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CHAPITRE PREMIER: CONTEXTE HISTORIQUE DE L’ETUDE

II.1.1. DES ORIGINES COLONIALES DE L’AVIATION CIVILE AU CONGO

Jusqu’à la fin du 19ème siècle, l’Etat Indépendant du Congo (E.I.C) du Roi Léopold II est inconnu dans les annales de l’aviation civile. Aucun trafic aérien n’est organisé, ni à l’intérieur de la future colonie, ni entre cette dernière et sa future métropole. Congolais et étrangers résidant au Congo voyagent essentiellement par routes, par chemin de fer ou par eau (Océan Atlantique, fleuve Congo, lacs, rivières). Les mouvements des marchandises dépendent également de ces trois modes de transport. C’est ce qui explique d’une part qu’ « avant la naissance de l’aviation, la voie maritime est évidemment la seule qui relie la Belgique au Congo »631 et de l’autre que « le grand port maritime

d’Anvers est sans doute le premier acteur économique belge à avoir ressenti de façon concrète l’établissement des liens économiques belgo-congolais »632.

II.1.1.1. L’expérience des Montgolfières.

Avec une superficie de 2.345.400 km², le Congo exige d’être doté d’un moyen de transport beaucoup plus rapide que le camion, le train et le bateau. A partir de 1889, les projets de liaison entre Bruxelles et Léopoldville commencent à traverser de nombreux esprits. Quelques Belges expérimentent des envois de courriers postal et officiel de Boma à Matadi, par le biais de gros ballons d’air appelés “Montgolfières “. Ces derniers mettent ainsi fin à la lenteur administrative et communicationnelle entre les deux villes. C’est le secrétaire général Droogmans qui fut le premier à lancer l’idée de faire venir une montgolfière de la Belgique à l’EIC. L’expérience est si concluante que l’idée de lancement d’un vol d’essai entre la Belgique et le Congo suscite un vif intérêt dans les milieux tant politiques qu’économiques.

Elle est finalement concrétisée le 18 novembre 1912, plus précisément le 18 novembre, lorsque le pilote F. Lescarts, aux commandes d’un avion appelé « Farman », se pose à Elisabethville, au Katanga. Ce vol est retenu, dans les archives, comme celui marquant la première liaison aérienne entre la Belgique et l’Afrique centrale. Il avait longé ou suivi “La route du Nil”. Appelée aussi la ‘’La ligne anglaise, celle-ci « La voie du Nil » ou « La ligne anglaise » partait de Bruxelles-Marseille-Naples-Malte- Benghazi-Le Caire-Khartoum et Redjaf. La première bifurcation était Le Caire à partir duquel on pouvait aller vers l’Inde; la deuxième Redjaf d’où l’on pouvait continuer droit vers le Cap ou prendre la droite pour aller chuter à Léopoldville. On en était encore à l’ère des vols à vue, celle des vols aux instruments n’étant pas encore développée comme c’est le cas aujourd’hui. De ces deux villes, il suffisait d’atteindre Redjaf pour aller soit à Elisabethville et continuer jusqu’en Afrique du sud, soit à Léopoldville car « de Redjaf à Stanleyville, l’avion pouvait suivre la route Redjaf-Niangara et ensuite le tracé du chemin de fer des grands lacs jusqu’à Stanleyville »633.

Plusieurs sources affirment l’antériorité des vols aériens sur Elisabethville bien avant l’arrivée de l’aviation à Léopoldville. Alors qu’« un service régulier avec Elisabethville existait déjà

631 DEVOS G. Et ELEWAUT G. cité par VANTHEMESCHE G., La Belgique et le Congo. L’impact de la colonie sur la métropole,

Bruxelles, Le Cri édition, 2010, p. 236.

