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Conservation et hantise de la perte

Dans le document La République a-t-elle encore un sens? (Page 40-48)

Toute problématique républicaine s’avèrerait dès lors axée à la fois sur les modalités de la définition, de l’instauration, et de la conservation ; avec en toile de fond la hantise de la perte. Si la république se définit par l’affranchissement produit par le

gouvernement de soi-même, dans la commune au Moyen Age par exemple, l’optique

individualiste nous rappelle cependant que le gouvernement de soi-même dont il est initialement question est celui qu’il faut instituer dans le sujet. Il s’agirait de produire un individu libre, c’est-à-dire affranchi de tout ce qui pourrait obscurcir son jugement, et qui dans son rapport à la Cité pourrait alors être appelé « citoyen ». C’est dans le cadre d’une telle articulation entre l’individuel et le collectif que se développerait la réflexion autour des thèmes de la conservation et de la perte.

La Callipolis chez Platon repose sur le respect d’un ordre rationnel garant de son équilibre et de son harmonie132. Or, sa ruine procèderait de l’altération d’un tel paradigme. Aussi le risque résiderait-il dans le changement. Il s’agit d’une philosophie par essence conservatrice, rejetant la nouveauté et l’inédit133, et renvoyant à la nostalgie d’un Age d’or

originel dont l’humanité s’éloignerait sans cesse. Le Mythe de Cronos, dans Le Politique134

, dépeint la vie des hommes dans un monde sagement agencé par les dieux, qui ne connaissait ni hiérarchie, ni famille, ni technique ; aucune organisation sociale n’y régissait l’existence humaine, qui se rapprochait de celle de l’animal :

129 « Après tout, je suis plus savant que cet homme-là ; nous risquons bien l’un et l’autre de ne rien savoir qui

vaille ; mais, lui, croit savoir quelque chose alors qu’il ne le sait pas, tandis que moi, comme je n’ai pas ce savoir, je ne crois pas non plus l’avoir. J’ai bien l’impression, de ce fait, d’être un tout petit peu plus savant que lui, dans la mesure où je ne crois pas savoir ce que je ne sais pas. » (Apologie de Socrate I, 1d.)

130 « […] Là encore, je m’attirai la haine de cet homme et de beaucoup d’autres. » (Apologie de Socrate I, 1e.) 131 La condamnation reposera non pas sur une accusation fondée en raison, mais au contraire sur la rumeur :

« Et tous ceux qui, jouant sur la jalousie et la calomnie, vous persuadaient, ou, persuadés eux-mêmes, en persuadaient d’autres, tous ceux-là sont les plus embarrassants. Impossible en effet de faire monter ici aucun d’eux à la barre, ou de le réfuter, et je suis forcé, pour me défendre, de me battre contre des fantômes en quelque sorte, et de réfuter sans personne pour répondre aux questions. […] », annonce l’accusé dès le début de son intervention (Apologie de Socrate I, 8d).

132

Nietzsche résumera le modèle platonicien par l’équation « Raison = vertu = bonheur » (Le Crépuscule des idoles, Paris, Flammarion, 1985, p. 83).

133 Le platonisme, afin d’assurer le bonheur de la collectivité, entend fondre les singularité individuelles dans

un moule uniforme, en les soumettant à un paradigme, ou modèle-référence.

134

« Sous sa gouverne [celle de Dieu] il n’y avait ni Etat ni possession de femmes et d’enfants ; car c’est du sein de la terre que tous remontaient à la vie, sans garder aucun souvenir de leur passé. Ils ne connaissaient donc aucune de ces institutions ; […] Ils vivaient la plupart du temps en plein air sans habit et sans lit ; car les saisons étaient si bien tempérées qu’ils n’en souffraient aucune incommodité et ils trouvaient des lits moelleux dans l’épais gazon qui sortait de la terre. […] », précise Platon135

.

