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Le projet de recherche initial envisageait avant tout la constitution d’un cor-pus de données qualitatives. Dans cette optique, nous avons réalisé des campagnes

d’entretiens ainsi que des chantiers d’observation ethnographique.

Entretiens

Le volet qualitatif de ce travail repose surtout sur des campagnes d’entretiens menées entre décembre 2005 et juin 2008. 117 entretiens semi-directifs ont été réali-sés, auprès de 109 acteurs différents19. En complément de ce corpus, des entretiens de musiciens rencontrés dans le cadre de notre mémoire de master20 ont pu être mobilisés ponctuellement. Plusieurs considérations ont guidé la constitution de cet échantillon. Nous avons veillé à ce qu’il reflète la grande diversité des acteurs du monde choral. Ceux-ci jouent des rôles différents : choristes, chefs de chœur ou res-ponsables administratifs. Ils ont des rapports différents à leur pratique : débutants ou chanteurs confirmés, amateurs ou professionnels. Nous avons évidemment veillé à couvrir cette variété des situations personnelles. Au delà des individus, il fallait éga-lement être en mesure de rendre compte de la diversité des groupes qui composent le monde choral. Ceux-ci ont des tailles, des répertoires et des modes d’organisa-tion extrêmement divers. Nous avons donc voulu nous assurer que les trajectoires individuelles recueillies nous permettraient de rendre compte de cette diversité des groupes au sein desquels elles se déroulent.

Afin de répondre à cette double nécessité, notre échantillon a été construit en deux temps. Nous avons commencé par construire un échantillon de chœurs à partir duquel était recruté un échantillon d’individus. À partir des ressources disponibles (bases de données, recherches sur Internet, annuaires d’associations chorales. . .), des chœurs ont été sélectionnés sur la base de divers critères : répertoire, effectif, appartenance ou non à une fédération. . . Après avoir pris contact avec ces ensembles et avoir assisté à une ou plusieurs de leurs répétitions, nous organisions des entretiens avec leurs membres. La même démarche en deux temps a également été adoptée afin d’étudier les événements du monde choral ne relevant pas du seul fonctionnement d’un chœur : rassemblements, festivals, stages de formation à la direction. Au fil de l’enquête, la méthode de construction de l’échantillon a évolué. La densité des réseaux du monde choral, ainsi que la forte mobilité de certains individus nous a permis de compléter notre échantillon en recourant au principe classique de la

19. Plusieurs d’entre eux, en particulier parmi les témoins historiques, ont été rencontrés à deux, voire à trois reprises.

20. Ce mémoire porte sur les structures de professionnalisation intervenant à l’intersection entre les institutions de formation et les marchés du travail de la musique classique : orchestres de jeunes, académies musicales, concours,. . . [Lurton, 2005]. Les carrières de certains musiciens rencontrés avaient pu se dérouler partiellement en lien avec le monde choral.

« boule de neige ». L’accumulation de contacts de proche en proche, au gré de notre circulation au sein du monde choral, a permis de recueillir de l’information sur des chœurs aux caractéristiques extrêmement diversifiées.

Les entretiens réalisés21 suivent une trame biographique. Le sentiment d’intelli-gibilité immédiate que procure un récit de vie n’est pas sans présenter des risques sur le plan méthodologique [Passeron, 1989]. Il faut rester sensible à la reconstruc-tion a posteriori de la cohérence des trajectoires individuelles. Les récits de vie n’en restent pas moins des outils efficaces lorsqu’il s’agit de restituer la structure d’un espace social [Bourdieu, 1986]. Suivant les préconisations de Pierre Bourdieu, nous les utilisons comme des marqueurs permettant de faire ressortir en creux les structures sociales qui les contraignent22. Dans cette optique, nous nous sommes particulièrement intéressés aux moments de bifurcation au cours desquels les trajec-toires changent de direction : débuts de la pratique chorale, changement de chœur, changement de statut au sein du monde choral23.

Au delà de cette trame biographique, des relances visaient à obtenir de l’informa-tion sur le foncl’informa-tionnement des chœurs auxquels appartenaient les acteurs. Lorsque ceux-ci étaient impliqués dans le fonctionnement administratif de leur groupe, les entretiens pouvaient alors prendre un tour plus organisationnel. Il s’agissait de préci-ser la nature des tâches nécessaires au fonctionnement des chœurs, de recenpréci-ser leurs interlocuteurs et de repérer les éventuelles difficultés et points de blocages rencontrés par les ensembles.

