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De la servitude volontaire

Dans le document La République a-t-elle encore un sens? (Page 196-200)

Si nous considérons que la gestion des masses dans un grand Etat, ou à plus forte raison dans une structure d’envergure internationale, ne peut qu’être tributaire du comportement des intermédiaires entre le sommet et la base de l’édifice administratif, alors il nous faut envisager que la république puisse se révéler non pas impossible, mais du moins aléatoire. Les Encyclopédistes avaient probablement vu juste : elle dépendrait des contingences dans le gouvernement et dans la délégation de l’autorité718. A chaque barreau de l’échelle institutionnelle, nous rencontrerions une multitude d’agents capables de créer un labyrinthe pour y perdre l’intérêt général et qui, échappant à tout contrôle, ne serviraient qu’eux-mêmes quitte à asservir les autres. Il deviendrait indispensable de distinguer à chaque niveau, dans une telle optique, ce qui relèverait de la sphère d’action non immédiate d’un responsable de ce qui relèverait seulement de sa sphère d’action immédiate. Tandis que la seconde comprendrait l’ensemble des choses sur lesquelles il pourrait physiquement agir, la première rassemblerait les objets qui, y compris lorsqu’ils seraient officiellement soumis à son autorité, nécessiteraient dans les faits le recours à des collaborateurs pour être atteints. A cet égard, la puissance du décideur occupant le haut de la pyramide paraîtrait

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considérablement réduite, puisqu’elle serait conditionnée par la pratique des délégués chargés de la mise en œuvre.

Dans la République, le président, les ministres et les hauts fonctionnaires d’une part (l’exécutif), et les députés et les sénateurs d’autre part (le législatif), ne gouverneraient dès lors pas véritablement, dans la mesure où l’application de tel décret ou de telle loi renverrait à leur sphère d’action non immédiate. En d’autres termes, ils ne se trouveraient nullement en mesure de vérifier le devenir de la volonté politique, qui est pourtant censée traduire celle du peuple, sur le « terrain ». Ils pourraient du reste ignorer sa perte, puisque leur connaissance de la verità effetuale dépendrait en partie des synthèses qui leur seraient communiquées par leurs collaborateurs, ou par les échelons inférieurs de la hiérarchie. Or, l’intermédiaire qui se livrerait au piratage institutionnel, de par sa position d’insider, maîtriserait la circulation de l’information émanant de sa sphère d’action immédiate, et disposerait par conséquent des moyens de faire remonter vers les échelons supérieurs de la hiérarchie une représentation falsifiée de la réalité, destinée à couvrir ses agissements. Il résulterait d’une telle configuration qu’il appartiendrait au bout du compte au gouverné lui- même, bien plus qu’au gouvernant, de conserver la res publica719

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En effet, seul celui qui évolue dans la sphère d’action immédiate d’un individu peut influer sur ce qu’il s’autorise à y pratiquer. A lui de cautionner, ou au contraire de réprouver, ce dont il est le témoin.

C’est la leçon de La Boétie sur la servitude volontaire :

« […] Vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. Il semble que vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais certes bien de l’ennemi, de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, de celui pour qui vous allez si courageusement à la guerre, et pour la grandeur duquel vous ne refusez pas de vous offrir vous-mêmes à la mort. Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier habitant du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n’est de vous ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne les vous emprunte ? Les pieds dont il foule vos cités ne sont-ils pas aussi les vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-mêmes ? […]

Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre. »720

Le tyran tient son pouvoir du consentement du tyrannisé. Or, tout détenteur d’une autorité en charge de l’application de la loi, dans quelque institution que ce soit (Armée, Justice, Education nationale…), perd sa légitimité lorsqu’il se sert de sa position pour asservir l’autre, puisqu’il devient alors tyran. Ceux qui administrent ne se justifient effectivement que tant qu’ils assurent la liberté du peuple souverain ; le corollaire de cette proposition étant que les gouvernés n’ont plus à les reconnaître comme gouvernants s’ils violent leurs droits. Aussi le tyrannisé, le contrat qui le lierait à une hiérarchie se voyant dès lors rompu, se trouverait libéré de ses obligations et ne devrait plus rien à celui qui aurait abusé de son pouvoir. D’où

719 « Chacun des êtres humains a le devoir de créer la justice… », lâche Jim Garrisson (Kevin Costner) dans

le JFK d’Oliver Stone.

