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Renouvier et le « principe des nationalités »

Dans le document La République a-t-elle encore un sens? (Page 54-59)

Le fait de se référer à l’acception ethnique du terme de « nation » pour mettre au jour le « support » de la Nation politique et souveraine déboucherait sur un second écueil :

« […] le mot [« Nation »] n’est pas défini, il est donné comme allant de soi. », écrit Claude Nicolet à juste titre197.

Et il ajoute aussitôt :

« […] Il est clair cependant que, s’il peut encore, à la rigueur, s’accommoder d’un qualificatif ethnique - et il s’agit bien sûr de la Nation française, elle-même synthèse des diverses nations, au sens plus précis d’ethnies, que l’Ancien Régime avait agglomérées -, le mot prend, employé en droit public ou dans un texte constitutionnel, une valeur beaucoup plus générale. Puisqu’elle est, dans la théorie, le détenteur et le support de la souveraineté, il faut que la Nation ne soit autre chose que le “corps social”, l’association politique dont avaient parlé tous les écrivains politiques, et en particulier Rousseau. »198

Or, bien loin de lever l’ambiguïté, il ne fait ici que l’amplifier en évoquant une « synthèse » qu’aurait réalisée l’Ancien Régime entre différentes ethnies et qui aurait donné la France. Est-ce approprié ? Il nous semble en l’occurrence qu’un tel angle d’approche s’appuie sur un présupposé qui mériterait d’être discuté.

Admettre une « synthèse » implique effectivement que des éléments épars se soient combinés afin de former un tout, avec pour corollaire une sorte d’équivalence et d’interaction entre eux. La France, selon une vision du reste courante199

, « aurait mis

197

Ibid, p. 400.

198 Ibid, pp. 400-401.

199 Une représentation de la France vue comme un ensemble culturellement homogène, uni par une histoire et

par une langue communes, et ayant transcendé les siècles. Les individus présents dans les limites actuelles du territoire français se seraient en somme toujours sentis français. La fameuse formule « nos ancêtres les Gaulois » suggère de cette manière une filiation entre les lointains occupants du territoire compris entre la Manche et la Méditerranée d’une part, et entre l’Atlantique et le Rhin d’autre part, et les Français du vingt-et-unième siècle. Nous retrouvons une telle représentation en particulier dans certains manuels scolaires. J’ai traité cette question dans La Corse et l’idée républicaine :

« […] Le manuel en question [un manuel d’histoire-géographie de Quatrième, aux éditions Hatier] joint […] une carte qui rend compte de l’expansion du territoire français au cours des siècles. A ceci près que le terme d’“expansion”, qui implique peut-être trop clairement l’invasion et l’appropriation du territoire de l’autre, cède la place à celui de “construction”, dont la connotation est sans doute beaucoup plus positive. Le code de couleurs qui permet de comprendre le document est légendé comme suit : “France en 987” ; “acquisitions avant 1460” ; “acquisitions ou reconquêtes entre 1460 et 1860”. Le terme de “conquêtes” n’est jamais employé. On lui préfère un vocabulaire moins fort, qui tend à légitimer le processus d’expansion. Ce dernier prend alors la forme de l’accomplissement d’une unification qui ne pouvait qu’être dans l’ordre des choses, ou d’un retour à la normale. Le terme de “reconquêtes”, lui, est bien employé, mais suppose précisément que ce sont cette fois d’anciens territoires français qui ont été repris, après avoir été perdus face à un envahisseur étranger. L’édition de 1998 du manuel scolaire d’histoire-géographie de bac professionnel, aux éditions Nathan technique, parle volontiers d’“extension” et d’“annexion” pour évoquer la “construction du territoire français”. Ces termes sont eux aussi moins forts que celui de “conquête”. Le fait d’annexer, notamment, implique en effet moins l’appropriation d’un territoire étranger que le rattachement d’un élément secondaire à un objet principal. Il y a moins de violence dans le verbe “annexer” que dans le verbe “envahir”, par exemple. Employer le terme d’“annexions ” peut donc conduire à penser que l’acquisition d’un territoire repose sur un acte officiel (traité, mariage arrangé, etc.), et non pas sur

longtemps à faire son unité »200. Pourtant, la représentation des Français formant une nation qui aurait traversé l’Histoire et qui n’aurait jamais cessé de tendre à la réalisation de son unité politique ne tient pas si nous la soumettons à un examen attentif. Plutôt que de procéder d’une nécessité, la Nation s’avère issue de contingences historiques.

