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Retour du secret

Dans le document La République a-t-elle encore un sens? (Page 137-144)

Le gouvernement républicain suppose un lieu d’exercice du pouvoir clairement identifiable, afin que les représentés puissent contrôler l’action de leurs représentants. La transparence de la décision politique serait à cet égard l’une des conditions de la souveraineté populaire, et garantirait sa légitimité513. Depuis la fin de la Guerre froide, dans le cadre de la mondialisation des échanges, les démocraties libérales occidentales mettent en outre en avant la libre circulation de l’information, qui serait transmise rapidement d’un point à l’autre du globe et facilement accessible514, comme un moyen de progression de leur modèle.

Dans un régime représentatif, les électeurs pourraient surveiller le travail des élus parce qu’il serait réalisé au regard de tous, et ils le sanctionneraient éventuellement, s’ils n’en étaient pas satisfaits, en ne reconduisant pas leurs suffrages. Le dèmos, bien que jouissant de son autorité par délégation, conserverait en définitive la possibilité d’adhérer à un programme ou de le rejeter, et la souveraineté populaire serait assurée. C’est pourquoi Philippe Ardant souligne, dans un ouvrage collectif intitulé Démocratie515 :

513 Condorcet dénonçait dans les sociétés primitives le secret et la division entre initiés et profanes (voir p.

87). La démocratie, en revanche, suppose le contrôle du politique, donc pas de secret ; le panoptique inversé devrait y être la règle.

514 L’impact des nouvelles technologies, et plus particulièrement d’Internet, apparaît à cet égard déterminant. 515 Démocratie (ouvrage collectif sous la direction de Robert Darnton et Olivier Duhamel). Paris, Editions du

« L’important est de bien comprendre que, avec lui [le régime représentatif], le peuple ne se dessaisit pas de sa souveraineté, de son pouvoir ; il en délègue l’exercice aux représentants et ceux-ci s’expriment en son nom. »516

Sous la Cinquième République, des responsables de gauche comme de droite ne diront pas autre chose. Jean-Pierre Chevènement affirmait le 24 mars 1999 :

« Si la République ne se résume pas au suffrage universel, celui-ci est, pour la souveraineté populaire, le moyen de s’exprimer : c’est d’abord le fait de se rendre aux urnes lors de consultations qui marque le désir de chacun de prendre sa part de citoyen à la vie publique. C’est surtout la voie de la démocratie, qui donne à la loi sa légitimité : délibérée par les représentants élus de la nation, elle s’impose à tous, parce qu’elle émane de tous ; elle est l’expression de la volonté générale. Le jour où vous votez, disait Gambetta, vous gouvernez,

parce que le jour où vous votez, vous êtes les maîtres. »517 Et Jacques Chirac, le 5 juin 2000 :

« Les Français sont souverains, la classe politique doit bien savoir qu’elle n’est que déléguée. »518

La représentation, que ce soit d’ailleurs dans une république ou dans une monarchie constitutionnelle et parlementaire, ne saurait dès lors tolérer d’aucune façon des pratiques gouvernementales occultes. Si un groupe d’individus parvenait à former un cercle de privilégiés se réservant l’usage d’informations connues d’eux seuls, les citoyens n’auraient plus les moyens de participer aux délibérations intéressant la vie de la Cité, et la Nation ne pourrait plus être dite « souveraine ». La démocratie, qui n’admet pas la dissimulation, dégénèrerait en oligarchie.

« La transparence est essentielle à la démocratie et à la gestion efficace de l’Etat. », rappelait pour sa part Laurent Fabius519

le 16 mai 2000520.

Cependant, Alain Dewerpe521 affirme au contraire que l’exercice du pouvoir distingue inévitablement ceux qui savent de ceux qui ne savent pas, le contrôle du secret renforçant les uns et marginalisant les autres :

« […] Il n’existe pas, d’autre part, d’institution, Etat ou parti, où la conception des projets et le processus de décision, quelle que soit l’étendue des consultations et de la participation de l’ensemble des agents concernés, ne soient fondés sur une distinction entre

insiders et outsiders, initiés et exclus, d’autant plus prégnante qu’elle est le plus souvent

implicite et obscurément tracée. […] »522

516

Ibid, p. 165.