632 VANTHEMESCHE G., op. cit., p. 234.

depuis 1920 »634, les premiers essais de liaisons entre la Belgique et Léopoldville datent des années

1925 et 1926. L’aéroport est situé à la Place de l’Indépendance (espace compris entre le Palais de la Justice et le Palais de la Nation) avant son transfert en 1933 à Ndolo à la limite ouest de la ville sur l’actuelle avenue des Monts Virunga ou la construction de l’aéroport prend fin le 3 avril 1924. L’on signale déjà l’établissement des liaisons intérieures à partir de Léopoldville vers Coquilhatville, Luebo… en 1921. La même année se produisit le premier accident d’aviation au niveau de l’actuel siège de l’Office Congolais de Contrôle (OCC). En effet, le 13 mai 1921, les trois membres d’équipage constitué de Bastin, Michaux et Mengal meurent dans ce crash et « l’avenue des Aviateurs dans la commune de la Gombe commémore la mémoire de ces trois pionniers des ailes congolaises avec un monument commémoratif de cet événement planté au bout de l’avenue à la Gombe avant d’être démantelé en 1966»635. Pour rappel, c’est en 1924 que fut érigé ce monument à Léopoldville.

Le Roi Albert 1er, successeur de son oncle Léopold II au trône à partir de 1909 ne

ménage aucun effort pour favoriser la naissance du trafic aérien entre la Belgique et sa nouvelle colonie. Il est considéré comme « le précurseur du transport aérien au Congo »636. L’homme désigné en

vue de la matérialisation de ce projet est Georges Nelis, auteur en 1919 du livre “Expansion belge par l’aviation”. La date du 1er juillet 1920 est celle de la première liaison intérieure entre Léopoldville et

Stanleyville. Le 23 mai 1923, est créée, à Bruxelles en Belgique, la Société Anonyme Belge de Navigation Aérienne (Sabena) avec la participation au capital de l’Etat belge et de sa colonie. La naissance de cette compagnie aérienne va précipiter l’aboutissement du vieux projet de la liaison par air entre Bruxelles et Léopoldville. En plus, la Sabena « fournit un effort tout particulier pour le développement de l’aviation au Congo »637.

II.1.1.2. Cinquante jours entre Bruxelles et Léopoldville.

La toute première liaison aérienne entre Bruxelles et Léopoldville ressemble à un parcours de combattant. Le point de départ est l’aéroport d’Evere, dans la banlieue nord de Bruxelles, le 12 février 1925 à 7 heures 55’, avec un petit porteur de marque Handley-Page baptisé “Princesse Marie-José” et immatriculé O-BAHO. C’est un vieux bombardier-Handley Page de la Première Guerre mondiale transformé dans les ateliers de construction aéronautique de Haren. Prennent place à bord de ce trimoteur les aviateurs Edmond Thieffry (lieutenant) et Léopold Roger ainsi que le mécanicien Joseph Derrycker dit “Jefke”. L’accord de ce voyage a été donné au cours d’une réunion de Conseil des ministres tenue un jour avant après d’âpres discussions la veille entre les membres du gouvernement et les dirigeants de la Sabena sur le commandement de ce vol, le pilote lieutenant E. Thieffry, un démobilisé de la Première guerre mondiale, traînait une triste réputation de “casseur d’avions”. Cela expliquait les réticences de la Sabena à lui confier le pilotage de ce vol. La charge utile de ce petit trimoteur (un moteur Rolls-Royce et deux moteurs Syddeley) était d’une puissance de 850 chevaux- vapeur, à savoir 1.500 kilos. En vue de conserver les archives de ce long périple, l’équipage embarque une caméra et une importante quantité de films livrés par Gaumont, une firme cinématographique de renom. C’est à un véritable baptême de l’air que sont soumis “les pères de la ligne Belgique-Congo” le tout premier jour de leur départ. Il leur faudra plus de dix heures pour relier Bruxelles à Alicante en Espagne. Le petit porteur a rencontré une violente tempête de neige au-dessus de la Bourgogne,

634 PAIN M., Kinshasa. La ville et la cité, Paris, Editions ORSTOM, Collections Mémoires, 1984, p. 16. 635 FUMUNZANZA J., Kinshasa, d’un quartier à l’autre, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 288.

