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B. Contrôle des variétés : enregistrement au catalogue (homologation)

3) Procédure contentieuse

Comme mentionné dans le cadre de la qualification de l’acte menant à l’enregistrement d’une variété au catalogue, la voie de l’opposition est ouverte contre ce type de décisions (art. 19 OSP, art. 20 OMM et art. 168 LAgr).

La décision sur opposition de l’OFAG peut ensuite être portée devant le Tribunal administratif fédéral (art. 31, 32 a contrario, 33 let. d loi fédérale sur le Tribunal administratif fédéral846 et art. 166 al. 2 LAgr), dont la décision sur recours peut à son tour faire l’objet d’un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral (art. 82 let.

a, 83 a contrario et 86 al. 1 let. a loi fédérale sur le Tribunal fédéral847).

Très peu de cas ont été portés devant les tribunaux en matière d’inscription au catalogue. Seul le refus d’inscription d’une variété de chanvre a été attaqué dans un arrêt de 2000848. L’OFAG avait rejeté la demande, au motif que la variété en question présentait des taux de THC et de CBD supérieurs à la teneur maximale fixée par l’OSP.

La légalité de l’ordonnance sur les semences et plants était contestée, au motif qu’elle ne respecterait pas les conditions de délégation législative. Cet argument a été rejeté par le Tribunal fédéral849.

844 OFAG, Variétés, semences et plants (2009), p. 42.

845 Pour le croisement entre le nombre de variétés enregistrées au catalogue suisse et le nombre de variétés protégées par un titre de propriété intellectuelle, voir Chapitre 4, pp. 241 ss.

846 Loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral (LTAF), RS 173.32.

847 Loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF), RS 173.110.

848 Arrêt du Tribunal fédéral 2A.400/2000 du 27 novembre 2000.

849 A ce sujet, voir Chapitre 4, pp. 251 ss.

b. Qualité pour agir

Si la question de la qualité pour agir et de l’intérêt digne de protection est centrale en matière de procédure contentieuse et d’accès à la justice en général, elle l’est d’autant plus dans le domaine de la procédure d’enregistrement des variétés. En effet, l’inexistence quasi totale de jurisprudence en matière d’enregistrement de variétés suggère que certains obstacles pourraient s’opposer à l’accès à la justice.

L’art. 19 OSP soulève plusieurs interrogations quant aux personnes habilitées à former opposition, puisqu’il prévoit que « [e]n cas de refus d’une demande d’enregistrement ou de l’enregistrement d’une variété au catalogue, l’obtenteur ou son représentant peut déposer une opposition auprès de l’office dans les 30 jours qui suivent la notification du refus » (art. 19 OSP, art. 20 OMM et art. 168 LAgr).

D’abord, cette disposition ne prévoit rien quant aux voies de droit ouvertes à l’encontre d’une décision (positive) d’enregistrement au catalogue des variétés. En effet, elle n’envisage que l’éventualité dans laquelle la demande est refusée, mais ne contient aucune indication relative à une éventuelle opposition d’autres acteurs concernés par l’enregistrement d’une variété. On peut par exemple penser à des agriculteurs, reconnus comme destinataires de la décision de portée générale. De plus, l’art. 19 OSP limite explicitement la possibilité d’attaquer le refus d’enregistrement au catalogue par le biais de la procédure d’opposition à l’obtenteur concerné, soit au destinataire de la décision individuelle850.

La question se pose ainsi de savoir si d’autres personnes touchées (par un refus d’enregistrement ou au contraire par une décision d’enregistrement au catalogue) sont privées de toute possibilité de contester ces décisions, ou si elles peuvent tout de même agir, malgré le texte clair de l’ordonnance. On pourrait par exemple penser à un agriculteur qui estimerait que l’enregistrement de la variété en question représente un risque pour ses cultures.

Les règles de procédure militent à première vue pour l’exclusion de toute voie de recours pour ces personnes. En effet, lorsqu’une opposition est prévue par une loi spéciale, le recours n’est ouvert que contre la décision sur opposition851. Or les règles de procédure précisent que la qualité pour agir suppose d’avoir été partie à la procédure devant l’instance précédente ou d’avoir été privé ou empêché de le faire sans sa faute (art. 48 al. 1 let. a PA et art. 89 al. let. a LTF)852.

