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CHAPITRE TROISIEME : CADRE THEORIQUE DE L’ETUDE

I.3.3. LA THEORIE GENEALOGICO-PROCESSUELLE DE NORBERT ELIAS

I.3.3.1. Le philosophe N Elias dans le champ de la communication

Nous croyons, à notre humble avis que « La civilisation des mœurs », œuvre sans doute la mieux connue de Norbert Elias se trouve à l’intersection de la sociologie et des SIC et que son auteur avait vécu en l’époque actuelle, il se distinguerait plus dans le domaine communicationnel. Et pour cause : N. Elias s’y intéresse à la transformation des mœurs sociétales, particulièrement celles de l’élite (d’où le nom consacré «des mœurs de la civilisation»), y analyse différentes manières de vie : comportement à table, manière de se moucher, fonctions du corps, vie sexuelle, signification de la

437 LAMIZET B. et SILEM A. (s/dir), Dictionnaire encyclopédique des sciences de l’information et de la communication, Paris, Ellipses,

1997, p. 406.

438

MUCCHIELLI A., L’art d’influencer…, p. 35.

439 Ce concept vient du latin norma « équerre, règle » qui désigne un état habituellement répandu, un moyen, considéré le plus souvent

comme une règle à suivre. Ce terme générique désigne un ensemble de caractéristiques décrivant un objet, un être, qui peut être virtuel ou non. D’où, tout ce qui entre dans une norme est considéré comme « normal », alors que ce qui en sort est « anormal », ces termes pouvant sous-entendre ou non des jugements de valeur. Norme signifie au sens large l'ensemble des règles obligatoires édictées par les autorités publiques, la constitution, la législation, les ordonnances, les décrets, les règlements, arrêtés, lois coutumières… La norme sous-entend une notion de pouvoir. En effet, pour qu'une norme, une règle de vie entre en vigueur dans une société, elle doit être acceptée par la majorité (loi du plus grand nombre) ou imposée par un pouvoir.

440 EDELMAN G-M., Plus vaste que le ciel, une nouvelle théorie générale du cerveau, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 11. 441 GIDE A., L’Immoraliste. Analyse de l’œuvre, Paris, Nathan, 1996, p. 90.

chambre à coucher, manière de dormir… Il démontre, à travers ses analyses, qu’à mesure que le seuil de la honte s’élevait, des choses qui jusque là étaient acceptables commençaient à devenir inacceptables, certains comportements tolérés passaient pour des actes intolérables. Cela étant, il a labouré totalement dans le champ des SIC. A titre illustratif, il indique que « de nos jours, la cruauté, le plaisir que procure l’anéantissement de la souffrance d’autrui, le sentiment de satisfaction que nous procure notre supériorité physique, sont soumis à un contrôle sévère et ancré dans l’organisation étatique »442 et ce, avant de conclure, comme nous l’avons relevé ci-haut, que « beaucoup de choses

qui naguère éveillaient des sensations de plaisir suscitent aujourd’hui des reflexes de déplaisir »443. Il

démontre, par exemple, comment le processus de civilisation a limité l’usage du sens olfactif, notamment la tendance qu’avait l’homme de flairer les aliments, voire d’autres matières comme le font certains animaux en confiant ce rôle, dans une société civilisée, à un autre organe de perception sensorielle qu’est l’œil.

C’est ici aussi qu’il convient d’évoquer le fait que « la violence envers les animaux suscite une inquiétude morale croissante. Ce souci éthique n’est pourtant pas récent puisqu’il interroge les philosophes depuis l’Antiquité. Reste qu’aujourd’hui l’évolution du statut juridique de l’animal est le signe le plus sûr d’un changement des mentalités »444. Cette analyse rejoint en quelque sorte la

conclusion à laquelle sont arrivés les anthropologues Didier Fassin et P. Bourdelais dans « L’ordre moral du monde. Essai d’anthropologie de l’intolérable (Paris, La Découverte, 2005) » où ils tentent de comprendre que notre « intolérable » à nous est aussi une construction et que, de ce fait, une anthropologie de l’ordre moral de notre monde devient ainsi possible. On en veut pour preuve le fait qu’humainement, qui accepterait aujourd’hui, sachant le brouhaha que feraient les organisations de défense des droits de l’homme et la condamnation qui s’en suivrait mais surtout sans gêne morale et éthique, de pratiquer les anciennes mœurs à la mode chez les Iks, peuple nomade de l’Ouganda, consistant « dans des conditions de vie difficiles…à sacrifier la vie des plus faibles, en laissant notamment mourir de faim les vieillards et les enfants en cas de disette »445 ? La réponse se trouve