720 Discours de la servitude volontaire, Paris, Mille et une nuits, 1995, pp. 14-15.

Sur le thème de la désobéissance, nous renvoyons également à :

Onfray (Michel). Politique du rebelle. Traité de résistance et d’insoumission. Paris, Grasset, 1997. Thoreau (Henri-David). La Désobéissance civile. Paris, Mille et une nuits, 1996.

un droit, voire un devoir, de désobéissance et, le cas échéant, de rébellion. C’est le vieux principe, imprescriptible :

« Face au despotisme, l’insurrection est le plus sacré des devoirs. »721 La Déclaration d’indépendance des Etats-Unis ne dit pas autre chose :

« […] Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir […] »722

Lorsqu’un processus de détournement institutionnel serait en cours, ce serait donc au citoyen lui-même de faire preuve de vigilance et, éventuellement, de résistance, afin d’y mettre un terme. Une fois de plus, la république apparaîtrait de cette manière comme un Etat qui dépendrait d’abord d’un état individuel et des relations entretenues par les individus eux- mêmes dans leurs sphères d’action respectives et immédiates723. Sa conservation impliquerait

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La formule, conforme aux théories fondées sur le droit naturel (si l’autorité qui avait été instituée pour les sauvegarder viole mes droits fondamentaux, alors elle perd sa légitimité et je ne suis plus tenu de la reconnaître), aurait été chère à La Fayette, et se trouve retranscrite dans le Projet de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de Robespierre (voir note 314, p. 83) :

« Art. 29. Lorsque le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »

Remarquons du reste que les autres articles du projet prévoient une large série de garde-fous afin de prévenir les détournements institutionnels. Robespierre pose ainsi comme condition de l’obéissance le respect par le mandataire du gouvernement par la loi :

« Art. 24. Tout citoyen doit obéir religieusement aux magistrats et aux agents du gouvernement, lorsqu'ils sont les organes ou les exécuteurs de la loi. »

D’où un droit de résistance lorsque le gouvernement par la loi cède la place à l’oppression. Outre l’article 29, citons :

« Art. 25. Mais tout acte contre la liberté, contre la sûreté ou contre la propriété d'un homme, exercé par qui que ce soit, même au nom de la loi, hors des cas déterminés par elle et des formes qu'elle prescrit, est arbitraire et nul ; le respect même de la loi défend de s'y soumettre ; et si on veut l`exécuter par la violence, il est permis de le repousser par la force. »

« Art. 27. La résistance à l'oppression est la conséquence des autres droits de l'homme et du citoyen. » « Art. 30. Quand la garantie sociale manque à un citoyen, il rentre dans le droit naturel de défendre lui-même tous ses droits. »

« Art. 31. Dans l'un et l'autre cas, assujettir à des formes légales la résistance à l'oppression, est le dernier raffinement de la tyrannie. »

Le texte insiste encore sur le fait que les responsabilités occupées dans le cadre d’un service ne sont nullement assimilables à un privilège, mais renvoient à une activité devant faire l’objet d’un contrôle public :

« Art. 32. Les fonctions publiques ne peuvent être considérées comme des distinctions ni comme des récompenses, mais comme des devoirs publics. »

« Art. 33. Les délits des mandataires du peuple doivent être sévèrement et facilement punis. Nul n'a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens. »

« Art. 34. Le peuple a le droit de connaître toutes les opérations de ses mandataires ; ils doivent lui rendre un compte fidèle de leur gestion, et subir son jugement avec respect. »

« Art. 38. Les rois, les aristocrates, les tyrans, quels qu'ils soient, sont des esclaves révoltés contre le souverain de la terre qui est le genre humain, et contre le législateur de l'univers qui est la nature. »

722 In Dominique Schnapper, Qu’est-ce que la citoyenneté ?, Paris, Gallimard, 2000, pp. 65-68.

Ce passage est la conséquence logique et immédiate de celui qui le précède :

« […] tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. […] » (Ibid, déjà cité p. 20.)

723 « […] On se plaît à opposer l’Etat, totalitaire ou non, à l’homme ordinaire, punaise ou roseau. Mais on

oublie alors que l’Etat est composé d’hommes, tous plus ou moins ordinaires, chacun avec sa vie, son histoire, la série de hasards qui ont fait qu’un jour il s’est retrouvé du bon côté du fusil ou de la feuille de papier alors que

par conséquent que le gouverné envisage d’entrer en conflit724 avec le gouvernant qui serait susceptible de se faire tyran. A cet égard, il ne s’agirait pas tant d’élucider ou d’éliminer le labyrinthique, par l’instauration d’un ordre immuable, installé une bonne fois pour toutes, que d’examiner comment il serait possible de l’articuler avec du contre-labyrinthique725

