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LITTÉRATURE SOCIO-POLITIQUE DE L’IRAN CONTEMPORAIN

1. Le clivage politique entre les Partis

Après avoir remporté une victoire prématurée, un dissentiment politique et idéologique apparut dès le début de mouvement dans le camp des révolutionnaires et les divisa en deux Partis : les machrou’éh khâhâns 194 (traditionalistes) dirigés par Nouri et les machroutéh khâhâns (constitutionnalistes) qui avaient à leur tête Tabatabaï et Behbahani. La querelle provenait d'un commentaire erroné de la Constitution par les théologiens traditionalistes, qui croyaient quřelle renforcerait la religion 195. En réalité, à l'exception de quelques ulémas 196 comme Tabatabaï, qui avaient une connaissance partielle de la Constitution, la majorité des clercs la confondaient avec le républicanisme ou le matérialisme. Le mouvement perdit donc son unité dès le début.

192

ABRAHAMIAN, L' Iran beyné ..., op. cit., p. 78.

193

SOLTANIAN, Aboutaleb, Les causes de l’échec de la révolution constitutionnelle

de 1906 en Iran, Thèse de l'université de Strasbourg, 2001, p. 57.

194

Partisans des lois religieuses.

195

KASRAVI, Târikhé machroutéh..., op. cit., p. 259.

196

Le premier Parlement fut ouvert le 7 octobre 1906 (18 ch’abân 1324 hl.) et les lois furent codifiées sur la base d'une traduction de la loi fondamentale de la France et de la Belgique. Le différend entre les dirigeants entra donc dans une nouvelle phase et les querelles politiques, paralysant le régime constitutionnel, commencèrent entre les deux Partis adverses : la minorité extrémiste et fortement politisée venant notamment dřÂzarbâijân 197

, dirigée par Taqizadeh, et aussi les libéraux occidentalisés manifestant des tendances laïques dřune part, et la majorité des modérés et le clergé traditionaliste, de lřautre.

Lřapprobation de la loi fondamentale et son supplément 198

fut le nouveau champ-clos où sřaffrontèrent les deux Partis. Les traditionalistes s'opposèrent aux articles concernant lřégalité du droit public 199, la création de l'anjoman (société, association) des femmes, les attributions juridiques du clergé, lřaugmentation du nombre des députés des provinces 200

, lřinstauration des écoles publiques modernes et de lřéducation obligatoire, l'élection de députés parmi les adeptes des autres religions et la liberté de la presse 201. En plus, la contradiction entre les lois constitutionnelles occidentales et la culture et les lois

197

Aujourdřhui, il y a deux provinces en Iran qui sřappellent Âzarbâijân : Âzarbâijân de lřest et Âzarbâijân de lřouest. La première est située au nord-ouest de lřIran avec pour chef-lieu Tabriz, et la deuxième à lřouest du pays, avec pour chef-lieu Oroumiyéh.

198

L'article II du supplément donnait au clergé le droit de vote sur les lois votées. Finalement, les libéraux furent obligés d'approuver cet article, qui était en réalité une catastrophe politique, pour obtenir le soutien des traditionalistes comme Cheykh Fazlollah Nouri. Cf. SOLTANIAN, Les causes..., op. cit., p. 66.

199

Cette article se heurta à l'opposition de Nouri et Behbahani, bien que ce dernier fût l'un des dirigeants constitutionnalistes.

200

Une élection mal organisée avait permis aux représentants cléricaux d'occuper plus de 21% des sièges parlementaires.

201

ABRAHAMIAN, Iran beyné..., op. cit., pp. 84-85 et SOLTANIAN, Les causes...,

islamiques fut à lřorigine de nombreuses querelles politiques entre les réactionnaires et les révolutionnaires extrémistes. Ces derniers, voulant laïciser les lois fondamentales, suscitaient la protestation des traditionalistes et, même, le mécontentement des clercs constitutionnalistes. Les extrémistes avaient même l'intention d'éliminer ces derniers de la scène politique, malgré le soutien quřils apportaient au Parlement et à la Constitution. À l'extérieur du Parlement, des critiques virulentes que faisaient les journaux extrémistes sur les décrets religieux ravivaient de plus en plus le clivage politique existant entre les deux courants antagonistes. Le journal Sour Ésrâfil, lřun des journaux importants de lřépoque, en faisant la satire du clergé, lui demanda de ne pas se mêler des affaires politiques et lřaccusa d'accumuler les richesses et de poursuivre des intérêts matériels en recourant aux prédications religieuses. Plus tard, le même journal écrivit que : les causes essentielles du sous-développement du Moyen-Orient sont l'ignorance, les superstitions, l'obscurantisme, le dogmatisme et l'esprit borné du clergé 202. Habl ol-Matïn, l'autre journal, écrivit que : « Les lois établies depuis 1300 ans étaient pour le peuple arabe, non pour le peuple de notre temps » 203. Il y a beaucoup d'autres exemples dont nous rappellerons dans la section consacrée aux journaux. La publication de ces articles diffamatoires par les radicaux et lřabsence de réaction du Parlement suscitèrent la réaction brutale des traditionalistes et même des députés modérés du Parlement.

Par ailleurs, les clivages et les rivalités entre les dirigeants cléricaux aggravaient le fossé créé entre les révolutionnaires. Nouri et Behbahani, les deux rivaux qui étaient les théologiens officiels et réputés de la capitale, étant loin des idées modernes, se rallièrent par opportunisme à la Révolution et lui donnèrent un caractère assez conservateur. Behbahani, bien quřil se montrât constitutionnaliste, était ambitieux et fidèle à lřex-Premier ministre, Amin

202

ABRAHAMIAN, Iran beyné..., op. cit., p. 85.

