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CHAPITRE TROISIEME : CADRE THEORIQUE DE L’ETUDE

I.3.4. LA THEORIE SYSTEMIQUE DE COMMUNICATIONS D’ALEX MUCCHIELL

I.3.4.3. La systémique aéronautique

L’OACI fait remarquer que « la meilleure façon d’assurer la sécurité en aviation au stade de la conception est d’adopter une stratégie fondée sur l’approche systémique »558. L’Alma mater

de l’aéronautique civile indique, à cet effet, que l’approche en question procède en la décomposition du « monde réel » en éléments identifiables et à regarder comment ces derniers entrent en interaction et s’intègrent. A titre illustratif, il est signalé l’interface Humain-Matériel du modèle SHELL 559 ou ce qui

peut être pris comme système Homme-Machine dans lequel des hommes et des machines entrent en interaction dans un environnement pour l’atteinte d’un ensemble d’objectifs du système. Ce modèle est ainsi présenté :

Figure 9 : Les 5 éléments du modèle SHELL

Que ce soit pour ce modèle que pour d’autres en aéronautique, le rôle de l’humain est irremplaçable. C’est pour cela, par exemple, que l’aéronautique a préféré, afin d’éviter la confusion dans les échanges, la communication codée (alphabet aéronautique par exemple) en lieu et place de la

557 GUIBERT J. et JUMEL G., op. cit., p. 31.

558 OACI, Manuel d’instruction sur les facteurs humains, DOC 9683-AN/950, p. 1-4-2.

559

Le modèle SHELL (Hawkins, 1987), dédié à l’aviation, décrit les interactions de l’homme dans son environnement de travail. Certains éléments sont relatifs à la composante humaine (L), d’autres aux interactions de l’homme avec l’environnement (L-E), l’homme avec la machine (L-H), l’homme avec les systèmes d’aide et de soutien (L-S), l’homme avec les autres hommes (L-L). NB. Nous avions longuement parlé de ce modèle dans notre dissertation de D.E.S.

communication syllabaire ainsi que la communication épelaire même lorsqu’il s’agit des chiffres au lieu de la communication nominale ou chiffrée doublée du collationnement pour une meilleure vérification de tout message.

Par conséquent, l’OACI insiste qu’il incombe à l’être humain d’assumer la responsabilité ultime de la sécurité du système aéronautique. Cette réalité est ainsi contenue dans une sorte de polysyllogisme suivant : « Il faut que l’humain commande. Pour commander effectivement, il faut que l’humain soit impliqué. Pour s’impliquer, il faut que l’humain soit informé. Il ne faut automatiser des fonctions que s’il y a de bonnes raisons de le faire. Il faut que l’humain soit en mesure de surveiller les systèmes automatisés. Il faut donc que les systèmes automatisés soient prévisibles. Il faut que les systèmes automatisés puissent surveiller l’opérateur humain. Il faut que chaque élément du système ait connaissance des intentions des autres. Il faut que l’automatisation soit conçue de manière à être simple à apprendre et à utiliser »560.

Un ingénieur et instructeur aéronautique converti aujourd’hui dans le Nucléaire chez Arnaud Delmas fait remarquer que l’aéronautique est une de ces activités à risques qui mettent en œuvre des systèmes complexes où la sécurité est un facteur déterminant. Il faut le reconnaître, le système aéronautique, intégrant l’avionique et tous les sous-systèmes humains, administratifs, organisationnels… constitue une macrostructure organisationnelle, réglementaire, procédurale… où tout doit être piloté par une gestion des risques, où ne doit pas prédominer la notion des vices cachés. La responsabilité y est partagée. Un aéroport doit être bien équipé, savoir le nombre des passagers qui débarquent, embarquent…car, « on peut légiférer sur les pilotes, sur les compagnies aériennes….mais si on ne légifère pas sur les aéroports, c’est de la peine perdue car, l’aéroport est un maillon important dans la chaîne sécuritaire en aéronautique civile »561.

Par ailleurs, il y a un type de comportement sécuritaire qui caractérise les organisations du monde aéronautique. La culture des pilotes, par exemple, est fortement, taillée, cadrée. Elle est intégrée dans les bonnes pratiques de la profession ainsi qu’à la réalité de l’entreprise et à la gestion des passagers. D’où, « le comportement déviant est différent du comportement professionnel des pilotes acquis par la formation, l’esprit du travail, le travail d’équipe, l’expertise… Chaque compagnie a aussi ses propres cultures, ses propres pratiques… mais il y a une formation, une certaine standardisation »562. Cela sous entend que dans tout collectif, dans chaque monde, il existe des

normes, des règles …donc une morale comme nous le verrons plus tard, malgré le fait que la réglementation, le respect de celle-ci par les acteurs et la bonne machine ne suffisent pas pour atteindre le risque zéro.

