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CHAPITRE TROISIEME : CADRE THEORIQUE DE L’ETUDE

I. 3.5.2.6.4 De nouvelles théories

En plus des théories et méthodes sus évoquées, on parle également de la théorie des accidents normaux (NAT) introduite en 1984 par Charles Perrow625 introduit la théorie des accidents

normaux (NAT), laquelle atteste l’existence de deux types d’accidents, à savoir les accidents de défaillance des composants et les accidents normaux (accidents du système). La distinction entre les deux ne vient pas de la source de l’accident (qui peut être dans les deux cas une défaillance) mais de la présence ou non d’interactions multiples entre ces défaillances. Aussi, pense-t-il qu’un accident normal est celui impliquant l’interaction non anticipée de dysfonctionnements multiples ou leur compréhensibilité, ce qui n’est pas possible pour les seconds. Il décrit ainsi un système en se basant sur deux dimensions : les interactions et le couplage. Il explique d’une part que ce sont la complexité des interactions à l’intérieur d’un système et le couplage serré des sous-systèmes qui rendent les accidents inévitables : ces accidents sont alors qualifiés de normaux ou d’accidents du système et, d’autre part, le transport aérien est un système complexe avec un couplage serré, donc susceptible de générer des accidents du système. Il met en avant plan la limite à ne pas franchir en aviation en relevant que « nous continuons d’avoir des accidents parce que les avions et les routes aériennes restent quelque chose de complexe et de fortement couplé, mais aussi parce que les personnes en charge continuent de pousser le système dans ses limites »626. Cela sous entend, dans l’entendement

de cet auteur que certains accidents seraient inévitables, mais qu’il existe cette tendance à migrer vers l’accident.

622 MOREL C., Les décisions absurdes. Comment les éviter, II, p. 299. 623 DECAMP E. cité par MOREL C., op. cit., p. 300.

624

MONTEAU M. et FAVARO M., « Modéliser l’accident au travail : intérêt pratique et portées théoriques » in SPERANDIO J-C. et WOLFF M. (s/d), Formalisme de modélisation pour l’analyse du travail et l’ergonomie, Paris, Le Travail humain, PUF, 2003, pp. 137-165.

625 Lire à cet effet son livre intitulé : Normal Accidents : Living with High-Risk Techologies, Basic Books, New York, 1984 ; 626 PERROW C., op. cit., p. 123.

Ce qui nous amène à parler de la théorie de la migration vers l'accident. Pour la conception de cette dernière, Rasmussen627 est parti du constat selon lequel les rapports d’enquête

concluent souvent que l’accident attendait d’être déclenché. L’accident est latent : si la cause profonde (événement initiateur) de l’accident avait été évitée, l’accident aurait probablement été déclenché par une autre cause. Le système migre vers l’accident : Au fil du temps, l’espace de fonctionnement se réduit et se rapproche des limites de sécurité. Il propose un modèle de migration vers l’accident en définissant les limites de l’espace de fonctionnement, notamment la survie économique et la charge de travail inacceptable.

Bref, la revisitation des théories et des méthodes d'analyse d’accident, suffisamment développées par F. Rome628, prouve à suffisance que l’analyse des occurrences repose sur un modèle

de travail. Lequel peut être soit intégré ou non au modèle de l‘accident. D’où, la nécessité d’avoir une bonne vision du travail comme la connaissance des tâches à exécuter qui suffit à étayer l’analyse dans ses différentes dimensions (séquentialité), l'approche de gestion de sécurité basée sur un modèle organisationnel du travail (cadre d'analyse de J. Reason) et la recherche des facteurs explicatifs s’appuyant sur un modèle structurel de travail contenant l’ensemble des interactions possibles (ADREP)… Par ailleurs, la construction des liens de causes à effets repose sur une analyse du travail comme l’a attesté la méthode de l'arbre à causes et le niveau de complexité du système sociotechnique que constitue le transport aérien. Nous devons toujours avoir à l’esprit que les causes des accidents sont très complexes, particulièrement en aéronautique civile, et qu’il il faut bien les comprendre si l’on veut améliorer la prévention. Cependant, leur étiologie constitue une piste de recherche très prometteuse. La conception des théories revisitées d’accidents a une importance et une utilité limitées dans le cadre préventif ou prédictif des accidents, voire la maîtrise de ces derniers. Leur multiplicité et leur diversité illustrent même le fait qu’aucune, pour le moment, n’est considérée comme universellement acceptée. Ces théories n’en sont pas moins nécessaires, à défaut d’être suffisantes, pour la mise au point d’un cadre de référence permettant de comprendre comment se produisent les accidents.

