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LITTÉRATURE SOCIO-POLITIQUE DE L’IRAN CONTEMPORAIN

3. Le coup d’État de juin 1908

Suite à une anarchie politique généralisée, créée par les factions extrémistes qui réclamaient toujours la destitution du roi, Mohammad Ali Chah, encouragé par les Russes et les courtisans réactionnaires, prépara donc un autre coup d'État. Après l'attentat, le souverain avait la haute main sur les affaires. Le peuple et le Parti modéré du Parlement manifestaient une sympathie envers le monarque. Le Parlement devint donc de plus en plus impopulaire. Les Russes, protestant contre les extrémistes, menacèrent d'une intervention militaire et ces derniers, sentant le danger, reculèrent alors soudainement. Afin dřeffrayer les constitutionnalistes et dřentraver les résistances éventuelles de ceux-ci, le Chah fit une série de manœuvres militaires et politiques, puis il partit au Baghé Chah, où il prépara le coup d'État. Afin de bien contrôler la situation, le Chah céda lřadministration du Télégraphe à Mokhber od-Dowleh, et le gouvernement de

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MALEKZADEH, Énqhélâbé..., op. cit., p. 623 et 629 et DOWLATABADI, Yahya, Hayâté Yahyâ, Téhéran, Attâr, t. II, 1361 hs., pp. 199-201 et SOLTANIAN, Les causes..., op. cit., pp. 116-117.

Téhéran à Hajeb od-Dowleh, en destituant Sardar Mansour et Mirza Saleh Khan Baghmicheï 222. Il fit installer alors des canons sur les portes de la capitale, et donna l'ordre à Mochir os-Saltaneh de constituer un nouveau cabinet, nommé « le cabinet de Bâghé Chah », qui était composé des ministres les plus ignorants. Pourtant, il se montra toujours favorable à la Constitution, en continuant la négociation jusquřau dernier moment et il donna même l'ordre d'emprisonner les auteurs du coup d'État manqué de décembre 1907, afin dřendormir la méfiance des révolutionnaires 223.

Le 8 juin 1908, le Chah diffusa à Téhéran une déclaration semblable à celle du gouvernement tsariste lors de la dissolution de la Douma, qui montrait bien l'influence des Russes. Cette déclaration, adressée aux constitutionnalistes, avec un ton brutal, fut considérée en réalité comme une déclaration de guerre. À leur tour, les sociaux-démocrates répandirent des tracts politiques, menaçant le roi. Dans leurs débats parlementaires, ils suivirent une politique extrémiste, même un jour avant le coup d'État.

Behbahani et Tabatabaï, envoyant des télégrammes aux anjomans provinciaux et aux ulémas de Najaf, leur annoncèrent le danger d'une telle déclaration. Les constitutionnalistes de Tabriz, Racht, Ésfahân, Chirâz, Qazvin, Hamadân et Kérmânchâh envoyèrent de nombreux télégrammes au Parlement et sřengagèrent à le soutenir. Une grande foule de protestataires, venant aussi des anjomans, se réunirent à lřÉcole Sépahsâlâr pour défendre le Parlement. Celui-ci, affaibli au fil du temps par les activités violentes des extrémistes, avait perdu de nombreux partisans et, paralysé par lřabsence de personnalités capables dřunir le mouvement, ne put organiser les soutiens provinciaux ni ceux de Téhéran. Le Chah envoya un ultimatum, le 12 juin, demandant la dispersion de la foule, afin de reprendre la négociation. Les députés, effrayés à la vue de 25

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KASRAVI, Târikhé machroutéh ..., op. cit., pp. 583-584.

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SOLTANIAN, Les causes..., op. cit., p. 135 et KASRAVI, Târikhé machroutéh...,

cosaques armés, dispersèrent la foule, malgré lřopposition de Behbahani. En même temps, Mirza Soleyman Khan, chef de l'anjoman extrémiste de Barâdarâné darvâzéh Qazvin, fut arrêté, le 14 juin, par les commis du Chah. Il était à lřépoque le secrétaire dřÉtat du Ministère de la Guerre et il aurait sûrement pu armer les mojâhédins contre le Chah. Son arrestation diminuait donc sérieusement la force des constitutionnalistes. Cela donnait le signal dřun coup dřÉtat imminent 224

.

Pour assurer la défense militaire du Parlement, les parlementaires formèrent deux comités défensif et politique, mais, dans leur camp, l'union n'existait plus. Taqizadeh, l'un des dirigeants extrémistes, changea brusquement d'opinion en demandant aux parlementaires de faire la paix avec le monarque, et le extrémiste Heydar Khan rentra immédiatement au Caucase. Beaucoup de commerçants qui avaient défendu le Parlement lors du coup d'État de décembre, se tournèrent vers la Cour, du fait des activités violentes des extrémistes et l'anarchie généralisée dans le pays. Quelques députés représentant les commerçants avaient déjà même démissionné et cela avait eu des effets néfastes sur le Parlement et la Constitution. Le Parlement, ayant donc perdu son unité et étant déstabilisé par les factions extrémistes, ne pouvait résister devant le coup d'État.