560 OACI, Manuel d’instruction des facteurs humains, p. 1-3-12. 561 TAUZIAC P., Entretien cité.

562 Le Chef du Programme ‘’Facteurs Humains ‘’de la DGAC, Monsieur Stéphane DEHARVENGT nous a tenu ces propos au cours d’un

Voici comment nous concevons le MST dans le champ aéronautique :

Figure 10 : Fonctionnement du MST Aviation

Système normatif OACI, DGA, DNA, AAC,

FAA…

Système Technique Construction Boeing, Airbus,

Antonov…

Système Machine Machines complexes : Avions

de différents types, âges…

Système technique de Maintenance Ateliers de maintenance éparpillés ci et là Compagnies Aériennes Internationales, Nationales, Low-cost… Système social - Dirigeants - Pilotes et copi

-

mécaniciens Passagers Usagers - Comportements - culture Système Aéroportuaire Equipements d’aide à la navigationaérienne, CCR, TWR, SSIS… Systèmes organisationnels - Administrations - Bureaux… E dic te nt le s no rm es e t r èg le s Le s ap pl iq ue nt G èr en t U til is en t V oy ag en t T ro uv en t s en s Gè re nt P ilo te nt R el at io ns Entretien des rapports Liens de dépendances Gè re nt E nt re tie nn en t D es r ap po rt s In te rf ac e s ol + A ir Existence Liée au Entretien des rapports

C’est cette approche que Pariès nomme, en parlant des facteurs causaux d’accidents, « théorie de la complexité » en ce qu’elle guide les approches de l’accident et les analyses qui en résultent. En fait, en se fondant sur la complexité que présente le système, « les approches systémiques visent à aborder des concepts qui sont réfractaires à une approche parcellaire des accidents. Elles ne cherchent pas à décrire la séquence d’un accident mais à étudier les interactions à l’origine d’une défaillance »563.

Ainsi, c’est grâce à la systémique que l’on comprend mieux comment un Boeing 777 du vol CF 61 de la compagnie aérienne américaine Continental Airlines, transportant 247 passagers et devant relier Bruxelles à New York, a atterri sans encombre jeudi 18 juin 2009 à 17 heures 49’ après le décès, en plein vol au milieu de l’océan Atlantique, du pilote aux commandes. En effet, selon le communiqué de la compagnie, le CDB, un homme de 61 ans dont 21 années au service de Continental, est mort “apparemment de causes naturelles”, ce avant que les deux copilotes ne prennent normalement la relève jusqu’à l’aéroport de destination, à savoir celui de Newark, au nord-est de New Jersey. On suppose même que l’autre copilote auquel on fait allusion était un pilote en repos, ce qui signifie que l’équipage était renforcé. Ainsi, ce dernier constituait « un équipage de conduite dont le nombre de membres est supérieur au nombre minimal requis pour l’exploitation de l’avion et au sein duquel chaque membre de l’équipage de conduite peut quitter son poste et être remplacé par un autre membre de l’équipage de conduite ayant la qualification appropriée »564.

Donc, un maillon du système a sauté mais n’a pas empêché celui-ci de fonctionner normalement à cause des interrelations et interdépendances le caractérisant. C’est ce qu’essaie d’expliquer un acteur du secteur. En effet, un ancien navigant de l’Armée de l’air française a explicité ce fait en indiquant que « cet atterrissage est présenté comme “miraculeux”. Pas du tout, c’est absolument faux. Un équipage de long courrier est composé d’un pilote et de deux copilotes. Cependant, ces trois membres d’équipage maîtrisent absolument le pilotage. Donc, les qualifications sont identiques et le pilote s’identifie surtout par son rôle de commandant de bord qui lui confère les décisions. Dans ce cas présent où le malheureux pilote est décédé, les deux copilotes ont assuré tout simplement leur rôle sans présenter pour autant un quelconque danger pour les passagers »565. Abondant dans le même

sens, un commentateur intervenant sur ce sujet a tout simplement indiqué que « la mort d’un pilote en vol est un événement rarissime et effectivement dans ce cas, le copilote qui est un pilote à part entière, prend les commandes de l’appareil. C’est même la raison d’être du copilote »566.

Pour rappel, la mort du CDB aux commandes d’un avion est déjà arrivée sur d’autres vols et “le système” a normalement fonctionné sans dégâts. L’on cite, à cet effet, le dérapage, le 12 mars 1997, d’un A-320 de Gulf Air à l’aéroport d’Abou Dhabi provoqué par une crise cardiaque du pilote lors de la délicate phase de décollage, le demi-tour d’urgence, le 8 mai 2000, d’un avion de lignes taïwanaises China Airlines pour la même raison (le copilote a fait atterrir l’appareil après avoir constaté que son CDB était foudroyé par une crise cardiaque; ce dernier est mort à son arrivée à l’hôpital). Il s’agit enfin d’un atterrissage d’urgence, le 21 janvier 2007, d’un avion transportant 210 passagers de Continental Airlines et devant assurer la liaison entre Texas et une station balnéaire mexicaine, dont le pilote est décédé à son arrivée sur terre à la suite d’un malaise, après que le copilote eut réussi à bien poser l’aéronef.

