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CHAPITRE TROISIEME : CADRE THEORIQUE DE L’ETUDE

I. 3.5.2.6.1 Le cadre d’analyse de Reason

James Reason illustre la théorie des défaillances latentes dans un ouvrage612 dont la

scientificité s’est imposée en aéronautique. Avec force détails, il y procède à l’analyse de plusieurs accidents et décrit la chronologie des événements et des erreurs actives. Il va jusqu’à préciser pour chacun les circonstances aggravantes et les erreurs latentes, c’est-à-dire celles qui « attendent qu’on les commette et qui augmentent la probabilité d’un comportement inapproprié »613, et découlant des «

erreurs de conception » ou des « erreurs d’organisation ». A ce sujet, la portière du DC 10 de Turkish Airlines d’Ermenonville en France est assez illustrative puisque « Douglas déclara que la faute incombait au mécanicien responsable de la fermeture des portes (C’est également la thèse que soutient Williams Gros, un des dirigeants de Douglas, au cours du procès intenté après la catastrophe) »614 au

mépris du principe selon lequel « focaliser l’analyse sur le dernier maillon de la chaîne ne permet pas de tirer les leçons de l’événement et de mettre en place les mesures de prévention susceptibles d’éviter son renouvellement »615. Pourtant, ce crash découle logiquement d’une « erreur de conception ».

Cependant, le cadre d’analyse de J. Reason n’est pas complété par une méthode permettant de guider l’analyse. Ainsi, même si la métaphore du « fromage suisse » ou « Suiss Cheese » est largement utilisée dans le secteur de l’aviation, les approches diffèrent. Expliquant ce modèle, on relève que « le premier niveau de parade correspond à l’idée de « barrières » : il faut éviter qu’une erreur ait des conséquences néfastes, et l’on va donc interposer différentes barrières, individuelles, collectives, techniques et organisationnelles »616. L’exemple d’une barrière collective sous

entend que le CDB vérifie l’action du copilote et vice versa. Ce qui fait que ces approches suivent un schéma commun où de façon générale les défaillances se rapportent à cinq grandes catégories, notamment les influences organisationnelles, la supervision non sûre, les pré conditions aux actes non sûrs, les actes non sûrs et les défenses.

612 REASON J., Human error, Royaume Uni, Cambridge University Press, 1990. 613

DANIELLOU F., Les cahiers de la sécurité industrielle. Facteurs humains et organisationnels de la sécurité industrielle. Un état de l’art, Paris, FonCsi (Fondation pour une culture de sécurité industrielle), 2009, p. 67.

614 EDDY P. et alii, op. cit., p. 210. 615 DANIELLOU F., op. cit., p. 67. 616 Idem.

Figure 13 : Traduction de la 3ème version du modèle Reason « Swiss Cheese ».

Pour une même théorie de l’accident, l’approche de la défaillance est différente. L’apport principal des analyses cadrées par le modèle de Reason réside dans la recherche de causes contextuelles et organisationnelles. L’erreur de l’opérateur de première ligne n’est plus le point final de l’investigation. Dans le modèle initial, les liens entre les défaillances des différentes plaques sont complexes. C’est l’existence de défaillances (technique, institutionnelle, organisationnelle, environnementale…) qui permet à l’accident de se produire. Même si cela est vrai, il reste que Reason ne remonte pas jusqu’à la dimension institutionnelle et historique. L’approche reste pour l’essentiel fonctionnelle. Or, la sécurité est un état dont la définition déborde largement le cadre de l’analyse purement systémique et le système lui-même. Elle renvoie à ce qui est extérieur au système, à l’altérité… La DGAC pense au sujet de ce modèle qu’« un incident ou un accident est la combinaison de plusieurs défaillances à différents niveaux de l’organisation. L’accident est une composition de ‘’morceaux d’histoires’’ déjà vus dans le retour d’expérience »617. Cependant dans plusieurs analyses

ou plusieurs représentations graphiques d’accident basées sur le modèle de Reason, ou plutôt sur la métaphore du « fromage suisse », des liens sont établis entre ces défaillances. D’autres analyses sont centrées sur les défaillances de l’intégration de l’homme dans le système. D’où, la place centrale qu’occupe l’humain dans le système. Il est constaté que le progrès technologique en aéronautique est aujourd’hui sans commune mesure rendant les engins plus sûrs, plus fiables, plus performants et manœuvrables…, que les cockpits sont plébiscités et par les pilotes, qui en sont les occupants et utilisateurs, et par les compagnies aériennes, mais l’on insiste sur le fait que « ‘’la première autorité’’ en matière de conduite machine soit le dialogue interactif entre le pilote et les systèmes. Le pilote, intelligemment inséré dans la boucle, aura alors à gérer des systèmes »618.

617 DGAC, Guide de mise en œuvre de SGS…, p. 64.

618 BROSSELIN S., « Epopée III. Le cockpit du futur» in Revue aérospatiale, mensuel d’information aéronautique et spatiale n°46, février

Un pilote d’Air France le fait observer : « la sécurité du transport aérien semble atteindre un plancher. Son amélioration passe par l’optimisation des ressources humaines. Le retour d’expérience constitue un gisement encore peu exploité, une source précieuse d’un nécessaire progrès dans la compréhension et la maîtrise des systèmes complexes pilotés par des « opérateurs humains ». Au stade actuel, l’amélioration de la technique n’apporte plus de progrès significatifs à la sécurité aérienne. L’étude du comportement humain est susceptible d’entraîner des améliorations remarquables. Une approche pragmatique et efficace consiste à observer, analyser, exploiter intelligemment les comportements et fonctionnements de l’opérateur humain par un retour d’expérience organisé»619. Cela

est d’autant plus important car l’une des dimensions clés du retour de l’expérience, c’est que « l’analyse des incidents et accidents vise à remonter à des causes profondes techniques et organisationnelles, sans s’arrêter à ‘’ l’erreur’’ de l’opérateur présent ce jour-là »620. Cependant, il

convient de préciser que d’autres méthodes d’analyses d’accident ne cherchent pas à décrire une succession d’événements ayant conduit à l’accident mais à donner un cadre pour la recherche des interactions du système à l’origine d’une défaillance. Ces analyses sont parfois considérées ou définies comme "systémiques".