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Topographie scolaire

Dans le document La République a-t-elle encore un sens? (Page 151-157)

L’école, telle qu’elle est conçue dans le cadre du modèle républicain français, et conformément à l’intention émancipatrice initiée par Condorcet, a essentiellement deux missions : la formation du citoyen d’une part, et la formation professionnelle d’autre part.

La première exige qu’au terme de son parcours dans le système éducatif, l’individu soit suffisamment instruit pour comprendre le monde dans lequel il vit et pour participer à la vie de la Cité. Il serait alors en mesure de contrôler ses représentants, au lieu d’être contrôlé par eux574

. Il devrait également partager un ensemble de valeurs575 qui le

573

Nous nous intéressons ici à la configuration de l’endroit où les savoirs sont transmis, de manière à confronter le projet éducatif à la verità effetuale de sa mise en œuvre.

574 « Il faut non seulement que chaque homme soit instruit des nouvelles lois qui sont proposées ou

promulguées, des opérations qui s’exécutent ou se préparent dans les divers branches de l’administration, qu’il soit toujours en quelque sorte au courant de la législation sous laquelle il doit vivre ; il faut de plus que si l’on agite de nouvelles questions politiques, si l’on cherche à fonder l’art social sur de nouveaux principes, il soit averti de l’existence de ces questions, des combats d’opinions qui s’élèvent sur ces principes. Comment, en effet, sans cette instruction pourrait-il connaître et les hommes par qui sa patrie est gouvernée et ce qu’elle en doit attendre, savoir quels biens ou quels maux on lui prépare à lui-même ? Comment sans cela une nation ne resterait-elle pas divisée en deux classes, dont l’une, servant à l’autre de guide, soit pour l’égarer, soit pour la

conduire, en exigerait une obéissance vraiment passive, puisqu’elle serait aveugle ? Et que deviendrait alors le peuple ? sinon un amas d’instruments dociles que des mains adroites se disputeraient pour les rejeter, les briser, ou les employer à leur gré. » (Condorcet, Troisième mémoire, sur l’instruction commune pour les hommes, in Cinq mémoires sur l’instruction publique, Paris, Flammarion, 1994, pp. 184-185.)

575 L’école de la République ne s’est jamais départie d’une certaine ambiguïté quant aux valeurs dont il est

question ici ; qu’elle s’appelle « Instruction publique » ou « Education nationale » (voir note 236, p. 61), il lui arrive effectivement d’inculquer des opinions, contrairement à ce que préconisait Condorcet (voir note 114, p. 34), au détriment de la formation critique qui permet précisément, dans le droit fil des Lumières, de les mettre en question. Ainsi, la représentation courante selon laquelle la France aurait mis « longtemps à faire son unité » véhiculée dans certains manuels scolaires (voir note 199, pp. 52-53) : l’histoire telle qu’elle est enseignée servirait essentiellement à imposer une image de la nation - et par suite de la Nation - qui ne serait pas autre chose qu’un mythe fondateur. Nous serions alors plus proches de la Cité se bornant à assurer la cohésion de ses membres, éventuellement en s’appuyant sur un nationalisme belliqueux et sur une adhésion à l’expansionnisme, que de l’application du projet libéral et individualiste émancipateur.

« […] Si l’instruction a pour but d’éclairer le peuple et de le préparer à exercer un métier, l’éducation a aussi une fonction directement politique : instituer en nation une foule d’individus. […] », écrit Pierre Rosanvallon (L’Etat en France de 1789 à nos jours, Paris, Seuil, 1990, p. 108).