Par rapport à cette recherche, il est bon de signaler que les accidents et catastrophes aériens à l’étude survenus en République Démocratique du Congo répondent exactement aux modèles et théories à la fois de la communication et de l’accident égrainés ci-haut. En effet, l’aéronautique civile constitue un domaine de communication par excellence où se croisent théories et modèles de communication. On y rencontre le modèle Emetteur-Récepteur (pilote-copilote, pilote-mécanicien de bord, pilote-stewards, pilote-ATC ou communication sol-air), le modèle de la communication à deux niveaux, le modèle marketing (Air France : ‘’faire du ciel le plus bel endroit pour voyager’’ ; SN Bruxelles : ‘’le service auquel on ne s’attend que dans l’avion’’…), le modèle de l’analyse transactionnelle, le modèle interactionniste-systémique, le modèle de la de la communication paradoxale, le modèle de l’orchestre, le modèle de l’hypertexte et le modèle situationnel.

Par ailleurs, les différentes théories revisitées dans cette étude se retrouvent matérialisées en aviation civile, voire enrichies au point d’en dépasser le champ ou l’étendue. Il s’agit de la théorie mathématique de C. Shannon et Warren Weaver, de la théorie cybernétique de Norbert Wiene, de la théorie généalogico-processuelle de Norbert Elias, de la théorie systémique de

627 Lire à cet effet son livre intitulé : Information Processing and Human-machine Interaction, Amsterdam, North Holland : Elseiver, 1987. 628 C’est dans sa thèse de doctorat intitulée « De l’analyse de l’accident à l’analyse du travail : Application à deux cas d’étude dans la sécurité

communications d’Alex Mucchielli prolongée par la théorie macro-systémique technique aéronautique de Pascal Robert. Il en est de même des modèles et théories d’accidents. En effet, parmi les accidents et les catastrophes d’avion enregistrés en RDC, il y en a eu ceux qui étaient imputés à une cause (monocausalité), à plusieurs facteurs (multicausalité), chacune étant causée par une autre, à un enchainement des défaillances (théorie de la séquentialité), à la combinaison des défaillances à différents niveaux du système ou de l’organisation (théorie des dominos), à des causes inhérentes ou caractérisant le système même (théorie des défaillances latentes), c’est-à-dire le système est au départ propice à un climat d’insécurité aéronautique… En plus, la plupart de ces accidents avaient été prévisibles et ont attesté, comme nous le verrons plus tard, en ce que leurs conditions de survenue étaient suffisamment réunies.

CONCLUSION PARTIELLE

La première partie de cette étude traite du cadre conceptuel et théorique ainsi que des modèles de la communication et des théories d’accidents en aviation. Elle est subdivisée en trois chapitres.

Dans le premier chapitre, nous avons passé en revue et défini, en vue d’un bon recadrage et de la meilleure compréhension de ce travail, les différents concepts centraux de notre thème, de notre question de départ et de notre hypothèse. Nous avons ainsi défini les termes « communication », « sécurité aérienne », « culture de sécurité » avant de donner notre entendement au sujet du « collectif sécuritaire ». En vue de dissiper des malentendus, nous avons explicité également les faits ou événements aériens en différenciant les concepts « d’airprox », d’« incident», d’«accident » et de « catastrophe » en aéronautique civile.

