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CHAPITRE II : LES ACTIVITÉS CULTURELLES DES FRANÇAIS EN IRAN

C) L’Alliance française

4. L’opposition du clergé persan aux écoles étrangères

Les écoles françaises, suspectées de propager des idées provenant de la révolution française, devaient rencontrer aussi l'opposition du clergé iranien.

Son opposition aux écoles, et en général au modernisme, avait deux aspects, politique et didactique. Le développement des écoles modernes supprimait la prospérité des écoles religieuses, qui étaient le monopole du clergé. Par conséquent, cela diminuait son pouvoir dans le domaine de lřéducation. Par ailleurs, les écoles modernes étaient considérées comme un phénomène occidental qui allait transformer la vie islamique du peuple et peut-être ses convictions religieuses.

Mais politiquement, le clergé avait perdu beaucoup du pouvoir quřil avait gagné à lřépoque safavide. Il se trouvait avec son pouvoir religieux, face au gouvernement Qâjâr. Alors, chaque phénomène moderne qui renforçait la puissance de lřÉtat était considéré comme une atteinte au pouvoir du clergé.

Les clercs se divisaient en réalité en deux groupes : les opposants et les partisans des écoles modernes. Les partisans, comme Sayyed Mohammad Tabatabaï, Sayyed Jamaloddin Vaez, Chaykh Hadi Najm Abadi, et dřautres

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Pour voir plus de détails Cf. NATEGH, Kârnâmé… op. cit. et NATEGH, H., « L'influence de la révolution... », op. cit.

mojtahéd 87 des villes, protégeaient les écoles de tous les risques et périls. En revanche, certains clercs, comme Sayyed Mohammad Taqi Najafi, étaient lřennemis sérieux des écoles modernes et surtout des écoles de lřAlliance Israélite. Le seul protecteur des juifs était le gouvernement persan appuyé par quelques clercs. Tandis que lřAlliance française était protégée par la France, les Lazaristes par le Vatican et les Missionnaires Américains par la Russie et lřAngleterre. On peut mentionner aussi Seyyed Bagher Chafti, le grand chef religieux d'Ispahan, avec ses 30000 partisans surnommés loutis 88, qui «portait ombrage au gouvernement» de Mohammad Chah et « se donnait le droit de condamner à mort qui il voulait et là où il voulait sans même demander l'autorisation du gouvernement » 89 En 1837, il fut vaincu par l'armée du Chah. La politique séculière du gouvernement de Mohammad Chah menaçait l'influence religieuse du clergé sur la population. Pour renforcer son pouvoir religieux, le clergé s'opposait alors à tout progrès culturel et politique. Mohammad Chah et surtout son premier ministre, Haji Mirza Aghasi, essayaient de rabaisser le pouvoir religieux du clergé et les écarter de « leurs fonctions judiciaires ». Ce dernier accusait donc l'État d'être « hérétique » et « usurpateur » 90.

Outre les motifs déjà mentionnés, dřautres raisons économiques et sociales motivaient lřopposition des clercs. Selon les Juifs, chaque Sayyed 91

ou clerc qui cherchait la célébrité et voulait sřattirer des adeptes, déclarait le Jehad (la guerre sainte) contre les Juifs. A titre dřexemple, le quartier juif a été pillé, le 18 janvier 1901 (4 chavvâl 1318), sur lřordre dřun inconnu nommé Cheykh Ebrahim.

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Mojtahéd : Spécialiste de la loi religieuse (chiřite).

88

Malfaiteur et truand.

89

DOWLAT ABADI, Y., Hayâté Yahyâ, Téhéran, Frouzân, t. 1, 1362, p.87.

90

SÉPSIS, S., « Quelques mots sur l'état religieux de la Perse », in Revue de l'Orient, t.III, 1846, p. 107. Cité par Nategh, « Un roi... », op.cit.

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Celui-ci, pour sřattirer des adeptes, avait accusé les Juifs dřêtre les agents de la corruption. Le Chah, fâché, donna donc lřordre de retrouver tous les objets pillés. Il donna aussi 1000 tumâns dřindemnité aux Juifs 92. Quoi quřil en soit, anglophile et ennemi des écoles modernes, Sayyed Mohammd Taqi Najafi rédigea une Fatvâ 93, au nom des ulémas de Najaf et de Karbalâ, dans laquelle il accusait toutes les écoles modernes, fondées soit par les étrangers, soit par les Persans sur le modèle européen, dřêtre opposées à la religion 94

.

