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1) Cercle vicieux

Les interactions entre l’agriculture et l’environnement sont multiples et s’entretiennent mutuellement197. D’une part, l’agriculture exerce une pression importante sur l’environnement et, dans sa forme et son intensité actuelle, participe à la dégradation de ce dernier198. D’autre part, l’activité agricole est fortement dépendante de l’environnement et subit les conséquences de sa dégradation. Enfin, l’agriculture, exercée dans certaines conditions, peut participer à la préservation de la nature et à la protection de la biodiversité.

Depuis plusieurs décennies, l’agriculture mondiale surexploite les ressources naturelles disponibles et exerce un impact négatif sur l’environnement, tant à l’échelon suisse qu’à l’échelle internationale. La présente section, vise à démontrer que les conséquences écologiques d’une agriculture intensive n’ont pas été mesurées lors de la mise en place d’une telle politique, et qu’aujourd’hui encore, malgré une prise de conscience importante des conséquences néfastes d’un tel système, les modes de production agricole intensifs sont encore bien installés à l’échelle internationale.

195 FF 2016 3567 ; FF 2017 1507.

196 FF 2019 1291. Selon le premier sondage SSR réalisé entre le 29 août et le 5 septembre 2018, 78% de la population était pourtant favorable à l’initiative ; www.rts.ch > info > suisse > Les initiatives sur l’alimentation séduisent les Suisses, selon un sondage SSR (page consultée le 10 décembre 2018).

197 POWER (2010), pp. 2959 ss.

198 FRISON (2016), pp. 20 ss.

Sur le plan mondial, il est estimé que l’agriculture produit 13.5% des émissions globales de gaz à effets de serre, tout en étant responsable de 32% des changements dans l’affectation des sols199. La dégradation rapide de la biodiversité due notamment à l’élimination des haies et bosquets faisant barrage aux larges machines, l’usage de pesticides détruisant également les organismes dit « utiles » (tels que les pollinisateurs), et la dégradation de la qualité des eaux et des sols due notamment à l’écoulement de substances chimiques, sont autant d’impacts de l’agriculture sur l’environnement, qui s’ajoutent à sa participation au réchauffement climatique200. Enfin, la raréfaction constante des variétés végétales et des races d’animaux utilisés en agriculture est une cause importante de l’impact écologique négatif de l’agriculture : d’une part, l’appauvrissement du patrimoine génétique des variétés cultivées participe à une perte de biodiversité extrêmement rapide201; d’autre part, l’homogénéité du patrimoine génétique de ces variétés limite leur capacité d’adaptation aux pressions extérieures sans l’aide d’intrants chimiques et de produits phytosanitaires, dont les effets sur l’environnement sont désormais connus202.

Bien que la Suisse ait réagi relativement tôt en comparaison internationale pour rediriger sa politique agricole vers une meilleure prise en compte des aspects environnementaux, son agriculture ne fait pas exception. Elle exerce une pression excessive sur les écosystèmes, les endommageant de manière permanente et les empêche ainsi de fournir les prestations attendues203.

L’évaluation des impacts environnementaux de l’agriculture ne peut pas être effectuée sans considérer le système alimentaire dans son ensemble. Ainsi, il y a également lieu de prendre en compte les conséquences environnementales des domaines en amont (production et transport des moyens de production tels que les semences et engrais ou les aliments pour animaux) et en aval (transformation, emballage, gestion des déchets) de la production agricole à proprement parler204. « Le système alimentaire global n’est actuellement pas durable »205 soulignait d’ailleurs le Conseil fédéral dans la vue d’ensemble du développement à moyen terme de la politique agricole. L’alimentation est en effet la troisième cause d’émissions de gaz à effet de serre en Suisse, juste après le logement et les transports206.

Or, si le système alimentaire global participe à la dégradation environnementale, l’activité agricole est également fortement dépendante de la nature. La dégradation de l’environnement exerce ainsi une lourde pression sur l’agriculture, qui doit continuer

199 GONZALEZ (2011), p. 512.

200 BRIAN (2009), p. 24. Ces éléments feront l’objet d’un examen approfondi dans les pages suivantes.

201 Les estimations indiquent une perte de 75% du patrimoine génétique des variétés cultivées en 60 ans (FAO, Interactions du genre, de la biodiversité agricole et des savoirs locaux au service de la sécurité alimentaire, 2005, p. 5). Voir également FAO, Deuxième rapport sur l’état des ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture dans le monde (2010).

202 Voir Chapitre 1, pp. 44 ss.

203 Conseil fédéral, Vue d’ensemble du développement à moyen terme de la politique agricole (2017), p. 72.

204 Conseil fédéral, Vue d’ensemble du développement à moyen terme de la politique agricole (2017), p. 73.

205 Conseil fédéral, Vue d’ensemble du développement à moyen terme de la politique agricole (2017), p. 49.

206 OFEV, Politique climatique suisse (2018), p. 14.

à produire, tout en s’adaptant à des conditions climatiques et environnementales changeantes et de plus en plus extrêmes.

A l’échelle planétaire, les températures moyennes ont augmenté de 0.87 degrés depuis le début du XXe siècle207. Les phénomènes de désertification, de disparition progressive des insectes pollinisateurs et d’autres animaux ou végétaux participant aux processus écosystémiques s’ajoutent au réchauffement climatique et exercent une pression supplémentaire sur l’agriculture.

En Suisse, plusieurs études démontrent que les évènements météorologiques extrêmes, tels que des canicules ou des chutes importantes de pluie risquent de se voir statistiquement multipliés par deux, voire par huit d’ici à 2050208. Durant la canicule de l’été 2003, il est estimé que le rendement des cultures suisses a diminué de 20%, ce qui laisse présager les conséquences potentiellement désastreuses d’un tel phénomène dans le futur209.