La modernité républicaine supposerait au contraire de substituer les faits aux croyances, et de ne rien cacher des divisions ayant précédé la formation de l’Etat que nous connaissons aujourd’hui, quitte à proposer leur dépassement, par exemple dans le cadre plus large de la construction européenne. Condorcet, du reste, s’élève contre l’enseignement d’un quelconque mythe national :

« On a dit que l’enseignement de la constitution de chaque pays devait y faire partie de l’instruction nationale. Cela est vrai, sans doute, si on en parle comme d’un fait ; si on se contente de l’expliquer et de la développer ; si, en l’enseignant, on se borne à dire : Telle est la constitution établie dans l’Etat et à laquelle tous les citoyens doivent se soumettre. Mais si on entend qu’il faut l’enseigner comme une doctrine conforme aux principes de la raison universelle, ou exciter en sa faveur un aveugle enthousiasme qui rende les citoyens incapables de la juger ; si on leur dit : Voilà ce que vous devez adorer et croire, alors c’est une espèce de religion politique que l’on veut créer ; c’est une chaîne que l’on prépare aux esprits, et on viole la liberté dans ses droits les plus sacrés, sous prétexte d’apprendre à la chérir. Le but de l’instruction n’est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger. Il ne s’agit pas de soumettre chaque génération aux opinions comme à la volonté de celle qui la précède, mais de les éclairer de plus en plus, afin que chacune devienne de plus en plus digne de se gouverner par sa propre raison.

[…] » (Condorcet, Premier mémoire, nature et objet de l’instruction publique, in Cinq mémoires sur l’instruction publique, Paris, Flammarion, 1994, p. 93.)

Par conséquent, les valeurs transmises par l’école ne devraient pas tant servir la persistance d’un lien communautaire réducteur des singularités individuelles que contribuer au développement d’un lien-média permettant l’échange rationnel entre les individus et favorisant le vivre ensemble.

Ajoutons que la mise en avant traditionnelle d’une République centralisatrice « une et indivisible », alimentée par la fiction d’une Nation garante de l’égalité de tous, est d’autant plus improductive qu’elle participe en réalité à l’abandon du projet individualiste émancipateur et au développement des inégalités. L’obsession de l’unité linguistique qui en découle, contre les « particularismes » (cf. Barère de Vieuzac, voir p. 61), est symptomatique. Si le diagnostic est juste concernant le risque d’une inégalité de fait dans l’exercice de la citoyenneté due à l’inégalité dans la maîtrise de la langue officielle, il tombe en revanche dans l’erreur en se focalisant sur l’idiome national ; car le vecteur d’une telle inégalité entre « savants » et « ignorants », ce n’est pas tant la pratique de langues autres que le français sur l’ensemble du territoire que la pratique de plusieurs langues au sein même de la langue française. L’individu qui ne possède qu’un vocabulaire réduit à 300 ou 500 mots peut bien s’exprimer en français, il ne parle effectivement pas la même langue que l’individu instruit qui en possède 2000 à 3000 et qui est capable de les utiliser pour structurer sa pensée :

« Il y a une loi simple en linguistique : moins on a de mots à sa disposition, plus on les utilise et plus ils perdent en précision. On a alors tendance à compenser l’imprécision de son vocabulaire par la connivence avec ses interlocuteurs, à ne plus communiquer qu’avec un nombre de gens restreint. La pauvreté linguistique favorise le ghetto ; le ghetto conforte la pauvreté linguistique. En ce sens, l’insécurité linguistique engendre une sorte d’autisme social. Quand les gamins de banlieue ne maîtrisent que 800 mots, alors que les autres enfants français en possèdent plus de 2500, il y a un déséquilibre énorme. Tout est “cool”, tout est “grave”, tout est “niqué”, et plus rien n’a de sens. Ces mots sont des baudruches sémantiques : ils ont gonflé au point de dire tout et son contraire. “C’est grave” peut signifier “c’est merveilleux” comme “c’est épouvantable”. », souligne le linguiste Alain Bentolila (entretien à L’Express du 17 octobre 2002).

relieraient aux autres composantes de l’association politique, et qui assureraient son intégration dans l’espace commun576

.

La seconde consiste dans l’acquisition d’une qualification577 qui, associée à l’égalité des chances, lui permettrait éventuellement de s’arracher au milieu social dont il

Là où le jacobinisme se satisferait de l’officialisation du français sur tout le territoire, le projet libéral, lui, mettrait davantage l’accent sur la nécessité pour chaque individu de posséder le vocabulaire et les outils intellectuels qui lui procureraient un réel accès à l’autonomie.