517 A Paris, lors de la présentation du Livret du citoyen.

518 Lors d’une intervention télévisée au sujet de la réforme du quinquennat.

519 Il a notamment été premier ministre de 1984 à 1986 et ministre de l’Economie de 2000 à 2002. 520 In Le Monde du 18 mai 2000.

521

Dewerpe (Alain). Le Monde du travail en France (1800-1950). Paris, Armand Colin, 1989.

Dewerpe (Alain). Espion, une anthropologie historique du secret d’Etat contemporain. Paris, Gallimard, 1994.

Dewerpe (Alain). Histoire du travail. Paris, PUF, 2001.

522

Une analyse qui s’applique d’abord au politique523

, puisque les gouvernants soustrairaient certains sujets au jugement des gouvernés, mais qui soulève plus généralement la question de l’existence de lieux stratégiques monopolisés par quelques intervenants tapis, tels le Minotaure, dans l’obscurité.

Sans doute est-il révélateur de voir des auteurs contemporains524 recourir à la figure du labyrinthe pour rendre le monde intelligible.

Elle renvoie effectivement à un espace fini, délimité, dans lequel s’enchevêtrent de multiples chemins, et où une seule voie permet de se rendre de l’entrée jusqu’au centre ou à la sortie. Les autres itinéraires n’aboutissent pas : soit ils débouchent sur des segments qui

ne mènent nulle part525, soit ils se terminent en impasses. Or, et c’est là le propre du

labyrinthique, aucune indication ne permet d’identifier la route à suivre. On s’y perd et, du fait d’une telle complexité, l’issue y est maintenue secrète. Il s’agit par conséquent d’un lieu qui piège celui qui y pénètre, ou plutôt celui qui en ignore les spécificités, c’est-à-dire le non initié526. Tout processus décisionnel pourrait s’y voir assimiler à partir du moment où la relation entre les agents serait construite autour d’un centre caché, rendu inaccessible au plus grand nombre par un réseau qui égarerait celui qui en ignorerait le plan.

Dans une telle perspective, la république d’une part, qui exige la participation de chacun à la chose de tous, et le labyrinthe d’autre part, qui favorise le secret et l’opacité au détriment de la clarté et de la publicité527, désignent des formes manifestement antithétiques ; et le néolibéralisme favorise le développement du second contre la première, puisque le marché, surtout lorsqu’il se joue des frontières, accumule les zones d’ombre sur lesquelles le

523 Nous aurons l’occasion d’y revenir. 524

Voir note 97, p. 29.

525 Heidegger parlera de Holzwege :

« … Dans la forêt, il y a des chemins qui, le plus souvent encombrés de broussailles, s’arrêtent soudain dans le non-frayé.

On les appelle Holzwege.

Chacun suit son propre chemin, mais dans la même forêt. Souvent, il semble que l’un ressemble à l’autre. Mais ce n’est qu’une apparence.

Bûcherons et forestiers s’y connaissent en chemins. Ils savent ce que veut dire : être sur un Holzweg, sur un chemin qui ne mène nulle part. » (Chemins qui ne mènent nulle part (exergue), Paris, Gallimard, 1986, p. 7.)

526 De prime abord, rien ne nous permet de discerner le bon chemin.

« Mais ce n’est qu’une apparence. », souligne Heidegger, qui attribue par exemple une compétence aux « bûcherons » et aux « forestiers » qui « s’y connaissent en chemins ». En se ressouvenant de ceux empruntés auparavant, il serait possible de retrouver le sentier qu’il faudrait préférer. En d’autres termes, la mémorisation donnerait un avantage à celui qui aurait déjà fait l’expérience du labyrinthe. Il disposerait de ses propres repères, retiendrait s’il faudrait tourner à telle bifurcation plutôt qu’à telle autre, et se révèlerait en mesure de l’élucider. Celui qui ne possèderait pas un tel savoir y demeurerait en revanche enfermé. Aussi le labyrinthique impliquerait-il une distinction entre initiés et non initiés, qui pourrait se traduire par l’exercice d’un pouvoir lié à la maîtrise d’un secret des premiers sur les seconds.

Jacques Attali préfère filer la métaphore urbaine pour établir une distinction similaire :

« Dès l’Antiquité, les villes sont des labyrinthes de labyrinthes. Une impasse pour un but donné y est le bon chemin pour un autre. Cet aménagement permet l’entassement, l’empilement d’une infinité de réseaux dans un espace réduit. […] », écrit-il (Chemins de sagesse. Traité du labyrinthe, Paris, Fayard, 1996, pp. 130-131).