Ethnographie

Les campagnes d’entretiens ont été complétées par des sessions d’observation ethnographique. L’observation ethnographique a été mobilisée comme un moyen pri-vilégié pour comprendre le vécu et le ressenti des acteurs impliqués dans la pratique

21. Ceux-ci ont été organisés soit chez les personnes interrogées, soit dans des cafés ou d’autres espaces publiques. Quelques entretiens ont pu se dérouler sur les lieux de l’activité des personnes interrogées (espace associatif dans la sphère amateur, lieu de travail des administrateurs profes-sionnels ou de membres d’administrations publiques). Ils ont une durée moyenne comprise entre une heure et demi et deux heures. Les plus court se limitent à une quarantaine de minutes, et certains peuvent aller au delà de quatre heures.

22. La métaphore du « plan de métro » que l’on est en mesure de reconstituer à partir d’un relevé des trajets individuelles est particulièrement éclairante pour saisir la logique de cette démarche [Bourdieu, 1986].

23. Passage de l’amateurisme au professionnalisme, d’un rôle de chanteur à celui de chef de choeur, prise de responsabilité au sein d’une structure associative. . .

chorale24.

Nous avons tout d’abord réalisé des observations ponctuelles qui n’avaient pas vocation à déboucher sur un suivi à long terme des acteurs impliqués. Celles-ci ont eu lieu dans des contextes divers. Au début de notre terrain, lorsque nous prenions contact avec un chœur afin de rencontrer des acteurs à interroger, nous assistions d’abord à une ou deux répétitions. Lorsque cela était possible et souvent à l’in-vitation spontanée du chef de chœur, ces observations étaient participantes. Nous avons également observé des événements, qui sans relever de la vie quotidienne d’un chœur, participent au fonctionnement du monde choral. Nous avons assisté à des concerts de chant choral, rassemblements de chœurs, stages de chant choral et de di-rection, réunions d’instances associatives (chœurs, fédérations). . . Outre le matériau que constituent les notes collectées, ces observations ponctuelles ont été autant d’oc-casions de recruter des individus pour des entretiens. Le matériau ethnographique recueilli était alors susceptible d’être confronté aux discours des acteurs25.

En plus de ces observations ponctuelles, nous avons mené des observations à plus long terme au sein d’une chorale associative dont nous avons suivi le fonctionnement pendant six mois. Il s’agissait à l’origine de suivre la participation d’un groupe à l’édition 2007 des Choralies. Ayant rencontré un chœur de jeunes affilié à la fédération À Cœur Joie qui envisageait de s’y produire, nous avons envisagé de suivre leur parcours. Cet ensemble étant en recherche de voix d’hommes pour compléter leur effectifs, il a été convenu qu’il m’était laissé la possibilité d’observer librement le groupe pour le besoin de mes recherches, moyennant un renfort dans le pupitre des ténors. J’ai suivi cet ensemble de façon régulière, de décembre 2005 au rassemblement des Choralies en août 2006. J’ai assisté à la plupart des répétitions du groupe ainsi qu’aux événements marquants de son fonctionnement : rassemblements de chant choral, week-end de répétitions, concerts.

Ce suivi s’est achevé par la participation aux Choralies qui constitue en soi un second chantier important d’observation. Même si un chœur peut se rendre collec-tivement aux Choralies — essentiellement pour donner un concert dans le cadre de

24. L’usage des méthodes ethnographiques dans l’analyse du travail de production artistique a fait l’objet du colloque « Ethnographies du travail artistique », organisé les 21 et 22 septembre 2006 par le laboratoire Georges Friedmann à l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, dont certaines com-munications ont été publiées dans le numéro 38 de la revueEthnologie française [Buscatto, 2008]

25. Nous avons pu ainsi leur demander de réagir aux moments observés : « Comment s’est pas-sée la répétition hier ? », « Qu’avez-vous pensé de ce concert ? », « Comment avez-vous vécu ce rassemblement ? ». . . ou encore de solliciter des explications quant événements observés : « Que s’est-il passé hier lorsque vous êtes allé parler au chef ? ».

la programmation26 — l’inscription reste individuelle. Tout en suivant l’aboutisse-ment du projet suivi en cours d’année, nous avons donc assisté au rassemblel’aboutisse-ment en tant qu’individu, en participant à un atelier et en assistant aux concerts, réunions, animations. . . qui émaillent cet événement. Là encore, l’observation de ces dix jours a été l’occasion de compléter l’échantillon d’entretien.

Ce relevé des observations réalisées, participantes ou non, ne serait pas com-plet si nous ne signalions l’occasion qui nous a été donnée de diriger des groupes de chanteurs lors de la dernière année consacrée à la rédaction de cette thèse. Ces expériences de direction n’ont pas été envisagées à l’origine comme des observations ethnographiques. Elles découlaient de circonstances tout à fait fortuites et person-nelles relevant des sphères amicales et familiales. Il serait vain de nier leur impact sur la rédaction alors en cours. Elles ont très vite fait écho aux pages déjà écrites ou en cours d’écriture. Elles ont d’une part conforté certaines analyses déjà menées qui se trouvaient pleinement illustrées par les événements me conduisant à découvrir la direction. Elles ont par ailleurs aiguisé la compréhension du vécu subjectif des chefs de chœur et certains entretiens ont pris un relief nouveau à la relecture.

