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La République comme accomplissement du projet libéral initial

Dans le document La République a-t-elle encore un sens? (Page 80-88)

La République dans sa version française, qui poursuit un projet d’affranchissement de l’individu, consisterait dans une tentative de mise en œuvre du projet libéral initial, c’est-à-dire émancipateur. Privilégier un tel angle d’approche, dans une telle optique, permettrait en outre de lever ce qui pourrait, de prime abord, faire figure d’incohérence dès que nous nous intéressons aux « origines de la République ».

Claude Nicolet signale ainsi, dans L’Idée républicaine en France, les travaux de Joseph Fabre295 pour identifier les « pères fondateurs »296, c’est-à-dire les philosophes dont la République se serait inspirée. Il cite essentiellement Montesquieu, Voltaire, Rousseau et Condorcet297. Or, si nous attribuons au premier la séparation des pouvoirs et au second la tolérance, le troisième, lui, avec la souveraineté populaire, pourrait faire figure d’intrus. En effet, la séparation des pouvoirs, en contenant l’autoritarisme potentiel du pouvoir central au profit de l’individu, et la tolérance, qui, par définition, permet à ce dernier de penser librement, en particulier face à une éventuelle emprise religieuse, se rattacheraient de façon assez évidente aux principes libéraux. Quant à Condorcet298, il se positionne clairement en faveur d’une instruction publique au service de l’émancipation individuelle, au lieu de prôner l’instauration d’une éducation nationale qui subordonnerait le sujet à un système de valeurs fixées par l’Etat299

. Il nous faut relever la modernité de L’Esquisse :

« L’égalité d’instruction que l’on peut espérer d’atteindre, mais qui doit suffire, est celle qui exclut toute dépendance, ou forcée, ou volontaire. […] »300

295 Cf. Fabre (Joseph). Les Pères de la Révolution, de Bayle à Condorcet. Paris, 1910. 296

L’Idée républicaine en France (1789-1924), Paris, Gallimard, 1994, pp. 80-81.

297

« […] Peu à peu, les rôles se répartissent, les places au Panthéon se fixent. A Voltaire la liberté de conscience et la tolérance, à Montesquieu la lointaine paternité d’une “séparation” des pouvoirs aussi illusoire chez lui que dans la réalité politique, mais nimbée de libéralisme, à Rousseau, le plus “scandaleux” de tous, la doctrine implacable de la souveraineté populaire. […] A Condorcet enfin la République, et - sur ce point tous s’accordent - la prophétie du progrès et de l’éducation du peuple […]. » (Ibid.)

298 Sur Condorcet :

Albertone (M.). Una scuola per la Rivoluzione. Condorcet e il dibatitto sull’istruzione, 1792-1794. Naples, 1979.

Alengry (Franck). Condorcet guide de la Révolution française, théoricien du droit constitutionnel et précurseur de la science sociale. Paris, 1904.

Cahen (Léon). Condorcet et la Révolution française. Paris, Alcan, 1904. Cento (A.) Condorcet e l’idea di progresso. Florence, 1956.

Schapiro (J. S.). Condorcet and the Rise of Liberalism. New York, 1934.

299 Voir note 114, p. 34.

Constant, d’ailleurs, lui fait écho :

« […] Telle est l’éducation, par exemple. Que ne nous dit-on pas sur la nécessité de permettre que le gouvernement s’empare des générations naissantes pour les façonner à son gré, et de quelles citations érudites n’appuie-t-on pas cette théorie ? […] Nous sommes des modernes qui voulons jouir, chacun, de nos droits ; développer, chacun, nos facultés comme bon nous semble, sans nuire à autrui ; veiller sur le développement de ces facultés dans les enfants que la nature confie à notre affection, d’autant plus éclairée qu’elle est plus vive, et n’ayant besoin de l’autorité que pour tenir d’elle les moyens généraux d’instruction qu’elle peut rassembler ; comme les voyageurs acceptent d’elle les grands chemins, sans être dirigés par elle dans la route qu’ils veulent suivre. […] » (Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, in Pierre Manent, Les Libéraux (anthologie), Paris, Gallimard, 2001, p. 453-454.)