576 « […] De Condorcet à Jules Ferry, de Mirabeau à Ferdinand Buisson, un même fil guide ainsi toutes les

réformes successives en matière d’éducation : l’obsession de former des citoyens, c’est-à-dire des individus préparés à la vie collective, conscients de leur communauté de destin. Tâche qui est toujours perçue comme une forme indispensable de prévention et de correction des risques permanents de dissolution et de décomposition d’une société d’individus. […] » (Pierre Rosanvallon, L’Etat en France de 1789 à nos jours, Paris, Seuil, 1990, p. 108.)

Le sens à donner à l’« intégration dans l’espace commun », comme aux « valeurs », demeure ambigu. Chez Ferry, il renverrait à l’appartenance du citoyen à la Nation, et ne serait alors pas sans rappeler la primauté de la collectivité telle que la concevait les Anciens :

« L’instruction primaire est le ferment de l’unité nationale. […] Il importe à une société comme la nôtre, à la France d’aujourd’hui, de mêler sur les bancs de l’école les enfants qui se trouveront plus tard mêlés sous le drapeau de la Patrie. » (Jules Ferry, Discours à la Chambre des députés, décembre 1880.)

Concernant Condorcet, nous nous montrerons une fois encore plus réservés, puisqu’il s’inscrit clairement dans la modernité en rejetant toute subordination de l’individu à l’Etat :

« […] On trouve chez les anciens quelques exemples d’une éducation commune où tous les jeunes citoyens, regardés comme les enfants de la république, étaient élevés pour elle, et non pour leur famille ou pour eux- mêmes. Plusieurs philosophes ont tracé le tableau d’institutions semblables. Ils croyaient y trouver un moyen de conserver la liberté et les vertus républicaines, qu’ils voyaient constamment fuir, après un petit nombre de générations, les pays où elles avaient brillé avec le plus de splendeur ; mais ces principes ne peuvent s’appliquer aux nations modernes. Cette égalité absolue dans l’éducation ne peut exister que chez des peuples où les travaux de la société sont exercés par des esclaves. […] » (Condorcet, Premier mémoire, nature et objet de l’instruction publique, in Cinq mémoires sur l’instruction publique, Paris, Flammarion, 1994, p. 82.)

577 Il n’est pas rare de voir le rôle de l’école réduit à sa dimension professionnalisante, en particulier lorsqu’il

est question de filières destinant l’élève à une entrée rapide dans la vie active. André Moreau, dans mes Dernières nouvelles du front, enseigne le français en Lycée Professionnel et relève les poncifs les plus courants : « La remarque que j’avais moi-même laissé échapper naguère, en tant qu’élève, et dont je mesurais désormais la bêtise, était la suivante :

“A quoi l’histoire, par exemple, me servira-t-elle dans mon travail si je deviens boulanger ?”

Comme si l’individu se réduisait à l’activité dont il tirait une rémunération. » (Dernières nouvelles du front. Choses vues dans un système éducatif à la dérive, Paris, L’Harmattan, 2008, p.47.)

Si l’instruction est indispensable à l’individu pour la conduite de ses propres affaires, elle l’est tout autant pour sa participation aux affaires de la Cité. Dans un régime représentatif, le gouverné doit ainsi être en mesure de comprendre les questions traitées par les gouvernants, sous peine, comme le craignait Condorcet, et même Constant, de s’en remettre à eux aveuglément. Négliger la formation du citoyen à l’école, y compris dans des filières réputées « manuelles », équivaudrait de fait à l’exclure de la citoyenneté elle-même, et à rompre l’égalité civique acquise depuis la Révolution.

Alain, sous la Troisième République, pointe lui aussi ce danger :

« […] Péril imminent, contre quoi ils ont trouvé déjà la représentation proportionnelle, en attendant l’enseignement professionnel, qui remettra les citoyens à la chaîne. Citoyens, tâchez de bien saisir cette Révolution des bureaucrates contre le Peuple. Et méfiez-vous ; l’adversaire a plus d’un tour dans son sac. » (Propos sur les pouvoirs (4 juin 1910), Paris, Gallimard, 1985, p. 80.)

