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C. Sécurité sanitaire des denrées alimentaires

2) Substances chimiques

La nécessité de produire, en un minimum de temps et à grande échelle, de grandes quantités de produits agricoles capables de se conserver pour être transportés sur de longues distances implique l’usage de substances chimiques. Celles-ci peuvent être utilisées durant la phase de production agricole, à l’instar des produits phytosanitaires et fertilisants, ou elles peuvent être ajoutées aux denrées alimentaires durant la phase de nettoyage ou de stockage, notamment pour favoriser la maturation rapide des fruits et légumes suite au transport ou pour permettre une meilleure conservation des produits dans le temps. Il s’agit alors d’additifs alimentaires508.

501 Loi fédérale du 6 octobre 1995 sur les entraves techniques au commerce (LETC), RS 946.51.

502 FF 1995 II 489, p. 556; FF 2011 5181, p. 5183 ; OSAV, Rapport explicatif ODAIOU, p. 1.

503 Règlement 178/2002 du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, JO L 31 du 1er février 2002, pp. 1-24.

504 Art. 50 Règlement CE 178/2002 ; FF 2011 5181, p. 5195.

505 FF 2011 5181, p. 5265.

506 Tel est par exemple le cas des dispositions relatives au traitement des herbes alimentaires par rayons ionisants (art. 28 al. 3 let. c ODAIOUs), aux mesures d’hygiène (art. 76 al. 1 ODAIOUs) ainsi qu’aux méthodes d’analyse (art. 54 al. 1 de l’ordonnance sur l’exécution de la législation sur les denrées alimentaires – OELDAI).

507 Conseil fédéral, Communiqué du 5 octobre 2001 ; www.admin.ch/gov/fr/accueil.html >

Documentation > Communiqués > Comité Codex Alimentarius sur les produits cacaotés et le chocolat ; Consensus sur la teneur en graisses végétales (page consultée le 7 décembre 2018).

508 L’art. 2 al. 1 ch. 24 ODAIOUs définit les additifs comme « les substances habituellement non consommées comme denrées alimentaires en soi et non utilisées comme ingrédients

Au-delà de l’utilisation intentionnelle de tels produits, la présence de substances chimiques dans l’alimentation peut également être accidentelle. Il s’agit alors de

« contaminants », à savoir des « produits chimiques naturels ou de synthèse qui ne sont pas volontairement ajoutés aux aliments, mais qui peuvent y pénétrer pendant leur production, leur préparation, leur stockage ou par le biais d’une contamination environnementale »509. Il peut par exemple s’agir de mycotoxines produites par certaines moisissures ou de métaux lourds (plomb, mercure ou arsenic notamment), qui peuvent avoir des effets sur le système rénal, hépatique ou immunitaire510.

La toxicité des substances est définie par le Code de conduite sur les pesticides de l’OMS et de la FAO comme l’ensemble des « propriétés physiologiques ou biologiques qui font qu’un produit chimique peut endommager ou altérer un organisme vivant par des moyens autres que mécaniques » (art. 2 Code de conduite sur la gestion des pesticides de l’OMS et de la FAO).

En raison des potentiels risques pour la santé liés à l’ingestion de substances chimiques, la présence de ces dernières dans les denrées alimentaires est limitée à des valeurs maximales pour chaque substance. Le Codex Alimentarius recommande des limites maximales de chaque produit sur la base d’études de commissions scientifiques spécialisées. Le Comité du Codex sur les contaminants dans les aliments (CCCF), le Comité mixte FAO/OMS d'experts des additifs alimentaires (JECFA), ainsi que la Réunion conjointe FAO-OMS sur les résidus de pesticides (JMPR), auxquels participe la Suisse, établissent ainsi des listes indiquant les limites maximales recommandées dans chaque domaine511. Par exemple, dans le domaine des résidus de pesticides dans l’alimentation, la limite maximale recommandée pour le glyphosate est de 5mg par kilogramme de maïs512.

