• Aucun résultat trouvé

modélisation des systèmes-types

2.6.1 Dispositif de recueil de données

La démarche de recueil de données et les étapes de travail pour réaliser un diagnostic de système agraire sont proposées par Dufumier (1996), Cochet et Devienne (2006), Cochet (2011a). Dufumier (2007) en présente les étapes suivantes :

101 « - Une lecture de paysage, destinée à repérer les divers modes d’exploitation et de mise en valeur des écosystèmes et leurs effets sur les modes de vie et les conditions de travail. - Des entretiens de nature historique avec les auteurs et témoins des transformations récentes de l’agriculture dans la petite région concernée.

- La délimitation de zones relativement homogènes et contrastées, du point de vue des problèmes de développement agricole.

- L’identification des diverses catégories d’exploitants agricoles, des moyens dont elles disposent et des rapports sociaux dans le cadre desquels elles travaillent et produisent. - La caractérisation technique des systèmes de culture et d’élevage pratiqués par chacune de ces catégories, avec l’évaluation des résultats économiques et des effets sur l’environnement écologique.

- La restitution de ce que l’on croit alors avoir compris, à ce stade, auprès des autorités et des diverses personnes rencontrées lors du séjour sur le terrain.

- La concertation en vue de rechercher les interventions qui seraient les plus à même de résoudre les principaux problèmes techniques et économiques auxquels chacune des catégories d’exploitants est confrontée, compte tenu des conditions socioéconomiques dans lesquelles elle doit opérer. Ces propositions peuvent être de natures technique, économique ou institutionnelle, et souvent les trois à la fois. » (Dufumier 2007, p.623-624)

Sur la base du principe selon lequel « l’observation du paysage révél(e) des pratiques, le visuel suggér(e) le fonctionnel» (Deffontaines 1997, cité par Cochet et Devienne 2006 ; Deffontaines 1996), l’analyse de paysage nous a permis de repérer les différents étages écologiques présents dans les régions d’étude, ainsi que les marqueurs de leur usage actuel et passé. Elle a été effectuée en suivant un parcours permettant de réaliser une toposéquence pour chaque région d’étude. La lecture de cartes (géomorphologie, sols) nous a permis de délimiter plus finement les limites de ces régions (Cochet et Devienne 2006).

Des entretiens historiques ont servi à caractériser l’évolution des utilisations du milieu, des modalités d’accès et de la répartition des ressources, des relations de production et de la diversité des systèmes de production présents au cours du temps (Cochet et Devienne 2006). Ces entretiens ont été effectués auprès de retraités et de diverses personnes ressources, responsables institutionnels, techniciens, représentants de producteurs ou de syndicats de salariés. Nous avons veiller à rencontrer des représentants appartenant à divers groupes d’acteurs parfois en conflit ou ayant des intérêts contradictoires, afin de comprendre quel était le système agraire au moment où cette population était en activité, et les étapes clé d’évolution selon leur vécu propre. Cette étape de travail a permis de souligner les moments clés de spécialisation et de capitalisation structurant la dynamique de différenciation des systèmes de production jusqu’à aboutir à la diversité des systèmes existants à ce jour. Cette dynamique met ainsi en relation

102 changements techniques et différenciation sociale, en soulignant les systèmes dans lesquels les producteurs ont eu les moyens et l’intérêt de s’approprier un certain capital technique. Des sources écrites (littérature grise (rapports, mémoires), presse) ont représenté une source complémentaire d’information pour préciser ou compléter les informations historiques données par ces sources orales. C’est néanmoins le vécu des acteurs qui est resté le déterminant de l’identification des facteurs clés de changements historique. Aucun type n’est écarté à priori car pouvant être soit représentatif de systèmes en déshérence, soit de tendances en développement.

Le nombre d’entretiens historiques et d’entretiens technico-économiques visant à décrire chaque archétype se base sur le principe de saturation, c’est-à-dire visant le moment où après avoir agrégé de l’information, le chercheur arrive à un point où la différence entre la nouvelle information agrégée et celle déjà obtenue devient négligeable (Bauer et Aarts 2000). Un premier ensemble de systèmes-types identifiés grâce aux enquêtes historiques a servi de base à la sélection des entretiens, les contacts étant obtenus à partir d’une technique dite « boule-de-neige » (chaque contact enquêté fourni d’autres contacts). Le but est de recouvrir la diversité des situations existantes aujourd’hui, le nombre d’entretiens répondant là aussi à un objectif de saturation d’information sur chaque type de système de production identifié. Les entretiens ont visé à collecter des données sur les transformations agraires vécues par les différents groupes d’acteurs, tant propriétaires terriens que salariés ruraux, en essayant d’éviter « l’enclicage » décrit par Olivier de Sardan (2013). Ce phénomène désigne l’influence que peut exercer une faction représentant un groupe d’acteur sur le chercheur, l’amenant à structurer sa représentation de la réalité selon la sienne propre, ce qui est un risque important dans un système agraire où sont présentes d’importantes inégalités sociales et de véritables divergences d’intérêts. La typologie des systèmes-types contemporains, visant l’exhaustivité, a été complétée et affinée au fur et à mesure de l’avancement du travail.

