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Le succès des émissions de Raymond Oliver et Catherine Langeais

L’entrée de la cuisine dans la sphère télévisuelle

I- Le succès des émissions de Raymond Oliver et Catherine Langeais

Les archives de l’ORTF conservées aux Archives nationales permettent d’avoir une idée assez précise des taux d’audience connus par les émissions présentées par Raymond Oliver et Catherine Langeais, ainsi que de la façon dont elles étaient appréciées de leur public.

Dès l’année 1955, Art et Magie de la cuisine connaît une bonne audience, qui s’est progressivement accrue. L’émission de Raymond Oliver est suivie par 63% des téléspectateurs – encore peu nombreux à l’époque – au premier semestre de cette année, contre 74% au second semestre1. L’augmentation peut être mise au compte de l’intérêt que rencontrait l’émission, mais est également un effet du changement d’horaire de l’émission, qui s’est vue diffusée à 19h30 au lieu de 18h30 à partir de septembre 1955. Un sondage de 19562 révèle que le programme, suivi

1 Archives nationales (Pierrefitte-sur-Seine), 19890447/2, sondages de la RTF.

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par 58% des personnes interrogées, était particulièrement apprécié. Son indice de satisfaction s’élève à 83, et 56% des personnes interrogées jugent le programme « excellent ».

Au fur et à mesure de l’élargissement du public de la télévision et de l’étoffement de l’offre de programmes, l’horaire de diffusion du programme est apparu comme l’élément qui limitait le plus son audience. La télévision devenant une activité de la vie quotidienne parmi les autres, la présence des téléspectateurs devant leur téléviseur est étroitement liée à leur disponibilité. Au début des années 1960, la télévision est essentiellement regardée entre 20h00 et 22h00 et les émissions diffusées avant le dîner sont donc assez peu regardées, car elles s’articulent mal avec la vie du foyer3

. Lorsqu’elle était diffusée à 19h30, l’émission pouvait réunir plus de 50% du public de la télévision, avec un décalage entre le public de province, plus nombreux, et le public parisien4. Décalé à 18h30 à plusieurs reprises, le programme s’adressait alors à un public disponible moins nombreux : son audience comprenait environ 30% du public de la télévision en 1963 et 19645.

Cuisine à quatre mains, diffusé le vendredi à 18h25 entre 1966 et 1968, bénéficiait d’un

créneau moins exposé, et connaissait donc une audience de l’ordre de 8 à 10% des téléspectateurs6. Devenue mensuelle, la présence de Raymond Oliver et Catherine Langeais ne semblait donc plus rencontrer le même intérêt qu’aux débuts de la télévision, bien que l’on ne sache pas si la relégation de leur émission à un horaire à l’audience limitée soit la conséquence d’une désaffection du public ou si elle a imposé à des téléspectateurs intéressés mais pas disponibles l’impossibilité de regarder le programme.

Une fois l’ampleur de la diffusion de l’émission connue, il reste à savoir quel était l’opinion des téléspectateurs sur le programme. Celle-ci semble avoir été largement positive, comme en témoignent les résultats d’un sondage mené en 1956. Les téléspectateurs semblent y souhaiter la suppression de la rubrique ʺcuisineʺ du Magazine féminin, « faisant double emploi avec la si intéressante émission de M. Olliver7 (sic) ». Le chef fait l’objet de nombreuses appréciations laudatives (« Ses commentaires sont excellents ! (et ses petits plats donc !) ») qui

1956 ».

3 Archives nationales (Pierrefitte-sur-Seine), 19890447/2. « RTF Opinions, 1er semestre 1960 ». 4

Ibid. « RTF Opinions, 1er semestre 1962 ». Ibid.

5 Cette estimation a été établie à partir des relevés effectués dans différents numéros de « RTF Opinions » des années

1963 et 1964.

6

Archives nationales (Pierrefitte-sur-Seine), 19870589/11. Relevés d’audience des programmes de télévision.

7 Archives nationales (Pierrefitte-sur-Seine), 19890447/2, « Télévision : sondages d’opinion publique, 1er semestre

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expliquent l’intérêt du public pour ses émissions (« Le tour de main de M. Olliver est remarquable et intéresse aussi les Messieurs »). De même, Jean d’Arcy justifie face au Conseil des programmes en 1958 le maintien « naturel » d’Art et Magie de la cuisine à l’antenne par le fait que l’émission soit appréciée du public, à l’inverse d’autres programmes consacrés à la vie pratique « arrivés à expiration »8.

Le courrier des téléspectateurs tel que l’on peut l’aborder par les synthèses effectuées par les services de la télévision française9 semble témoigner du même succès. D’après le relevé que nous avons effectué sur les rapports de décembre 1954 à novembre 196410, le nombre de lettres positives (467) l’emporte largement sur le nombre de lettres négatives (108) signalées à propos des émissions de Raymond Oliver et Catherine Langeais. Il est à noter qu’un important volume de courrier était reçu concernant cette émission par comparaison avec les autres magazines consacrés à la vie pratique, preuve de l’intérêt particulier soulevé par le programme. Par ailleurs, la forte proportion de lettres positives par rapport aux négatives apparaît quelque peu exceptionnelle dans la mesure où l’envoi de lettres a plus souvent comme objectif de faire entendre son mécontentement que sa satisfaction.

Les synthèses relèvent toutefois un ensemble de reproches adressés à l’émission11

concernant notamment la participation de Catherine Langeais, jugée « trop bavarde », « gênante » ou « inopportune ». Le public semblait donc souhaiter que l’émission soit davantage centrée autour de la démonstration culinaire opérée par Raymond Oliver12. Par ailleurs, les critiques adressées à l’émission portent de façon récurrente sur le coût et l’accessibilité des recettes présentées. Les « recettes pour milliardaires » proposées par le chef sont jugées trop compliquées et élaborées par le public. La permanence de tels propos indique que l’évolution du programme vers la valorisation de la simplicité et de la proximité avec le public n’a pas véritablement convaincu. Enfin, nombre de téléspectateurs font état de leur frustration quant aux modalités de diffusion du programme, jugé trop peu fréquent et « inaccessible » du fait de son horaire. La diffusion en soirée du programme est ainsi fréquemment réclamée, afin que les « travailleurs »

8

Archives nationales (Pierrefitte-sur-Seine), 19900214/6 : correspondance du conseil des programmes.

9 Sur les difficultés d’interprétation soulevées par le dispositif de synthèse du courrier, voir la note 45 du chapitre 1. 10 Archives nationales (Pierrefitte-sur-Seine), 19880562/1 et 19880562/2.

11 Le fait que les mêmes remarques soient relevées mois après mois laisse à penser que seul un ensemble fixe

d’éléments étaient relevés dans les lettres, ce qui ne permet pas de rendre compte du discours singulier de chacune d’entre elles.

12 « mais cette émission doit être centrée sur le savoir faire, les tours de main de monsieur Oliver » (janvier 1958),

« mais Catherine Langeais gâte notre joie de la cuisine par ses interruptions » (mai 1959), « mais pourquoi si souvent abandonner la projection du travail effectué par Raymond Oliver pour nous montrer sa physionomie ou celle de Catherine Langeais » (septembre 1959).

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puissent y assister.