En Suisse, l’ordonnance sur les denrées alimentaires et les objets usuels prévoit que le DFI fixe les valeurs maximales de résidus de pesticides et de contaminants admis dans les denrées alimentaires (art. 10 al. 4 let. e ODAIOUs), ainsi que les conditions d’utilisation et les valeurs maximales des additifs alimentaires (art. 23 ODAIOUs). Depuis la modification complète de la loi fédérale sur les denrées

caractéristiques d'une denrée alimentaire, possédant ou non une valeur nutritive, et dont l'adjonction intentionnelle aux denrées alimentaires, dans un but technologique, au stade de leur fabrication, transformation, préparation, traitement, emballage, transport ou entreposage a pour effet, ou peut raisonnablement être estimée avoir pour effet, qu'elles deviennent elles-mêmes ou que leurs dérivés deviennent, directement ou indirectement, un composant de ces denrées alimentaires ».

509 SPREIJ &VAPNEK (2007), p. 93.

510 OMS, Evaluation of certain Mycotoxins in Food (2002); OMS, Health Risks of heavy metals from long-range transboundary air pollution (2007).

511 Conseil fédéral, Plan d’action produits phytosanitaires (2017), p. 12. En ce qui concerne les limites recommandées, voir par exemple :Norme générale pour les contaminants et les toxines présents dans les produits de consommation humaine et animale ; Norme générale Codex pour les additifs alimentaires ; Base de données du Codex sur les résidus de pesticides dans les aliments ; www.fao.org/fao-who-codexalimentarius/fr/ > Textes du Codex > Bases de données en ligne du Codex > Pesticides (page consultée le 7 décembre 2018).

512 Base de données en ligne du Codex sur les résidus de pesticides dans les aliments ; (www.fao.org/fao-who-codexalimentarius/fr/ > Textes du Codex > Bases de données en ligne du Codex > Pesticides (page consultée le 7 décembre 2018).

alimentaires (LDAI513) pour une mise en conformité avec le droit de l’Union Européenne, ces trois types de substances sont chacun réglés par le biais d’une ordonnance du DFI différente. Ainsi, les différents types d’additifs alimentaires et de contaminants, ainsi que leur utilisation et les valeurs maximales autorisées en fonction du type de denrées alimentaires sont réglementés, respectivement, par l’ordonnance du DFI sur les additifs admis dans les denrées alimentaires (OAdd514) et par l’ordonnance sur les teneurs maximales en contaminants (Annexes 1 à 6 OAdd et Annexes 1 à 10 OCont515). Cette dernière prévoit par exemple que la limite de 3500 mg de nitrates par kilogramme d’épinards frais ne doit pas être dépassée (Annexe 1 partie B OCont), ce qui reprend les valeurs admises dans l’Union européenne516.

En matière de pesticides, l’ordonnance sur les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans ou sur les produits d’origine végétale ou animale (OPOVA517) détermine également, à son Annexe 2, les limites maximales de résidus de pesticides dans les aliments (art. 3 al. 3 OPOVA). Ces dernières sont en partie alignées sur les valeurs prévues par l’Union européenne518. L’OSAV doit en effet tenir compte (entre autres) des éventuelles limites maximales de résidus fixées par le Codex ou par le Règlement 396/2005519, ainsi que de l’état des connaissances scientifiques pour fixer les limites maximales applicables (art. 3 al. 2 let. e à k OPOVA). Il peut adapter les limites « selon l'évolution des connaissances scientifiques et techniques et des législations des principaux partenaires commerciaux de la Suisse » (art. 10 al. 2 OPOVA). Il est également intéressant de souligner que l’autorisation de mise en circulation de produits phytosanitaires requière qu’ils aient été jugés dépourvus d’effet nocifs sur la santé humaine, « compte tenu des effets cumulés et synergiques connus lorsque les méthodes d'évaluation scientifiques de ces effets, acceptées par l'Autorité européenne de sécurité des aliments, sont disponibles » (art. 4 al. 2 let. a OPPh). Le Conseil fédéral souligne que les taux limites sont fixés légalement bien en-dessous du seuil de dangerosité pour la santé, de sorte qu’un éventuel dépassement de ces valeurs ne pose pas de problème, et que les limites sont de toutes façons bien

513 Loi fédérale du 20 juin 2014 sur les denrées alimentaires (LDAI), RS 817.0 ; OSAV, Rapport explicatif OCont, p. 1.

514 Ordonnance du DFI du 25 novembre 2013 sur les additifs admis dans les denrées alimentaires (Ordonnance sur les additifs - OAdd), RS 817.022.31.