Malgré tous les problèmes créés par les clercs, les écoles modernes, et en particulier les écoles françaises, se sont développées grâce à la protection du gouvernement Qâjâr, de quelques clercs et aussi des intelectuels persans.

Conclusion

Le règne de Mohammad Chah, caractérisé par le sécularisme, la tolérance et l'égalité entre les adeptes des différentes sectes et religions, permit aux missionnaires religieux de s'installer librement dans plusieurs régions de l'Iran et fonder des écoles. Plus tard, à l'époque de Nasereddin Chah, les écoles de l'Alliance française furent ouvertes dans le but de faire connaître la langue et la littérature françaises en Perse. Mais il ne faut pas perdre de vue que cette Alliance, au-delà de ses objectifs culturels, pensait surtout aux intérêts économiques de la France. Au cours du voyage de Nasereddin Chah à Paris, Adolphe Crémieux, le fondateur de l'Alliance Israélite, obtint l'accord du Chah pour fonder ses écoles en Perse. De nombreux obstacles lřempêchèrent de les

92

« Les Juifs dřIran », Archives A. I. U., Les Cahier A. I. U., septembre 1994, p.30. Cité par

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Fatvâ : Jugement dřun chef religieux musulman.

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DOWLATABADI, Yahya, Hayâté Yahyâ, Téhéran, 4 t, t. I, I, P. 328. Cité par BAKAÏAN, Hadi, Târikhchéyé madârésé novin, http://greek.blogfa.com/post-224.aspx

réaliser immédiatement et il les fonda 25 ans plus tard à l'époque de Mozffareddin Chah. Cette Alliance a été instituée dans le but de lutter pour lřégalité des droits et contre les discriminations individuelles ou collectives. Elle était considérée comme la plus brillante école française en Perse, dont les élèves étaient juifs, zoroastriens et musulmans.

Les écoles modernes se heurtèrent à lřopposition russe et anglaise, ainsi quřà lřopposition du clergé. Cependant, grâce aux protections du gouvernement persan, dřun certain nombre de clercs et dřintelectuels persans, ces écoles se sont développées. Parallèlement aux écoles étrangères, des écoles modernes persanes comme Rochdiéh furent fondées à Tabriz puis à Téhéran.

Les écoles (madréséh et maktab) persanes, se présentant idéales au niveau littéraire, historique et philosophique jusqu'au 19e siècle, n'avaient aucun programme dans le domaine industriel. Les écoles étrangères, absorbées dans la propagation du christanisme ou celle de la langue et de la culture françaises afin d'atteindre leurs buts politique et économiques, ne l'inclurent pas non plus dans leurs programmes d'enseignement. Après l'ouverture des écoles étrangères, le système d'enseignement des écoles persanes, basé sur les matières religieuse, littéraires, philosophiques et historiques, subit un changement radical. Beaucoup de textes littéraires et scientifiques européens furent étudiés, mais encore aucun programme ne présentait de dimension appliquée à l'industrie. En effet c'est seulement avec la fondation de Dâr ol-Fonoun, inauguré à lřintiative d'Amir Kabir, qu'on fit les premiers pas pour l'industralisation du pays.

La création d'établissement publics d'enseignement proprement iraniens, surtout après la Révolution de 1906, mit un frein au développement des écoles étrangères et elles furent placées sous le contrôle suprême de l'État. Le Ministère de l'Instruction publique fut créé en 1910 et de nombreuses écoles persanes furent fondées par les associations (Anjoman) et des personnes privées. Plus tard, un réseau d'écoles publiques fut créé par l'État à l'époque de Reza Chah, le fondateur de la dynastie Palavi (1925). La première guerre mondiale dut aussi

ralentir le développement des écoles étrangères, déjà bien implantées en Perse. Pendant la première guerre mondiale, la France, qui était jusque là, une force d'équilibre face aux Anglais et aux Russes, mais qui était lřalliée de ces derniers, fut suspectée d'entretenir des desseins colonisateurs. Une friction se produisit alors entre le personnel français des écoles et les nationalistes qui fréquantaient surtout l'Alliance française. Après la guerre, un certain nombre d'écoles étrangères fermèrent leurs portes.

Quoi qu'il en soit, toutes les écoles modernes, persanes et étrangères, contribuèrent à lřévolution de la littérature persane contemporaine.

CHAPITRE III : LE RÔLE DES PERSANS DANS LES PROGRÈS