300

Le programme, qui vise l’affranchissement de l’individu, et par conséquent à assurer la liberté des Modernes, est libéral. Le texte se poursuit en ces termes :

« […] Nous ferons voir que par un choix heureux, et des connaissances elles- mêmes, et des méthodes de les enseigner, on peut instruire la masse entière d’un peuple de tout ce que chaque homme a besoin de savoir pour l’économie domestique, pour l’administration de ses affaires, pour le libre développement de son industrie et de ses facultés, pour connaître ses droits, les défendre et les exercer ; pour être instruit de ses devoirs, pour pouvoir les bien remplir, pour juger ses actions et celles des autres d’après ses propres lumières, et n’être étranger à aucun des sentiments élevés ou délicats qui honorent la nature humaine ; pour ne point dépendre aveuglément de ceux à qui il est obligé de confier le soin de ses affaires ou l’exercice de ses droits ; pour être en état de les choisir et de les surveiller301

, pour n’être plus la dupe de ces erreurs populaires qui tourmentent la vie de craintes superstitieuses et d’espérances chimériques ; pour se défendre contre les préjugés avec les seules forces de la raison ; enfin, pour échapper aux prestiges du charlatanisme, qui tendrait des pièges à sa fortune, à sa santé, à la liberté de ses opinions et de sa conscience, sous prétexte de l’enrichir, de le guérir et de le sauver. »302

Si nous conservions l’idée d’une République calquée sur les anciennes Cités, il pourrait être facile d’attribuer exclusivement à Condorcet la volonté de former des citoyens suffisamment instruits pour prendre part aux affaires publiques, que ce soit sur l’agora ou par l’intermédiaire, dans le cadre d’un grand Etat, de représentants. Ce sont alors uniquement ces derniers que le Peuple devrait être en mesure de « choisir » et de « surveiller » de manière à assurer la transparence indispensable au contrôle démocratique du gouvernement303. Mais une telle grille de lecture équivaudrait en réalité à tronquer le texte et à lui faire dire ce qu’il ne dit pas seulement. Aussi s’agirait-il d’une interprétation réductrice. En effet, Condorcet, ici, vise en premier lieu la transmission à l’individu des moyens d’assurer la protection et l’épanouissement de sa propriété : si « la masse entière d’un peuple » peut et doit être instruite, ce n’est pas tant pour elle-même (en tant qu’être collectif négateur des singularités) mais de manière à ce que chacun de ses membres (« chaque homme ») soit suffisamment éclairé pour conduire ses propres affaires et avoir la maîtrise de sa sphère privée. C’est bien sur l’exercice de droits individuels, et en premier lieu domestiques (c’est-à-dire qui renvoient au domicile, et non pas à une éventuelle action dans la sphère publique), que le texte est centré. Le contrôle des représentants ne vient qu’en second.

S’il s’agissait seulement de poursuivre un bien commun ou, pour le dire autrement, le développement d’une propriété collective, nous pourrions supposer qu’un tel but suffirait en outre à assurer un lien de confiance entre les différentes composantes du corps social, unies dans un même mouvement.

Or, précisément, la confiance qui pourrait lier harmonieusement chaque élément de « la masse du peuple » aux autres est absente du propos de Condorcet. Si ce dernier admet que nous puissions « confier » à autrui la gestion de nos affaires et de nos intérêts, c’est uniquement par nécessité, lorsqu’il ne nous est pas possible de faire autrement, faute de compétence ou de disponibilité.

Dans de telles conditions, il ne s’agit nullement de faire confiance à l’autre, mais au contraire de le « choisir » et de le « surveiller » parce que, justement, nous devons nous en méfier et ne pas le laisser s’occuper abusivement de ce qui nous est propre. En effet, dans une société privatisée, l’intérêt de mon interlocuteur ne coïncide pas forcément avec le mien, et je

301 Déjà cité note 193, p. 50.

302 Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain X, Paris, Flammarion, 1988, p. 275. 303

dois veiller à ce qu’il ne détourne pas mes biens (ou pour mieux dire à ce qu’il ne les distrait pas) du but auquel je les destinais.