Il ne s’agirait pas pour autant d’ambitionner la création d’une sorte de « République des intellectuels ». Condorcet, pour sa part, se rend bien compte que tous n’ont pas vocation à se consacrer aux activités de l’esprit. Chacun devrait néanmoins disposer d’un socle de connaissances suffisant pour, en sus de son travail, s’intéresser à la chose de tous :

« Je n’ai point la prétention de vouloir changer en publicistes les vingt-quatre millions de citoyens actifs qui, réunis sous une loi commune, veulent être libres de la même liberté ; mais, dans cette science comme dans toute autre, quelques heures d’attention suffisent souvent pour comprendre ce qui a coûté au génie des années de méditation. […] » (Troisième mémoire, sur l’instruction commune pour les hommes, in Cinq mémoires sur l’instruction publique, Paris, Flammarion, 1994, p. 185.)

Cette dimension civique de l’enseignement figure explicitement dans les textes régissant les programmes mis en œuvre dans les Lycées Professionnels. Ces derniers, au-delà de la diversité des filières débouchant sur une

serait originaire, afin de prétendre à une place plus avantageuse en rapport avec le talent dont il ferait preuve. La République ne promettrait aucunement de supprimer les inégalités de conditions ; elle refuserait en revanche l’enfermement du sujet dans une catégorie donnée, et fonctionnerait comme un démultiplicateur de perspectives. Il deviendrait possible à l’individu de passer d’un cercle à un autre, grâce à l’appropriation de compétences particulières. L’institution scolaire, plus que toute autre, serait le moyen d’honorer cette promesse individualiste, et elle représenterait à ce titre la condition primordiale de la réussite du programme d’affranchissement libéral.

Dans une telle perspective, l’école, en tant que tópos, ne pourrait qu’être laïque ; c’est-à-dire qu’il s’agirait d’un lieu de transmission des savoirs maintenu à l’abri des groupes de pressions. L’établissement, en quelque sorte situé « hors du monde »578, préserverait l’élève de tout ce qui serait susceptible d’empêcher sa sortie hors de l’état de tutelle579

. Il

s’apparenterait à un territoire neutre. Une neutralité définie, et c’est là que nous retrouverions un lien universalisant, ou une res publica, par ce qui est partageable et utilisable par chacun, en tant que sujet usant de son entendement, à savoir la raison. Il s’agirait d’acquérir un discours rationnel. Les Lumières, c’est savoir bien user de son jugement pour raisonner et aboutir à des propositions vraies au regard de la raison :

« C’est par la découverte successive des vérités de tous les ordres, que les nations civilisées ont échappé à la barbarie et à tous les maux qui suivent l’ignorance et les préjugés. C’est par la découverte des vérités nouvelles que l’espèce humaine continuera de se perfectionner. […] »580

entrée rapide dans la vie active, incluent effectivement toujours une initiation à la citoyenneté liant les individus qui y sont scolarisés à ceux qui suivent des études à proprement parler « générales ». Le Programme d’histoire de Bac Professionnel arrêté le 9 mai 1995 stipulait de cette manière :

« Les capacités et les aptitudes à développer doivent leur permettre de se situer dans ce monde, de s’insérer dans la société contemporaine où ils vivent, de mieux comprendre les problèmes qui s’y posent, d’exercer des droits et de respecter les devoirs de l’homme et du citoyen. » (Bulletin officiel n° 11 du 15 juin 1995 publié dans le Journal officiel du 17 mai 1995.)

Et aujourd’hui, dans le Socle commun de connaissances et de compétences, qui sert de référence aussi bien pour l’enseignement primaire que pour l’enseignement secondaire, et pour les filières générales et technologiques que pour les filières professionnelles :

« Savoir lire, écrire et parler le français conditionne l’accès à tous les domaines du savoir et l’acquisition de toutes les compétences. La langue française est l’outil premier de l’égalité des chances, de la liberté du citoyen et de la civilité : elle permet de communiquer à l’oral comme à l’écrit, dans diverses situations ; elle permet de comprendre et d’exprimer ses droits et ses devoirs.

Faire accéder tous les élèves à la maîtrise de la langue française, à une expression précise et claire à l’oral comme à l’écrit, relève de l’enseignement du français mais aussi de toutes les disciplines. Chaque professeur et tous les membres de la communauté éducative sont comptables de cette mission prioritaire de l’institution scolaire.