636 NGAMILU AWIRY R-B., op. cit., p. 15. 637 VANTHEMSCHE G., op. cit., p. 237.

obligeant l’équipage à se poser. Lorsqu’il redécolle quelque temps après, c’est pour affronter un violent mistral réduisant la vitesse du vol à 50 km/h. L’itinéraire emprunté par le vol inaugural Belgique-Congo est donc : Alicante (Espagne)-Oran-Colomb Bechar-Adrar-Ouallen-Tassili en Algérie; -Niamey- Tessaou-Zinder au Niger, Fort-Lamy (actuellement Djamena)-Bouay-Fort–Aarchambault (actuellement Sarh), Fort Crampet au Tchad-Bangui en Centrafrique et Léopoldville via Irebu. Ce voyage dure plus de 50 jours, avec de nombreuses escales, au point que l’équipage n’atterrit sur la piste de l’aérodrome de Ndolo, à Léopoldville, que le 03 avril 1925, après avoir réalisé 75 heures et 25 minutes de vol effectif pour couvrir les 8.124 kilomètres séparant la Belgique du Congo. L’on a noté le repos de quatre jours de l’équipage à Niamey ainsi qu’une escale forcée de trois semaines dans la capitale centrafricaine consécutive à une panne d’hélice et plusieurs incidents, notamment la casse du train d’atterrissage.

En reliant Bruxelles à Léopoldville, le Handley-Page confirme sa robustesse, sa fiabilité et sa résistance au climat africain. Il avait été construit sous licence (le HP W8F est de fabrication britannique) par la Société Anonyme Belge de Construction Aéronautique (SABCA), mais avait été affrété par la Sabena. Ce vol est immortalisé sur le site du tout premier aéroport international du pays à travers les inscriptions qui y sont gravées sur une plaque commémorative638. Il l’est aussi à travers un

timbre-poste de sept Francs belges imprimé à l’image de Thieffry à côté de son avion et illustré par les écrits. Le pilote Thieffry en personne a écrit un livre639 en 1926. Le Roi a accepté volontiers de préfacer

son ouvrage dont l’illustration de la couverture représente un homme avec « une oreille percée par un anneau, touffe de cheveux crépus sur l’arrière du crane, lèvres charnues rouges entr’ouvertes révélant une belle dentition blanche, le torse nu laissant deviner une belle musculature, la lance tenue d’une main, la tête levée vers le ciel, un Africain semblait exprimer autant d’étonnement que de stupeur en découvrant, tout là-haut dans le coin gauche de la couverture, un tout petit biplan aux couleurs belges, censé se déplacer de gauche à droite »640. C’est donc entre l’espace libre situé entre le robuste homme

noir et l’avion qu’est coulé le titre de ce qu’on peut qualifier d’une « autobiographie » du célèbre pilote belge qui fait son entrée dans le « panthéon » des routiers du ciel célèbres, à l’instar des français Mermoz, Saint Exupéry…

Ce vol inaugural Belgique-Congo portait aussi un courrier du Roi Albert 1er, accordant

des armoiries à la ville de Léopoldville. En effet, c’est par le décret du 20 janvier 1925 que le Roi Albert 1er avait conféré des armoiries à Léopoldville, devenue la capitale du Congo Belge à la suite du transfert

de Boma, par l’arrêté royal du 1er juillet 1923. A ces trois pionniers qui ont inauguré le premier vol

Bruxelles-Léopoldville s’ajoutent, le 9 mars 1926, trois autres, à savoir les lieutenants Georges Medaets (pilote) et Jean Verhaegen (copilote) ainsi que leur mécanicien Coppens (adjudant) qui foulent la piste de Ndolo, à Léopoldville, le 20 mars 1926, au terme d’un voyage qui aura duré douze jours, après avoir accompli un vol effectif de 47 heures 49 minutes sur un monomoteur Breguet XIX A2 baptisé ”Reine Elisabeth”. Le voyage retour s’effectuera en 52 heures 52 minutes s’étendant sur dix-huit jours; soit 17.890 kilomètres en 100 heures 41 minutes pour accomplir le vol effectif aller-retour. L’on signale qu’à partir de cette époque, « le sol congolais se verra sans cesse effleuré par l’ombre des avions dont le

638 Sur ladite plaque, à l’entrée de l’aérogare de l’aéroport de Ndolo, on peut lire: « le 3 avril 1925, l’avion ”Princesse Marie-José” construit

à Bruxelles par la SABCA et affrété par la SABENA atterrit ici après avoir réalisé en 75 heures 25’ de vol la première liaison aérienne “Belgique-Congo”, soit 8.124 kilomètres”. Lieut. Edmond Thieffry (Chef de mission); Léopold Roger (Pilote); Joseph Derrycker (Mécanicien) ».

