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CHAPITRE III : LE RÔLE DES PERSANS DANS LES PROGRÈS DE LA LANGUE ET DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISES DANS

4. Les traductions

Pour bien comprendre la profondeur de l'évolution de la prose et la poésie persanes, il faut analyser les différents facteurs qui y contribuèrent.

La traduction d'ouvrages européens est l'un des facteurs de cette évolution dont elle remonte à l'époque de Fath Ali Chah Qâjâr, lorsque son Premier Ministre Qaem Maqam et Abbas Mirza, le prince héritier et gouverneur de Tabriz, s'intéressèrent à la traduction d'ouvrages français et anglais. Les traducteurs persans qui tentaient, surtout jusquřau XIXe siècle, de sauver le patrimoine pahlavi en le traduisant en arabe, et de lřarabe en persan, changèrent dřobjet et ils tradiusirent des ouvrages européens. Abbas Mirza, brillant prince des Qâjârs, commanda à Mirza Reza Mohandes (un des premiers étudiants envoyés en Europe) de traduire de lřanglais des ouvrages historiques de Voltaire, Petr-e Kabir et Chârl-e davâzdahome (Pierre le Grand et Charles douze). Le

132

Ibid., p. 15. et LETAFATI, Roya, L’Iran moderne …, op.cit., p. 12. -

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choix de lřanglais venait des premiers étudiants persans envoyés en Angleterre, sous la pression de Harford Jones.

À lřépoque de Mohammad Chah également, on traduisit des œuvres françaises de lřanglais. Haji Mirza Aqasi, le Premier Ministre, aidé par Jules Richard (Khan), l'interprète français de la Cour, commanda un liste d'ouvrage français comme : « Histoire de la Révolution française de Louis Thiers, La grande Encyclopédie des Lumières, Les Caractères de Jean de la Bruyère, le Guide diplomatique de Martin (?), le Mémoire sur la guerre d'Espagne de Gabriel Suchet, lřŒuvre complet de Descartes, ... La Carte du Golfe Persique de Berchaud (?) le Dictionnaires des sciences naturelles... » 134 et bien d'autres livres.

Plus tard, un esprit brillant, nommé Mirza Taqi Khan Amir Kabir, jeta les bases d'un profond renouveau intellectuel en réalisant un projet autrefois caressé par Abbâs Mirza. Le Dâr ol-Fonoun, créé par celui-ci, encadré par des professeurs étrangers, autrichiens, prussiens, belges et français par la suite, aussi d'autres grandes écoles comme Madréséhyé Nézâmi et Madréséhyé Siâasi, rendirent nécessaire la traduction de nombreux ouvrages scientifiques et techniques 135. Le français, qui semblait la seule langue étrangère commune possible, changea la situation en faveur de la France et on traduisit cette fois directement du français. Cette tâche fut effectuée grâce à la collaboration dřélèves et de professeurs iraniens de Dâr ol-Fonoun, mais aussi par les étudiants rentrés de l'Europe, par les élèves des écoles étrangères et les étrangers au service de l'État 136. Parallèlement à Dâr ol-Fonoun, on créa Dâr ot-Tarjoméh (un centre de traduction) et Matba’ayé dowlati (imprimerie d'État), et on y traduisit et publia de nombreux ouvrages. Ainsi, un « mouvement de

134

NATEGH, « Un roi… »

135

BALAY et CUYPERS, Aux sources…, op. cit., p. 20, 29.

136

traduction » (Néhzaté tarjomé) commença. Parmi les traducteurs plus connus jusqu'à la Révolution constitutionnelle (1905-1906), on peut mentionner Mohammad Taher Mirza, Mohammad Hassan Khan Eřtemad os-Saltaneh, Mirza Habib Esfahani, Mirza Agha Khan Kermani, Mirza Ali Khan Nazem ol-Oloum, Mirza Reza Mohandes, etc. Le choix des traductions était dřabord conforme aux besoins de lřenseignement : sciences et technique militaires, matières générales (géographie, histoire, grammaire). Mais, peu à peu, on a tenté de traduire des œuvres littéraires ou philosophiques comme : Les Aventures de Télémaque de Fénelon 137, Le Discours de la méthode 138 de Descartes, Paul et Viriginie 139 de Bernardin de Saint-Pierre, La Chaumière indienne 140 du même auteur, Le Capitaine Hatteras et Le tour du monde en quatre-vingts jours 141de Jules Verne Les Aventures de Rocambole de Ponson du Terrail 142, Les Mémoires de Mademoiselle Montpensier 143, Les Mystères de Paris 144 d'Eugène Sue, Les

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Traduction de Mirza Aqa Khan Kermani (ou selon Homa Nategh, Mirza Ali Khan Nezam ol-Olama), Téhéran, 1324 hq. Puisque les conditions et les règles de royauté était les sujets en question dans cette œuvre, Nasereddin Chah furieux, ordonna mettre tous les volumes de cette traduction dans la cave de Dâr

ol-Fonoun, afin qu'ils pourrissent. À l'époque de Mozaffareddin Chah, on relia et

publia les feuilles intactes.