Ainsi, pour faire face à ces nouveaux défis, l’agriculture recourt à des engrais, insecticides, pesticides et herbicides (ces trois catégories sont couvertes par le terme de

« produits phytosanitaires ») ainsi qu’à des semences résistantes aux sécheresses et aux maladies, parfois par le biais de modifications biotechnologiques. A leur tour ces méthodes comportent des risques pour l’environnement auxquels il faudra probablement répondre par de nouvelles techniques agricoles, potentiellement néfastes pour l’environnement et perpétuant ainsi le cercle vicieux dont il est difficile de s’extraire.

2) Cercle vertueux

L’agriculture a tout à gagner à ce que l’environnement soit préservé. Elle en tire en effet des bénéfices incalculables et pâtit de la dégradation de la biodiversité et des changements climatiques. Elle doit ainsi réduire son impact environnemental, mais elle a également un véritable rôle à jouer dans la protection active de l’environnement, car elle offre certains bénéfices et prestations utiles210.

La nature, la biodiversité et les écosystèmes offrent des bénéfices et des services – notamment à l’agriculture mais pas uniquement – connus sous le terme de « services écosystémiques ». Il s’agit par exemple de l’équilibrage du climat, la préservation de la qualité de l’eau, de l’air et des sols, ou encore la pollinisation211. La capacité des écosystèmes à maintenir leurs structures et leurs fonctions par des échanges mutuels leur permet en effet d’être plus résilients au stress et aux désagréments extérieurs212.

Quatre groupes de bénéfices sont généralement identifiés dans le cadre des services écosystémiques, selon l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire213: les

207 GIEC, Global Warming of 1.5°C (2018), p. 15.

208 CALANCA (2009).

209 KELLER &FUHRER (2004), pp. 403 ss.

210 POWER (2010), p. 2959.

211 OFEV, Stratégie Biodiversité Suisse (2017), pp. 5 et 38 ; POWER (2010), pp. 2961 ss.

212 LAST,BUCHMANN,GILGEN,GRANT,SHRECK (2015), p. 29.

213 OFEV, Stratégie Biodiversité Suisse (2017), pp. 16 ss; LAST,BUCHMANN,GILGEN,GRANT,SHRECK

(2015), p. 30.

services de soutien (formation des sols, entretien des cycles de matières nutritives) ; les services d’approvisionnement (nourriture, bois, eaux, ressources génétiques) ; les services de régulation (climat, protection de l’air, purification de l’eau, décomposition des déchets) ; et les services culturels et sociaux, tels que le tourisme et le bien-être que procure la nature.

Ainsi, « [u]ne grande partie des bienfaits économiques et sociaux générés par les écosystèmes sont aujourd’hui des biens publics, mis à disposition gratuitement »214. Les systèmes écosystémiques restent encore difficiles à évaluer de manière quantifiable, mais leur importance est désormais reconnue et fait l’objet de nombreuses recherches scientifiques215. Il est par exemple évalué que le montant annuel de la compensation des services écosystémiques perdus en Europe du fait de l’appauvrissement de la biodiversité équivaut à 4% du PIB européen jusqu’en 2050216. Si l’agriculture bénéficie indéniablement de ces services, elle peut également participer à leur sauvegarde217. En effet, une agriculture exercée dans certaines conditions offre des habitats naturels pour les espèces sauvages, animales ou végétales. De plus, les fonctions d’entretien du paysage et de lutte contre l’envahissement par la forêt et contre l’urbanisation du territoire sont autant de fonctions de l’agriculture qui lui permettent de participer à cette préservation de l’environnement218. De telles fonctions permettent de préserver les écosystèmes qui lui sont à leur tour si nécessaires : « Les écosystèmes agricoles font partie de l’écosystème global, comprenant les espaces naturels et proches de l’état naturel » 219.

Le rapport sur le système alimentaire suisse conclut d’ailleurs que ce dernier ne peut devenir et rester compétitif qu’à condition d’améliorer sa durabilité dans ses trois aspects (économie, écologie et société)220. Plusieurs études confirment également que l’agriculture durable est hautement productive, et qu’elle serait en mesure de produire suffisamment de nourriture pour nourrir la population mondiale sans augmenter la surface de terres cultivées221.

Le rôle de l’agriculture dans la protection de l’environnement, et en particulier dans la fourniture de prestations écosystémiques, a été placé au centre de la politique agricole suisse PA 22+, dont l’objectif affiché est « que la Suisse reprenne son rôle de pionnière dans le domaine de la production agroalimentaire respectueuse des ressources et des prestations environnementales, notamment en respectant la capacité de charge des écosystèmes »222. Il semble toutefois que les objectifs de la PA en termes d’écologie ne pourront pas être atteints d’ici à 2021, car la Suisse stagne depuis

214 OFEV, Stratégie Biodiversité Suisse (2017), p. 18.

215 LAST,BUCHMANN,GILGEN,GRANT,SHRECK (2015), p. 31.

216 OFEV, Biodiversité en Suisse (2016), p. 9.

217 GONZALEZ (2011), p. 513.

218 Conseil fédéral, Vue d’ensemble du développement à moyen terme de la politique agricole (2017), p. 74.

219 Conseil fédéral, Vue d’ensemble du développement à moyen terme de la politique agricole (2017), p. 71.

220 LAST,BUCHMANN,GILGEN,GRANT,SHRECK (2015), p. 97.

221 GONZALEZ (2011), p. 86.

222 Conseil fédéral, Vue d’ensemble du développement à moyen terme de la politique agricole (2017), p. 72.

quelques années, alors que des progrès importants avaient été enregistrés dans les années 90223.