Plusieurs territoires, sur lesquels vivaient souvent des peuples à part entière, avec leur propre langue et leur propre culture, se sont vus intégrés à l’ensemble français les uns après les autres à la suite de mariages arrangés, d’achats ou, plus simplement, de conquêtes. Ce qu’il faut alors bien saisir, c’est qu’il s’agit-là non pas de ce que nous pourrions appeler une « synthèse », mais d’un processus expansionniste au cours duquel un peuple est parvenu à s’imposer politiquement, militairement et culturellement à d’autres peuples. En d’autres termes, les intérêts de ces derniers ne recoupaient pas forcément l’intérêt de la puissance annexante, et les individus qui les composaient ne pouvaient pas éprouver un sentiment national supérieur et préexistant les incitant à se rassembler dans l’Etat que nous connaissons aujourd’hui : le roi de France ne représentait pour eux qu’un souverain étranger, et rien ne les prédisposait particulièrement à s’en rapprocher ou à se soumettre à son autorité. S’il existe désormais un « code de la nationalité » qui détermine ce qu’est un Français en fonction du « droit du sang » et du « droit du sol », l’adhésion qui l’accompagne éventuellement201 n’est que la conséquence, et non pas la cause, d’un tel processus.

Dans une telle perspective, solliciter une réalité contemporaine pour rendre compte de la formation territoriale de la France équivaut à reconstruire l’Histoire a posteriori. Affirmer, par exemple, afin de justifier les annexions et les conquêtes successives, qu’« il fallait bien que l’unité de la France se fasse », c’est recourir à un anachronisme202

. Les limites

une agression militaire. S’il est exact d’affirmer que le territoire français s’est largement agrandi au moyen de tels actes, il est en revanche fallacieux d’exclure systématiquement les termes d’“invasion” et de “conquête” du vocabulaire employé pour rendre compte de la formation de la France. Un tel recours à des mots plutôt qu’à d’autres […] tend à occulter le rassemblement de plusieurs peuples, souvent par la force, sous une même autorité (celle d’un roi), et à appuyer la vision d’une nation préexistante qui aurait progressivement réalisé son unité politique. » (Paris, L’Harmattan, 2006, pp. 50-51.)

200

Une expression loin d’être innocente, puisqu’elle sous-entend que la France telle que nous la connaissons aujourd’hui est le produit d’un processus historique nécessaire. C’est-à-dire qu’un sentiment national en quelque sorte supérieur et préexistant à toute unité politique aurait initié la « synthèse des diverses nations », pour reprendre le vocabulaire de Claude Nicolet, et que la Nation en tant que détentrice de la souveraineté ne serait que la conséquence d’une telle transcendance. Les occupants successifs du sol délimité par les frontières de l’Etat actuel auraient progressivement pris conscience d’une communauté d’intérêts devant motiver leur rassemblement en un seul peuple.

201 Dans les territoires de la République qui occupent une position périphérique, et dont la population se

trouve quelquefois marginalisée, il arrive encore que des mouvements autonomistes ou indépendantistes mettent en cause leur appartenance à l’ensemble français. Par ailleurs, et même si la loi privilégie une conception universaliste de l’identité, des individus vont au contraire en renvoyer d’autres à une origine vraie ou supposée selon des critères ethniques, voire leur dénier la qualité de Français ; ou bien s’extraire eux-mêmes de la communauté nationale en se revendiquant d’une identité particulière.

Aussi des formules telles que le « sentiment national » ou la « volonté de vivre ensemble » doivent-elles être considérées avec prudence.