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d’autres se retrouvaient du mauvais. Ce parcours fait très rarement l’objet d’un choix, voire d’une prédisposition. Les victimes, dans la vaste majorité des cas, n’ont pas plus été torturées ou tuées parce qu’elles étaient bonnes que leurs bourreaux ne les ont tourmentées parce qu’ils étaient méchants. Il serait un peu naïf de le croire, et il suffit de fréquenter n’importe qu’elle bureaucratie, même celle de la Croix-Rouge, pour s’en convaincre. […] Or la machine de l’Etat est faite de la même agglomération de sable friable que ce qu’elle broie, grain par grain. Elle existe parce que tout le monde est d’accord pour qu’elle existe, même, et très souvent jusqu’à la dernière minute, ses victimes. Sans les Höss, les Eichmann, les Goglidze, les Vychinski, mais aussi sans les aiguilleurs de trains, les fabricants de béton et les comptables des ministères, un Staline ou un Hitler n’est qu’une outre gonflée de haine et de terreurs impuissantes. […] » (Jonathan Littell, Les Bienveillantes, Paris, Gallimard, 2006, p. 27.)

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Le régime libéral suppose la possibilité de confronter les points de vue, dans le cadre d’un débat contradictoire, par exemple dans le monde du travail :

« […] Un conflit est source de renouvellement et de réorganisation en obligeant à se remettre en question et à fonctionner sous des formes nouvelles. Il permet de mobiliser les énergies et de rassembler les personnes, de modifier les alliances, de sortir de la complexité […].

Ce qui caractérise donc un conflit, c’est l’“escalade symétrique”, c’est-à-dire une égalité théorique des protagonistes. En acceptant le conflit, on reconnaît l’existence de l’autre comme interlocuteur, on lui reconnaît l’appartenance à un même système de référence. C’est le côté positif du conflit. […] » (Marie-France Hirigoyen, Le Harcèlement moral dans la vie professionnelle. Démêler le vrai du faux, Paris, Syros, 2001, pp. 27-28.)

A cet égard, le refus de toute ébauche de conflit peut révéler au contraire un recul démocratique et une absence de régulation sociale, pouvant dériver en harcèlement moral, voire indiquer un début de basculement vers la tyrannie :

« Dans le harcèlement moral, il ne s’agit plus d’une relation symétrique comme dans le conflit, mais d’une relation dominant-dominé, où celui qui mène le jeu cherche à soumettre l’autre et à lui faire perdre son identité. […]

C’est une erreur de vouloir éviter à tout prix les conflits, car ils constituent les moments où nous pouvons changer et tenir compte de l’autre, c’est-à-dire nous enrichir. A l’opposé d’un conflit, le harcèlement moral est une façon de bloquer tout changement. » (Marie-France Hirigoyen, Le Harcèlement moral dans la vie professionnelle. Démêler le vrai du faux, Paris, Syros, 2001, p. 32.)

Des expressions telles que « vider une querelle » et « crever l’abcès » ont d’ailleurs conservé le souvenir du caractère salutaire du conflit.

725 La culture populaire a conservé la trace de ce héros édifiant un contre-labyrinthe pour palier une

insuffisance institutionnelle afin de parvenir à ses fins, en particulier dans certaines séries télévisées.

Dans Zorro (renard, en espagnol), inspiré du personnage éponyme créé en 1919 par le romancier Johnston McCulley, le justicier se dissimule, joue avec les identités et brouille les pistes pour lutter contre le commandant Monastorio, qui pratique l’abus de pouvoir sur le territoire qui lui est confié en profitant de l’éloignement de la Californie des années 1820 de la métropole (son action de comisionado échappe donc au contrôle de l’autorité qui l’a mandaté). Le premier épisode de la série voit Don Diego annoncer explicitement à son domestique, Bernardo, qu’il va opter pour la ruse plutôt que pour la confrontation directe :

« […] Quand tu as affaire à forte partie, il vaut mieux employer d’autres armes. Tu connais le proverbe : “si tu n’arrives pas à te mettre dans la peau du lion, mets-toi dans celle du renard”. », affirme-t-il en des termes qui rappellent Machiavel (cf. Le Prince XVIII).

De fait, il se fait passer pour naïf et inoffensif, de manière à ne pas laisser soupçonner qu’il manie parfaitement l’épée et qu’il se cache derrière le masque de Zorro.

Dans Columbo, le lieutenant représente certes l’institution policière, mais se trouve régulièrement confronté à des assassins qui profitent d’une position sociale dominante pour commettre leurs crimes. Aussi produit-il du contre-labyrinthique, en adoptant lui aussi le masque de la naïveté et en multipliant les détours qui lui permettront de revenir au cœur de l’enquête, pour mieux les confondre. Au cours de l’un des épisodes (Etat d’esprit, 1975), son adversaire relève d’ailleurs très bien cette manière toute labyrinthique de mener l’enquête :

« Lieutenant, vous faites mine de vous éloigner du point vers lequel vous voulez aller... »

Les adjoints de Columbo, au contraire, qui ont tendance à aller au plus simple et au plus direct, ne sont pas en mesure de résoudre l’énigme. La construction de chaque histoire se démarque du reste de celui adopté dans les autres séries policières : ici, l’assassin est toujours connu du téléspectateur dès le début ; ce qui importe donc, ce n’est pas tant le « Qui ? » mais le « Comment ? » ou, pour le dire autrement, quel cheminement le héros (on parlera d’« anti-héros ») va-t-il suivre dans le labyrinthe.