138

Sous le titre de Kétâbé Dyâkârt ou Hékmaté Nâséri, Traduction de Mollah Laleh zar et du Comte de Gobineau, Téhéran, 1279 hq.

139

Sous le titre de Echq va Éffat, Traduction de Mirza Hossayn Khan Zaka ol-Molk (Mirza Hossayn Froughi).

140

Sous le titre de Kolbéyé héndi, Traduction de Mirza Hossayn Khan-e Zaka ol-Molk, Téhéran, 1322 hq.

141

Sous le titre de, Safaré Hachtâd Ruzéh Dowré Donyâ, Traduction de Mirza Hossayn Khan Zaka ol-Molk, Téhéran, 1316-17 hq., rééd. Téhéran, 1329 hq.

142

Traduction de Haji Qoli Khan Sardâr Asřad, Téhéran, 1323 hq.

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Misérables de Victor Hugo 145, L'Esprit des lois 146 de Montesquieu, et roman Les amours de Faublas de Louvet de Couvrai, traduit par plusieurs personnes à partir de nombreux manuscrits. La loi fondamentale de la France fut traduite aussi par Mostachar od-Dowleh, sous le titre de Résâléyé yék kalaméh, ce qui lui coûta d'être prisonnier et torturé. Mentionnons encore le théâtre de Molière, qui a joué un rôle important dans lřévolution du théâtre et du drame en Iran et aussi celle des romans : Le Comte de Monte Cristo 147, La Reine Margot 148 et Les trois Mousquetaires 149 dřAlexandre Dumas et La Dame aux camélias dřAlexandre Dumas fils, qui sont de bons exemples de traduction de ces romanciers. Les romans des deux Alexandre Dumas éaient vus comme des romans révolutionnaires en Perse et tenaient une place privilégiée chez les libéraux persans. Cřest ainsi que, les romanciers persans de la première moitié du XXe siècle furent influencés par les écrits de ces deux écrivains.

Parmi les pièces de Molière, on peut mentionner Le médecin malgré lui 150, L'avare 151 ou Le mariage forcé 152, qui furent mis en scène au cours de la 144

Sous le titre de Râzé Paris, Traduction dea Mohammad Taher Mirza Eskandary, 1310-11 hq.

145

Sous le titre de Binavâyân, Traduction de Mirza Yusef Khan Eřtasam ol-Molk.

146

Sous le titre de Rouh ol-Gavanin, Traduction de ?

147

Traduction de Mohammad Tâher Mirza Eskandary, Téhéran, 1316 hq.

148

Sous le titre de Malakéyé Margot, Traduction de Mohammad Taher Mirza Eskandary.

149

Sous le titre de Seh Tofangdâr, Traduction de Mohammad Taher Mirza Eskandary.

150

Tabib Éjbâri, Traduction de Mohammad Hassan Khan Eřtemad os-Sltaneh,

Téhéran, 1322 hq.

151

Sous le titre de Khasis.

152

Sous le titre de ‘Aroussiyé Éjbâri, Traduction de Mohammad Hassan Khan Eřtemad os-Sltaneh, 1329 hq.

Révolution constitutionnaliste à Tabriz; ou encore Le Misanthrope 153, qui fut censuré pendant vingt ans par le gouvernement ottoman, malgré la médiation de E.G. Browne 154. En Iran, ce théâtre nřa également pas pu obtenir lřautorisation de publication. Il faut dire que Molière, considéré surtout comme critique social, apparaissait comme un critique politique en Iran. Cřest pourquoi le théâtre de Molière, surtout Le Misanthrope, heurtait le censeur du gouvernement 155.

Parmi les traductions dřouvrages historiques, on peut mentionner : L'histoire de Frédéric Guillaume 156 de Bosuřé, Napoléon III 157 de F. Masson, Louis XIV et son siècle 158 et Henri III et sa Cour 159 d'Alexandre Dumas, Le Siècle de Louis XIV 160, L'Histoire de Charles XII 161 et Histoire de l'empire de Russie sous Pierre le Grand, 1759-1763 162 de Voltaire, L’Histoire de Napoléon premier 163, et encore L’Histoire de Napoléon le grand 164 et L’Histoire du siège

153

Sous le titre de Mardom Goriz, traduction de Mirza Habib Esfahani, résidant à Istanbul.

154

Historien et orientaliste anglais.

155

NATEGH, Kârnâmé… op. cit., p. 57.

156

Sous le titre de Tarikhé Frédrik Giyoum, Traduction de Mohammad Tâher Mirza Eskandary, Téhéran, 1317 hq.

157

Sous le titre de Nâpléoun dar Khanéyé khod, Traduction de Mohammad Taher Mirza Eskandary, 1313 hq.

158

Traduction de Mohammad Taher Mirza Eskandary et Sardâr Asřad.

159

Sous le titre de Sargozashté Hanriyé sévvom, Traduction de Sardâr Asřad.

