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Période de construction mouvementée du jeune Etat uruguayen et développement de l’implantation des intérêts commerciaux anglais

agro-exportateur de laine, cuirs, et viande vers l’Europe industrielle dans la seconde moitié du XIXème siècle

4.3.1 Période de construction mouvementée du jeune Etat uruguayen et développement de l’implantation des intérêts commerciaux anglais

La vie politique du pays connut d’importants mouvements jusqu’en 1860-70, sur la base de luttes de pouvoir pour la gestion du territoire et sa domination économique. Elle s’incarna dans les oppositions de ceux qui devinrent les deux partis politiques historiques du pays, les blancos, représentants de l’intérêt des grands éleveurs propriétaires terriens, et les

colorados, représentants de la classe moyenne urbaine et commerçante. En 1829 la

population de l’Uruguay était estimée à 74 000 personnes, le pays était peu modernisé. Toute sa partie nord avait particulièrement souffert des instabilités permanentes liées aux conflits pour la maîtrise du territoire entre l’Argentine et l’Empire Portugais (Arteaga, 2002). La construction politique de ce territoire nouvellement indépendant s’accompagna d’un projet de peuplement et de modernisation (mise en place de routes, de ponts…) que permit la structuration progressive de filières d’exportation malgré les conflits. Les freins à l’immigration furent levés et durant tout le XIXème siècle un flux continu de migrants européens se mit en place, particulièrement depuis l’Italie et l’Espagne. La première révolution agricole était alors en marche en Europe (Mazoyer et Roudart 2002). La mécanisation de la culture à traction animale entrainait une baisse des besoins en main d’œuvre saisonnière, dont l’impact était particulièrement fort dans les régions de grandes propriétés avec métayage. Des migrants provinrent aussi du Cône Sud et du reste de l’Amérique Latine (Taks 2006). L’Etat ne disposait pas de moyens pour stimuler l’immigration, elle se basa donc sur des initiatives privées à but lucratif, et n’y adjoint pas de formes de régulation (Arteaga, 2002).

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Figure 15: atlas du peuplement des campagnes uruguayennes vers 1830 (source figure : Gautreau 2006)

Il est possible d’estimer la population présente aux alentours de 1830 en milieu rural sur la base des cartes d’arpentage réalisées lors des demandes de titres de propriété. La création de cartes d’arpentage commença après l’indépendance, et des archives cadastrales furent créées en 1831 (Gautreau, 2006). Gautreau (2006) propose ainsi une carte de population pour les années 1830-1850 sur la base de ces archives (cf. Figure 15). La densité des estancias est plus lâche dans certaines zones du pays mais parait importante dans la vallée du rio Tacuarembó et près de San Fructuoso (actuelle ville de Tacuarembó). La population est aussi plus dense sur les rives du fleuve Uruguay et du côté de la frontière brésilienne ainsi qu’aux abords du Rio Negro, zones où l’activité économique était plus intense et le transport des matières premières possibles via les fleuves. Néanmoins, ceux qui demandaient un arpentage étaient ceux qui avaient les moyens d’en payer la réalisation

150 pour être reconnus propriétaires officiels de ces terres. Il est donc fort probable que ne furent pas représentés toutes les chaumières et lieux d’habitation des agregados, amenant à sous-estimer la présence de cette population précaire vivant en milieu rural (Gautreau, 2006, p. 333). Pour cet auteur, cela amène globalement à sous-estimer le peuplement de l’intérieur des terres et la population exerçant une activité agricole à cette époque, élément révélateur des rapports de force présents dans l’accès au foncier et le type de systèmes de production promus.