Finalement, le matin du 23 juin, les cosaques, commandés par le colonel russe Liakhof, assigèrent la place de Bahâréstân et bombardèrent le Parlement. Un nombre restreint de constitutionnalistes, qui étaient majoritairement des représentants dřassociations professionnelles (de marchands, dřartisans, dřouvriers, etc.), le défendirent héroïquement, en laissant de nombreuses victimes et blessés. Les anjomans et les provinces n'envoyèrent aucun renfort.

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SOLTANIAN, Les causes..., op. cit., p. 138 et MALEKZADEH, Énqhélâbé..., op.

Après le bombardement et la dissolution du Parlement, qui mit un terme à la première Constitution, certains leaders et députés constitutionnalistes, comme Dehkhoda 225, Momtaz od-Dowleh et bien d'autres, se réfugièrent dans les légations étrangères et les autres furent arrêtés et exilés, ou ils fuirent. Behbahani et Tabatabaï furent assignés à résidence 226 puis ils furent exilés, respectivement à Najaf et à Machhad. Mohammad Reza Mosavat 227 fuit à Tabriz. Beaucoup de constitutionnalistes opportunistes se tournèrent vers la Cour et d'autres furent libérés par la médiation de leurs amis. Parmi les prisonniers se trouvaient des personnages comme Mirza Djahangir Khan Chirazi (surnommé Sour Ésrafil) 228, Malek al-Motakallemin 229, Soltan ol-Olama 230, Qazi Qazvini 231, Seyyed Hadj Ebrahim Aqa 232, Yahya Mirza Eskandari 233 et Seyyed Jamaloddin Vaez 234. Les trois premiers, après avoir subi des tortures, furent exécutés au Bâghé Chah ; Qazi Qazvini fut empoisonné ; Seyyed Haj Ebrahim Aqa fut tué au cours de sa fuite ; Yahya Mirza Eskandari est mort supplicé et Seyyed Djamaloddin Vaez,

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L'écrivain du journal Sour Ésrâfil.

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ABRAHAMIAN, Iran beyné..., op. cit., p. 88.

227

Rédacteur en chef du journal Mosâvât.

228

Rédacteur en chef du journal Sour Ésrâfil.

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Prédicateur révolutionnaire.

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Rédacteur en chef du journal Rouh ol-Qodos.

231

Le juge révolutionnaire de la Haute Cour de justice et lřun des partisan de Seyyed Jamal od-Din Assad Abadi.

232

L'avocat révolutionnaire de Tabriz.

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Prince Mirza Yahaya, poète, dramaturge et homme d'État, fut l'un des chefs de file du mouvement constitutionnel.

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Prédicateur et écrivain constitutionnaliste persan, qui était surtout célèbre pour ses ardents sermons, revendiquant sévèrement, comme Malek al-Motakallemin, la destitution du roi. Il était le père de Seyyed Mohammad Ali Djamalzadeh, le pionnier de la nouvelle persane.

après avoir fui à Hamadan, fut arrêté et transféré à Broudjerd où, finalement, il fut empoisonné.

Une grande agitation régnait à Téhéran. Les vauriens et les troupes royalistes pillèrent le Parlement et aussi les foyers des constitutionnalistes. Les tribus occupèrent les bureaux du télégraphe. Le Chah nomma le Russe Liakhof gouverneur militaire de Téhéran. Il interdit tous les attroupements public : les réunions des anjomans, la pièce ta’ziéh 235 et la cérémonie de Tâsou’â et Âchourâ 236. De même, à Téhéran ainsi que les provinces, notamment en Azarbâijân, les gouverneurs absolutistes réprimèrent sévèrement les constitutionnalistes. Dès lors, la Constitution, la loi et le régime parlementaire furent considérés comme une hérésie, dont on condamnait les partisans à la mort. Le Chah donna également l'ordre de libérer les criminels anticonstitutionnels et ceux du coup dřÉtat manqué de décembre 1907. Ces derniers furent « accueillis chaleureusement à la capitale par presque cinq cents calèches » 237. Cette période qui dura jusqu'à la prise de Téhéran par les constitutionnalistes, en juillet 1909, fut nommée le « petit despotisme » (éstébdâdé saghir).

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BROWNE, Énqélâbé..., op. cit., pp. 222-223. Âchourâ est une tragédie religieuse, ayant pour thème central la passion de l'Imam Hoseyn, le troisième Imam selon la foi des chiřites. Il fut décapité par Chemr Zeljowchan à Karbalâ, le 10 moharram 68 après lřslam/10 octobre 680, après deux jours lutte acharnée avec l'armée de Yazid, le Calife Omeyyad. L'anniversaire de son martyre (chahâdat) fut appelé

Âchourâ et le neuvième jour de moharram (Premier jour de la bataille), Tâsou’â.

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ABRAHAMIAN, Iran beyné ..., op. cit., p. 88.

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