160

Traduction de Ali Qoli Kachani, en 1289 hq.

161

Traduction de Mirza Reza Mohandes.

162

Sous le titre de Pétré Kabir, Traduction de Mirza Reza Mohandes.

163

Sous le titre de Târikhé Nâpoléon Avval, Traduction de Mirza Reza Tabrizi Mohandes Bachi.

164

Traduction de Eřtezad os-Saltaneh, ministre des Sciences et directeur du Dâr

de Paris 165 de Jean-Louis-Ernest Messonier, L'Histoire de Gil Blas de Santillane 166 d'Alain René Lesage, le Mémorial de Sainte-Hélène 167 d'Emmanuel comte de Las Cases, Décadence et chute de l'Empire de Rome 168 d'Edward Gibbon, etc. Il y a eu tant de traductions à cette époque quřil nřest pas possible de les mentionner toutes. Ce qui nous importe ici, cřest surtout lřinfluence de ces traductions sur la littérature persane contemporaine.

Le choix des traductions est parfois étonnant, car les ouvrages choisis ne sont pas obligatoirement les plus connus dans leur pays dřorigine. Il semble être « livré au hasard des goûts et des expériences individuelles » 169, ou se faire conformément à la situation socio-politique du pays. Le traducteur persan s'intéresse beaucoup aux romans d'Alexandre Dumas et même aux Mémoires de Mademoiselle Montpensier, mais les ouvrages de grands écrivains comme Balzac, Flaubert et Stendhal sont absents des traductions persanes.

A la traduction, on ajoutait parfois une partie, en fonction de la situation socio-politique de l'Iran. La partie ajoutée concernait plutôt sur la liberté, l'égalité, le droit de l'homme, la tyrannie des rois, l'injustice sociale, l'incapacité des ministres, etc. On ajoutait aussi parfois des versets du Coran et des proverbes

165

Reza RICHARD a traduit le premier tome et le deuxième tome fut traduit par Mohammad Kazeme, le professeur de Dâr ol-Fonoun.

166

Traduction de Mirza Habib Esfahani.

167

Sous le titre de Târikhé Sainte-Hélène, Traduction de Ali Khan, le fils de Mohammad Taher Mirza Eskandary.

168

Sous le titre de Enhétât va soghouté Émpérâtouriyé Roum,Traduction de Mohammad Taher Mirza Eskandary, 1247 hq. « L'ouvrage suscitant la colère de Fath Ali Chah qui y voyait sans doute une leçon trop sévère faite à l'administration du royaume, en interdit la publication et la traduction ne fut jamais achevée. » Cf. BALAY et CUYPERS, Aux sources…, op. cit., P. 28.

169

persans. Le traducteur persan était également d'avis d'utiliser les noms persans au lieu des noms européens.

Avec la traduction d'ouvrages européens, surtout le français, la prose persane adopta un langage « souple, coulant et pourtant plein d'élégance et fascinant » 170. Les traducteurs, obligés d'imiter le style du texte original, évitaient donc les expressions emphatiques et rimées qui jusquřalors étaient obligatoire dans la prose persane, dont elles faisaient aussi la valeur du texte littéraire. Ainsi, la prose persane fit les premiers pas vers la simplicité et l'écrivain persan, qui jusqu'à cette époque n'écrivait que pour un cercle restreint de lettrés, commença à écrire pour la masse le plus grand nombre.

Conclusion

En sus des écoles modernes, d'autres facteurs comme lřenvoi des étudiants en Europe, lřadoption de lřimprimerie, la fondation du Dâr ol-Fonoun (lřécole polytechnique) et la traduction des ouvrages européens contribuèrent à l'évolution de la prose et la poésie persanes. La fondation du Dâr ol-Fonoun, en particulier, rendit nécessaire la traduction dřouvrages européens. Par la suite, un «mouvement de traduction» (néhzaté tarjomé) commença et, avec lřadoption de lřimprimerie, des livres scientifiques, des romans, des nouvelles, des journaux ... sont successivement apparus.

Tous ces éléments ont donc contribué à lřapparition des nouveaux genres littéraires, le roman et la poésie moderne, et également à lřévolution de fable et de drame persans.

Dans la prose, les traducteurs, obligés respecter le style du texte initial, adaptèrent un langage souple et coulant, ils évitèrent les expressions

170

NIKITIN, B., « Les thèmes sociaux dans la littérature persane moderne », Oriente moderno, t. 34, n° 5.

emphatiques et rimées, et ils écrivirent pour la masse. Les thèmes socio-politiques provenant de la Révolution française furent aussi introduits dans la prose et la poésie persanes.

Dans la poésie, toujours dans le style classique, les poètes persans commencèrent à l'époque de la Révolution constitutionnelle à adopter les nouveaux thèmes socio-politiques. Cette littérature fut nommée « la littérature constitutionnelle » (Adabiyâaté Machrouté). Plus tard, Nima Youchij (Youshij), influencé par Alfred de Musset, créa la pésie moderne (ch’éré now), qui fit évoluer la poésie classique.