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CHAPITRE V : LA LITTÉRATURE DE LA RÉVOLUTION

A) Le différend entre les Partis politiques

Ayant remporté une victoire prématurée la Révolution constitutionnelle perdit son unité dès le début. Elle fut victime dřun clivage politique et idéologique entre les machrou’éh khâhâns et les machroutéh khâhâns, qui aboutit finalement à son échec. Le dissentiment venait dřune contradiction entre les lois constitutionnelles occidentales et la culture et les lois islamiques. Au nom de la religion, les machrou’éh khâhâns, et à leur tête Nouri, sřattaquèrent gravement aux principes de la Constitution, et traitèrent le parlementarisme dřhérésie et dřennemi de lřIslam. Nouri traita également le Parlement de Dâr ol-Kofr (la maison du blasphème) et boycotta la Constitution.

Le poème suivant, dont le titre est Adabiyât 404, est une évocation des événements historiques au cours de la Révolution constitutionnelle : le différend entre les deux Partis machrou’éh khâhâns et machroutéh khâhâns, le progrès et les attentes dřune société que la Constitution devait garantir, les complots du Chah, des traditionalistes et des Russes contre les révolutionnaires, les tentatives du Parti extrémiste contre le Chah, et finalement la désillusion dřune nation. Sřopposant aux anticonstitutionnalistes, Nasim Chomal sřefforce de prouver la conformité de la Constitution aux lois islamiques. Il sřoppose également aux extrémistes qui cherchaient le renversement du trône et la création dřune véritable Constitution par la force du fer, du feu et du sang. Selon lui, un changement graduel pourrait mieux acheminer le pays vers un progrès crédible.

Tant que notre cheykh est ivre Tant que notre cœur est impur

Tant que pir et dalil sont ivres et étourdis Tant que ce sot 405 est à la tête des affaires

Cette caravane sera paralysée jusquřà la résurrection Tant que le despote est à la tête des affaires

Tant que le cœur est susceptible de discorde Tant que notre peuple est contre le Roi Tant que le Roi aide les traîtres

Nous efforts épuisants seront absurdes

Cette caravane sera paralysée jusquřà la résurrection On a dit que la plume est devenue libre 406

LřIran ruiné est devenu prospère

La Constitution a renforcé les fondements Beaucoup dřécoles sont créées

404

La littérature.

405

Il fait allusion à Cheykh Fazlollah Nouri.

406

Il fait allusion à la loi anti-démocratique concernant la presse, ratifiée par le Parlement le 5 moharram 1326 hl./1908 .

Hélas, notre verre sřest heurté à la pierre

Cette caravane sera paralysée jusquřà la résurrection La constitution est le symbole du progrès

Le majlés (le Parlement) est aussi la maison du progrès Cette flamme est le flamboiement du progrès

Ce poème est la chanson du progrès Pourquoi lřIslam se déshonore

Cette caravane sera paralysée jusquřà la résurrection Dieu dit la constitution et le conseil

Le prophète le dit aussi au mollah

Il [le prophète] proclama la liberté du peuple Helas, notre cheykh dit encore

La Constitution est sur le modèle de lřEurope

Cette caravane sera paralysée jusquřà la résurrection 407 [...]

Un autre poème, intitulé lui aussi Adabiyât, qui est composé deux ans après la victoire de la Révolution, montre la désespérance dřune société dont le poète est le représentant. Il sřefforce, en premier lieu, de prouver la conformité de la Constitution aux lois islamiques, puis les bienfaits que le pays pourrait en tirer, dont lřégalité est le plus remarquable. Il reproche également à ses compatriotes de pousser la Révolution vers un échec. Pour sauver la Constitution et appliquer la loi, le poète défend, comme dřautres révolutionnaires modérés et progressistes, lřidée dřune réconciliation entre le Chah et le Parlement.

Aujourdřhui personne nřest aussi malfamé que nous Car personne nřest aussi ignorant et inconscient que nous

407

Qazvini (Guilani), Seyyed Achraf ed-Din, Nasimé Chomâl, prés. par NAFISI, Saeid, Téhéran, Sadi, 1370 / 1991, t.1, pp. 184-185. Cřest nous qui traduisons. Nos traductions, spécialement lorsequřils sřagit de poèmes, gardent parfois la trace des obscurités ou des ambiguïtés du texte initial, dont nous avons voulu conserver le plus possible la teneur.

Au point de vue science et industrie nous sommes tous impuissants et boiteux Nous sommes habiles au sophisme et à lřintrigue

On se bagarre et on lutte nuit et jour

Il nřy a pas de honte du Coran et peur de Dieu À présent, lřopinion formelle des ulémas est

Que la tyrannie est honteuse chez les sages

La constitution est conforme à la raison et à la charř 408 Celui qui le nie, il ne fait pas partie des sages

Hélas, le gémissement et le cri nřest plus efficace Lřeffort des journalistes est perdu aussi

La Constitution a bouilli et a débordé dans ce pays Car aujourdřhui on ne dit que « moi » et « nous » [...]

La Constitution ressemble à un arbre plein de fruits La justice et lřégalité sont ses compagnes

La loi fondamentale surveille le tout

Il nř y plus de distinction entre le roi, le riche et le mendiant [...]

