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A l’origine de la question agraire, les modalités de transfert de la valeur ajoutée depuis le secteur agricole vers le secteur industriel

problématique de recherche :

2.3 Fondements des « agrarian studies » et « peasant studies » : accumulation primitive, transformations des

2.3.1 A l’origine de la question agraire, les modalités de transfert de la valeur ajoutée depuis le secteur agricole vers le secteur industriel

Pour Marx (2009 (1894)), le point de départ de l’économie capitaliste est une inégalité de répartition des ressources héritée de l’ère féodale, désignée sous le nom « d’accumulation primitive », processus de dissociation entre producteur et moyens de production qui engendra le phénomène économique du capitalisme (Rossi 2010a). L’économie marxiste se base sur une vision de l’économie basée sur une équation tripartite formée de trois facteurs de production clés dont la possession est associée à trois types de rémunérations : terre - rente foncière ; capital – intérêts ; travail – salaire. L’une des premières références à l’existence concrète de rémunération de propriétaires des moyens de production se trouve dans le fonctionnement qui suivit les enclosures anglaises. La rémunération du possesseur du capital investi se fait sur la base de l’appropriation de la richesse créée par le travailleur une fois celui-ci rémunéré. Cette part est appelée plus-value. Elle est considérée comme issue du temps de surtravail que le travailleur effectue une fois le travail nécessaire à la production et reproduction de sa propre force de travail effectué. L’utilisation de cette plus-value est répartie entre réinvestissement dans les moyens de production (accumulation de capital) et consommation.

72 « Si le capital se subordonne a la propriété de la terre et en vient à commander directement le processus productif, (…) il s’engage sur les terres, il soustrait directement au travailleur son temps de travail excédentaire et non plus les fruits de son travail sous la forme de produits (Marx, 1974 : III : 864) » (cité par Graziano Da Silva, 1970)

On peut définir la logique capitaliste comme la recherche de la maximisation d’un retour sur investissement dans une société de marché ou l’obtention d’un gain additionnel via le placement d’un capital qui est ainsi valorisé par son investissement dans la production (Jorge Graziano Da Silva 1970, Amin 2012, Mançano 2015). Marx ou Ricardo distinguent ainsi le producteur capitaliste (qui investit son capital dans la production), le propriétaire foncier et le travailleur. Les terres des propriétaires fonciers sont mises en concurrence entre elles par le biais de l’investissement en capital dans la production par des producteurs capitalistes. Le propriétaire de terres qui ne jouit pas de l’usufruit de ses terres, reçoit une rétribution sous forme de rente grâce à cette mise en concurrence. L’origine de la rente servant à rémunérer les propriétaires des facteurs de production trouve son origine dans la formation d’un « taux général de profit », qui est à l’origine de la formation des prix de marché.

Les coûts de production peuvent relativement différer entre divers producteurs individuels. Certains producteurs peuvent disposer de conditions de production plus favorables (sols plus fertiles, accès à du matériel plus perfectionné), ce qui entraine pour eux la formation d’un surprofit. Celui-ci devrait être temporaire et s’effacer avec le temps, les autres producteurs rattrapant peu à peu ces avantages productifs (chute des taux de profit). Mais certaines catégories de surprofit revêtent une forme permanente si elles sont liées à la propriété exclusive d’un moyen de production, comme la terre en agriculture. La rente différentielle est quant à elle une autre forme de surprofit, un profit ‘extraordinaire’, additionnel au profit moyen, obtenu par des conditions extrêmement favorables de production. Le travail et le capital appliqués à ces terres auront tendance à fournir un profit plus important, qui s’ajoute au profit moyen (Graziano, 1970). Cette rente différentielle est par exemple nulle si l’on met en culture des terres qui ne présentent pas de caractéristiques de fertilité supérieures aux terres déjà mises en culture.

L’inégalité de résultats de l’investissement du capital sur les terres, qui découle de cet ensemble de critères, peut relever de conditions naturelles (conditions pédologiques, etc.) ou de conditions obtenues par des investissements supplémentaires en capital sur les terres (amendements de fond, infrastructures, etc.). Le propriétaire des terres est dans les logiques marxienne et ricardienne le bénéficiaire du surprofit et d’une partie de la rente différentielle par la mise à disposition de la terre sans travail ni investissement en capital de sa part. Cette rente en vient à former un capital économique dans ses propres mains, qui peut être réinvesti dans d’autres secteurs d’activité, dont l’industrie (Graziano, 1970).

73 La précarisation et la flexibilisation de la main d’œuvre font partie des conséquences de la diffusion de la logique capitaliste dans le secteur agricole, liées entre autres à la spécialisation du travail agricole et la dissociation de celui-ci des activités de transformation des produits ou de fabrication des outils de travail, confiés à l’industrie. C’est la loi qui selon Marx régit le déclin progressif séculaire relatif du secteur agricole dans l’économie.

