• Aucun résultat trouvé

Fonctionnement de la gestion et de la transmission des propriétés foncières au sein des familles

développement des grandes cultures et plan de substitution aux importations

5.2 Différenciation des systèmes de production des régions d’étude dans les années 1950 : l’apparition fragile de

5.2.1 Fonctionnement de la gestion et de la transmission des propriétés foncières au sein des familles

En Uruguay, la transmission des terres suit le Code Civil qui dicte une répartition équitable entre frères et sœurs au moment du décès du parent propriétaire, sans discrimination de genre (Perrachon Ariztía 2011). La notion d’héritage peut être différenciée de celle de succession effective, la première désignant les conditions légales de transmission des actifs, la seconde la transmission du contrôle sur l’unité productive familiale d’une génération à la suivante (Dirven 2002; Gallo et Peluso 2013). Ces deux étapes peuvent ne pas avoir lieu en même temps ni se coordonner avec fluidité, la deuxième représentant plus un processus qu’un moment précis dans le temps.

L’habitude tout au long du XXème siècle était si possible de faire croître la propriété de manière suffisante pour permettre à chacun des enfants d’hériter d’une portion de terres formant une unité productive viable économiquement sans perte de statut social, soit plusieurs milliers d’hectares par héritier. Les chefs d’exploitation de la génération parentale faisaient en sorte de disposer de biens immobiliers (pour les filles en particulier) ou d’abonder dans un projet économique professionnel permettant de faire plusieurs parts pour éviter la division de l’exploitation lors de l’héritage. Le but d’une succession en ayant un unique successeur généralement masculin était alors de préserver au mieux l’unité du patrimoine productif d’une manière socialement légitimée, tout en préservant l’égalité des droits entre les enfants (Gallo et Peluso, 2013 ; Dirven, 2002). Les taxes sur la transmission des biens fonciers sont très peu élevées (environ 3% de la valeur du bien) et ne représentaient généralement pas un frein à leur transmission. L’investissement d’un enfant dans la gestion de ce patrimoine productif agricole et son intégration plus ou moins poussée dans la prise de décisions était géré de manière variable. Les relations et le rôle attribués à

185 chaque genre (division sexuelle du travail et socialisation différenciées), influaient dans la préparation de la succession60 (Gallo et Peluso, 2013). La forme classique visible dans les exploitations où des membres de la famille étaient impliqués dans le suivi de la production, était que l’un des fils restait travailler avec le père et devenait plus tard le chef d’exploitation, le « quand » et le « comment » de la succession étant articulés par le père (Gallo et Peluso, 2013 ; Dirven, 2002). Lors de la mort des parents, le problème de la division des actifs (la terre essentiellement) se réglait soit par l’achat ou la location des parts des frères et sœurs par le « titulaire », par l’autonomisation du fonctionnement de chaque fraction, ou par sa vente (Gallo et Peluso, 2013). La veuve jouait aussi souvent le rôle de pont entre les générations en permettant une succession progressive (Dirven 2002).

Les enfants impliqués ne le furent néanmoins pas toujours de manière à savoir gérer un capital familial, ce qui pût entrainer des frictions et une division de la propriété par la fratrie, voire la vente de la totalité de la propriété. Par ailleurs, la rétribution du travail de l’enfant impliqué dans le suivi n’était pas souvent formalisée. Elle passait parfois par un salaire ou par l’accès privilégié à des terres pour la capitalisation dans des animaux, mais elle était la plupart du temps peu ou mal définie, ce qui était source de tensions familiales au moment des divisions successorales. Bien que les volontés de transmettre et de poursuivre l’activité pussent être réelles de part et d’autre, le degré de préparation, de formation, ou le besoin matériel des enfants n’étaient pas toujours pris en compte pour réguler le moment de la succession (Dirven 2002). La transmission se faisait ainsi souvent entre personnes d’âge moyen et personnes du troisième âge, devenant un moment sans cesse retardé et une vraie épreuve de résilience.

60

Les femmes dans les exploitations familiales sont peut associées et impliquées dans les tâches productives, mais limitées aux tâches reproductives, liées à la maison, et éventuellement à la transformation quand il y en a, ainsi que les tâches liées à l’autoconsommation. Le travail féminin est désigné comme une « aide » au travail masculin et rendu invisible, parce que seul est considéré comme travail celui qui a une valeur économique de marché, généralement assigné aux hommes, alors que le travail reproductif n’est alors pas considéré comme travail (Gallo et Peluso, 2013). De cette manière le statut de chef d’exploitation tourne essentiellement autour de l’homme, tout comme la succession à la tête de l’exploitation et la transmission des terres, ce qui laisse entendre des pratiques différentes aux droits (Dirven, 2002). Selon Gallo et Peluso (2013), s’il y a plusieurs fils, c’est plutôt le plus jeune qui est associé, en lien direct avec la transmission tardive de l’exploitation. L’affinité entre le père et un des enfants joue également dans le choix d’un successeur, la transmission est alors implicite et passe à travers des habitudes quotidiennes qui amènent le choix à paraitre « naturel » et déjà scellé au moment où les enfants deviennent adultes. Le caractère patrilinéaire de la transmission se retrouve également dans le fait que les femmes héritant de terres soit les mettent en location auprès de leurs frères, soit les intégraient à l’exploitation de leur époux.