203

ADAMIYAT, Freydun, Idéologieyé néhzaté machrutéh-yé Irân, Téhéran, Payâm, 1355 hs., p. 416. Cité par SOLTANIAN, Les causes..., op. cit., p. 72.

Soltan ; il se tourna vers Tabatabai et lui offrit sa collaboration politique afin de se venger dřEyn od-Dowleh, le nouveau Premier ministre. Il avait également pour but consolider sa situation face aux adversaires et non un changement radical au sein du régime absolutiste 204. Mais ce nřétait pas le cas pour Tabatabaï, lřun des deux clercs qui dirigeaient la Révolution. Celui-ci, avait des idées modernistes, grâce à fréquentation des milieux libéraux, des anjomans clandestins et des franc-maçons, ses voyages en Russie et dans lřEmpire ottoman ; et inspiré également par Seyyed Jamaloddin Asadabadi (1837-1897) 205 et aussi Cheykh Hadi Najmabadi 206, il se distinguait de son collègue Behbahani 207.

Nouri, partisan dřEyn od-Dowleh, hésitant au début, considérant la situation fragile du Premier ministre, mais se rallia aussi plus tard à la Révolution. Mais après les querelles politiques et idéologiques entre les extrémistes et les réactionnaires sur les principes de la Constitution qui divisa les députés en deux Partis: machroutéh khâhâns et machrou’éh khâhâns, Nouri mécontent à la fois de Behbahani et Tabatabai qui avaient pris la tête du mouvement et également des comportements des extrémistes et des occidentalisés, prit une position anticonstitutionnaliste et se trouva à la tête des traditionalistes. Avec la présentation d'un boudget sévère par le Parlement, Nouri, jouissant dřune influence religieuse importante, trouva rapidement des

204

MALEKZADEH, Mahdi, Énqhélâbé machrutiyat, Téhéran, ŘÉlmi, t. 1., 1373 hs., pp. 247-251.

205

Lřhomme politique iranien qui cherchait à allier politiquement les pays musulmans contre lřimpérialisme, en recourant à lřidée de panislamisme. Il luttait également contre le despotisme de lřÉtat Qâjâr.

206

Lřun des ulémas réformateurs, très célèbre à Téhéran. Il fut, comme Seyyed Jamal ad-Din Asadabadi, lřun des précurseurs du mouvement libéral en Iran.

207

HAERI, Abdolhadi, Tachayyo’ va machroutiyat dar Irân », Téhéran, Amir Kabir, 1364 hs., p. 102.

partisans parmi les classes inférieures de la société. Dans le nouveau boudget, non seulement les parlementaires diminuèrent les frais de la Cour, mais ils mirent aussi en péril la subsistance des milliers employés de celle-ci. L'approbation d'un tel boudget simultanément à l'augmentation de prix des produits alimentaires suite à une mauvaise récolte 208, et le refus, par le Parlement, de diminuer les impôts afin d'équilibrer le boudget provoquèrent le mécontentement général. Lřidée de pousser le pays vers une économie libre empêchait aussi les parlementaires de maîtriser les prix 209.

Dans le cadre du mouvement intitulé machru’éh khâhi, Nouri se réfugia avec ses fidèles, en juin 1907, au sanctuaire de Chah ‛Abdol ‛Azim. En utilisant la presse et les télégraphes, il mena pendant tout lřété une campagne médiatique contre le Parlement et la Constitution, et il réussit à faire entrer dans son camp un très grand nombre de gens pieux et de clercs, et même quelques ulémas réputés à Najaf, comme mojtahéd Seyyed Kazem Yazdi. En envoyant de nombreux télégrammes aux provinces, ils sřattaquèrent violemment aux principes de la Constitution, et traitèrent le parlementarisme dřhérésie incompatible avec lřIslam. Nouri traita également le Parlement de Dâr ol-Kofr (la maison du blasphème), et boycotta la Constitution 210 : «dans son traité, nommé Tazkarat ol-Ghâfél va Érchâd ol-Jâhél, Nouri critiqua la législation, la vote majoritaire, la délégation, la liberté de presse et dřexpression, et même la participation du peuple aux affaires politiques.»211

En sus des réactionnaires, le Parlement et la Constitution furent les victimes des anjomans et des cercles activistes sociaux-démocrates

208

ERMANI, Nazemol eslam, Tarikhé bidâri..., op. cit., t. 1, p. 234.

209

ABRAHAMIAN, Iran beyné..., op. cit., pp. 85-86.

210

SOLTANIAN, Les causes..., op. cit., p. 70, 76 et 152.

211

(Éjtémâ’iyoun-‘Âmmiyoun) 212. Ils étaient liés au Parti social-démocrate iranien du Caucase, fondé en 1905 à Baku par quelques révolutionnaires de Téhéran et de Tabriz. Ce Parti fut lui-même lié au Parti Hémmat, la puissante branche social-démocrate appartenant aux musulmans caucasiens, fondé en 1904 à Baku par Narimanov et Mohammad Amin Rasoulzadeh. Le Parti social-démocrate iranien de Caucase créa immédiatement des sections à Tabriz, Anzali, Téhéran, Machhad et Ispahan 213.