L’harmonie régnait entre les hommes, les animaux et la terre, et aucune espèce n’éprouvait le besoin de combler un manque éventuel en empiétant sur les autres. Le monde sous Cronos formait un tout cohérent et ordonné ; il était soumis à la concorde et les conflits en étaient absents. Puis le récit introduit la dégénérescence qui met fin à l’Age d’or. Vient effectivement le moment où les dieux cessent de s’occuper de l’univers, livrant les hommes à eux-mêmes :

« […] le pilote de l’univers, lâchant la barre du gouvernail, se retira dans son poste d’observation […]. Dès lors tous les dieux qui, dans chaque région, secondaient la divinité suprême dans son commandement, en s’apercevant de ce qui se passait, abandonnèrent à leur tour les parties du monde confiées à leurs soins. »136

L’humanité, ayant perdu le contact avec la divinité, sombre dans le désordre et le malheur. Plus ils s’éloignent de l’agencement originel, plus les hommes s’abandonnent aux « maux »137 et aux « injustices »138 :

« […] il [le monde] reprit, d’un mouvement réglé, sa course habituelle, surveillant et gouvernant de sa propre autorité et lui-même et ce qui est en lui et se remémorant de son mieux les instructions139 de son auteur et père. Au commencement, il les exécutait assez exactement, mais à la fin avec plus de négligence. La cause [du déclin] en était l’élément corporel […]. »140

L’homme serait incapable de s’organiser et de se gouverner seul : il aurait besoin d’être guidé, orienté ; de suivre un fil d’Ariane vers le bien et le bonheur. Sans la divinité, qui peut également être assimilée à la raison, il s’égare et court à sa perte. Sa partie matérielle le détourne du juste et du bon pour le pousser vers le désir et l’agréable. Il se disperse dès lors dans un attachement illimité aux plaisirs qui, s’ils ne sont pas réfrénés, ne sauraient le rendre heureux.

Le temps, dont l’écoulement suppose l’éloignement de l’élément divin, occupe à cet égard une place tragique dans le platonisme. Il nous fait perdre le fil, en d’autres termes le chemin de la mesure et de l’ordre. D’où le pessimisme platonicien : comment les activités humaines, qui s’inscrivent nécessairement dans une temporalité, pourraient-elles échapper à la dégénérescence ? Face à une telle fatalité, ne demeurerait que la nostalgie de l’état originel :

« […] au point de vue du bonheur, les hommes d’autrefois l’emportaient infiniment sur ceux d’aujourd’hui. »141

135 271e-272a. 136 272d-e. 137 273c. 138 Ibid.

139 Nous retrouvons l’idée d’être instruit, cette fois dans le sens de recevoir ce qui permet de se diriger. 140 273b.

141

Concernant l’organisation politique de la Cité, Platon pense également que les individus sont condamnés au malheur, passant inévitablement d’un régime moins satisfaisant que le précédent à l’autre. La Callipolis, dans le huitième livre de la République, apparaît comme le point de départ d’un tel processus de dégradation. C’est à partir d’elle que le philosophe analyse « le passage de l’aristocratie à la timocratie »142. Il existerait des périodes propices pour avoir des enfants d’une bonne nature et d’autres qui ne le seraient pas. Or, malgré leur compétence, les chefs de la Callipolis « engendreront des enfants quand il ne le faudrait pas »143. Leurs successeurs, de ce fait, ne sauront pas gouverner aussi bien qu’eux. La connaissance du paradigme assurant le bonheur de la Cité se perdrait de cette manière d’une génération à la suivante :

« Ainsi vous aurez une génération nouvelle moins cultivée144. De là sortiront des chefs peu propres à veiller sur l’Etat […]. »145

Ces derniers, tout en exerçant leurs fonctions, se laisseront gagner par « l’ambition et l’amour des honneurs »146. Ils se soucieront tant et tant de leurs privilèges qu’ils accumuleront secrètement les richesses, et se détourneront de l’essentiel :

« […] ils adoreront farouchement, dans l’ombre, l’or et l’argent, car ils auront des magasins et des trésors particuliers, où ils tiendront leurs richesses cachées, et aussi des habitations entourées de murs, véritables nids privés, dans lesquelles ils dépenseront largement pour des femmes et pour qui bon leur semblera. »147

Minée par la spirale de la possession et du « toujours plus », l’élite s’avèrerait vouée à la corruption. Elle étalerait au bout du compte son capital148 au grand jour et susciterait l’admiration du fait même de ses « signes extérieurs de richesse », oubliant l’importance de la vertu et perdant de vue le cap149

qui indiquerait le bien commun150.