Il y a deux ans que la Constitution a remporté la victoire en Iran Il y avait dřinnombrables dřaffiches et de tracts sur les murs

Où y a-t-il une personne qui applique la loi ? Où est la résolution de nos hommes ?

Hélas ! nous nřavons pas lřintention de faire la paix 409. [...]

Dans un poème, toujours intitulé Adabiyât, dont lřidée centrale est que : lřIran nřest pas réformable, le poète décrit une époque où le pays était marqué par lřémeute, la terreur et la discorde. Le clivage politique et les complots organisés par le camp anticonstitutionnaliste (composé des traditionalistes qui avaient à leur tête Nouri, des Russes et de Mohammad Ali Chah avec sa Cour) contre les constitutionnalistes, affaiblissaient de plus en plus le pays et créaient

408

La loi religieuse.

409

une grande désespérance. Ce camp organisa deux coups d'État au cours de la courte période de la Révolution constitutionnelle.

Selon un plan prémédité pour faire un coup dřÉtat contre la Constitution et bombarder le Parlement, le roi (coalisé avec les Russes) et les traditionalistes organisèrent, le 14 décembre 1907, une manifestation à la place ToupKhanéh. Les manifestants comprenaient des royalistes, des louttis (les vauriens), des serviteurs royaux, des Cosaques, des couches mécontentes et des traditionalistes dirigés par Nouri, Yazdi et Amoli. Afin dřexciter les manifestants, ces derniers prononcèrent de nombreux discours contre les constitutionnalistes. Puis, ils partirent vers lřécole et la mosquée Marvi où ils se mirent en grève. Le coup dřÉtat commença à la fois à Téhéran et dans la ville révolutionnaire de Tabriz, mais il se solda finalement par un échec. En juin 1908, Mohammad Ali Chah, toujours coalisé avec les Russes, organisa le deuxième coup d'État au moyen duquel il réalisa finalement son plan qui avait échoué en décembre 1907 : le (majlés) Parlement fut bombardé et les journalistes furent exécutés ou exilés. Une anarchie envahit alors le pays 410.

Hier soir un fou disait sans réprimande La maladie de lřIran est inguérissable Un sage dit : entends du fou la vérité La maladie de lřIran est inguérissable

Des quatre points, le pays est en butte à la crise et au danger Comme un malade agonisant

Avec cette ordonnance, ce malade ne guérit pas La maladie de lřIran est inguérissable

Le roi contre le peuple, le peuple contre le roi Hélas ! Hélas ! De cette calamité

Si tu veux la vérité, tous les deux sont une erreur La maladie de lřIran est inguérissable

Chacun qui est lřennemi, malveillant et contre quelquřun Il lřappelle despote

410

De cette façon, beaucoup de gens seront morts et beaucoup de sangs sera gaspillé

La maladie de lřIran est inguérissable

Sour Ésrâfil sonna 411et Sobhé saâdat 412 se leva

Molla Nasraddïn 413 arriva

Majlés et Habl ol-Matïn 414 cherchent la justice La maladie de lřIran est inguérissable

Avec tous ces journaux aucun endormi nřest réveillé Personne nřest vigilant

Ces journaux sont comme la trompette, la trompe et le karnâ 415 La maladie de lřIran est inguérissable

On remerciait [Dieu] que certaines choses aient été interdites La Constitution a réussi dans le pays

On voit encore cřest le même bol, le même potage et le même yaourt 416

La maladie de lřIran est inguérissable

Je dis à la raison : quelle est enfin la solution ? La raison péremptoire pleura aussi

Après des jérémiades, elle dit : la solution dépend de Dieu La maladie de lřIran est inguérissable

Cheykh Fazlollah dřune part et Amoli de lřautre Déploient les troupes contre le peuple

Les quatre côtés de ToupKhanéh sont le champ de bataille de notre Cheykh La maladie de lřIran est inguérissable

Tu sais quelle est lřintention de muletier dans ce tumulte ? Ce nřest pas de secourir lřIslam

411

Séraphin sonna dans sa trompette.

412

Le jour heureux.

413

Sour Ésrâfil, Sobhé saâdat, Habl ol-Matïn, Majlés et Molla Nasraddïn sont les

cinq journaux renommés de lřépoque de la Constitution. Ce dernier se publiait au Caucase.

414

Corde solide ou lien indissoluble = le Coran

415

Grande trompette.

416

Il a pour but la montre, le portefeuille et la chaîne dřor (il a intention de piller) La maladie de lřIran est inguérissable

La mosquée de Marvi était pleine de vauriens pillards Lřécole [marvi] est devenue la barricade

De cette calamité, lřâme informée est en deuil au paradis La maladie de lřIran est inguérissable

Nřimagine pas ceux qui sont assassinés par la troupe muletière Leur sang a été gaspillé

Le jour du jugement dernier est le lieu de rendez-vous où on se venge des cruels

La maladie de lřIran est inguérissable

Ô Achraf ! Chacun qui sacrifie sa vie pour cette Constitution Sa grandeur et sa dignité augmentent

Le jour du jugement dernier, les tissus de soie bordés dřÉden seront leur coussin

La maladie de lřIran est inguérissable 417