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Plan de substitution aux importations sur la base de l’agriculture à part-de-fruit et tentative de redistribution foncière ciblée avec la création de l’INC

développement des grandes cultures et plan de substitution aux importations

5.1.3 Plan de substitution aux importations sur la base de l’agriculture à part-de-fruit et tentative de redistribution foncière ciblée avec la création de l’INC

Face à ce contexte de crise, Terra (1933-1938) mit en place une politique de substitution aux importations. Elle visait le développement de l’industrie nationale en premier lieu pour le marché intérieur et dans un deuxième temps pour l’exportation de biens transformés. Le gouvernement déploya une politique douanière taxant fortement les biens importés productibles sur le territoire, y compris les productions végétales et les produits de luxe, mais détaxant les biens nécessaires au développement de l’industrie et des grandes cultures. Il proposa des conditions de crédit avantageuses pour les cultivateurs et les éleveurs. Il fixa un prix minimum du blé et un prix à la production pour le tournesol, le lin, les arachides et le coton. Il mit en place une restriction forte des migrations venant d’Europe, qui avaient été le socle du développement des grandes cultures dans la période précédente, s’appuyant alors sur la population rurale déjà présente. Il mit en place un monopole d’Etat sur l’alcool, le ciment et l’énergie (création d’ANCAP). Au niveau monétaire, il créa un centre de contrôle des changes avec des taux de changes multiples selon les produits. Il déprécia le peso, stimulant ainsi les exportations tout en protégeant l’industrie nationale par des importations rendues onéreuses par les taxes.

178 Le blocage des importations et la non-réponse immédiate de l’industrie nationale à la demande entrainèrent une hausse des prix intérieurs favorable au développement de l’industrie nationale. Elle stimula l’investissement de capitaux privés et amena à une augmentation des salaires (Faroppa-Ferrero, 1964). Cette « mobilisation industrielle », qui eut lieu de 1935 à 1945, fut à la fois financée par le secteur agricole, mais aussi par les subventions et crédits de l’Etat.

Tableau 8 : évolution de la composition du PIB uruguayen entre 1935 et 1961 (en million de peso constant de 1961) (source : Faroppa-Ferrero, 1964) Années Agriculture- élevage Industrie de transformation Construction Services 1935 1,610 1,446 173 4,411 1961 2,558 3,271 749 8,173

Puis de 1945 à 1955, ce plan fut alimenté par la bonne santé économique issue des échanges commerciaux stimulés par la Seconde Guerre Mondiale et par la guerre de Corée jusqu’en 1952. Cette politique fut maintenue après la fin du gouvernement de Terra et jusqu’au début des années 1950. Entre 1935 et 1961, le PIB industriel fut multiplié par plus de deux et devint supérieur à celui du secteur agricole qui, dynamisé par l’essor des grandes cultures, fut multiplié par 1,6. Celui des services fut multiplié par un peu moins de deux et devint la première source de PIB du pays, alors que le PIB de la construction était multiplié par quatre (cf. Tableau 8) (Faroppa-Ferrero 1964).

Ces 20 ans de politique interventionniste réussirent à créer une intégration auparavant inexistante entre secteur de production agricole (grandes-cultures et élevage) et le maillon de la transformation. Les grandes cultures se développèrent en relation directe avec leur débouché industriel, prenant la place de surfaces auparavant dédiées à l’élevage. Le soutien des prix du blé créèrent une telle attraction que l’on défricha les rives du fleuve Uruguay pour y créer des terres labourables (Faroppa-Ferrero 1964 ; Morales 2007). Une certaine dégradation du cheptel bovin eut lieu parallèlement à cause de crises de brucellose, tuberculose et fièvre aphteuse, amenant à l'abattage de 300 000 bovins par an. Cette diminution du cheptel connut un point culminant avec la sécheresse de 1942-43 pendant laquelle furent perdus deux millions de bovins et une nouvelle part du potentiel génétique du troupeau uruguayen (Helguera, 1954, cité par Barrios Pintos 2011). Vers 1939, l’Uruguay assurait encore 1/10ème des exportations de viande de l’Amérique du Sud. A partir de 1944, le secteur de la viande bovine cessa d’être la première rubrique d’exportation au profit de la

179 laine. Les ovins augmentèrent de 20% et se substituèrent aux bovins dont le nombre diminua de 8% (Pintos, 2011).