Dans le deuxième chapitre, nous avons passé en revue les différents modèles de la communication, c’est-à-dire des théories générales construites afin d’aider à la connaissance du phénomène à l’étude dans cette recherche. Nous avons relevé qu’un modèle est un instrument organisateur qui structure la réalité de façon à la rendre saisissable en transformant la réalité en représentation en ce qu’il constitue une construction à priori de la réalité. Par ailleurs, nous avons signalé l’existence de plusieurs modèles de la communication, complémentaires les uns des autres, mais dont quelques uns d’entre eux ont réussi à s’imposer comme paradigmes, en plus du fait que leur typologisation varie d’un communicologue à un autre. Enfin, nous avons passé en revue les dix modèles de communication dressés par Alex Mucchielli et J. Guivarch, notamment le modèle émetteur- récepteur, le modèle de la communication à deux niveaux, le modèle marketing, le modèle de la sociométrie, le modèle de l’analyse transactionnelle, le modèle interactionniste-systémique, le modèle de la communication paradoxale, le modèle de l’orchestre, le modèle de l’hypertexte et le modèle situationnel.

Dans le troisième chapitre, nous nous sommes intéressé aux différentes théories qui concourent ou aident à la compréhension de cette étude. Ainsi, nous avons tour à tour parlé de la théorie mathématique de Claude Elwood Shannon et Warren Weaver et de son dépassement avec la notion de feedback et de néguentropie, de la théorie cybernétique de Norbert Wiener, laquelle complète la première avec l’apport de la dimension interactive, connue sous le nom de ‘’feed-back’’ dans les communications ainsi que de l’approche généalogico-processuelle développée par le philosophe et

sociologue allemand d’origine juive, Norbert Elias. Nous avons aussi invité au débat la théorie systémique de communications d’Alex Mucchielli et sa complétude avec celle du communicologue Pascal Robert traitant du macrosystème technique de mission comme l’aviation. La théorie systémique ou ‘’étude des systèmes’’ renvoie, avions-nous dit, à l’idée d’organisation, d’interaction, d’interrelation entre les différents éléments interdépendants du système qui peuvent être soit des objets matériels, immatériels ou idéels, soit des individus…en harmonie et formant un tout organisé et indivisible. Il n’est pas besoin de rappeler que l’aéronautique est à replacer dans cette étude dans ce qui paraît être son champ ‘’originel’’, à savoir celui de la systémique, mais particulièrement du macrosystémisme technique ; c’est-à-dire un système dynamique d’interaction entre les hommes, les machines les plus complexes et les plus sophistiquées qui sont baignées, fluidifiées et vitalisées par la communication.

L’aéronautique est donc un MST contenant plusieurs sous systèmes interdépendants les uns des autres. Ainsi, par rapport à la typologisation proposée par le communicologue Pascal Robert, l’aviation est rangée dans la catégorie de MST de mission, très précisément dans les MST réseautiques, c’est-à-dire ceux permettant et facilitant le transport des hommes et des marchandises au sein d’un environnement régulé soit par des instances déconcentrées, soit par des instances décentralisées mais néanmoins coordonnées, dans un ciel ‘’gouverne- mentalisé’’.

L’aviation étant un MST de mission réseautique, sa sécurité ne peut être perçue, observée que de façon holistique, globale, donc systémique, justifiant ainsi le choix que nous avons porté sur l’approche systémique dans le cadre de cette étude. Nous avons dû recourir à certains exemples pour démontrer comment la bonne application de la systémique aéronautique a permis à certains équipages de se tirer d’affaire in extremis dans des situations difficiles et où le contraire a conduit à des catastrophes. Cependant, il est bon de préciser que tout système, qu’il soit simple ou complexe, matérielle ou idéelle, manuelle ou technique, micro ou macro technique… est une invention humaine faisant que l’homme en reste le maître pour son bon fonctionnement, pour son équilibre.

