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Loisir et vocation. Les rapports des chanteurs à la

3.3 Rapports à la pratique et trajectoires indivi- indivi-duelles

3.3.3 Des logiques d’engagement changeantes

Les logiques d’engagement choral sont variables dans le temps. Deux types de trajectoires peuvent être observés. La dimension pédagogique du chœur est indé-niable. Elle peut transformer au fil du temps le rapport qu’ont les individus à la pratique musicale. D’autres trajectoires se traduisent par un engagement décrois-sant qui peuvent conduire à terme au retrait de la pratique chorale

27. Ce cursus conduit les élèves de lycée qui le choisissent à suivre 6h30 de musique par semaine et à passer des épreuves musicales comptant pour un coefficient 6 dans le cadre du baccalauréat. Cette filière est un cursus de formation se rapprochant plus des institutions de formation spécialisée que des cours classiques de musique de l’éducation nationale.

Le chœur comme formation

Si la formation musicale d’un chanteur a un effet important sur son engagement choral, l’inverse est également vrai. La pratique chorale comporte une dimension pédagogique importante. Les techniques musicales « bricolées » sont très révélatrices de cette dimension formatrice du chœur. La façon dont les chanteurs considèrent leur pratique peut par conséquent évoluer radicalement dans le temps. Le cas de Jacques est absolument exemplaire. Nous l’avons vu tout d’abord se faire le chantre d’une approche décomplexée du chant choral, mettant à distance la prétention et soulignant que « l’important c’est de se faire plaisir ». Ce discours apparaît en net décalage avec celui qu’il tient sur le dernier chœur qu’il a rejoint. Il explique avoir été désarçonné par le « manque de rigueur » du chef et se fait à cette occasion l’apôtre d’une conception du chant choral basée sur le « sérieux ».

J’ai été un peu surpris de. . . de son manque de rigueur. Concrètement, je m’apercevais. . . euh. . . qu’il était pas professionnel, voilà, dans un sens ou il manquait d’après moi de,. . . de, faudrait que je trouve mes mots. De sérieux, de. . . je trouve pas le mot, pas de sérieux, mais de. . .

Qu’est-ce qui n’allait pas ?

Il laisse trop aller en fait, il recentre pas.

Tu as des exemples ?

Ben disons, je pense qu’il est pas du tout assez carré au niveau du rythme, de la rythmique, pour donner les gestes, les départs, pas toujours, il donne pas toujours la note de départ, c’est un peu n’importe quoi en fait. [. . .] Bon, concrètement, à un moment, je me suis dit « est-ce que je vais pas changer de chorale ? »(Jacques, Choriste)

Un point extrêmement marquant avec Jacques est la façon dont sa pratique du chœur se transforme au cours du temps. Les motivations de son engagement évoluent radicalement. Il n’évoque aucun enthousiasme préalable à l’égard du chant choral. Sa première inscription dans un chœur était présentée plus haut comme un événement presque fortuit lié à un entraînement mutuel avec une amie, dans le cadre des pratiques associatives de son école. Très rapidement, il découvre en marge de son chœur des formes particulières de pratiques au contact d’un ensemble vocal de petite taille, ainsi qu’un répertoire d’arrangements de jazz et de variété. Il développe un intérêt très fort pour ce type de pratiques. Son rapport au chant choral bascule très vite d’un engagement social (amical et associatif) à un engagement de vocation. Cette transformation se traduit dans les formes de son engagement. Son rapport au chant se technicise. Il est l’un de nos interviewés pour qui la dimension formatrice de la chorale est la plus manifeste. Il évoquait plus haut les « trucs » qu’il mobilise de

façon systématique pour gagner en autonomie dans l’apprentissage de la partition. D’autre part, il bascule dans une posture relevant beaucoup plus de l’entrepreneuriat choral. À la fin de ses études, il déménage et cherche un cadre pour continuer à chanter. L’activité qu’il déploie à cette occasion contraste fortement avec la passivité de son premier engagement. Il multiplie les recherches sur Internet et adopte une posture « comparative » inhabituelle chez les choristes.

Ce que j’ai compris c’est que l’an dernier, il y avait une partie de la chorale qui était carrément partie pour former sa propre chorale. [. . .] Alors je suis allé à leur concert justement, pour me faire une idée du niveau précisément. (Jacques, Choriste)

Et il finira par entrer en contact avec d’autres chanteurs avec lesquels il formera un groupe vocal a capella, marquant ainsi l’aboutissement d’une trajectoire allant d’un engagement fortuit dans le monde choral à l’adoption d’une posture d’« entre-preneur choral ».

Retrait

À l’opposé, on assiste à des trajectoires de retrait de l’engagement choral. Les trajectoires chorales sont, nous l’avons, vu fortement soumises aux aléas des vies in-dividuelles. Des évolutions de situations personnelles peuvent conduire à des trans-formations contraintes de l’engagement choral. Ces évolutions conduisent parfois à une réévaluation des principes sur lesquels repose l’engagement choral. Le cas de Paul est parlant. Sa jeunesse est marquée par une pratique extrêmement intensive de la musique chorale, d’abord au sein d’une manécanterie, puis dans le cadre d’en-sembles de haut niveau, spécialisés sur des répertoires baroques. Il est même conduit à participer à des productions à dimension professionnelle. La fin de ses études et le début de sa vie professionnelle le contraignent à abandonner quelques années la pratique du chœur. Lorsqu’il est enfin en mesure de reprendre celle-ci, sa faible dis-ponibilité l’empêche de rejoindre un ensemble correspondant à ses attentes. Sur une base amicale, il finit par rejoindre un chœur extrêmement éloigné de sa pratique d’origine, tant en termes de répertoires que de niveau technique. Après avoir hésité à rester au sein de cet ensemble, la convivialité du groupe, et l’engagement à l’égard de l’amie qui l’a recruté, font qu’il y reste.

On assiste donc ici à un mouvement inverse de celui de Jacques. La soumis-sion de la pratique amateur aux aléas de la trajectoire individuelle (professoumis-sionnelle notamment) conduisent ce choriste à transformer radicalement les formes de son

engagement, simultanément à une redéfinition de ses motivations pour la musique chorale.

Conclusion

Vocation ou loisir, activité à finalité esthétique ou à finalité sociale, le sens que prend la pratique chorale aux yeux des choristes n’est pas univoque. Il oscille entre deux pôles qui se traduisent par des dispositions pratiques clairement distinctes : virtuosité technique, spécialisation et entrepreneuriat choral dans un cas ; rejet de la technique, indifférence au répertoire et passivité des trajectoires dans l’autre.

Les pôles que nous dessinons ici n’ont bien sûr qu’une finalité idéal-typique. La dimension formatrice du chant choral ouvre la porte à une transformation dans le temps du rapport entretenu à la pratique. Il n’en reste pas moins que si de nombreux choristes ont un rapport souple au chant choral, conciliant les contraires dans leurs discours et adaptant leurs pratiques dans un continuum de postures techniques « bri-colées », les institutions de formation musicale contribuent à former des individus au profil très cohérent dans l’ordre de la vocation artistique.

Les chefs de chœur du monde