Un processus de moto-mécanisation fut inclut dans le plan de modernisation de l’agriculture. Il fut couronné de succès et vit la multiplication par 7 en 10 ans du nombre de tracteurs (1946-1956), importés depuis les pays voisins et les USA. Le nombre de chevaux diminua de 20%. L’expansion des surfaces de cultures atteignit son apogée en 1957 avec 1 814 000 hectares cultivés. Cette période correspondit à l’atteinte du maximum historique de population dans le milieu rural en 1951 (450 000 personnes), et du maximum d’exploitations, avec 66 000 exploitations agricoles en 196659 (Morales, 2007). Cette époque marqua un pic dans la dynamique de subdivision des propriétés (Gautreau, 2006), plus visible dans les zones de population plus dense. Le développement des cultures pour l’industrie induisit un besoin important de main d’œuvre saisonnière, ce qui contribua à l’augmentation de la population en milieu rural. Le nombre de producteurs familiaux et de producteurs patronaux de taille moyenne (3 à 4 actifs maximum incluant les actifs familiaux) était là aussi sans comparaisons dans l’histoire du pays. L’accès au foncier des cultivateurs restait par contre principalement dépendant des propriétaires-éleveurs par la location via un système à part-de-fruit. Cette forme de tenure restait précaire, avec une contractualisation orale sans engagement de durée et un renouvellement tacite annuel, et onéreuse, puisqu’elle se composait de la livraison de 20 à 25% du produit brut.

Dans les années 1940, la question de la pauvreté de la population des salariés ruraux se fit plus aiguë. Cette population aux conditions de travail et de vie précaires souffrait des effets de la Grande Dépression des années 1930. La mise en place tardive dans les années 1940 d’une législation du travail agricole avait de nouveau été suivie d’une non-application, amenant les employeurs à ne pas respecter les minima salariaux et conférant au secteur les salaires les plus bas du pays. Les contrats précaires prédominaient et les rapports de production étaient très déséquilibrés en faveur des employeurs. L’excès de main d’œuvre disponible et la faible densité de population ajoutés à sa dispersion ne permettaient toutefois pas l’émergence de mouvements de revendication de la part de la part des salariés ruraux (Piñeiro, 2002).

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On trouve ainsi de nombreuses traces d’une population plus importante dans le milieu rural, avec comme le relève Gautreau (2006), le tracé de petites parcelles qui étaient consacrées à l’agriculture vivrière : « Les traces de labours constituent des signes omniprésents, qui frappent moins par leur ampleur que par la petitesse des parcelles et leur répartition dans les parcs : les zones légèrement déprimées des plans sommitaux, les croupes de bas de versant, qui offraient localement des sols plus profonds, ont été largement exploitées pour une agriculture vraisemblablement familiale, de subsistance. Ce type d'activité, résiduel aujourd'hui (…) prouve l'existence d'habitants plus nombreux avant les années 1960 » (Gautreau, 2006, p.375) et s’ajoute aux restes de murets parfois visibles au sein de formations arborées (observations réalisées en zones de Sierras). La surface moyenne des parcelles agricoles relevée est de 1,43ha à Minas, 1,28ha à Quebrada, 9ha à Isla Cristalina.