Pour le dire autrement, la république ne signifierait pas l’absence de conflit mais, paradoxalement, sa possibilité même.

Cependant, il ne serait pas toujours possible d’envisager une action collective contre le tyran pour préserver ou rétablir la république. En effet, il ressort des expériences de Stanley Milgram726 que peu d’individus ont le réflexe de désobéir à un ordre donné par un supérieur, même s’il heurte leur conscience727

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Il s’agirait toujours d’une réhabilitation de la mètis contre le lógos (voir note 106, p. 32), dont le renard est l’une des figures :

« L’esprit du renard abonde en astuce. Voici comment il s’empare des outardes : il incline la tête vers le sol et doucement agite la queue. Elien prétend que les outardes abusées (apatẽtheîsai) s’approchent de cette forme qu’elles prennent pour un de leurs congénères. Quand elles sont à portée, le renard se retourne brusquement (epistréphein) et se jette sur elles. Si la mètis du renard s’affirme déjà dans l’art de faire le mort, elle éclate dans ce brusque retournement. En effet, le renard a le secret d’un renversement qui est le fin mot de son astuce. […] » (Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant, Les Ruses de l’intelligence. La mètis des Grecs, Paris, Flammarion, 1974, p. 43.)

726 Cf. Milgram (Stanley). Soumission à l’autorité. Paris, Calmann-lévy, 1974.

Henri Verneuil, quelques années plus tard, s’est inspiré des travaux du psychosociologue américain : « Dans I comme Icare, réalisé par Henri Verneuil en 1979, le procureur Volney (incarné par Yves Montand), enquête sur l’assassinat du président d’un Etat qui n’est autre que la transposition de l’attentat contre J. F. Kennedy, le 22 novembre 1963. Réfutant la thèse officielle, et mettant peu à peu au jour un complot tentaculaire [toujours la figure de la pieuvre, qui évoque un labyrinthe], il en vient à suspecter un personnage ayant participé à une expérience en laboratoire sur « l’apprentissage de la mémoire par la douleur ». Toute une scène du film présente l’expérience en question.

Deux candidats sont présents. Après un tirage au sort, l’un est désigné comme “le maître”, et l’autre comme “l’élève”. Le premier se voit installé derrière un pupitre doté d’un appareillage de stimulation électrique, qui permet d’envoyer du courant, de façon graduée, jusqu’à 450 volts. Le second est sanglé à une chaise destinée à recevoir les décharges.

Le maître lit alors à haute voix une liste de mots dans laquelle chaque nom se trouve associé à un adjectif. L’élève doit mémoriser les associations avant de donner l’adjectif correspondant à chaque nom que le maître énonce. Chaque fois qu’il se trompe, le maître a l’ordre de lui envoyer du courant électrique : d’abord 25 volts, puis 50, etc. A la septième erreur, l’élève subit une décharge de 175 volts. Sous l’effet de la douleur, il tente de se détacher et demande l’arrêt de l’expérience.

Comme l’adjoint du professeur qui la supervise refuse, le procureur Volney réagit devant cette torture infligée à l’élève. Le professeur lui révèle alors qu’en réalité aucune décharge n’est envoyée, que le tirage au sort initial pour répartir les rôles est biaisé, que l’élève sait parfaitement que le véritable objectif de l’expérience n’est pas de mesurer sa capacité à apprendre sous la douleur, et qu’il n’a fait que feindre cette dernière. Non, c’est le “maître” qui a été testé, et à travers lui l’obéissance d’un individu face à une hiérarchie (ici représentée par l’adjoint du professeur en blouse blanche).

Dans une telle perspective, le professeur explique que 63 % des sujets sont obéissants, en d’autres termes qu’ils acceptent totalement le principe de l’expérience et sont prêts à aller jusqu’à 450 volts… Il fait du reste remarquer à son interlocuteur que lui-même a attendu le stade des 175 volts pour manifester son opposition. Le procureur Volney en tire la conclusion suivante :

“Ce qui signifie que dans un pays civilisé, démocratique et libéral, les deux tiers de la population sont capables d’exécuter n’importe quel ordre provenant d’une autorité supérieure…” » (Dernières nouvelles du front.

Dans le document La République a-t-elle encore un sens? (Page 196-200)