Dans un tel cadre, l’ignorant devient l’intrus, l’étranger, parce qu’il ne sait pas. L’hésitation, qui marque son extériorité, le trahit d’ailleurs : il est amené à demander aux habitués du dédale le chemin dont il n’est pas sûr :

« […]

Les rues guident les initiés chez eux et leur permettent de repérer l’étranger, celui qui a l’air égaré, l’insensé. Chaque rue est comme un secret, mais héberge aussi l’espérance d’une rencontre. Prague, l’île Saint-Louis et celle de la Cité à Paris, le cœur des villes piémontaises comptent parmi les plus beaux de ces labyrinthes ; Venise, labyrinthe d’eau, est assurément le plus pur d’entre eux. A Lyon, autour de la cour ovale de Nantes, de celle du Mortier d’or à Troyes, à Salzbourg, Milan, Prague, entre cent autres exemples, un réseau urbain occulte, fait ici de “traboules”, là de vicini, ailleurs de canaux, de passages semi-privés dissimulés en travers des îlots, des blocs, des quartiers, se ramifie. Ne pas s’y retrouver, c’est être étranger. » (Ibid, pp. 131-132.)

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citoyen n’a aucune prise. La mondialisation, en favorisant l’accroissement des échanges transfrontaliers et intercontinentaux, aurait abouti à l’éclatement de l’Etat-Nation528. Elle verrait notamment des acteurs issus de l’économique influer sur des secteurs qui, initialement, ne relèveraient ni de leur autorité, ni de leur compétence. Si le représenté voulait contester une décision dont il subirait les conséquences, il lui arriverait, en s’adressant au représentant, d’interpeller finalement un responsable qui n’y aurait aucune part529

.

Si nous considérons que les orientations fixées par des acteurs occultes peuvent avoir des répercussions sur le bien commun530, alors il nous faut admettre qu’elles impliquent une mise en cause de la démocratie elle-même, dont le corollaire est précisément le contrôle par le peuple de ce qui intéresse le peuple tout entier. Le vocabulaire qui sert traditionnellement à rendre compte de l’agencement de la matrice républicaine - « Nation », « Peuple », « souveraineté », « loi » - renverrait dès lors à un schème conceptuel dépassé, et c’est à cet égard que la figure du labyrinthe apparaîtrait plus appropriée afin de peindre la complexification des réseaux de pouvoirs.

Dans les dernières années du vingtième siècle, Jacques Attali531 prévoyait532 ainsi le « retour de l’économie nomade »533, en d’autres termes l’éclatement des échanges dans un contexte laissant la part belle à des ensembles mouvants, et dans lesquels il apparaîtrait

528 Dans un article intitulé Ces firmes géantes qui se jouent des Etats (in Le Monde diplomatique n° 549,

décembre 1999, p. 19), l’économiste Frédéric F. Clairmont indiquait que, depuis 1982, la croissance annuelle des deux cents premières multinationales représentait le double de celle des vingt-neuf pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En d’autres termes, les secteurs économiques et financiers concentreraient des pouvoirs face auxquels le politique aurait finalement peu de poids. Il précisait également que ces deux cents mégafirmes couvraient l’ensemble de l’activité humaine « de l’industrie à la banque, du commerce de gros au commerce de détail, de l’agriculture extensive à toutes les niches possibles des services financiers, qu’ils soient licites ou illicites. » Et, toujours dans le même article, il rappelait les propos de l’industriel allemand Walter Rathenau, qui affirmait en 1913 : « Trois cents hommes, qui se connaissent tous personnellement, dirigent les destinées économiques de l’Europe et choisissent entre eux leurs successeurs. » Frédéric F. Clairmont ajoutait : « Le changement, depuis cette époque, c’est que les trois cents se sont réduits, en Europe, à moins de cent cinquante. »

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Sous le gouvernement Jospin, la durée légale du travail a par exemple été abaissée à trente-cinq heures hebdomadaires. Or, dans un cadre mondialisé, certaines multinationales peuvent faire pression sur leurs salariés pour les contraindre à travailler quarante heures hebdomadaires, en agitant le spectre d’une délocalisation dans un pays où la législation est différente s’ils refusent. L’action politique manifeste dans ce cas-là ses limites, puisque des paramètres externes à la puissance législative viennent de fait empiéter sur le gouvernement par la loi. La République subirait pour ainsi dire une sorte de déterritorialisation.