peut-être contenue dans cette assertion de Norbert Elias selon laquelle « l’idée de la moralité fait

partie de la culture»446. Or, cette dernière est, de l’avis du sociologue, dynamique. Les peuples qui se

sont développés aujourd’hui sont ceux qui ont su mettre à profit certaines règles de morale, d’éthique, de gouvernance…à leur profit. Les Etats modernes forts sont ceux qui ont traduit dans les faits ces bonnes règles. Donc, pour Norbert Elias, tout cela rentre dans les restrictions. Pourtant, note t-il, « l’homme sans restriction est une vue de l’esprit »447. Mais il va plus loin lorsqu’il étend sa

compréhension notionnelle du concept «civilisation», c’est ce qui lui attire d’ailleurs des critiques, au degré de l’évolution technique, aux règles de savoir vivre, au développement de la connaissance technique, aux idées et usages religieux. Aussi, signale t-il que « la civilisation que nous considérons en général comme une « propriété » qui nous est offerte tout « armée » sans que nous nous demandions comment nous en sommes devenus les propriétaires, est en réalité un processus dont nous sommes nous-mêmes les sujets. Tout ce qui, à nos yeux, en fait partie, les machines, les découvertes scientifiques, le système gouvernemental, sont les témoins d’une certaine structure des rapports humains »448.

442 ELIAS N., La civilisation des mœurs, p. 281. 443 Idem, p. 296.

444

BURGAT F. « Les animaux ont-ils des droits ? » in Les grands dossiers des sciences humaines n°2 de mars-avril-mai 2006 p. 82.

445 MEYRAN R., « L’intolérable chez les Diolas » in Les grands dossiers des sciences humaines n°2 de mars-avril-mai p. 41. 446 ELIAS N., La civilisation des mœurs, p. 17.

447 Idem, p. 312. 448 Ibidem, pp. 86-87.

Par ailleurs, ce qui nous intéresse encore davantage chez Norbert Elias, c’est son entendement, à travers son livre « Qu’est-ce que la sociologie ? » du concept de «configurations» qui l’approche ou l’apparente, voire le confond en quelque sorte à celui de « système ». Selon lui, en effet, « les configurations sont des formations de taille variable, où les individus sont liés les uns aux autres par un mode spécifique de dépendances réciproques et dont la reproduction suppose un équilibre mobile de tensions »449. Cette définition traduit bien des ensembles, grands ou petits, en interrelation,

en interaction et en interdépendance réciproques, faisant ainsi passer des configurations pour de véritables microsystèmes ou des systèmes, voire macro-systèmes en ce que la notion de ces derniers implique celle de contrôle et de flux, car, ajoute-t-il, les configurations peuvent être plus ou moins importantes et complexes et pour les comprendre, il faut analyser les chaînes d’interdépendances, toujours indissociables de l’équilibre des tensions. D’ailleurs, Bernard Cahier s’en inspire pour soutenir que « le monde aéronautique est d’abord un enchevêtrement de configurations, au sein des compagnies, au sein des administrations, au sein de chaque avion; configurations locales qui relient ensemble ces millions de personnes (équipages, contrôleurs, employés), plus les passagers ou les affréteurs-un voyagiste par exemple »450. En effet, ce que N. Elias désigne sous l’appellation de

« configuration» et qu’il qualifie d’ailleurs de « figure globale toujours changeante »451 n’est autre chose

que ce que Edward Sapir nomme la société et qu’il définit à sa manière comme «un réseau extrêmement complexe de rapports de compréhension, complets ou partiels, entre les membres des différentes unités qui composent la société, unités dont la taille et la complexité varient considérablement, depuis le couple d’amoureux ou la famille jusqu’à la ligue de nations ou cette masse d’humanité sans cesse accrue qui touche la presse grâce à ses multiples ramifications transnationales…elle se trouve continuellement réanimée ou réaffirmée de façon créatrice par des actes de communication qu’échangent ses membres»452.