« Ainsi, d’amoureux qu’ils étaient de la victoire et des honneurs, les citoyens finissent par devenir avares et cupides ; ils louent le riche, l’admirent et le portent au pouvoir, et ils méprisent le pauvre. », continue Platon151.

142 545c. 143

546b.

144 Une défaillance dans la transmission d’un savoir pourrait être une cause de dégénérescence. 145 547a.

146 548c. 147

548a-b.

148 Au sens financier du terme.

149 Nous employons ici le vocabulaire de Derrida :

« […] Sur mer ou dans les airs, un vaisseau “fait cap” : il “fait cap sur”, par exemple sur un autre continent, vers une destination qui est la sienne mais dont il peut aussi changer. On dit dans ma langue “faire cap” mais aussi “changer de cap”. Le mot de “cap” (caput, capitis), qui signifie, vous le savez bien, la tête ou l’extrémité de l’extrême, le but et le bout, l’ultime, le dernier, la dernière extrémité, l’eskhaton en général, voici qu’à la navigation il assigne le pôle, la fin, le telos d’un mouvement orienté, calculé, délibéré, volontaire, ordonné : le plus souvent par quelqu’un.

[…] Par sélection, je déduirai la forme de toutes mes propositions d’une grammaire et d’une syntaxe du cap, d’une différence dans le genre, c’est-à-dire aussi du capital et de la capitale. […] » (L’Autre Cap, Paris, Minuit, 1991, pp. 19-21.)

150

Qui est capital, cette fois dans le sens de réellement « important » pour la Cité.

Cette thématique permet également le rapprochement entre les Anciens et les Modernes. Les Encyclopédistes redouteront ainsi de voir le bien commun perdu dans une grande république, parce qu’il y serait moins bien perçu, et partageront à cet égard avec les philosophes de l’Antiquité une crainte relative à sa conservation.

151

Nous assisterions à une inversion dramatique de l’échelle des valeurs et des priorités qui permettraient la conservation de la république. La richesse (en tant qu’avoir) prendrait davantage de place aux yeux des citoyens que le savoir et le sens de la justice ; si bien que le détenteur de la compétence relative aux affaires de la Cité ne se verrait plus reconnu152. Un tel retournement atteindrait son paroxysme en prenant une dimension légale. La loi elle-même en viendrait alors à exclure de l’exercice du pouvoir non pas celui qui se révèlerait incapable d’occuper des responsabilités à la tête de la communauté des citoyens, mais celui dont la fortune n’atteindrait pas un seuil donné :

« Alors ils établissent une loi qui est le trait distinctif de l’oligarchie : ils fixent un cens, d’autant plus élevé que l’oligarchie est plus forte, d’autant plus bas qu’elle est plus faible, et ils interdisent l’accès des charges publiques à ceux dont la fortune n’atteint pas le cens fixé. Ils font passer cette loi par la force des armes, ou bien, sans en arriver là, imposent par l’intimidation ce genre de gouvernement. […] »153

Non seulement le régime oligarchique substitue le cens à la compétence, pourtant nécessaire à l’action politique :

« […] Considère en effet ce qui arriverait si l’on choisissait les pilotes de cette façon, d’après le cens, et que l’on écartât le pauvre, bien qu’il fût capable de tenir le gouvernail... »154

Mais encore il rompt le lien social en dressant les citoyens les uns contre les autres, suivant leur appartenance à la classe privilégiée ou non :

« Il y a nécessité qu’une pareille Cité ne soit pas une, mais double, celle des pauvres et celle des riches, qui habitent le même sol et conspirent sans cesse les uns contre les autres. »155

A l’oligarchie succède la démocratie, qui se met en place au moment où le peuple (ou démos), refusant de subir l’ordre imposé par une minorité d’individus qui s’accaparent les richesses, renverse la situation et partage les biens de façon égale :

« […] la démocratie apparaît lorsque les pauvres ayant remporté la victoire sur les riches, massacrent les uns, bannissent les autres, et partagent également avec ceux qui restent le gouvernement et les charges publiques ; et le plus souvent ces charges sont tirées au sort. »156

152 Si la Callipolis renvoie à un bonheur collectif, la dégénérescence s’inscrit toujours dans une

problématique individuelle : le citoyen ne reconnaît plus la compétence parce que son jugement est brouillé, et il en vient à participer au processus qui conduit à la ruine de l’Etat.