180 La classe moyenne agraire composée en partie des cultivateurs et de producteurs d’ovins prit par contre du pouvoir (Barrios Pintos, 2011). Ils redynamisèrent le rôle de la Sociedad Nacional de Fomento Rural (Société nationale de développement rural) (Rossi 2010a). ils cherchèrent à faciliter l’accès aux terres pour les producteurs familiaux. Un projet de réforme agraire fut présenté par le Parti Socialiste au parlement et à l’Université. Si la proposition fut rejetée, le débat s’orienta tant politiquement qu’au niveau universitaire vers les questions de dépeuplement des territoires ruraux et les alternatives possibles d’aménagement du territoire. Les débats parlementaires se pacifièrent après la création de l’Instituto National de Colonisacion en 1946 (création réelle le 12 janvier 1948, loi de colonisation n°11.029) (Moraes 1998). Cette institution prévoyait la création de nouvelles « colonies », toujours via l’achat de grandes propriétés qui étaient subdivisées en fractions d’une taille permettant de subvenir aux besoins d’une famille. Autonome, elle ne dépendait d’aucun ministère et basait ses objectifs sur cette loi de 1948 qui en institua les règles de fonctionnement. Elle prit la suite des prérogatives de la Commission Honoraire de Colonisation créée en 1905 et en intégra la gestion des terres.

Par contre, contrairement à la politique de colonisation de Batlle, à chaque fraction et chaque colonie était assigné un projet productif. Ces projets productifs étaient harmonisés à la politique de substitution des importations et visaient à la production de grandes cultures et de lait pour l’industrie. Les producteurs bénéficiaires devaient accepter les projets assignés aux terres par l’INC, et toute modification dans les activités pratiquées devait être signalée et approuvée par l’Institution (Vassallo et Chaves 2014). L’INC avait aussi une mission d’aménagement sur les terres qu’elle gérait : voirie, électricité, eau et accès aux services de l’Etat devaient être garantis. Une autre modification majeure apportée par cette loi par rapport à la précédente était la possibilité pour le colon d’accéder aux terres par la seule location auprès de l’INC, avec ou sans option d’achat. L’INC conservait un droit de regard sur l’usage des terres vendues, qui devait continuer à être conforme aux projets productifs prévus. Les parcelles ne pouvaient être reconcentrées en une seule propriété, sauf à sortir totalement de la sphère de gestion de l’INC par décision explicite.

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Figure 17: surfaces cumulées destinées à la colonisation (source des données : INC)

Sur la période 1948-1959, 145 000 ha furent achetés par l’Etat pour contribuer à la colonisation, s’ajoutant aux 200 000ha déjà gérés dans le cadre de la loi précédente (cf. Figure 17). Environ la moitié des terres de l’INC étaient mises à disposition par location, et l’autre moitié propriété des colons (Instituto Nacional de Colonización 2011a). Une colonie de l’INC fut créée à la sortie de la ville de Young. Les surfaces destinées à la colonisation restèrent donc très modestes. Si le programme fut ambitieux, son ampleur le distingua d’un programme de réforme agraire qui aurait été mené par l’Etat.

Les grands propriétaires terriens gardaient un rôle prédominant. Cette période 1940- 1952 fut une période d’investissement dans les structures de production sur les propriétés : construction de bâtiments d'estancia et de maisons de maîtres, de retenues d’eau pour l'abreuvement du bétail, plantation de bosquets pour l’ombre des animaux, mise en place de jardins potagers et de prairies artificielles (Barrios Pintos, 2011). La survalorisation des prix amena néanmoins aussi à des dépenses et à des investissements qui ne participèrent pas à l’intensification de la production sur le territoire national : investissements en Europe, achats de terres pour l’agrandissement, résidences secondaires et placements à l’étranger plutôt qu’intensification en capital de production. L’expansion des grandes cultures resta basée sur l’accès aux terres des cultivateurs par un système à part-de-fruit ou par la propriété de fractions de quelques centaines d’hectares issues de divisions successorales, hors INC.

182 Parfois, une exceptionnelle division de grande propriété sur la base d’une initiative privée permettait également la revente de fraction, mais ce processus restait peu fréquent.

5.2 Différenciation des systèmes de production des régions

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