515 Ordonnance du DFI du 16 décembre 2016 sur les teneurs maximales en contaminants (Ordonnance sur les contaminants – OCont), RS 817.022.15.

516 « La présente ordonnance sur les contaminants reprend (…) les teneurs maximales en contaminants de l’UE, inscrites dans les nouvelles annexes 1 à 9 OSAV », OSAV, Rapport explicatif Ocont (2017), p. 1.

517 Ordonnance du DFI du 16 décembre 2016 sur les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans ou sur les produits d’origine végétale ou animale (OPOVA), RS 817.021.23.

518 Le point 1.2 de l’Annexe 2 OPOVA, prévoit que « [s]i aucune limite maximale de résidus n'est mentionnée à la colonne 5, celle fixée par le Règlement 396/2005 pour cette combinaison substance active - denrée alimentaire s'applique ».

519 Règlement 396/2005 du 23 février 2005 concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux d'origine animale et végétale, JO L 70 du 16 mars 2005, pp. 1-16.

respectées par les produits suisses et européen (moins de 4% de dépassement des valeurs limites)520.

Or, de récentes études démontrent que contrairement au principe généralement admis en toxicologie, selon lequel « la dose fait le poison »521, les perturbateurs endocriniens contenus dans certains pesticides représentent un danger en cas d’exposition dans le temps522. De plus, l’effet cumulé de différentes substances chimiques, même en petites doses semble être lié à une augmentation des risques de développer des maladies chroniques telles que le diabète523. Ce phénomène, baptisé

« effet cocktail », n’est pas non plus intégré dans les réglementations en matière alimentaire, qui fixent des limites pour chaque substance individuelle. Le Conseil fédéral justifie cette lacune par le fait que les données nécessaires pour évaluer l’effet combiné des pesticides ne sont pas disponibles en Suisse524. Il inclut toutefois dans ses objectifs à moyen terme (d’ici à 2020) l’examen de « [l]a possibilité d’appliquer en Suisse les évaluations cumulatives de l’exposition sur les résidus multiples de PPh dans les aliments d’origine végétale ou animale réalisées à l’échelle internationale »525. Une telle modification va désormais s’imposer suite à une décision importante – et très attendue – de la CJUE en 2019. Celle-ci se prononçait à titre préjudiciel sur la validité du Règlement 1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, dont font partie les pesticides526. Elle a considéré que l’effet cocktail devait impérativement être pris en compte par les procédures d’autorisation de mise sur le marché : « Les procédures conduisant à l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique doivent impérativement comprendre une appréciation non seulement des effets propres des substances actives contenues dans ce produit, mais aussi des effets cumulés de ces substances et de leurs effets cumulés avec d’autres composants dudit produit »527. La Cour relève qu’il s’agit d’ailleurs d’une exigence explicitement énoncée par le Règlement concerné (art. 4 § 2-3), de sorte qu’il n’y a pas lieu de considérer que le Règlement est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation528.

Dans l’arrêt de 2019 précité, la CJUE s’est également prononcée sur la validité des études scientifiques permettant d’écarter la nocivité des pesticides faisant l’objet d’une demande d’autorisation de mise sur le marché. Le tribunal correctionnel de Foix avait soumis à la Cour la question de savoir si « [l]e principe de précaution et l’impartialité

520 Conseil fédéral, Plan d’action produits phytosanitaires (2017), p. 12 ; ZOLLER,RHYN,RUPP,ZARN, GEISER (2018).

521 Principe selon lequel on considère qu’en dessous d’un certain seuil, le produit n’a aucun effet toxique.

522 MULTIGNIER (2005).

523 LUKOWICZ, ELLERO-SIMATOS, RÉGNIER, POLIZZI, LASSERRE, MONTAGNER, LIPPI, JAMIN, MARTIN, NAYLIE,CANLET,DEBRAUWER,BERTRAND-MICHEL,AL SAATI,THÉODORO,LOISEAU,MSELLI-LAKHAL, GUILLOU,GAMET-PAYRASTRE (2018).