153 551b.

La loi est alors illégitime et ne saurait fonder un gouvernement, puisqu’elle repose sur la force, et non pas sur la raison. Son détournement au profit d’une classe privilégiée pourrait du reste annoncer la critique marxiste.

154

551c.

155 551d. 156 557a.

Pas davantage que le cens, le tirage au sort n’intègre la compétence dans la répartition des fonctions, ce qui suffit à rendre la démocratie insatisfaisante.

Cependant, un tel régime « déborde de liberté »157, une liberté qui devient licencieuse. La Cité, qui n’est plus régie selon un paradigme garantissant sa stabilité, bascule encore un peu plus dans le désordre :

« […] partout où règne cette licence chacun organise sa vie de la façon qui lui plaît. », écrit Platon158.

Si la Callipolis renvoyait à un tout cohérent suivant une seule et même direction, la démocratie prend par conséquent la forme d’une nébuleuse où règnent l’hétérogénéité et la confusion. Rien n’y serait à sa place ou, pour mieux dire, la proportion géométrique n’y serait point observée. Son principe, en effet, ignorerait la hiérarchie dans l’ordre social qui accorderait à chacun selon son rang :

« […] le métèque devient l’égal du citoyen, le citoyen du métèque et l’étranger pareillement. »159 157 557b. 158 Ibid. 159 563a.

Le caractère discriminatoire sous lequel sont envisagées les relations entre les individus dans l’Antiquité, et chez Platon en particulier, nous amène à relever une différence essentielle entre les Anciens et les Modernes. Les premiers n’envisageraient pas l’égalité (autre que géométrique), alors que les seconds mettraient en avant les mêmes droits pour tous.

Pourtant, il nous faut probablement nous montrer plus nuancés. Le platonisme revendique une inégalité de statut qui ne sera finalement pas étrangère à la modernité. Par exemple, en matière d’éducation, il prône la verticalité dans la transmission du savoir, et considère l’inversion des rôles entre celui qui sait et celui qui ne sait pas comme un symptôme de la dégénérescence. Elle témoignerait de l’excès de liberté qui régnerait en démocratie et qui préparerait l’avènement de la tyrannie :

« […] Le maître craint ses disciples et les flatte, les disciples font peu de cas des maîtres et des pédagogues. […] » (Ibid.)

Or, la question de la démocratie dans la classe, c’est-à-dire de l’horizontalité du rapport du maître à l’élève, est contemporaine. Dans les années 2000, le débat autour de l’école passe souvent par une critique des slogans hérités de Mai 68 en matière d’éducation (en particulier « Tout enseignant est enseigné. Tout enseigné est enseignant. » et « Il est interdit d’interdire. »), qui semblent considérés comme une dérive démocratique susceptible de favoriser l’émergence du tyran. Luc Ferry, en tant que ministre de l’Education nationale, écrit en 2003 :

« Est-il réellement interdit d’interdire ? Trente ans après, l’inanité du slogan ne fait plus guère de doute. Qui pourrait prétendre élever un enfant sans jamais lui dire non ? Qui voudrait aujourd’hui libérer la violence brute ou l’incitation à la haine raciale ? […] » (Lettre à tous ceux qui aiment l’école. Pour expliquer les réformes en cours, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 51.)

Il avait publié précédemment, avec Alain Renaut :

La Pensée 68. Essai sur l’anti-humanisme contemporain. Paris, Gallimard, 1985.