Les entretiens ont été menés selon une conduite semi-directive comme manière de recueillir la réalité agraire de chaque type d’interlocuteur. L’entretien-semi directif est vu comme « une conversation » (Olivier de Sardan 2007; Olivier de Sardan 1995). Les questions que l’on se pose, les thèmes que l’on cherche à approfondir, sont transformés en questions qui ont du sens pour l’enquêté, ce qui demande un ajustement permanent des formes du questionnement, mais permet aussi de l’enrichir. L’interlocuteur peut être considéré comme une personne ressource, qui va livrer une certaine lecture, une certaine analyse de la réalité agraire, ou comme un « récitant » qui va livrer le récit de sa propre expérience, de sa propre histoire, soit de sa « réalité » agraire.

103 La caractérisation de chaque type de système de production s’est basée sur le recueil de données visant à permettre un inventaire « de la force de travail et des moyens de production disponibles sur l’exploitation, en précisant à chaque fois leurs caractéristiques, leur quantité, les modalités de leur acquisition, leurs périodes de disponibilité et leurs utilisation effectives », et qui remplissent le rôle de grille d’entretien (Dufumier 1996, p. 88) : recensement de l’ensemble des parcelles exploitées (emplacement, forme, étendue, type de sol, mode de tenure…), inventaire de la force de travail (type de relation au collectif de travail, disponibilité, modalités de rémunération…), recensement des immobilisations de capital fixe : plantations, troupeaux, outillage et équipement de travail et de transport, bâtiments d’exploitation et infrastructures diverses (irrigation, contention, etc.), et leurs capacités. Une histoire de l’exploitation vise à comprendre « comment ont pu être acquis les principaux moyens de production disponibles » : les conditions d’installation (actifs disponibles, hérités, prêts…), puis les modalités d’acquisition d’actifs au cours de la vie de l’exploitation ; l’importance relative des ressources accumulées au regard de la force de travail disponible et leur mise en perspective par rapport à une éventuelle croissance de la productivité du travail ; les formes concrète de « dégradation de l’appareil productif en cas d’éventuelle décapitalisation » (équipements moins bien renouvelés ou entretenus, exploitation « minière » des écosystème, évolution des techniques, etc.)...

Outre l’occupation des sols, la conduite technique des troupeaux, des cultures, et la trajectoire de l’exploitation, les entretiens ont également porté sur la teneur des relations commerciales actuelles (fournisseurs, acheteurs) et les accords et échanges de matières premières et services avec des tiers. Les systèmes de production type ont été décrits et modélisés dans l’accès dont ils disposent à l’écosystème cultivé, l’utilisation qui en est faite, le fonctionnement technique (système d’élevage - système de culture), le calendrier de travail de la main d’œuvre, l’interaction avec d’éventuelles activités salariées ou rémunératrices non agricoles et l’insertion dans les réseaux techniques et de commercialisation (la sociabilité professionnelle).

Nous nous sommes attachés à considérer et comprendre la géométrie variable des limites des systèmes et des activités productives au sein de certains systèmes-types. Comment circule la terre d’un système à un autre, comment est gérée la main d’œuvre dans ce contexte versatile, vers qui va et qui gère le capital investi, d’où provient le capital technique et qui se l’approprie ? Pour comprendre cela, nous avons aussi mis, peut-être plus que dans l’usage « classique » de cette méthode d’analyse diagnostic de système agraire, l’accent sur le fonctionnement des réseaux de relation des agents, pour comprendre comment de nouvelles logiques d’accumulation s’insèrent dans ces systèmes agraires. Ces entretiens technico-économiques et avec les personnes ressources ont ainsi été complétés de phases d’observation lors d’évènements professionnels propres à mettre en valeur les

104 modes de « fonctionnement en réseau » et les rationalités productives de certains groupes d’acteurs : réunions de producteurs animées par des représentants d’institutions de développement, séminaires d’information organisés par des entreprises de l’amont ou de l’aval agricole, séminaires de vulgarisation organisés par la faculté d’agronomie... La triangulation (Olivier de Sardan 2007; Olivier de Sardan 1995), qui vise à recouper plusieurs sources d'information, a été utilisée pour compléter les informations concernant les pratiques et usages de ressources au sein des systèmes de production au fonctionnement moins « transparent » comme certains fonds d’investissement foncier.

Au total, plus de 160 entretiens ont été effectués entre mars 2011 et décembre 2014 auprès d’acteurs locaux, producteurs et salariés majoritairement, mais aussi des agronomes, vétérinaires, responsables de silos et d’abattoirs, commerçants d’intrants, de matériel et de bétail… La durée de ces entretiens pouvait varier d’une heure à trois jours.

L’équilibre entre la recherche sur les deux régions d’étude s’est faite d’une manière comparable à la constitution d’un « groupe témoin » : le travail sur le terrain d’Ansina (Tacuarembó) a été mené sur plusieurs années et de manière très approfondie, amenant à avoir une « vision intensive des choses » (Olivier de Sardan 1995; 2007). Les enquêtes menées à Young ont été moins nombreuses, de la bibliographie sur des études de terrain a été travaillée afin d’amener un complément. Les enquêtes ont été sur ce second terrain dirigées essentiellement vers les types d’agents les moins abordés dans la littérature (les polyculteurs-éleveurs), sujets à controverse, ou vers des aspects moins travaillés ou contradictoires avec la littérature existante, en lien avec la rapidité des transformations vécues.

Outline

Documents relatifs