639 EDMOND Th., En aviation de Bruxelles au Congo belge. Histoire de la première liaison aérienne Belgique-Congo, Bruxelles, La

Renaissance du Livre, 1926.

640 QUAGHEBEUR M. et KALENGAYI B. (s/d), Aspects de la culture à l’époque coloniale en Afrique centrale Volume 9. Le corps.

nombre augmente rapidement »641. La piste d’envol de l’aérodrome de Ndolo fut aménagée sur le site

portant le même nom à Léopoldville, non loin de la gare construite en 1898, au sortir de la Première Guerre mondiale, par les autorités coloniales belges. A cet effet, « les premiers hangars furent montés en 1920 et en mars de la même année, l’avion piloté par Michaux inaugure la première liaison aérienne au Congo: Léopoldville-Coquilhatville »642. Au début, la piste d’aviation de Ndolo était aménagée en

terre battue. La densité de trafic, la nécessité d’y accueillir des avions plus lourds et les besoins d’exploitation consécutifs à la Deuxième guerre mondiale amenèrent les autorités à procéder à son prolongement et à son asphaltage. Aussi, les travaux y relatifs furent exécutés en 1942. Une autre précision : « le premier aéroport était situé au kilomètre 338 du chemin de fer, entre Ndolo et Kinshasa, sur la rive droite de la Mweletsho, près de la brasserie Bralima »643.

Mais, c’était sans compter avec l’augmentation de plus en plus rapide du nombre des passagers et du volume du fret. Brazzaville déversant aussi ses passagers en partance pour l’étranger sur Léopoldville. D’où, la nécessité et l’urgence d’allonger la piste 08 de l’aérodrome de Ndolo. Ce prolongement devait débuter en 1946 et nécessitait la démolition d’une grande partie du quartier indigène qui ceinturait le bout de la piste ci-avant évoquée.

Lorsque fut annoncée l’arrivée du Roi Baudouin 1er à Léopoldville, l’on procéda à la

construction du bloc technique, d’un grand hangar, d’un tarmac ainsi que des magasins et des bureaux à l’aérodrome de Ndolo. D’où, « en définitive, on opta pour la construction d’un aéroport tout neuf, situé en dehors de la ville, sur les hauteurs de Ndjili (le projet fut finalement mené à terme douze années plus tard) »644.

Donc, la construction de l’aéroport international de N’djili a été motivée par un besoin en ce que Ndolo ne pouvait plus répondre aux multiples réformes attendues dans le domaine aéronautique à l’échelle internationale, de par sa dimension, sa capacité et son emplacement. Après l’inauguration de l’aéroport international de Ndjili en 1959, les activités des gros porteurs furent transférées à cette nouvelle plaine d’aviation, Ndolo étant désormais destiné au traitement du trafic de petits porteurs.

Quelques années plus tard, les bâtiments de l’aéroport de Ndolo furent cédés à l’Aéronautique civile alors que le bloc technique resta sous occupation militaire. C’est en 1968, lors de la construction de l’avenue Bangala qui sera plus tard baptisée Bokassa que la plaine d’aviation de Ndolo a été amputée de 700 mètres à partir du seuil de la piste 08. Par conséquent, la longueur de la piste d’envol de Ndolo passa de 2.300 mètres à 1.600 mètres.

Quelques années après, l’on procéda au lotissement de cette partie au mépris des normes et recommandations de l’OACI relatives aux servitudes sur les aéroports. C’est donc sur cet espace non éligible à la construction que poussèrent des habitations ainsi que le marché Type K, qui fut rasé, le 8 janvier 1996, par les hélices d’un Antonov 32 d’Africanair qui a raté son décollage, causant ainsi la mort de plusieurs centaines de personnes.

641 WHYMS, Léopoldville. Son histoire 1881-1956, Bruxelles, Office de publicité, S.A, 1956, p. 95. 642 Idem, p. 94.

643 SAINT MOULIN L. de, « Contribution de l’histoire de Kinshasa (II) » in Zaïre-Afrique n° 109, octobre-novembre 1976, p. 535. 644 VAN BILSEN J., Congo : 1945-1965. La fin d’une colonie, Bruxelles, CRISP, 1993, p. 24.