Nicolas Sarkozy, en vue de l’élection présidentielle de 2007, fait campagne en promettant notamment de « liquider Mai 68 ». L’un de ses premiers gestes, une fois élu, est d’adresser à tous les enseignants une Lettre aux éducateurs dans laquelle il appelle au retour de la verticalité dans la transmission du savoir :

« Parce que nous aimons et respectons nos enfants, nous avons le devoir de leur apprendre à être exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes. Nous avons le devoir de leur apprendre que tout ne se vaut pas, que toute civilisation repose sur une hiérarchie des valeurs, que l’élève n’est pas l’égal du maître. […] » (Lettre aux éducateurs, Paris, 2007, p. 9)

Le texte, qui se réfère du reste à l’humanisme et aux Lumières (p. 31), révèlerait-il une prétention à sauver la république d’un passage à la tyrannie amené par la licence ?

L’idée selon laquelle un individu devrait recevoir en fonction de sa compétence ou de son talent rejoindrait en outre la thématique contemporaine de l’égalité des chances. Il existerait par conséquent, au-delà des différences dans les moyens de les mettre en oeuvre, une continuité des concepts liés à la république d’hier à aujourd’hui.

Dans une telle égalité arithmétique appliquée aux membres de la collectivité, le philosophe ne voit qu’une suite d’abus qui appelle nécessairement une réaction inversement proportionnelle :

« Ainsi, l’excès de liberté doit aboutir à un excès de servitude, et dans l’individu et dans l’Etat. »160

Paradoxalement, c’est de la démocratie que découle alors la tyrannie. L’une des perversions de la première, qui contribue à l’avènement de la seconde, est la transformation d’une égalité de droit en inégalité de fait : puisque tous cherchent à acquérir les mêmes biens, tous ne sauraient y parvenir. D’où un enchaînement de frustrations, de haines et de conflits :

« Dès lors ce sont poursuites et luttes entre les uns et les autres. »161 Le démos, enfin, se choisit un protecteur qui se fait bientôt tyran :

« […] le peuple n’a-t-il pas l’invariable habitude de mettre à sa tête un homme dont il nourrit et accroît la puissance ? »162

Mis au pouvoir pour défendre les libertés du plus grand nombre, l’homme

providentiel ne se soucie plus que de la sienne, aux dépens des autres, et prend goût à sa toute

nouvelle puissance. De protecteur du peuple, il devient strict promoteur de son propre intérêt et use de tous les moyens possibles et imaginables dans le seul but d’affermir sa position. Pour se maintenir en place, il est notamment prêt à provoquer des guerres, oubliant complètement le bonheur de la Cité qu’il gouverne :

« […] quand il s’est débarrassé de ses ennemis du dehors, en traitant avec les uns, en ruinant les autres, et qu’il est tranquille de ce côté, il commence toujours par susciter des guerres, pour que le peuple ait besoin d’un chef. »163

Il se débarrasse en outre des individus les plus remarquables, qui représentent des opposants potentiels au régime :

« Il faut donc que le tyran s’en défasse, s’il veut rester le maître, et qu’il en vienne à ne laisser, parmi ses amis comme parmi ses ennemis, aucun homme de quelque valeur. »164

La Cité, arrivée au terme du processus de dégénérescence, élimine tout ce qui pourrait la rapprocher du paradigme originel et atteint le comble du malheur :

« […] elle [la manière de purger l’Etat] est à l’opposé de celle qu’emploient les médecins pour purger le corps ; ceux-ci en effet font disparaître ce qu’il y a de mauvais et laissent ce qu’il y a de bon : lui [le tyran] fait le contraire. »165

160 564a.

Nous retrouvons à nouveau la problématique individuelle : la tyrannie, parallèlement à la république, apparaît comme un état avant d’être un Etat.

161 565c. 162 565d. 163 566e. 164 567b. Voir note 111, p. 34. 165 567c.

Si nous nous bornions à distinguer les Anciens des Modernes à partir d’une définition de la liberté, comme le fait Constant166, alors nous pourrions céder à une lecture linéaire de l’histoire des idées : l’individu aurait progressivement élevé l’accumulation de biens dans sa sphère privée au premier rang de ses préoccupations, devant son engagement au service de la collectivité. Il serait dit « libre », désormais, lorsque l’Etat lui garantirait certains droits et lui permettrait de poursuivre ses propres fins. La république, selon de tels critères, renverrait à des modèles rigoureusement différents, voire incompatibles, chez les Grecs et les

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