Concernant l’approche généalogico-processuelle, elle est venue appuyer la systémique avec l’apport de la dimension éthique ou morale. En effet, l’œuvre de Norbert Elias est d’une contribution qui se veut transculturelle en ce sens qu’elle peut être intégrée dans le schéma cartésien représenté par la résultante entre n’importe quelle culture et n’importe quel système institutionnel. Au croisement entre un type culturel choisi au hasard et une institution quelconque, avions-nous relevé, on retrouve un type de comportement. Nous avons également relevé que le propre de la règle sociale est d’être adoptée de manière consentie, et de ce fait de ne pas être éprouvée comme une contrainte extérieure mais comme faisant partie de soi. Lorsque ce n’est pas le cas, c’est-à-dire lorsque la règle est instrumentalisée, nous sommes dans une situation d’anomie, c’est-à-dire de crise de la règle et non des individus pris séparément. Les comportements anomiques ne sont que la résultante d’une situation bien plus générale qui affecte la société dans son ensemble. Nous avons conclu ce chapitre en soulignant que le phénomène contraire ou autistique devient à la mode lorsque la société considère la déviance comme normale, comme le plus court chemin entre les exigences légales et la recherche d’un gain facile et rapide souhaité par l’individu. Avant de clore cette partie, nous estimons nécessaire de rappeler que, mises ensemble, ces différentes théories sont complémentaires dans le cadre d’une étude axée sur l’aéronautique comme celle-ci du fait qu’elles cernent d’une part la question dans son ensemble, son holisme et ne négligent pas, d’autre part, la normalité, la normativité, c’est-à-dire ne laissent pas de côté, la dimension morale ou éthique. Cela est d’autant vrai qu’elles appuient le point de vue du CETCOPRA, lorsque les experts de ce centre soutiennent, en parlant de la chute d’Icare, due à

son imprudence plutôt qu’à un défaut technique, que « la représentation illustrant la séparation du technique et du social trouve ici son fondement et elle s’appuie sur la morale. Car n’oublions pas que le mythe d’Icare est celui d’une double transgression : d’une part, aller dans le monde réservé aux Dieux et d’autre part désobéir au père en sortant du ‘’domaine de vol’’ qu’il lui avait désigné »629. Dans un

travail antérieur, nous avions noté au sujet de ‘’cette première catastrophe aérienne’’ bien que relevant d’une légende qu’«entre Dédale et Icare, il s’est posé un problème de communication, mieux il y a eu une incommunication, sinon une communication autistique »630.

Nous avons analysé les modèles et théories de l’accident en aviation civile. Il a été question de s’appesantir sur les raisons, bien que sécuritaires, de la focalisation des acteurs aériens sur la détermination de vraies causes d’un accident en aviation en relevant qu’il s’agit comme dans toute activité à risque de savoir ou de chercher à comprendre « pourquoi l’accident est arrivé ? ». Aussi, avons-nous passé en revue successivement les théories de l’a-causalité, celle de la monocausalité en opposition à celle de la multicausalité. Nous avons également revisité les théories de la séquentialité, des dominos, des défaillances latentes de la complexité avant de parler de la méthode du Bureau Enquêtes et Analyses (BEA) français pour la sécurité de l’aviation civile au vu de son caractère global qui ne laisse de côté aucun aspect dans l’analyse d’une occurrence, tout comme de arbre à causes.

Nous avons abordé enfin la question de l’espace-temps en aviation en relevant son importance et son impact sur les vols commerciaux. Elle est à l’origine de l’aménagement de l’espace et des vols à l’estime. Les avions évoluent dans un espace non aménagé, avions-nous signalé, et chaque voyage aérien s’inscrit dans le temps. Nous avons démontré qu’il existe une sorte de sacralité spatio- temporelle en aviation tant dans la gestion du temps au sol, au niveau du contrôle aérien que dans l’espace, car en aviation il n’y a pas de notion « d’arrêt sur image ».

629 CETCOPRA, Le pilote, le progrès et la sécurité., p. 4. 630 ITABU ISSA M., op. cit., p. 35.