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CHAPITRE V : LA LITTÉRATURE DE LA RÉVOLUTION

D) La collusion entre les classes dirigeantes

Il [Ministre de la Guerre] vous dira aussi quřun mort croque peut-être son suaire… Alors, vous appellerez les hommes et vous prendrez chacun une pelle pointue et vous irez au cimetière ; vous creuserez les tombes une par une pour arriver au mort qui a son suaire à la bouche et le croque. À ce moment, vous lui couperez la tête dřun seul coup de pelle. Mais faites bien attention ! Il faut que sa tête se détache dřun seul coup. Sinon, le mort sřobstine contre vous. À Dieu ne plaise, il vous arrivera un grand malheur. 327

Dans un autre article, Dehkhoda accuse lřÉtat Qâjâr de maintenir volontairement son peuple dans le besoin. La misère et la famine imposées par lřÉtat sont la solution quřil a choisie pour se débrasser des revendications socio-politiques de son peuple.

Les marchands des bestiaux amenaient de nombreux moutons à la ville [Téhéran], le gouverneur de Savéh leur ordonna de retourner, de peur que le peuple débarassé de la famine ne pense à la loi fondamentale 328.

D) La collusion entre les classes dirigeantes

La vénalité des postes, qui était admise par le roi-même et qui permettait au plus offrant de l'emporter, avait, comme la conséquence, lřinefficacité des

326

Ibid., pp. 75-76. Cřest nous qui traduisons.

327

Ibid., pp. 75-76. Cřest nous qui traduisons.

328

gouverneurs et la corruption financière et administrative. Dehkhoda, après avoir mentionné ironiquement les différents postes occupés par les autorités étatiques et les chefs religieux, dévoile lřinefficacité des hauts fonctionnaires, malgré leur grand nombre, et aussi le but final quřils cherchaient. En plus, la collusion entre les autorités étatiques et le clergé, alors que ce dernier était considéré comme le seul barrage contre le pouvoir absolu du roi, menaçait de plus en plus lřintérêt public.

Le texte est composé de trois séquences. Il commence par une courte introduction à propos dřune question scientifique mais basée sur les superstitions, qui est un petit dialogue entre une mère et son enfant. Ensuite, la première séquence commence par un proverbe et un dialogue qui le suit immédiatement, entre deux personnes, sans présenter le narrateur et lřinterlocuteur. Cette séquence donne lřoccasion à lřauteur de montrer, dans la deuxième séquence, lřinefficacité et aussi la collusion des responsables de lřÉtat et de religion, en comparant les premiers au miel et les deuxièmes au melon. Finalement, dans la troisième séquence, donnant des exemples politiques, il rejette lřidée de lřincompatibilité du miel et du melon.

Ŕ Maman ! dit lřenfant. Ŕ Hein ! répondit-elle.

Ŕ Cette terre est posée sur quoi ? demanda lřenfant. Ŕ Sur la corne de la vache. Répondit-elle.

Ŕ La vache est posée sur quoi ? Ŕ Sur le poisson.

Ŕ Le poisson est posé sur quoi ? Ŕ Sur lřeau.

Ŕ Lřeau est posée sur quoi ?

Ŕ Ah ! Puisse ton intestin être coupé 329

! Combien tu parles. Tu mřennuies. ***

329

« Sept série aiguière et sept séries la cuvette, le dîner et le déjeuner rien du tout » 330

Ŕ « Ne mange pas ! Le miel et le melon sont incompatibles ». Il nřa pas écouté et il les a mangés. Après une heure, elle lřa vu qui se tordait de douleur comme un serpent »

Ŕ « Ne lřavais-je pas dit de ne pas les manger, parce quřils sont incompatible ? » dit-elle.

Ŕ « À présent, ils sont compatibles et ils complotent de me tuer » !!! répondit-il.

Je veux comparer les responsables de lřÉtat au miel et les chefs religieux au melon.

[...]

Personne ne peut nier que, parmi dix millions dřhommes, nous les Iraniens, nous avons deux millions huit cent cinquante-sept mille (2857000) vizir, émir (amir), sépah sâlâr 331, sardâr 332, amir nouyân, amir toumân, sartip, mir

panjéh 333, sarhang 334, soltân 335, yâvar 336, safir kabir 337, chârge dâfér 338, youz

bâchi 339.

330

Ce proverbe fait allusion à lřépoque où il nřy avait pas de canalisation dřeau, de sorte quřavant et après chaque repas, une bonne ou un membre de la famille apportait donc une aiguière et une cuvette afin quřon se lave les mains. On utilise ce proverbe pour exprimer lřinefficacité dřun système, dřun État, dřune équipe, etc. 331 Commandant en chef. 332 Commandant de lřarmée. 333

Titres dřofficiers supérieurs, sans équivalents en français.

334 Colonel. 335 Capitaine. 336 Major. 337 Ambassadeur en titre. 338 Chargé dřaffaires. 339 Centurion.

En plus, parmi dix millions dřhommes (que Dieu lřaccroisse) nous avons trois millions quatre cents cinquante-deux mille six cent quarante-deux (3452642)

âyatollaâh 340, hojjat ol-éslâm 341, mojtahéd 342, imâm jom’éh 343, cheykh ol-

éslâm 344, séyyéd, cheykh, mollah, âkhond, qotb 345, khaliféh 346, morchéd, pir,

dalil 347 et pichnamâz 348.