202 Nous le retrouvons notamment dans un article intitulé Faut-il fédéraliser la France ?, paru en 2001 dans

Le Monde des débats, sous la plume de l’éditorialiste Jacques Julliard :

« Il n’y a pas lieu de rougir de la tradition française de centralisation, comme il est de bon ton de le faire aujourd’hui. Elle s’est accompagnée d’un haut niveau de civilisation. La culture nationale qui en est résultée a parfois étouffé les cultures régionales, c’est vrai. Mais au total, elle a plus créé qu’elle n’a détruit ; elle a contribué à faire de la France un des hauts lieux de l’esprit et a permis à des populations disparates de se fondre et de vivre en paix. Certes on peut toujours rêver avoir le beurre et l’argent du beurre, la culture nationale et la culture régionale. Mais, historiquement, quand le choix était entre la cohésion et l’émiettement, il a fallu choisir, et il faut être bien coiffé de la morgue anglo-saxonne pour avoir honte de nos aïeux. » (Faut-il fédéraliser la France ?, in Le Monde des débats n° 21, janvier 2001, pp. 11-15.)

de l’Etat français actuel ne reposent nullement sur une sorte de conformité à des « frontières naturelles », comme pourrait le faire accroire une représentation courante, mais sur l’intégration plus ou moins forcée à un territoire de populations porteuses d’identités très diverses. Si nous entendons par « nation » un ensemble d’individus réunis par une culture commune et par la poursuite d’un intérêt commun, le mot peut dès lors se révéler inapproprié en ce qui concerne la France. Par conséquent, nous n’en arriverions toujours pas à une définition satisfaisante de la population devant servir de « support » à la Nation en tant que principe de gouvernement dans le cadre du système républicain. En effet, nous ne pourrions pas nous référer à l’ethnie, puisque la population française apparaît comme l’héritière d’une pluralité d’identités et de culture ; et nous ne pourrions pas davantage nous référer à un groupement humain ayant la « volonté de vivre ensemble »203, puisque cette dernière n’est que la conséquence d’un processus expansionniste204. Nous pourrions alors nous contenter d’affirmer qu’il suffit seulement de prendre en compte le fait qu’aujourd’hui il existe un Etat français, et que c’est sa population qui doit être admise comme Nation, ou peuple souverain. Mais nous en reviendrions de cette manière à notre point de départ, sans avoir résolu le moins du monde le problème du « support »205.

Clef de voûte du système républicain dans sa version française, la Nation s’appuierait au bout du compte sur des fondements peu solides, ce qui lui confèrerait un caractère non seulement ambigu, mais encore fictif. N’est-ce pas le lien qu’elle prétendrait produire qui pourrait se dissoudre, et tout l’édifice qu’elle porterait avec elle qui pourrait vaciller ? Si le problème du « support » s’est souvent vu contourné ou occulté206, il a en

« Certes, en parlant de “cultures régionales” et de “populations disparates”, M. Julliard ne va pas jusqu’à présenter la France comme un vieil ensemble culturellement homogène : il tient compte de la diversité des identités. Mais dans le propos du journaliste, ces dernières apparaissent précisément comme émanant de régions, c’est-à-dire de subdivisions, de parties du tout. Comme si les cultures que nous pouvons aujourd’hui qualifier de “régionales” avaient toujours été chapeautées par une nation française - et une “culture nationale” - préexistante. Or, ces cultures en tant que spécificités régionales ne sont que des réalités plus ou moins récentes. Avant leur rattachement à l’ensemble français, les territoires qui portent de telles spécificités constituent souvent des nations indépendantes, pour lesquelles la France n’est qu’une puissance étrangère. Les cultures qui leur sont associées ne sont alors non pas des “cultures régionales”, mais des cultures nationales à part entière. Lorsqu’aux neuvième et dixième siècles les rois de Bretagne luttent contre les incursions franques dans leur pays, le breton est de cette manière le vecteur de la culture nationale bretonne. Occulter cet aspect de l’histoire contribue à la reconstitution a posteriori du passé à partir de nos représentations contemporaines. D’où une vision anachronique de la formation territoriale de la France, qui est particulièrement marquée dans la dernière phrase du passage cité. M. Julliard y parle du choix qu’il a fallu faire, historiquement, “entre la cohésion et l’émiettement”. Mais à quel moment de l’histoire fait-il donc allusion ? Evoquer un risque d’émiettement suppose d’admettre un tout - ici la nation française - qui puisse se désagréger. Il n’y aurait effectivement pas de sens à mentionner un tel risque dans le cas d’éléments épars, ne constituant pas un ensemble unifié. Or, en ce qui concerne la France, insistons encore une fois sur ce point essentiel, il est vain de chercher un tout préexistant - et susceptible de s’émietter- à l’Etat que nous connaissons aujourd’hui. Le sentiment national qui existe à présent n’est que le résultat, et non pas la cause, du rassemblement de plusieurs peuples sous une seule autorité, au terme d’un processus expansionniste. Historiquement, le prétendu choix entre la cohésion et l’émiettement dont parle M. Julliard est à cet égard un non-sens. » (Paris, L’Harmattan, 2006, pp. 49-50.)