Tentative d’auto-analyse chorale

Pratiquant la musique en amateur, le monde choral ne m’était pas étranger avant même de commencer ce travail de thèse. L’appartenance aux mondes étudiés, fréquente dans la sociologie des milieux artistiques, n’est pas sans poser question. Elle facilite la recherche en même temps qu’elle fait surgir de nouveaux problèmes [Faulkner et Becker, 2008]. Mon expérience musicale a indubitablement facilité la compréhension des enjeux du monde choral. Cependant, elle a également contribué à m’assigner une position qui n’est pas sans conséquences tant sur le regard que j’ai porté sur monde et ses pratiquants, que sur la façon dont ces derniers ont pu me considérer. Cette expérience préalable du monde choral, ses conséquences et la façon dont elles ont été gérées demandent donc à être explicitées afin de se garantir de biais qu’elles pourraient introduire dans cette étude.

J’ai découvert le chœur à l’école primaire, dans le cadre de Classes à Horaires Aménagés Musique. Par la suite, étudiant le piano au conservatoire jusqu’à la fin de mes études secondaires, la chorale est restée comme pratique collective liée à mon cursus de formation musicale. Au cours de mes études supérieures, j’ai continué à chanter en chœur pendant un an et demi au sein d’une chorale de lycée. Sans

pour autant constituer un engagement prépondérant dans ma pratique musicale amateur, cette connaissance préalable du monde choral est suffisante pour ne pas me considérer totalement étranger à celui-ci. En dehors de ces expériences personnelles, le monde choral m’était connu par d’autres biais. Certains de mes proches (famille et amis) sont actifs au sein de chœurs et d’ensembles vocaux. Ayant travaillé enfin deux ans à l’administration d’une association gérant un festival de musique ancienne, le paysage des ensembles vocaux professionnels ne m’était pas inconnu. Sans être très familier de celui-ci, j’étais à même d’en repérer les principaux acteurs et pouvais disposer le cas échéant de contacts en son sein.

Cette situation était susceptible d’avoir des effets sur le terrain de recherche à réaliser. Je disposais de relations susceptibles de servir de points d’entrée au sein du monde choral. J’ai souhaité ne pas faire dépendre le lancement de mon enquête et la construction de l’échantillon de mon expérience préalable du milieu choral. Je n’ai donc pas mobilisé mon réseau personnel dans un premier temps et me suis tenu à n’entrer en contact qu’avec les acteurs rencontrés par le biais d’informateurs insti-tutionnels (IFAC, ministère de la Culture), ou par le biais de sources d’information publiques (annuaires de chorales, chœurs repérés sur internet en fonction de critères fixés au préalable). Ce n’est qu’à partir du moment où j’ai acquis une vision plus globale du monde choral qui me permettait de situer avec un minimum d’objectivité les personnes côtoyées au cours de mon parcours personnel que je me suis autorisé à contacter des connaissances personnelles afin de compléter mon échantillon.

Par ailleurs, mon expérience du milieu choral, et plus généralement ma formation musicale, se sont évidemment avérées déterminantes dans le cadre des travaux eth-nographiques. Ma formation musicale a été à double tranchant. Elle a évidemment facilité la compréhension des phénomènes observés ainsi que l’insertion aux groupes étudiés. Elle a également eu pour effet de faire surgir des difficultés nouvelles. Une trop grande familiarité avec les pratiques observées émousse la perception. Les pre-mières expériences d’observations ont pu s’avérer particulièrement décevantes du fait d’un sentiment de normalité dont il a fallu se défaire pour être en mesure de mener un travail d’observation efficace. Surtout, dans un monde musical hétérogène traversé de contradictions aussi flagrantes, le fait d’avoir suivi une formation de conserva-toire rend très difficile de conserver spontanément la neutralité indispensable à une démarche de recherche. La façon dont mon parcours a façonné mon regard a pu se traduire à plusieurs reprises par un sentiment d’incompréhension voire de malaise face à des pratiques musicales s’écartant radicalement de l’amateurisme de conser-vatoire auquel j’ai été formé. Il a fallu faire un effort de réflexivité afin d’objectiver

et de neutraliser l’écart ressenti avec certaines manifestations de mon objet. J’espère parvenir ici à rendre justice à l’ensemble de ces pratiques musicales que j’ai appris à apprécier pleinement au cours de ces cinq années passées au sein du monde choral.