Toutefois, le fait de limiter l’accès à la justice au seul obtenteur – soit à l’une des parties à un potentiel conflit – parait contraire aux buts de la justice. L’exigence selon laquelle seules les personnes ayant pris part à la procédure devant l’instance précédente sont légitimées à recourir tire son origine dans les principes de la bonne foi et de l’économie de la procédure, afin d’éviter que des moyens de droit et des

850 Pour rappel, le refus d’enregistrement au catalogue constitue une décision individuelle, alors que l’admission d’une variété au catalogue représente une décision de portée générale, sous la forme de l’ordonnance sur les variétés.

851 TANQUEREL (2019), p. 425.

852 La question de la qualité pour agir des personnes n’ayant pas participé à la procédure d’opposition, en vertu de l’art. 168 LAgr, a d’ailleurs fait l’objet d’une discussion dans le cadre de la PA22+

(FF 2020 385, p. 399).

arguments qui n’avaient pas été examinés jusque-là soient soulevés853. Si cette règle est justifiée dans le but d’éviter qu’une personne n’intervienne en dernière instance alors qu’elle ne s’est pas manifestée avant, on ne voit en revanche pas comment elle pourrait être interprétée de manière à priver certaines personnes touchées de toute possibilité d’accès à la justice.

De plus, du point de vue du principe de la légalité, une telle interprétation reviendrait à modifier les règles ordinaires de qualité pour agir par le biais d’une ordonnance départementale. La conformité de cette disposition avec les règles relatives à la délégation législative parait contestable, puisque rien dans la loi sur l’agriculture, ni même dans l’ordonnance du Conseil fédéral sur le matériel de multiplication, ne prévoit la possibilité de restreindre la qualité pour agir ou de limiter la voie de l’opposition à une partie uniquement. En effet, l’art. 168 LAgr permet uniquement au Conseil fédéral de prévoir une procédure d’opposition contre les décisions de première instance. Le Conseil fédéral charge à son tour le DEFR d’adopter une procédure d’opposition « contre les décisions de première instance prises lors de contrôles prévus par la présente ordonnance [OMM] et par les dispositions qui en découlent » (art. 20 OMM). Ces dispositions ne donnent aucune indication permettant de restreindre le cercle des personnes légitimées à contester une décision. Or, en vertu du principe de hiérarchie des normes, la loi – ici la loi fédérale sur la procédure administrative (PA854) – prime sur les ordonnances, soit ici l’OSP855.

Dans le cadre de la réglementation sur les organismes génétiquement modifiés, le Tribunal fédéral a d’ailleurs souligné que l’exclusion de certaines parties de la procédure est une disposition importante qui, selon l’art. 164 al. 1 let. c Cst., doit figurer dans une loi fédérale, et non dans une ordonnance856. La loi fédérale sur le génie génétique a été modifiée suite à cet arrêt, afin d’intégrer les règles de procédure qui étaient jusqu’alors prévues dans l’ordonnance du Conseil fédéral sur la dissémination dans l’environnement (ODE)857.

A titre d’exemple de limitation de la qualité pour agir conforme au principe de légalité, on peut se référer à l’art. 43 al. 4 de la loi fédérale sur les cartels (LCart858):

dans le cadre d’une concentration d’entreprises, cette disposition restreint la qualité pour former opposition aux entreprises concernées, à l’exclusion de leurs concurrents.

Cette limitation, si elle restreint effectivement la qualité pour agir, se trouve dans une loi au sens formel, et respecte donc le principe de hiérarchie des normes.

La disposition légale principale déléguant au Conseil fédéral la compétence de prévoir une procédure d’opposition, soit l’art. 168 LAgr, a d’ailleurs également été mise en œuvre par le biais de l’art. 10 al. 1 de l’ordonnance sur les appellations d’origine protégée et les indications géographiques protégées (Ordonnance sur les

853 MOOR &POLTIER (2011), p. 752.

854 Loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (RS 172.021).

855 MOOR,FLÜCKIGER,MARTENET (2012), p. 313.

856 ATF 129 II 286, consid. 4.5.

857 FF 2009 4887, p. 4899.

858 Loi fédérale du 6 octobre 1995 sur les cartels et autres restrictions à la concurrence (LCart), RS 251.

AOP et les IGP859), en relation avec la procédure d’enregistrement d’une appellation d’origine protégée (AOP) ou d’une indication géographique protégée (IGP). Cette disposition prévoit que « l'enregistrement d'une AOP ou d'une IGP par l'autorité inférieure est une décision qui peut faire l'objet d'une opposition auprès de ce même office par toute personne justifiant d'un intérêt digne de protection et par les cantons ».