[…] » (Bulletin officiel n° 29 du 20 juillet 2006 publié dans le Journal officiel du 12 juillet 2006.)

578 On a pu parler de « sanctuaire républicain », c’est-à-dire d’un lieu où l’individu serait à l’abri des groupes

de pressions de tous ordres (politique, religieux, économique…) qui agiraient à l’extérieur et qui pourraient le mettre sous tutelle. La circulaire interministérielle du 12 décembre 1989 stipule d’ailleurs :

« […] l’exercice de la liberté de conscience […] impose que l’ensemble de la communauté éducative vive à l’abri de toute pression idéologique ou religieuse. » (Déjà cité note 223, p. 58.)

579 D’où l’interdiction de toute manifestation religieuse dans l’enceinte des établissements scolaires publics.

La foi renvoie à une vérité révélée qui, par définition, ne se prouve pas ; aussi impliquerait-elle, si elle était imposée à autrui, non pas une démonstration mais quelque chose d’arbitraire.

C’est pourquoi elle se situe hors du champ où l’individu peut prendre du recul par rapport au monde et apprendre à exercer sur lui un regard critique. Si le dogme entrait dans l’école, cela en serait fait de la République et du projet libéral émancipateur, car leur lieu d’application se verrait territorialiser par ce qui romprait la res publica.

580 Condorcet, Premier mémoire, nature et objet de l’instruction publique, in Cinq mémoires sur l’instruction

Le savoir (« je sais que je ne sais pas ») s’oppose au préjugé (« je crois savoir alors que je ne sais pas »)581. Par le biais d’une démonstration, tout individu qui suit une démarche rationnelle peut s’accorder avec autrui sur la justesse d’une proposition et la communiquer à d’autres êtres rationnels. Lorsque l’élève bénéficie d’un tel retrait, il dispose d’un recul qui lui permet précisément d’examiner, de critiquer et de juger ce qui se trouve au- delà des murs de son école, de son collège ou de son lycée. Mis en position d’exercer les outils intellectuels et de recourir aux repères culturels dont il a fait l’acquisition, il peut en d’autres termes soumettre à son entendement tous les discours extérieurs, au lieu d’être soumis à leur influence. C’est-à-dire qu’une fois hors de l’école, il se trouve dès lors en mesure de choisir librement d’adhérer ou non à une croyance ou à une idée. Une telle acquisition de l’autonomie par l’école, véritable bras armé des Lumières, ferait de cette dernière le moyen d’assurer le triomphe de ce gouvernement par la raison qu’est la république. Les lois concernant la laïcité, celle de 1905 comme les suivantes, ne sont à cet égard rien d’autre que des actes de territorialisation ou de reterritorialisation de la République.

Cependant, comment est-il envisageable d’organiser l’instruction d’une masse d’individus dans un grand Etat, et le projet éducatif des républicains est-il seulement applicable ? Pour qu’un tel projet puisse aboutir, il faudrait que les professeurs en charge de sa mise en œuvre dispose des conditions leur permettant d’enseigner. Mais les républicains se sont-ils bien interrogés sur les conditions mêmes de la mise en place d’un système éducatif permettant d’atteindre une telle exigence ? Se sont-ils bien demandés s’il suffisait de décréter qu’il fallait instruire pour que le citoyen soit effectivement instruit ?

Les Lumières, optimistes, semblent d’abord avoir cru qu’il suffisait d’instruire, c’est-à-dire de mettre les enfants à l’école, pour atteindre « l’égalité d’instruction » chère à Condorcet. Renouvier, au dix-neuvième siècle, a pour sa part relevé que l’inégalité des aptitudes posait la question des méthodes auxquelles il fallait recourir pour transmettre les savoirs, et plus généralement de l’organisation même de l’institution scolaire. Mais il l’a aussitôt éludée en se bornant à rappeler qu’il n’était que philosophe, et nullement administrateur582. A ce dernier, donc, de mettre en place un système éducatif satisfaisant.

Les lois Ferry de juin 1881 et de mars 1882 imposent un enseignement primaire laïc, gratuit et obligatoire de 7 à 13 ans. Elles permettent de scolariser la totalité des enfants et

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