530 Cf. Chemin (Ariane) et Perrignon (Judith). La Nuit du Fouquet’s. Paris, Fayard, 2007.

Le livre traite du dîner ayant réuni le 6 mai 2007 dans le prestigieux restaurant parisien Nicolas Sarkozy, ses proches et ses amis au soir de sa victoire à l’élection présidentielle. A leurs détracteurs qui leur reprochaient de faire du journalisme mondain, les deux auteurs ont répondu assez finement que certaines décisions d’importance pouvaient être prises à l’occasion de tels échanges informels. Parmi les convives, on pouvait effectivement compter quelques uns des hommes les plus puissants de France.

531 Haut fonctionnaire et économiste. Conseiller spécial de François Mitterrand de 1981 à 1990, il est ensuite

l’un des créateurs de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Son propos est intéressant dans la mesure où il s’agit à la fois de celui d’un conseiller du prince et de celui d’un initié participant à diverses organisations internationales. De son expérience à l’Elysée, il a tiré un recueil de notes :

Verbatim. Paris, Fayard, 1986. 3 vol. Nous indiquons également :

Analyse économique de la vie politique. Paris, PUF, 1973. Modèles politiques. Paris, PUF, 1974.

Chemins de sagesse. Traité du labyrinthe, Paris, Fayard, 1996. Le Citoyen, les pouvoirs et dieu. Paris, Fayard, 1998.

L’Homme nomade. Paris, Fayard, 2003.

532 Il publie ses Chemins de sagesse. Traité du labyrinthe en 1996, et y décrit des mécanismes qui se

développent pleinement dans les premières années du vingt-et-unième siècle.

533

particulièrement difficile de déterminer qui tient qui, et qui détient quoi. D’où cette description des mécanismes qui régissent désormais la finance, la production et le commerce :

« L’économie redevient aujourd’hui labyrinthique. La propriété industrielle et commerciale se dissout de plus en plus en un enchevêtrement de sociétés financières et holdings se possédant les unes les autres. Il devient quasi impossible, sauf à un expert en labyrinthes, d’y retrouver le vrai détenteur final du capital. Les processus de productions se diversifient en circuits complexes où la distance entre la matière première et le produit fini emprunte des chemins de plus en plus tortueux passant par des lieux dispersés sur l’ensemble de la planète. […] »534

Le statut du sujet serait compromis, en raison de la complexification des interactions entre les individus. En effet, la diffusion de l’information, organisée en de vastes réseaux dont les arcanes seraient connus d’un petit nombre de décideurs, conduirait la plupart des agents à dépendre de ces derniers. A mille lieues de l’affranchissement promis par la république, le secret diviserait de fait la société en plusieurs classes, l’autonomie de chacun étant proportionnelle à son degré d’initiation.

Chez Alain Dewerpe, ceux qui bénéficieraient d’une position dominante pourraient être appelés « insiders » ou « initiés », et il s’agirait chez Jacques Attali des « maîtres de ces labyrinthes »535. L’individu qui appartiendrait à cette « surclasse »536 formerait avec ses semblables un véritable cercle initiatique, dont les membres sauraient utiliser le labyrinthique537 à leur avantage et seraient capables d’y emprunter le meilleur chemin. C’est essentiellement dans ce savoir spécifique538

que résiderait leur force. D’où une rupture avec d’anciens modèles qui se bornaient à établir de manière statique une opposition définitive entre la noblesse et le peuple, ou entre la bourgeoisie et le prolétariat :

« […] Leurs privilèges ne seront pas liés à la propriété des moyens de production ni à leur transmission, ils ne seront ni entrepreneurs créateurs d’emplois et de richesses collectives, ni capitalistes exploiteurs d’une classe ouvrière. Ils ne posséderont pas les fabriques, ni les terres, ni les postes administratifs. »539

Ces privilégiés d’un nouveau genre, à la différence des seigneurs de l’Ancien Régime, ne tireraient pas leur puissance d’un fief en particulier, mais plutôt de leur habileté à passer d’un pôle à un autre en mobilisant un ensemble de compétences quelques soient les circonstances :

534 Ibid. 535

Chemins de sagesse. Traité du labyrinthe, Paris, Fayard, 1996, p. 119.

