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B. Reconnaissance des multiples rôles de l’agriculture

1) Changement de paradigme ?

A la fin du XXe siècle, le modèle d’agriculture intensive est remis en question, notamment en raison de ses conséquences sur l’environnement. Les problèmes écologiques liés aux méthodes de production encouragées par la révolution verte sont mis en lumière et commencent à être pris au sérieux, tant par les Etats que par le grand public71. Certains notent par ailleurs que le sentiment d’une dégradation de la qualité des produits grandit parmi les consommateurs72.

65 FAO ; http://www.fao.org > A propos > Bref historique de la FAO (page consultée le 5 décembre 2018).

66 FAO ; http://www.fao.org > A propos > Bref historique de la FAO (page consultée le 5 décembre 2018).

67 FAO ; http://www.fao.org > A propos > Bref historique de la FAO (page consultée le 5 décembre 2018).

68 ORFORD (2015), p. 6.

69 Accord général du 30 octobre 1947 sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), entré en vigueur pour la Suisse le 1e août 1966, RS 0.632.21.

70 ORFORD (2015), p. 6. Pour une analyse des relations entre le droit du commerce international et l’agriculture, voir Chapitre 1, pp. 82 ss.

71 POPP (2000), p. 58; BONNEUIL &THOMAS (2009), p. 267; LIGHTBOURNE (2009), pp. 23 s.

72 BONNEUIL &THOMAS (2009), p. 268.

Certains évènements marquent l’opinion publique. Par exemple, la crise de l’helminthosporiose du maïs aux Etats-Unis dans les années 1970, lors de laquelle de grandes quantités de cultures sont détruites, faisant ainsi perdre près d’un milliard de dollars aux agricultrices, met en évidence la fragilité d’un système de production basé sur la monoculture73. Les maladies se répandent rapidement, sur des variétés de maïs fragiles et dont le patrimoine génétique est identique – les rendant ainsi incapables de s’adapter aux nouveaux dangers. De plus, le fait que les agriculteurs américains aient misé uniquement, ou principalement, sur la culture du maïs, a pour conséquence que la majorité de leurs revenus sont affectés par cet épisode.

Le Rapport Brundtland de 1987, commandé par les Nations Unies, marque également une étape importante dans la prise en compte des aspects environnementaux dans l’activité humaine74. Il tire une sonnette d’alarme et souligne la nécessité de veiller à ce que le développement réponde aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.

Progressivement, les politiques agricoles commencent à s’adapter. Une prise de conscience a lieu concernant l’importance des semences dans l’orientation de l’agriculture, notamment pour lutter contre la perte de biodiversité. Les réglementations relatives aux semences, mises en place après la guerre, sont ainsi assouplies et voient de nouvelles catégories apparaître, à l’instar des variétés de niche en Suisse, ou des variétés traditionnelles dans l’Union européenne. Ces réglementations permettent, à certaines conditions, de mettre en circulation et de cultiver des variétés ne répondant pas aux conditions habituelles75. Au niveau international, l’adoption de la Convention sur la diversité biologique (CDB76) en 1992 marque également l’intérêt de la communauté internationale pour la protection de la biodiversité, notamment dans le domaine de l’agriculture.

Si le nombre de variétés mises sur le marché a chuté durant les décennies suivant la fin de la guerre, l’offre de variétés recommence à augmenter à la fin du siècle. En France par exemple, 131 variétés de blé étaient proposées en 1945 ; ce chiffre chute à 65 en 1966, pour remonter à 395 en 199777. En revanche, cet essor ne concerne que les espèces les plus cultivées, à l’instar du blé, du maïs ou du colza. La recherche et la sélection se concentrent sur ces espèces, et les variétés d’espèces moins importantes, telles que l’épeautre, restent peu nombreuses78.

Un certain consensus semble s’établir parmi les décideurs politiques au niveau international, qui s’accordent sur le fait que la promotion d’une agriculture durable est indispensable pour répondre aux défis environnementaux et alimentaires du XXIe siècle79. L’agriculture est ainsi incluse dans les 17 objectifs de l’Agenda 2030 pour

73 BONNEUIL &THOMAS (2009), p. 320.

74 World Commission on Environment and Development, Brundtland Commission, Our Common Future (1987).

75 Pour des explications plus détaillées du système de variétés de niche en Suisse, voir Chapitre 2, p. 145 ss et Chapitre 3, pp. 193 ss.

76 Convention internationale de Rio du 5 juin 1992 sur la diversité biologique (Convention sur la diversité biologique – CDB), entrée en vigueur pour la Suisse le 19 février 1995, RS 0.451.43.