524 Conseil fédéral, Plan d’Action produits phytosanitaires (2017), p. 13.

525 Conseil fédéral, Plan d’Action produits phytosanitaires (2017), pp. 21 et 53.

526 Règlement 1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil, JO L 309 du 24 novembre 2009, pp. 1-50.

527 CJUE, Grande Chambre, Affaire C-616/17, 1e octobre 2019, consid. 75.

528 CJUE, Grande Chambre, Affaire C-616/17, 1e octobre 2019, consid. 68.

de l’autorisation de commercialisation sont […] assurés lorsque les tests, analyses et évaluations nécessaires à l’instruction du dossier sont réalisés par les seuls pétitionnaires pouvant être partiaux dans leur présentation, sans aucune contre-analyse indépendante et sans que soient publiés les rapports de demandes d’autorisation sous couvert de protection du secret industriel ». La Cour a considéré que si le demandeur est effectivement responsable de fournir les études requises pour attester de la non-nocivité du produit concerné, les critères et méthodes d’évaluation sont encadrés par la législation. De plus, il appartient à l’autorité chargée de la décision de procéder à une étude « indépendante, objective, et transparente » des données transmises par le demandeur529.

Or cette position nous parait contestable. En effet, il semble que des pressions importantes soient exercées par l’industrie agro-alimentaire sur les résultats et la convergence des intérêts, notamment financiers, entre les scientifiques en charge de ces études et cette branche de l’industrie est souvent pointée du doigt. L’affaire Séralini avait notamment entrainé un tumulte médiatique en 2012, lorsqu’un groupe de scientifiques ayant démontré que l’ingestion de glyphosate (et de maïs génétiquement modifié « Roundup Ready ») avait des effets lourds sur la santé a vu son étude démentie par le Haut Conseil des Biotechnologies et par l’Autorité européenne pour la Sécurité Alimentaire, puis par le JMPR, pour des questions de méthodologie.

En 2017, les Monsanto Papers ont démontré que l’entreprise avait joué un rôle important dans le retrait de l’étude Séralini530 ; d’autres documents internes ont par ailleurs mis à jour le fait que l’Agence environnementale américaine (EPA) avait admis la commercialisation du Glyphosate sur la base de données peu fiables, voire intentionnellement manipulées531.

Bien que le Glyphosate fasse l’objet d’une certaine attention médiatique et populaire, on peut supposer que le problème ne se limite pas à ce seul produit, mais peut être étendu à de nombreuses substances. L’actuelle Rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation résume la situation de la manière suivante :

« Bien que la recherche scientifique confirme les effets néfastes des pesticides, prouver qu’il existe un lien incontestable entre l’exposition aux pesticides et les maladies ou affections de l’homme ou encore les dommages causés à l’écosystème est une tâche particulièrement ardue. Elle l’est d’autant plus que l’ampleur des dommages causés par ces produits chimiques est systématiquement contestée, ce à quoi concourent l’industrie des pesticides et l’industrie agroalimentaire, et les pratiques

529 CJUE, Grande Chambre, Affaire C-616/17, 1e octobre 2019, consid. 77 ss.

530 GM Watch, Uncovered: Monsanto campaign to get Séralini study retracted; www.gmwatch.org >

News (page consultée le 5 août 2020). Pour une description détaillée de l’implication de l’entreprise Monsanto dans l’obtention des résultats scientifiques et dans l’admission de ses produits sur le marché, voir GILLAM (2017).

531 Internal EPA Documents Show Scramble For Data On Monsanto’s Roundup Herbicide, Huffington Post du 8 juillet 2017.

commerciales agressives et contraires à l’éthique ne rencontrent toujours pas d’opposition »532.

La reconnaissance judiciaire des effets de certains pesticides sur la santé sera examinée dans le cadre du Chapitre 4.