« Le développement du capitalisme entrainerait une plus grande spécialisation de l’agriculture, qui est directement reliée à la réduction de la population agricole en rapport à la population totale (Marx, 1971 a :II:255). A mesure que se réalise ensuite une dissociation entre agriculture et transformation des produits, la production capitaliste entraine chaque fois plus une dépendance du travailleur à quelques tâches occasionnelles, empirant ainsi sa situation » et n’occupant plus la main d’œuvre qui reste en dehors des pics de travail saisonniers. (…) « Une partie de la population rurale se trouve donc en permanence au seuil de l’exode vers l’emploi prolétaire urbain ouvrier. Mais ce flux constant de population vers les villes présuppose dans le monde rural une population en surnombre toujours latente (Marx, 1971 : I : 745)». (in Graziano Da Silva, 1970).

« Cela fait partie de la nature même de la production capitaliste d’induire une diminution continue de la population agricole par rapport à la non-agricole, puisque dans l’industrie (au sens stricte) l’augmentation du capital constant par rapport au capital variable est lié à la croissance absolue, et donc la diminution relative du capital variable, tandis que dans l’agriculture le capital variable exigé pour l’exploitation d’une surface de terre déterminée décroit en termes absolus, ne pouvant ainsi augmenter que si de nouvelles terres sont cultivées ce qui suppose donc une augmentation encore plus grande de la population non-agricole (Marx (1974 : III : 730-1)» (in Graziano Da Silva, 1970).

Le traitement de la question agraire initié par Marx a été développé par Kautsky (‘La question agraire’, Kautsky 1970 (1899)) comme une manière d’interpréter le développement du capitalisme agraire en Russie Occidentale à la fin du XIXème siècle. Pour Marx (Rossi 2010a), le pendant de la concentration du capital dans les mains de propriétaires est la disparition du paysan produisant sur la base d’une force de travail familiale pour lui-même et pour la vente de surplus. Il se transforme alors à son tour en propriétaire de terres et de capital grâce à des mécanismes d’accumulation, ou en salarié vendant sa force de travail. Dans le milieu rural, cela signifie que le paysan devient propriétaire foncier patronal ou salarié rural sans terre, cet état final des choses n’étant qu’une question de temps. Pour Kaustky (1970 (1899)), la « technique » et l’administrateur-agronome vont être des vecteurs clé de renforcement de l’expansion de la logique capitaliste en milieu rural, en décrédibilisant l’exploitation paysanne et en sacralisant la supériorité technique de la « grande exploitation » (Rossi 2010a). Il figure le petit paysan dans un double rôle de petit

74 producteur et de salarié des grandes exploitations, et le définit ainsi comme ayant une évolution distincte de l’évolution du salarié des villes. Il pose ainsi la possible coexistence de la petite et de la grande exploitation, la première servant de source de main d’œuvre à la seconde.

Pour Lenin (1970 (1899)), la forme de pénétration de la logique capitaliste dans le secteur agricole est plus complexe que dans le milieu urbain de par la nature de la production, et va prendre des formes multiples et parfois intermédiaires. La transformation du paysan en salarié n’est pas non plus forcément une trajectoire obligatoire pour le développement du capitalisme. Selon lui, les petites unités de production peuvent avoir deux rôles face aux grandes unités de production capitalistes. La très petite exploitation peut perdurer aux côté de la grande, en ce qu’elle peut lui servir à équilibrer l’accès à la main d’œuvre, consolidant ainsi la relation « capitaliste/salarié » dans le milieu rural. Cette petite exploitation peut également être un front de résistance au développement de la concentration foncière, idée qui servira de base à la structuration de stratégies de résistance paysanne. Cette situation se mettra en place à travers un processus de différenciation des unités paysannes, « phénomène spécifique de l’économie capitaliste », ce qui aboutira selon Lénine à deux types de population en milieu rural : la bourgeoisie rurale et le prolétariat rural.

Selon Amin (2012), la formulation de la question agraire est différente dans les Etats des Suds. Le modèle de modernisation qui s’est mis en place dans les Etats européens au XIXème siècle ne peut pas y être reproduit pour deux raisons (Amin 2012). D’abord, parce qu’en Europe l’industrie a pu absorber une partie de l’excédent de main d’œuvre car elle fonctionnait alors sur un modèle technologique intensif en main d’œuvre. Ensuite, parce que la population rurale pauvre qui n’a pu être absorbée a peuplé les colonies, celles des Amériques notamment. Kautsky appuyait la thèse que le capitalisme a résolu la question agraire européenne, mais Amin considère que « le capitalisme, alors qu’il résolvait la question (agraire) dans ses centres, a en même temps créé une gigantesque question agraire dans les périphéries » (Amin 2012, p.16). La production vivrière et la faible productivité du travail restent des caractéristiques vivaces, mais l’est aussi la dépossession foncière par l’agro-industrie ou l’urbanisation.

Nous souhaitons finalement souligner deux dimensions parmi celles soulevées par cette question agraire : une dimension sociale, avec au centre la différenciation sociale des classes rurales et les modes d’articulation au marché et à l’industrie, liés à la pénétration du capitalisme dans les campagnes ; et une dimension économique, portant sur la manière d’opérer une transition industrielle dans un pays sur la base des surplus domestiques. Ces

75 dimensions sont étroitement liées à la production et l’évolution des inégalités, et participent au cadre d’analyse sur laquelle s’appuie notre travail.

2.3.2 Teneur de la question agraire dans les anciens pays colonisés et évolution vers une

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