563PARIES J. cité par HOLLNAGEL E. et WOODS D-D. (s/d), Resilience, Engineering : concepts& precepts Aldershot, Ashgate, pp. 38-48. 564 EU-OPS, Règlement n°859/2008 de la Commission Européenne du 20 août 2008 (EU/OPS), paragraphe1.1095.

565« Y a t-il un pilote dans l’avion? » in http://blog-redaction-tf1.lei.fr/article-32840061.html (consulté le 2 mars 2012). 566 Idem.

C’est également le bon fonctionnement de la “systémique aéronautique” l’élément explicatif qui aide à bien comprendre l’exploit réalisé, en atterrissant d’urgence à l’aéroport de Bagdad en Irak d’où il venait de décoller, le 23 novembre 2003, par l’équipage du vol “Oscar Lima Lima” d’un Airbus 300 de DHL, auquel nous avons fait allusion précédemment, composé du CDB Eric Genotte, du copilote Steve Michielsen et du mécanicien navigant Mario Rofail dont « le travail d’équipe a été le facteur essentiel de cet atterrissage réussi »567. En effet, cet avion a été touché par un missile sol-air de

type SAM 7 sur l’aile gauche à son décollage de Bagdad pour le Bahreïn. Ce tir était l’œuvre des terroristes irakiens qui voulaient montrer, à une équipe de reporters français présents sur le lieu, leur capacité de nuisance en s’attaquant aux pavillons étrangers.

L’aéronef a ainsi pris les airs avec l’aile gauche en feu. Conséquence: perte de toute l’hydraulique devenue inopérationnelle, inefficacité de deux manches à balai… « alors que sans hydraulique, il est difficile, voire impossible de piloter un avion »568. C’est donc cet airbus A 300,

entraîné dans la phugoïde569, mouvement cyclique incontrôlable de montées et de descentes ou une

sorte de marsouinage d'un avion, durant lequel l'appareil oscille en montant puis en piquant du nez en s’accompagnant d'une accélération lors de la phase de descente et d’un ralentissement durant la phase de montée et auquel les pilotes à l’époque n’étaient pas entraînés à affronter. C’est donc dans ces conditions que cet équipage devrait ramener au sol son avion, précisément à l’aéroport de départ, après avoir échappé à un deuxième tir de missile. Aussi, grâce à une meilleure communication sol-air, à une bonne répartition des tâches dans le cockpit (sortie de trains manuelle par le mécanicien navigant, contrôle de la vitesse et du cabrage de l’avion par le CDB et son copilote, sang froid et performance de ces derniers …) et une bonne métacommunication des aiguilleurs de la tour de contrôle après la réception du message de détresse (préparation de deux pistes, disponibilisation de toutes les équipes de secours au sol, l’accueil et le guidage de l’équipage sur un terrain miné…), bref grâce à la systémique, c’est-à-dire au bon fonctionnement de tous les maillons du système, à leurs interdépendances et interrelations, un “oiseau sérieusement blessé” a atterri défiant ainsi une des situations les plus difficiles en aviation. En parlant du travail d’équipe comme facteur essentiel ou déterminant de la réussite de cet atterrissage d’urgence, l’auteur parle implicitement du bon fonctionnement du système.

Sur le plan communicationnel, cela fait intervenir la notion de « la situation-problème- pour-un-acteur » développée par Alex Mucchielli. Pour ce dernier, en effet, « la situation et sa problématique pour un acteur représentent la définition qu’un acteur, impliqué d’une manière ou d’une autre dans une situation concrète de la vie, donne de cette situation, définition liée aussi à une perception d’un problème à résoudre. (…) L’existence même à ce moment de la vie de l’acteur, de cette situation, lui demande de faire des choix et de prendre des décisions de communications généralisées pour la faire évoluer ou la faire perdurer. La ‘’situation et sa problématique pour l’acteur’’, c’est aussi le découpage signifiant du monde environnant fait par un acteur contenant et exigeant une réponse ou encore le cadre de référence (ou contexte global), constitué des éléments significatifs qui, pour lui, compte tenu de son orientation d’esprit, de ce qui vient de se passer, et d’autres éléments extérieurs, forment le ‘’contexte pertinent’’ de son engagement et de ses communications généralisées pour la résolution du problème situationnel »570. Cet atterrissage d’urgence, tout comme ceux d’autres forcés

mais réussis par des pilotes dans les mêmes situations, nous conduit à l’idée que dans « toute situation

567 COMEAU P., Airbus DHL Oscar Lima Lima-Le tir aux pigeons, Film-Série documentaire, Galaxie Production Cineflix-France 5, Paris,

2005, 50 minutes.