203 Cf. Renan (Ernest). Qu’est-ce qu’une nation ?. Marseille, Le Mot et le reste, 2007. 204

A mille lieues, donc, d’un contrat social motivé par l’atteinte d’un bien commun.

205 Et nous ne ferions qu’entériner un état de fait résultant d’un rapport de forces, alors même que la

république suppose l’Etat de droit.

206 Le mérite de Renouvier concernant la France est de ne pas contourner la difficulté dès qu’il s’agit de cette

question. Habituellement, elle est effectivement ignorée, y compris par des auteurs qui s’intéressent pourtant à la reconnaissance des minorités dans le cas d’autres Etats (la situation du Tibet face au pouvoir chinois fait ainsi régulièrement couler beaucoup d’encre). Claude Nicolet ne fait que l’effleurer. Il n’est pas rare de l’évacuer en prenant l’effet pour la cause : au lieu d’interroger le statut des « nations naturelles » au cœur de l’Etat français, on retourne le problème en affirmant que, puisque la République est « une et indivisible », il n’existe pas de minorités en France.

revanche été posé par Renouvier au dix-neuvième siècle, en particulier après 1848, alors que le « principe des nationalités »207 se voyait mis en avant dans toute l’Europe.

De quoi s’agit-il ? Selon les promoteurs d’un tel principe, de la continuation du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » proclamé dès la Révolution, les ethnies devant servir de « supports » justifiant la formation de nouveaux Etats. Cependant, Renouvier y dénonce plutôt une contradiction, voire un détournement des acquis issus des Lumières :

« Les guerres européennes et les guerres civiles qui ont éclaté en 1848 après trente-trois ans de paix, ensuite la politique étrangère du second Empire français ont apporté dans le monde ce qu’on a nommé le principe des nationalités, c’est-à-dire la triple négation de l’esprit moral et politique du dix-huitième siècle et de sa doctrine philosophique du droit des gens208 : 1°, par l’abandon des sentiments cosmopolitiques209 ; 2°, par la recherche de tout ce qui sépare les nations et les rend hostiles les unes aux autres : langues oblitérées à remettre en honneur, littérature à isoler, droit et mœurs à opposer210

, vieux privilèges, anciennes prétentions, frontières historiques à revendiquer ; 3°, et c’est le point le plus important, par le renoncement à l’idée capitale de la supériorité de la raison sur la coutume211, et au vœu

philosophique de voir tous les peuples régis par l’unique raison, mère du droit unique. », écrit- il212.

Alors que le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » renvoie à la Nation en tant qu’association politique affranchie de tout gouvernement qui ne procèderait pas d’elle213

, le « principe des nationalités », lui, mettrait en avant les « nations naturelles », c’est-à-dire les communautés unies par la langue, la tradition ou la religion. Renouvier anticipe et prévient à cet égard un risque de rupture avec l’universalisme au profit de l’ethnicisme. Le premier s’inscrirait dans une tradition républicaine spécifiquement occidentale, libérale et individualiste, qui assignerait à l’Etat comme but la garantie des libertés individuelles, tandis que le second se contenterait de la seule émancipation d’un être collectif. Or, cette dernière

207 C’est-à-dire l’idée selon laquelle les frontières des Etats doivent coïncider avec les nations, au lieu d’être

déterminés par la fidélité d’une population à un seigneur, un roi ou un empereur. La promotion d’une telle idée aboutira notamment à l’unification de l’Allemagne et de l’Italie, et au démantèlement, après la Première Guerre mondiale, de l’Empire austro-hongrois.