77 BONNEUIL,DEMEULENAERE,THOMAS,JOLY,ALLAIRE,GOLDRINGER (2006), p. 36.

78 BONNEUIL,DEMEULENAERE,THOMAS,JOLY,ALLAIRE,GOLDRINGER (2006), p. 37.

79 GONZALEZ (2011), p. 517.

le développement durable des Nations Unies, dont l’objectif n°12 vise à établir des modes de consommation et de production durables. La durabilité de l’agriculture représente également l’un des éléments clés de la stratégie de la FAO pour la période 2030-205080.

BONNEUIL,DEMEULENAERE et al. considèrent que la période débutant à la fin des années 90 marque un retour à la qualité et à la diversité dans la production agricole.

Selon eux, l’agriculture et le secteur agro-alimentaire sont ainsi passés d’un système de production « fordiste » à un modèle « postfordiste »81, dans lequel la qualité des produits et la protection des travailleurs occupent une place grandissante. Le développement des Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) et des Indications Géographiques Protégées (IGP) (art. 16 LAgr82), de l’agriculture biologique et des labels de qualité ou de proximité démontre un intérêt marqué des agriculteurs et des consommateurs pour une agriculture respectueuse de l’environnement83.

Les politiques mises en place dans les années 50 continuent toutefois de produire leurs effets. Les firmes chimiques, semencières et pharmaceutiques occupent une place de plus en plus importante dans la recherche et la production agricole et les fusions entre ces trois domaines d’activité débutent dans les années 197084 : on assiste à 400 acquisitions et fusions entre 1969 et 1990. En conséquence, en 1991 seuls cinq groupes semenciers restent indépendants et aujourd’hui 59% du marché mondial est occupé par trois entreprises85.

L’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) est créée en 1961 par l’adoption de la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales (Convention UPOV86). Elle compte actuellement 76 Etats Membres87 et occupe une place clé dans la réglementation des semences et des produits phytosanitaires, car elle institue un régime international de droit de propriété intellectuelle relatif à ces éléments, qui fait l’objet de vives critiques88. Elle entretient également de nombreuses connections avec d’autres domaines du droit, tels que les réglementations européennes et suisse en matière de mise en circulation de semences89.

80 FAO, Real World’s agriculture towards 2030/2050 (2012).

81 BONNEUIL,DEMEULENAERE,THOMAS,JOLY,ALLAIRE,GOLDRINGER (2006), p. 29.

82 Loi fédérale du 29 avril 1998 sur l’agriculture (LAgr), RS 910.1.

83 BONNEUIL,DEMEULENAERE,THOMAS,JOLY,ALLAIRE,GOLDRINGER (2006), p. 36.

84 HOWARD (2009).

85 BONNEUIL &THOMAS (2009), p. 359 ; Public Eye, Agropoly : ces quelques multinationales qui contrôlent notre alimentation (2014), p. 2.

86 Convention internationale du 2 décembre 1961 pour la protection des obtentions végétales, révisée à Genève le 10 novembre 1972, le 23 octobre 1978 et le 19 mars 1991, entrée en vigueur pour la Suisse le 1e septembre 2008, RS 0.232.163.

87 UPOV, Membres de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales, situation le 3 février 2020.

88 THEN &TIPPE (2015) ; SHIVA,SCHROFF,LOCKHART (2012) ; CORREA (2015).

89 En effet, certains de ces instruments juridiques renvoient directement à l’UPOV en matière d’évaluations techniques des variétés, et reprennent à leur compte les conditions de brevetabilité de certaines variétés pour permettre l’inscription de ces dernières aux catalogues officiels. Ces éléments seront examinés en détail dans la seconde partie de ce travail (voir Chapitre 3, pp. 184 ss).

Par ailleurs, les organismes génétiquement modifiés (OGM) font leur apparition dans les années 90, ce qui tend à renforcer l’interdépendance entre les semences cultivées et les produits phytosanitaires nécessaires pour leur traitement90 : « Dans le mouvement de rapprochement entre la recherche et l’industrie et particulièrement entre le domaine des semences et celui de l’agrochimie, la recherche en biotech s’oriente vers la résistance aux herbicides proposés par l’industrie »91.

Les OGM et la biotechnologie font toutefois face à une résistance importante de la part des consommatrices européennes. Ces dernières se méfient de leurs effets sur la santé humaine et sur l’environnement et résistent à la culture de variétés génétiquement modifiées. L’Union européenne légifère en la matière pour la première fois en 1990, et sa réglementation permet aujourd’hui encore aux Etats membres d’interdire la culture d’OGM sur leur territoire92. La position européenne est toutefois contestée par les grands pays exportateurs de semences OGM, notamment dans le cadre de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC)93. De plus, la pression et le lobbyisme de l’industrie agro-alimentaire sont importants en la matière, à tous les niveaux de la chaine politique et économique94.

Ainsi, bien que la nécessité d’orienter l’agriculture vers une production durable et respectueuse de l’environnement apparaisse durant cette période, il semble tout de même exagéré d’admettre, comme suggéré par certains, que l’agriculture de ces dernières décennies se définit par une recherche de qualité et de diversité.