568 Idem.

569 Généralement, la phugoïde est un mode stable, mais de fois elle peut être instable et conduire à un décrochage de l’aéronef. Ce

mouvement a déjà été impliqué dans plusieurs crashes, notamment dans celui du vol 232 de la compagnie aérienne United Airlines.

dans laquelle il y a une part de connu et d’inconnu, l’acteur est alors aux prises avec des choses certaines et des choses incertaines et il expérimente des stratégies d’activités (langagières, corporelles et de conduite), en fonction d’une ‘’enquête’’ permanente menée sur la situation et ses composants et de ses enjeux, traduits en objectifs plus ou moins précis dans le cours d’activité »571.

En fait, il est indiqué à la fin de ce document riche en enseignements que « l’équipage de l’A300 venait de réaliser une première mondiale: poser un avion sans utiliser ni les manches à balai ni les palonniers »572, c’est-à-dire qu’il a réussi un atterrissage en jouant ou en manœuvrant uniquement

sur la puissance de deux moteurs, ce qui est considéré comme « une situation la plus dangereuse qui soit en aéronautique »573. Pourtant, la même manœuvrabilité n’avait pas réussi dix-huit ans

auparavant, soit en août 1985, à l’équipage d’un Boeing 747 de la Japan Airlines (JAL). Celui-ci s’est crashé sur les flancs du Mont Fuji causant la mort de 520 personnes574.

Ainsi, nous allons nous intéresser aux communications entre les individus, aux comportements de ces derniers et des groupes auxquels ils appartiennent, aux interactions et interrelations que les animateurs du secteur aéronautique congolais ont tissées avec les groupes et les organisations ainsi que les interactions de ces derniers; bref tout cet espace d’échanges et de significations construits par les acteurs opérant dans les différents collectifs au sein de l’aéronautique civile congolaise. Car, en fait, « le système technique est cet ensemble de cohérences aux différents niveaux de toutes les structures »575. Cette cohérence tient de la communication entre les membres du

système, tout comme le système est lui-même régulé par la communication. C’est ici le lieu d’évoquer un philosophe convaincu et convaincant de la technique qui fit observer que « dans tout système technique, du plus simple (comme la hache préhistorique formée d’un tranchant T et d’un manche M) au plus complexe (comme un réseau d’ordinateurs 01, 02, 03, etc. chaque ordinateur étant constitué notamment d’une mémoire comportant les cellules C1, C2, C3, etc., et il peut y avoir des millions d’ordinateurs, et des milliards de cellules…), ce qui est essentiel-ce qui engendre l’efficacité du système- c’est l’ensemble des liaisons entre les sous-objets : la communication à l’intérieur du système. Dans une armée efficace, les ordres du général sont transmis jusqu’aux soldats par la même chaîne de commandement : communication. Dans une machine efficace, des capteurs enregistrent des données extérieures (températures, positions, pressions…) et des actionneurs transmettent des consignes opératives (déplacements, chauffages…) : communication… »576, pour nous montrer l’importance et la

pertinence de la communication dans tout système pour son efficacité. Ce, avant de relever que ce qui expliquer la technophobie, cette tendance de la technique à s’opposer, à dire non à certains désirs des hommes.

571 RELIEU M., « Travaux en public. La dynamique d’une situation problématique » in Ouvrage collectif, La logique des situations.

Nouveaux regards sur l’écologie des activités sociales, Paris, Editions de l’EHESS, 1999, p. 100.

572 COMEAU P., Documentaire cité. 573

Idem.

574 Le crash du Boeing 747 de la JAL du Mont Fuji au Japon est considéré comme la plus grande tragédie aérienne impliquant un seul

appareil, à la différence de Tenerife qui a impliqué deux gros porteurs au sol, en faisant 583 morts. Aujourd’hui, ce chiffre est de loin inférieur par rapport à celui du crash survenu, le 8 janvier 1996 au marché Type Ka à Kinshasa en RDC, à l’AN 32 d’Africanair dont le bilan exact n’a jamais été connu parce que les hélices de l’avion avaient rasé des rayons entiers dudit marché aux environs de midi, l’heure de grande affluence, entraînant la mort de plusieurs centaines de personnes au sol. Nous avons fait remarquer dans un travail antérieur que le bilan officiel de ce crash avait fait état de 357 morts et de 470 blessés alors que d’autres sources avaient avancé le chiffre de 1.000 morts, voire plus.

575 GILLES B. cité par LEBEAU A., op. cit., p. 51. 576 BAUDET J-C. op. cit., pp. 59-60.