La Guerra Grande (Grande Guerre), siège de Montevideo par l’armée du dictateur argentin Rosas entre 1843 et 1851 à la demande du président uruguayen blanco Manuel Oribe, fut un épisode marquant de cette période. Il est issu de la difficulté à atteindre un équilibre politique entre propriétaires terriens et commerçants de Montevideo, alors que la vie politique du pays était animée par les « caudillos ». Ces derniers étaient l’expression politique du monde rural, des leaders loyaux à l’un ou l’autre des grands partis et regroupant autour d’eux la population d’un territoire. Si le cheptel fut estimé à 6 millions de bovins avant cette guerre, il fut en grande partie décimé et largement ponctionné par le Brésil et l’Argentine entre 1840 et 1852, pour être estimé en 1852 à 2 millions de têtes (Foulquier et al., 2015). A la fin de cette guerre à partir de laquelle les colorados exercèrent le pouvoir pendant 90 ans, le Brésil obtint la libre circulation des bovins vers le Rio Grande Do Sul (Morales, 2007, citant Alonso, 1982), ce qui fit de nouveau beaucoup de tort à l’industrie uruguayenne du nord du Rio Negro. Le pays crût néanmoins pendant cette période, et comptait 132 000 habitants à la fin de la Guerra Grande. Avec la stabilisation politique, l’immigration européenne reprit de plus belle. En 1868, la population était de 384 000 habitants dont un tiers était enregistré comme d’origine étrangère, cette proportion atteignant la moitié à Montevideo (Arteaga 2002; Caetano et Rilla 2005; Taks 2006).

Cette période de luttes pour le pouvoir prit réellement fin avec la fin de la Guerre de la Triple Alliance (1865-1870) et le soutien des anglais pour l’élection au gouvernement de Venancio Flores40. Cette guerre opposa Argentine, Brésil et Uruguay au Paraguay. Ce dernier

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La dramatique et sanglante trajectoire du Paraguay au XIXème siècle montre la violence de la lutte pour la domination économique et politique des territoires du Cône Sud (Bareiro-Saguier, et al., 2015). En 1811, le Paraguay obtint l’indépendance, tant vis-à-vis de l’Espagne que de Buenos-Aires. A partir de 1814 et jusqu’en 1840, se mit en place la dictature de Gaspar Rodriguez de Francia avec un contrôle politique sévère des alliances avec les territoires étrangers dans une volonté farouche d’autonomie politique et économique, et notamment, une résistance face à l’expansion de la domination anglaise sur le Cône Sud. Il s’était appuyé sur les masses paysannes pour réduire l’oligarchie terrienne. Les terres avaient été nationalisées, et les paysans les travaillaient sur la base d’une concession donnée par l’Etat, en échange de quoi ils devaient l’habiter, produire et ne pouvaient la vendre. Des infrastructures d’irrigation, canaux, retenues collinaires furent financées par l’Etat. Les paysans mettaient en place deux récoltes par an, reprenant une tradition guarani qui avait été supprimée par les colons espagnols. Il n’y avait pas de liberté politique et de droit d’opposition, mais il semblerait que le niveau d’éducation de la population était élevé (scolarisation obligatoire des enfants qui savaient donc lire et écrire) et qu’il y avait peu de mendiants, voleurs et indigents (Galeano, 1971). Carlos Antonio Lopez, dictateur entre 1840 et 1860, montra plus d’ouverture vers l’extérieur et permit le développement d’une industrie, d’une flotte

151 avait mis en place des politiques de réforme agraire et d’expansion économique effectuées sans soutien européen, qui portaient leurs fruits dans un développement économique effectif de l’agriculture et de l’industrie du pays. Elles représentaient une menace pour le fonctionnement commercial privilégié d’exportation de matières premières agricoles non transformées depuis le Cône Sud et d’importations de produits manufacturés et de capitaux depuis l’Angleterre. Cette guerre se solda par le massacre de la population paraguayenne et la destruction de ses infrastructures. Ses velléités d’autonomie économique vis-à-vis de l’Europe et le rôle qu’il aurait pu prendre dans le Cône Sud furent ainsi réduites à néant.

4.3.2 Développement du modèle agro-exportateur de cuirs, de laine et de viande bovine

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