Il faudrait par conséquent faire preuve de vigilance. Le fait d’être éclairé supposerait à cet égard la capacité à s’affranchir de toute croyance aveugle par l’usage de la raison. L’individu dépendant, en revanche, serait celui qui, ne possédant pas une telle capacité, se trouverait contraint de se désapproprier de ses affaires en s’en remettant totalement à autrui. Le bénéficiaire d’un tel transfert de la propriété individuelle pourrait alors se poser comme le détenteur exclusif des compétences et des savoirs liés à la gestion des affaires qui lui seraient confiées, ou plutôt ainsi abandonnées. Parce que l’individu privé d’autonomie ne serait pas apte à juger lui-même de la conduite de ses affaires, il ne serait pas en mesure de critiquer, et éventuellement de contester l’action du bénéficiaire en question. D’où sa subordination, et au bout du compte son asservissement, à ses décisions. Celui qui prendrait ces dernières aurait dès lors la possibilité de servir son propre intérêt, et non pas celui de l’individu qui serait soumis à sa tutelle, sans vraiment lui rendre de comptes.

L’individu éclairé pourrait en revanche produire sa propre appréciation sur la manière dont l’autre conduirait ses affaires. Il serait capable de soumettre - et non pas d’être soumis - ce qui lui serait proposé à un examen lucide : il vérifierait et évaluerait le travail de son interlocuteur, de façon à s’assurer qu’il serait bien réalisé conformément à ce qu’il en attendrait et à son intérêt. En d’autres termes, la sortie de l’état de tutelle résiderait dans la capacité à déterminer soi-même la valeur et la crédibilité des mesures prises, et d’établir si elles constitueraient des réponses appropriées aux problèmes rencontrés.

C’est à cet égard l’éducation qui serait la condition du contrôle du travail de celui auquel nous confierions nos affaires. Payer304, pourquoi pas, tant que le prix n’est pas trop élevé et ne consiste pas dans l’abandon de notre propre liberté305

.

Condorcet pense bien son projet éducatif en libéral, donnant des clefs non pas tant à un citoyen au service de la collectivité qu’à un individu délié vaquant d’abord à ses propres occupations. C’est uniquement en fonction d’un tel individualisme que l’autorité de l’Etat et des instances qui en dépendent - et c’est là que l’école peut jouer un rôle - peut être admise, et acceptée comme étant indispensable. Si l’individu était livré à lui-même, face aux autres (ou au marché, d’ailleurs), dans un cadre social qui ne lui permettrait pas d’avancer avec ses semblables, alors il serait la proie d’autrui. D’où la nécessité de l’intervention d’une instance supérieure afin d’assurer l’égalité des chances de toutes les composantes du corps social. Intervention qui procède non pas à un asservissement totalitaire des individus à la collectivité (que nous l’appelions « Etat », « Nation » ou encore « peuple souverain »), mais, dans une optique profondément et authentiquement individualiste, à la transmission à chacun des savoirs nécessaires à son épanouissement tant dans la sphère publique que dans sa sphère privée.

304 « Paresse et lâcheté sont les causes qui font qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les eut

affranchis depuis longtemps d’une conduite étrangère (naturaliter maiorennes), restent cependant volontiers toute leur vie dans un état de tutelle ; et qui font qu’il est si facile à d’autres de se poser comme leurs tuteurs. Il est si commode d’être sous tutelle. Si j’ai un livre qui a de l’entendement à ma place, un directeur de conscience qui a de la conscience à ma place, un médecin qui juge à ma place de mon régime alimentaire, etc., je n’ai alors pas moi-même à fournir d’efforts. Il ne m’est pas nécessaire de penser dès lors que je peux payer […]. » (Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?, Paris, Flammarion, 1991, p. 43.)

305 Un tel abandon est le critère retenu dans la France contemporaine pour dénoncer la dangerosité des sectes :

« […] Finalement, le résultat concret est le même pour toutes les sectes orientalisantes ou non : régression de l’homme, destruction de ses pouvoirs rationnels, soumission absolue à un maître, élitisme, le tout pouvant aller jusqu’à une monarchie esclavagiste de droit divin. […] », écrit Roger Ikor, fondateur du Centre contre les manipuations mentales, en 1984.