Nous avons encore parmi 10 millions dřhommes, deux millions de princes, de fils de mollah, de seigneurs, de khans, de chefs de tribu,… En plus, ces derniers temps, nous avons presque deux ou trois mille députés du Parlement, les députés de lřanjoman, les députés de la mairie, des secrétaire, des comptable, etc.

Tous ces classes que nous avons mentionnées, se résument à deux catégories : les autorités étatiques (ro’assâ-yé mellat) et les chefs religieux (owliyâ-yé

mellat) 349. Mais des deux groupes nřont quřun seul but, ils nous demandent de travailler dans la chaleur et dans le froid, de ne pas porter un bon habit, de vivre dans la misère et de leur donner notre salaire, afin quřils mangent et quřils nous protègent. Nous nřavons pas dřobjection ; que Dieu accepte leur charité ! En vérité, sřils nřétaient pas, tout serait ruiné de fond en comble ; lřhomme mangerait lřhomme ; la civilisation et lřéducation, [...] disparaîtraient. Il faut quřils soient,

340

Titre donné aux grands chefs religieux chiřites.

341

Titre donné aux chefs religieux chiřites qui sont inférieurs à Âyatollaâh.

342

Docteur de la loi religieuse chiřite.

343

Le clerc qui dirige la prière du vendredi. Les musulmans, pour montrer leur unité, font la prière le vendredi midi tout ensemble.

344

Titre dřun grand chef religieux.

345

Le titre quřon donnait autrefois à un grand chef religieux, lřéquivalent de

Âyatollaâh dřaujourdřhui.

346

Le successeur du Prophète ; calife.

347

Morchéd, Pir et Dalil étaient les titres anciens quřon donnait jadis aux guides

spirituels.

348

Celui qui dirige la prière durant la semaine.

349

mais jusquřà quand ? À mon avis, tant quřils ne complotent pas les deux ensemble contre nous 350.

Les deux premières séquences permettent à lřauteur de divulguer aux lecteurs des complots ourdis par des clercs anticonstitutionnalistes qui avaient à leur tête Cheykh Fazlollah Nouri et par lřÉtat qâjâr ainsi que les Russes contre la Constitution et le Parlement.

Puis, dans la troisième séquence, lřauteur montre lřinefficacité des classes mentionnées, en se souvenant la grandeur de la Perse antique et même de lřépoque des Safavides ; Dehkhoda condamne, en premier lieu, lřÉtat qâjâr parce quřil est incapable de garantir lřintégrité du pays et, en dernier lieu, les chefs religieux parce quřils imputent au destin la responsabilité des désordres et du déclin du pays.

Je ne dis pas quřun jour le peuple de lřIran a été la première nation du monde et alors quřaujourdřhui, grâce aux services de ces chefs dřÉtat, il est la honte de la civilisation actuelle. Je ne dis pas que les frontières de lřIran se sont étendues un jour depuis le mur de la Chine jusquřà la rive du fleuve de Danube et quřaujourdřhui, grâce à lřeffort de ces autorités étatiques, si deux rats se querellent dans la longueur et la largeur du territoire de lřIran, la tête de lřun dřeux se heurtera au mur de la frontière.

Je ne dis pas quřavec tous ces chefs qui sont nos gardiens et nos protecteurs, dix-huit villes de notre pays au Caucase furent cédées, comme tribut, aux Russes et que le reste du pays sera bientôt divisé en trois 351. Je ne dis pas quřil y a des années quřil nřexiste plus de choléra et de peste en Europe et pourquoi est-ce que nous enterrons tous les deux ans 500000 de nos jeunes hommes et jeunes femmes.

350

DEHKHODA, Čarand-o parand, op. cit., première année, n˚25, pp. 131-133. Cřest nous qui traduisons.

351

Il fait allusion au traité de 1907 qui divisait la Perse en deux sphères d'influence distinctes : la partie nord allait à la Russie tsariste et la partie sud à la Grande-Bretagne, tandis que l'aire centrale serait une zone neutre.

Je ne dis pas que, dans les siècles derniers, chaque pays a étendu ses territoires et a trouvé des colonies et alors que nous, avec tous ces chefs et ces Messieurs, nous nřavons pas même réussi à protéger notre pays.

Oui, je ne dis pas ça. Puisque je sais quřils font partie de ce qui nous était prédestiné. Ils étaient notre destin. Ils étaient tous le destin des Iraniens.

Mais oh, les justes, […] si tous les affaires doivent être réglées par le destin, la religion ou dans lřau-delà, quřest-ce que vous nous demandez donc des millions chefs et Monsieurs ? Pourquoi vous des millions commandants de lřarmée, commandants en chef et khans nous grillez sous le soleil ? Pourquoi nous avez-vous collés comme la sangsue et nous avez-avez-vous sucé le sang avec insistance ? 352