khosrow âbâd Salmâs Patâvar Golzân Jamâl âbâd [...] élèves 170 95 80 30 15

Les programmes des écoles lazaristes consistaient en lřétude de la langue syriaque ancienne et moderne, des textes religieux, des langues française et persane, de lřhistoire, de lřhistoire de la philosophie, du Fegh (le droit théologique islamique), de la géographie et des mathématiques. Jusquřà la fin du règne de Mohammad Chah, les Lazaristes fondèrent 26 écoles de garçons et six écoles de filles et quelques hôpitaux 54. « De leur côté, les Sœures de Saint-Vincent-de-Paul créèrent à partir de 1865 des écoles Saint-Joseph pour jeunes

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filles à Oroumiyéh, Salmas, Tabriz et Ésfahân » 55 afin de rivaliser avec les écoles des filles des protestants, qui fleurissaient déjà en Perse.

Les Lazaristes fondèrent, en 1313 hq/1896, une « École Supérieure » à Téhéran dont le programme comprenait la langue syriaque ancienne et moderne, les langues arménienne, persane, française, latine et également la géographie, lřhistoire et les sciences. À Oroumiyéh, à l'époque de la Révolution constitutionnelle (1906-1912), les Lazaristes et les Sœurs de la Charité avaient fondé 75 écoles. Ils avaient fondé aussi des écoles, en 1909, à Ésfahân qui comptait jusquřà 3000 élèves ! 56

Les écoles Saint-Louis à Téhéran, où la durée de scolarité était de cinq ans, avaient pour programme la littérature française, la langue persane, lřhistoire et la géographie générale de lřIran, les mathématiques, le siâq 57

, la calligraphie et le peinture. Les programmes des écoles à Téhéran étaient différents de ceux dřOrumiyeh. Les écoles de Téhéran propageaient plutôt la langue et la littérature françaises, alors que les buts des écoles dřOrumiyeh étaient plutôt le prosélytisme auprès des orthodoxes et des protestants pour les convertir au catholicisme.

Quoi quřil en soit, les résultats des écoles Lazaristes, comme dřautres écoles françaises, malgré leur petit nombre, étaient brillants. Ils ont créé de nombreuses écoles dans différentes villes de lřIran et ont contribué à lřévolution littéraire du XXe siècle dans ce pays.

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NARAGHI, Enseignement… op. cit., p. 93.

56

CHATELET, Aristide, La Mission Lazariste en Perse 1910-1918, Bordeaux, 1934, p. 436. Il semble que ce nombre est exagéré.

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