A cet égard, la récurrence du débat sur les phénomènes sectaires, notamment à l’occasion du travail d’une commission parlementaire, ne relève pas d’un simple fait médiatique, mais renvoie bien à un enjeu républicain originel.

La souveraineté populaire, chère à Rousseau306, en revanche, pourrait être comprise comme renvoyant non plus à une mise en avant de la liberté individuelle, mais à l’affirmation d’une instance collective en tant que pivot de l’organisation sociale. Dès l’origine, la République dans son contenu idéologique paraîtrait prendre de cette manière la forme d’une tentative de synthèse, ou pour mieux dire de « syncrétisme », entre des héritages fort divers, voire incompatibles. Il existerait une tension continue, dans cette tradition politique, entre Voltaire et Rousseau, entre la liberté et l’égalité, entre l’individu et le bien

commun ; un choix à faire depuis plus de deux siècles, jamais vraiment réalisé, et pouvant

aller jusqu’à décrédibiliser un modèle qui apparaîtrait finalement, en particulier dans le monde contemporain, incohérent, obsolète et non viable.

Avec Rousseau, la République ne se départirait pas d’une référence à l’antique idée de liberté et s’avèrerait dès lors réductible à un idéal dépassé. Encore convient-il de bien lire l’auteur du Contrat social. Jean-Fabien Spitz, dans Le Moment républicain en France307

,

et à la suite de Henry Michel308 à la fin du dix-neuvième siècle, propose une lecture libérale d’une formule clef de la pensée rousseauiste :

« Il n’y a que la force de l’Etat qui fasse la liberté de ses membres. »309

De prime abord, nous pourrions entendre par là que le fait d’être libre n’aurait de sens que dans le cadre social défini par la puissance publique. En d’autres termes, la sphère privée ne pourrait qu’être subordonnée à l’Etat, conformément à l’idée que les Anciens se faisaient de la liberté. Rousseau se bornerait donc à vouloir reproduire un modèle dans lequel l’intérêt de la Cité considérée dans sa totalité primerait l’individu. Selon une telle interprétation, la force de la communauté des citoyens s’apparenterait à la fin qui devrait être poursuivie au travers de toute organisation de la vie collective. Pourtant, la formule en question pourrait être comprise d’une toute autre façon : faire de la force de l’Etat la condition de la liberté de ses membres signifierait tout autant qu’une telle force, au lieu d’être la fin visée, serait le moyen essentiel qui permettrait de produire pleinement la liberté individuelle. Il ne s’agirait pas de sacrifier la singularité de l’individu au profit du rôle qu’il devrait jouer au sein de la collectivité, mais seulement de mettre en évidence combien la sphère privée aurait besoin justement de l’intervention de la puissance publique pour s’épanouir. Bien loin d’en appeler à l’autoritarisme d’un Etat coercitif, Rousseau soutiendrait dès lors que l’autorité légitime viendrait au contraire compléter et appuyer le développement des individualités. Par conséquent, il se révèlerait lui aussi être un ardent défenseur de la liberté dans son acception la plus moderne, et il ne se démarquerait nullement à cet égard de ses contemporains du siècle

306

Sur Rousseau :

Derathé (Robert). Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps. Paris, Vrin, 1970.

307 Le Moment républicain en France, Paris, Gallimard, 2005, pp.66-72. 308 Œuvres :

L’Idée de l’Etat, essai critique sur l’histoire des théories politiques et sociales. Paris, 1896. La Doctrine politique de la démocratie. Paris, 1901.

Le Centenaire d’Edgar Quinet. Paris, 1903. Propos de morale. Paris, 1904. 3 vol. Articles :

De l’histoire des doctrines politiques : sa nature, sa méthode, in Revue de droit public VII, 1897, pp. 221- 234.

Herbert Spencer et Charles Renouvier, in L’Année psychologique, 1904, pp. 142-166.