208 Passage clef, qui permet d’inclure Renouvier dans une tradition républicaine plus vaste, libérale, héritée

des Lumières et centrée sur les droits individuels. Œuvres de Renouvier :

Manuel républicain de l’homme et du citoyen. Paris, 1848. Science de la morale. Paris, 1869. 2 vol.

Philosophie analytique de l’histoire. Les idées, les religions, les systèmes. Paris, 1896. 4 vol. Ouvrages sur Renouvier :

Blais (Marie-Claude). Au principe de la République. Le cas Renouvier. Paris, Gallimard, 2000. Milhaud (Gaston). La Philosophie de Renouvier. Paris, Vrin, 1927.

Mouy (Paul). L’Idée de progrès dans la philosophie de Renouvier. Paris, Vrin, 1927. Picard (Roger). La Philosophie sociale de Renouvier. Paris, Rivière, 1908.

Prat (Louis). Charles Renouvier philosophe. Sa doctrine, sa vie. Paris, Armand Colin, 1937.

209 Renouvier présuppose l’incompatibilité du « cosmopolitisme » et de l’affirmation d’une « nation

naturelle », comme si les identités supranationale et locale étaient exclusives l’une de l’autre. Pourtant, il est envisageable de dépasser la contradiction en les conjuguant à des échelles différentes. Au vingt-et-unième siècle, l’Union européenne assure la paix entre ses membres tout en promouvant les minorités culturelles. Elle se compose d’ailleurs essentiellement d’Etats fédéraux qui accordent de larges compétences aux régions. La France fait cependant exception, et a refusé de ratifier l’intégralité de la Charte des langues minoritaires.

210

Avec le risque, de voir la liberté individuelle sacrifiée au nom d’une liberté collective dont les normes seraient fixées par la coutume. L’individu serait alors oppressé par le groupe.

211 Encore la filiation par la raison, contre ce qui n’est pas elle.

212 Philosophie analytique de l’histoire. Les idées, les religions, les systèmes, Paris, 1896, vol. III, p. 665. 213

pourrait se traduire par l’asservissement d’individus sommés de se conformer aux normes régissant une identité communautaire. C’est que la « nation naturelle » est par essence conservatrice : elle suppose la préservation d’un « mode de vie » entretenu par la reproduction des mêmes pratiques au fil des générations. Ses membres se bornent à « faire comme tout le monde » ou « comme on a toujours fait », sous peine de susciter leur exclusion du corps social. L’habitude rejetterait toute initiative personnelle. Les Lumières et la Révolution, au contraire, entendent sortir l’individu de son état de tutelle par le développement de l’esprit critique : elles s’inscrivent dans une démarche progressiste et l’encouragent à mettre en cause les croyances pour leur substituer des savoirs. D’où, en réalité, une opposition foncière entre, d’une part, le fait d’assujettir l’individu à un ordre initié par la coutume, et, d’autre part, l’idéal de la raison qui émerge à partir du milieu du dix-huitième siècle et qui vise l’autonomie d’un citoyen intégré dans un système de gouvernement protégeant ses droits. Aussi la « nation naturelle » signifierait-elle en définitive un retour en arrière et la négation de la Nation rationnelle indissociable de la modernité républicaine.

Conformément à l’optique rousseauiste du contrat, les révolutionnaires, puis les républicains, n’envisagent la Nation que sous un aspect universaliste, ce qui peut précisément les conduire à vouloir extraire l’individu d’un environnement linguistique, traditionnel ou religieux considéré comme un obstacle à son intégration dans la société civile214.

L’affirmation de la communauté définie selon des critères ethniques, et ce qui

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