536 « Les maîtres de ces labyrinthes constitueront une surclasse. » (Chemins de sagesse. Traité du labyrinthe,

Paris, Fayard, 1996, p. 119.)

537

Insistons, à l’instar de Cornelius Castoriadis, sur le fait que le dédale du mythe grec est l’œuvre d’un architecte, et peut par conséquent évoquer une construction au service d’un projet :

« Assurément, le mythe voulait signifier quelque chose d’important, lorsqu’il faisait du Labyrinthe l’œuvre de Dédale, un homme. » (Les Carrefours du labyrinthe, Paris, Seuil, 1978, p. 6.)

538 Il serait envisageable de palier l’absence de repères inhérente au labyrinthe. Mais, puisqu’il ne

contiendrait pas d’indications clairement identifiables et lisibles, y retrouver sa route ne consisterait pas, par exemple, dans l’aptitude à lire une carte. Les modes de connaissance habituels s’avèreraient inappropriés à un parcours labyrinthique. D’où la spécificité du savoir qu’il faudrait solliciter, et qui devrait être adapté à un tel espace.

539

« […] Ils seront riches d’un actif portatif : leur connaissance des lois du labyrinthe. »540

L’obscurité qui règne dans ce dernier ne procure pas la visibilité qui conditionne l’élaboration d’un projet à long terme. Il s’agit d’un tópos régi par l’éphémère et le fluctuant, où le voyageur qui entreprend sa traversée se voit imposer de fréquentes réorientations, en fonction des impasses qui compromettent la progression sur un itinéraire donné. Ce qui vaut pour telle voie ne le serait du reste pas toujours pour telle autre. L’initié se signalerait dès lors par son aptitude à gérer le caractère changeant d’une situation et à adopter immédiatement le mode d’action le plus efficace. Le labyrinthique consacrerait la victoire du nomade, prêt à se déplacer autant de fois que son intérêt le commanderait, sur le sédentaire, tributaire d’une immobilité qui finirait par le perdre :

« […] Ils sauront mobiliser rapidement du capital et des compétences dans des ensembles changeants, pour des finalités éphémères où les Etats n’auront pas de rôle. »541

D’où, là encore, une mise en cause du modèle républicain, puisque l’Etat, seul lieu de la manifestation de l’autorité politique légitime, se verrait nier par des mécanismes qui le dépasseraient et sur lesquels il n’aurait pas de prise. Le labyrinthe renverrait à des pratiques souterraines, dont la mise en œuvre parallèle demanderait une discrétion certaine :

« […] Ils n’ambitionneront pas de diriger les affaires publiques (la célébrité politique sera plutôt pour eux une malédiction). »542

Une trop grande visibilité, qui gênerait le plan ourdi dans l’ombre, à l’écart de tout contrôle démocratique, exposerait le décideur et le rendrait vulnérable. Afin de se ménager un accès exclusif au centre du labyrinthe, il assurerait l’opacité de son action, délibérant d’égal à égal uniquement avec les autres membres de sa caste. Les nouvelles technologies, qui amplifieraient la fluidité de l’échange tout en facilitant le recours à la dissimulation543

, contribueraient à cette mutation :

« […] Ils s’organiseront pour coopérer, partager un réseau, se connecter avec ceux qui sont nécessaires à leur pouvoir. Internet sera leur club. »544

La surclasse désignerait une minorité évoluant dans l’ombre et s’accommodant des fluctuations du réel. Celui qui en ferait partie manipulerait pour lui-même un objet qui, à l’abri d’une architecture dédalique545

multipliant les trompe-l’oeil, demeurerait caché au plus

540 Ibid.

Ils s’adapteraient donc à un ordre alternatif et antirépublicain, qui se substituerait de fait au gouvernement par la loi.

541 Chemins de sagesse. Traité du labyrinthe, Paris, Fayard, 1996, p. 119. 542

Ibid.

543 « Internet sera l’instrument de communication essentiel du futur nomade virtuel grâce auquel celui-ci sera

relié à tous les ordinateurs et à toutes les mémoires de la planète. On y parlera, on y jouera, on y séduira, on y travaillera, on s’y distraira, on y consommera. Chacun se choisira une identité réelle ou virtuelle pour communiquer. La mythomanie, la schizophrénie seront des masques tolérés dans le carnaval médiatique ; chacun pourra se choisir avant de choisir ceux avec qui il voudra communiquer. […] » (Chemins de sagesse. Traité du

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