Jean-Fabien Spitz précise que Henry Michel se réclame de l’héritage de Charles Renouvier, et qu’après sa mort ses amis lui ont consacré un volume d’hommages : Henry Michel (ouvrage collectif), Paris, 1907, qui comprend notamment une contribution de Célestin Bouglé : Une doctrine idéaliste de la démocratie : Henry Michel.

309

des Lumières. Le Contrat social insisterait simplement sur la nécessité du recours au législateur pour qu’une telle liberté puisse exister :

« […] Si l’on comprend bien le sens de cette proposition, on s’aperçoit en effet que Rousseau n’a jamais voulu la souveraineté de la cité et de sa loi pour elle-même, mais uniquement parce que la réflexion enseigne que cette souveraineté est un moyen indispensable à la liberté du citoyen. », souligne Jean-Fabien Spitz310.

Pour le dire autrement, Rousseau n’aurait jamais fait de la collectivité en tant que telle le critère exclusif de l’organisation sociale, auquel devrait être soumis tout autre élément, en particulier la liberté individuelle. Mais c’est précisément parce qu’il met l’individu au centre de ses préoccupations, et qu’il en fait la finalité de l’action politique, qu’il en vient à soutenir la puissance publique comme moyen, et uniquement comme moyen, de l’extension du champ de ses possibles. A l’instar de Montesquieu, de Voltaire et, plus tard, de Condorcet, il s’inscrit dans la tradition du libéralisme émancipateur.

Cependant, en quoi l’intervention de l’Etat s’avèrerait-elle souhaitable, voire indispensable, à l’émancipation de l’individu ? C’est que, sans celui-ci, celui-là se trouverait livré à lui-même, et que nous pourrions imaginer que d’autres, profitant d’une position dominante, emploieraient leur force naturelle dans le but de le soumettre et de l’asservir. En l’absence d’un contrôle pratiqué par une instance supérieure, la liberté des uns pourrait effectivement non pas s’arrêter là où commence celle des autres, pour reprendre une formule courante, mais empiéter sur elle, voire l’annihiler. Le recours à la puissance publique permettrait par conséquent une jouissance égale311 pour tous de la liberté individuelle.

C’est pourquoi Jean-Fabien Spitz ajoute, en se référant toujours à Michel :

« […] L’Etat ne doit pas être fort pour lui-même ou pour peser sur l’individu, dit Michel, mais il doit être fort pour appuyer de sa force l’effort que chacun des citoyens fait vers l’autonomie, effort qui serait voué à l’échec en présence des appétits de domination d’autrui, si l’Etat ne lui prêtait pas le secours de ce que Rousseau appelle “ la force commune”. »312

Rousseau, une fois replacé dans la modernité, peut être admis comme un individualiste ayant saisi l’importance de l’association politique en vue de la conduite de l’individu vers cet état d’affranchissement qui est l’objet du projet républicain non seulement français, mais plus largement moderne et occidental :

« […] Rousseau est donc bien un individualiste, puisque la faculté de chacun de s’affranchir des liens de la domination est sa préoccupation première et exclusive, mais son individualisme, loin d’exclure le concours de l’Etat, l’invoque au contraire “pour assurer dans des conditions plus favorables, plus promptes et plus sûres le développement de l’individualité”. »313

310 Ibid, p. 67.

311 Le libéralisme, initialement, ne dissocierait pas la liberté de l’égalité. 312 Le Moment républicain en France, Paris, Gallimard, 2005, p. 67. 313

Il n’aurait jamais été question, à partir des « pères fondateurs » et après 1789314

, de reconstituer la liberté des Anciens dans une sorte de Cité oppressant ceux qui lui appartiendraient. La République ne serait qu’une émanation du libéralisme :

« […] La République n’est donc pas la négation ou l’inversion du projet libéral moderne mais son achèvement ; loin de vouloir retourner vers la liberté des anciens elle regarde vers l’avant, c’est-à-dire vers une forme de société authentiquement “individualiste”, et elle sait que l’avènement de cette société passe par l’avènement de la puissance publique, seul facteur capable de créer et de maintenir la mobilité, la légitimité et la liberté. »315

Dans le document La République a-t-elle encore un sens? (Page 80-88)