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problématique de recherche :

2.4 La question agraire au prisme de la financiarisation de l’agriculture

2.4.4 Financiarisation et transformations des relations de production

Ces transformations amènent Borras Jr (2009) à proposer les bases d’une réorganisation de la manière d’aborder la question agraire. Pour Bernstein (2006) la classe de paysan au sens historique, opposée à une classe capitaliste bourgeoise, a perdu de son sens pour traiter de la question agraire contemporaine, et il y a aujourd’hui une multiplicité de classes. Il insiste sur la nécessité d’éviter de considérer les producteurs comme une classe homogène, ou dont les différences ne seraient basées sur et caractérisées que par des différences de tailles d’exploitations. Une analyse binaire entre « grande » agriculture mécanisée et « petite » agriculture paysanne ne permet en effet pas de développer finement les questions d’inégalité de productivité du travail, de rentabilité et de reproductibilité (Bernstein 2010, p.309). Pour Gras et Hernandez (2013), il s’agit de montrer

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Les propositions alternatives s’appuient sur plusieurs idées maitresses dont la notion de post- développement revisitée par Arturo Escobar (2005). Elle se base sur la valorisation de la nature sur la base d’autres conceptions du monde (écologistes, indigènes…) via un programme de transition post-extractiviste et de scénarios multidimensionnels. Gudynas (2009) en a élaboré une des plus abouties selon Svampa (2013), qui s’axe sur trois points. Le premier est la mise en œuvre de politiques publiques permettant « de penser de manière différente l’articulation entre question environnementale et question sociale » (Svampa 2013, p.45) et proposant des alternatives au développement, à un niveau régional et dans un objectif stratégique de changement, notamment sur la base de nouvelles mises en place d’impôts et taxes. Le deuxième est de valoriser et fortifier les initiatives existantes « d’alter-développement ». Le troisième est de proposer un « horizon de désirabilité » en termes de styles et qualité de vie, dans le sens où aujourd’hui « la définition de ce qu’est une ‘vie meilleure’ apparait associée à la demande de ‘démocratisation’ de la consommation, plus qu’à la nécessité de mener à bien un changement culturel vis à vis de la consommation et de la relation à l’environnement, sur la base d’une théorie différente des nécessités sociales» (ibid., p.46).

93 comment la paysannerie est exclue, et quelle politique d’assistance à la population rurale pauvre sont mises en place. En sociologie rurale, Purseigle et Hervieu (2009) soulignent également que le paradigme reposant sur des trajectoires d’exode ou de « professionnalisation » des agriculteurs présente des limites pour comprendre la recomposition des formes actuelles dans le monde agricole. Il s’agit de dépasser « l’invariant » de la figure de l’agriculteur familial qu’ils considèrent comme « au cœur des thèses marxistes et fonctionnalistes », qui limite la mise en valeur de certains phénomènes de transformation et ne permet pas de « penser les agriculteurs par-delà le modèle familial » (Purseigle et Hervieu 2009 p.185). Elle remet en cause par là-même la vision un peu linéaire de l’évolution des sociétés paysannes, passant de l’archaïsme (souvent assimilé à la production vivrière) à la modernité (la motomécanisation, la spécialisation des tâches au sein de la filière et la spécialisation des systèmes de production…). Borras (2009) propose de passer de l’étude des évolutions de la paysannerie (peasant studies) à l’étude des changements agraires (agrarian studies). Cela vise pour lui à mieux prendre en compte la baisse importante de la population vivant en milieu rural. Il insiste néanmoins sur l’importance de cet objet de recherche, dont l’enjeu recouvert peut se mesurer à l’augmentation des volumes et valeurs échangées sur les marchés mondiaux des produits agricoles.

Les études récentes concernant la population rurale ont particulièrement montré l’explosion des frontières rural-urbain avec les migrations de la main-d’œuvre et la nouvelle localisation des collectifs de travail. Le travail est plus mobile et occasionnel, plus informel, les bas-salaires sont combinés avec des activités vivrière. Ces études pointent le caractère multidimensionnel de ces transformations, avec par exemple l’accès de la population agricole pauvre aux technologies de pointe de la communication (internet, mobile, cable…). Les inégalités se sont fortement renforcées, mais leur trajectoire est distincte de celle de la pauvreté, amenant Borras à souligner que « l’impact des accumulations liées à l’agriculture sur la pauvreté devrait être examiné séparément de l’impact de ces accumulations sur les inégalités » (Borras Jr 2009, p.8).

Cette période d’augmentation de la flexibilisation des activités est aussi caractérisée par le fait que le coût de cette transition a été en partie assumé par le travailleur. Cette période a été marquée par le développement des sociétés de services (contratistas) spécialisées dans la constitution de « quadrillas » d’ouvriers. Elles répondent aux besoins ponctuels de main d‘œuvre des entreprises, avec parfois des stratégies de fidélisation des ouvriers, sans pour autant que leur emploi soit permanent. Cela amène Kay (2007) à parler de « travail temporaire permanent », ou basé sur le paiement à la tâche ou à la pièce. Pour Purseigle (2012), les modifications contemporaines questionnent ainsi la reconfiguration des

94 marchés du salariat agricole, entre « déprofessionnalisation » (Albaladejo, Arnauld de Sartre, et Gasselin 2012) et disqualification (Rouillé d’Orfeuil 2012).

Les transferts de revenu représentés par les aides sociales de l’Etat aux populations les plus démunies, sont relevés dans les études agraires par certains auteurs récents comme une forme de stabilisation de l’inégalité structurelle de répartition des ressources. « Les aides sociales constituent le plus grand transfert de fonds international utilisé comme soutien aux moyens de subsistance, dépassant le montant de toutes les aides internationales » (Fairbairn et al. 2014, p.660). Certains phénomènes de migration conjoints à ces formes de transfert de revenus auraient contribué à la « désagrarianisation » du monde rural (citant Wilson et Rigg, 2003, Padoch et al., 2008), ou du moins, à la recombinaison des systèmes d’activité des ménages ruraux (Fairbairn et al. 2014). Les ménages ruraux composent de plus en plus des « systèmes d’activité hybrides » alliés au salariat non agricole, soulignant la complexité, y compris spatiale, de ces recompositions. Cela remodèle le contexte d’analyse en faisant tomber la dichotomie rural-urbain. Pour Purseigle et Chouquer (2013), l’étude de ces formes financières de la production agricole ne peut aller sans l’étude des « formes de relégation économique, sociale, politique et culturelle des populations rurales » (ibid., p.16) et des conflits liés à l’éviction de la population des terres et de la production.

2.5 Conclusion concernant ces approches théoriques :

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