Les absences de succession dans les exploitations familiales peuvent venir d’une forme d’éloignement des enfants de l’activité productive. Ils ont construit une autre vie professionnelle qui fait qu’ils ne souhaitent plus reprendre l’exploitation au moment où l’opportunité se présente, ou encore les parents considèrent que l’exploitation ne saurait être une activité viable pour un de leurs enfants. Les femmes sont souvent poussées à faire des études afin de poursuivre une autre carrière professionnelle, et émigrent du milieu rural, accentuant sa masculinisation et la rupture avec le modèle parental de lien à l’unité productive. Cela cristallise l’idée que les tâches agricoles ne sont pas faites pour les femmes, tout en rendant plus difficile la continuité de l’usage du patrimoine familial en créant une rupture dans le modèle professionnel transmis (Gallo et Peluso, 2013).

186 Dans les familles de propriétaires-éleveurs patronaux ou absentéistes de nos régions d’étude, le revenu agricole issu de l’exploitation représentait soit la source principale de revenu des membres de la famille, soit un complément minoritaire. Au moment de l’héritage, s’il n’existait pas d’autre patrimoine ou une propriété pour chacun, chaque membre de la fratrie recevait une fraction de la propriété. Le maintien du niveau de revenu agricole pour chaque propriétaire obligeait alors à l’intensification en capital de la production pour accroître le niveau de valeur ajoutée créé par unité de surface. Parfois, les copropriétaires ne souhaitaient pas réaliser ces investissements car ils avaient la possibilité d’investir ces capitaux dans d’autres activités plus rémunératrices ou ne possédaient pas les capitaux suffisants. Cela amenait soit à la vente, soit à une baisse de la part du revenu agricole dans le revenu global de chaque famille par rapport à la génération précédente.

Dirven (2002) expliquait ainsi que dans le cas de petites propriétés, la succession était rendue encore plus difficile car elle ne permettait pas de subvenir simultanément aux besoins de deux générations différentes (parents et un enfant), et sa fragmentation au moment de l’héritage la rendait non viable économiquement. Les dimensions inhérentes aux unités productives de l’agriculture familiale ne permettait souvent pas l’intégration de nouveaux noyaux familiaux en son sein sans paupérisation, sauf à s’appuyer sur un capital technique nettement différent ou une activité supplémentaire (Dirven 2002). Cette difficulté de reproduction des systèmes familiaux a selon lui particulièrement concerné les cultivateurs à part-de-fruit qui furent les plus touchés par l’impossibilité de reproduction du modèle de la génération précédente (Dirven 2002).

Dans tous les cas, ce système de transmission entraînait un fractionnement des propriétés et des ventes régulières de terres au sein d’une même région, induisant une certaine fluidité du marché du foncier. Moins la famille disposait de capitaux fonciers ou dans d’autres activités et de la possibilité de léguer à chacun une propriété non divisée, plus il y avait de risques que cette propriété soit vendue lors du passage de génération. En Uruguay, rares étaient les familles qui possédaient une même propriété depuis plus de 4 générations. La taille des fractions revendues dépendaient par contre du type de système de production qui pouvait atteindre les seuils de reproduction dans la région concernée, ce que nous allons détailler ci-après pour les régions de Young et Ansina. L’acquisition de propriétés pouvait se faire avec ou sans bétail et matériel.

Pour les propriétaires-éleveurs, la capitalisation pour l’achat de nouvelles propriétés s’effectuait en maximisant le chargement en bétail sur leurs terres, parfois jusqu’à l’excès de chargement animal par rapport aux capacités de production fourragère, et en mettant du bétail en pension dans des propriétés de voisins ou de connaissances. Ils vendaient ensuite en une fois une grosse partie du bétail (bétail maigre, une partie des vaches-mères, bétail

187 gras) pour effectuer leur achat. Il existait donc en permanence des terres peu ou non-dotées où les propriétaires qui étaient en phase de capitalisation pouvaient mettre en pension du bétail. Le propriétaire des terres où s’effectuait la mise en pension pouvait ainsi petit à petit reconstituer son troupeau, tout en recevant une rente pour la présence de bétail sur ces terres, et en utilisant son collectif de travail salarié. Les contremaîtres procédaient de même, commençant à capitaliser grâce à leurs droits à pâturage puis mettant du bétail en pension pour accroître leur cheptel en propriété quand leurs revenus leur permettait de payer.

5.2.2 Grandes propriétés d’élevage bovin et développement de la riziculture et de

Outline

Documents relatifs