Selon la doctrine et la jurisprudence, l'art. 10 al. 1 de l'ordonnance sur les AOP et les IGP doit être interprété de la même manière que l'art. 48 al. 1 PA860. Ainsi, toute personne présentant un intérêt digne de protection selon les règles ordinaires de la procédure administrative se voit reconnaitre la possibilité de contester une décision d’enregistrement sur la liste des AOP ou IGP. Les art. 19 OSP et 10 al. 1 de l’ordonnance sur les AOP et les IGP tirent leur origine dans la même disposition légale (l’art. 168 LAgr). On voit donc mal pourquoi des résultats si différents seraient admis : dans un cas (catalogue des variétés) les tiers touchés seraient exclus de toute procédure, alors que dans l’autre (liste des AOP et des IGP) ils pourraient y prendre part.

Finalement, la justification de l’existence d’une procédure d’opposition n’est pas compatible avec une limitation du cercle des personnes autorisées à intervenir. En effet, la procédure d’opposition est généralement prévue lorsque la décision touche un grand nombre de destinataires, par exemple en matière de droit fiscal ou de sécurité sociale, dont le droit d’être entendu doit être protégé861. Le Conseil fédéral, dans son message relatif à l’adoption de l’art. 168 LAgr indique : « Dans les dispositions d’exécution, le Conseil fédéral est habilité à prévoir, au besoin, une procédure d'opposition contre les décisions de première instance. Cette procédure est particulièrement indiquée pour décharger l'instance de recours lorsque les décisions sont nombreuses ou de caractère particulièrement technique »862. Or si le but d’une telle procédure est précisément de permettre à un grand nombre de personnes d’intervenir, on peine à admettre qu’elle ait pour résultat de restreindre la légitimation active et ainsi d’exclure certaines parties de tout accès à la justice en lien avec l’enregistrement d’une variété au catalogue863.

Par conséquent, il y a lieu de considérer que l’art. 19 OSP ne peut pas déroger valablement aux règles ordinaires posées par l’art. 48 PA en matière de qualité pour agir. Plusieurs solutions sont envisageables pour résoudre ce problème, mais, comme les pages suivantes le démontreront, l’une d’entre elle nous parait convaincante.

La question de la qualité pour agir des associations de protection de l’environnement est également intéressante. Ces dernières pourraient aussi vouloir s’opposer à l’enregistrement d’une variété si celle-ci présente, par exemple, des dangers pour la biodiversité. Or, si ni la LAgr, ni l’OMM ni l’OSP ne mentionnent cette possibilité, un arrêt important du Tribunal fédéral permet de trancher cette question.

859 Ordonnance du 28 mai 1998 concernant la protection des appellations d’origine et des indications géographiques des produits agricoles, des produits agricoles transformés, des produits sylvicoles et des produits sylvicoles transformés (ordonnance sur les AOP et les IGP), RS 910.12.

860 Arrêt du Tribunal administratif fédéral, B-4767/2012 du 29 juillet 2013, consid. 3.2.1.

861 MOOR &POLTIER (2011), 2012, p. 630 ; TANQUEREL (2019), p. 425.

862 FF 1996 IV 1, pp. 278s.

863 Dans ce sens, voir JAAG (2015), p. 196.

Le Tribunal fédéral s’est en effet prononcé en 2018 sur la qualité de partie à la procédure des associations de protection de la nature au sens de l’art. 12 LN – en l’occurrence le WWF suisse – dans le cadre des autorisations de mise sur le marché de produits phytosanitaires864. Dans cette affaire, le WWF souhaitait s’opposer à l’homologation de certains produits phytosanitaires, en raison du fait qu’ils étaient dangereux pour les abeilles et d’autres insectes, et qu’ils présentaient un danger pour la faune et la biodiversité. Le WWF s’était vu refuser la qualité de partie par le TAF, mais le Tribunal fédéral a au contraire considéré que « les organisations de protection de la nature sont habilitées à recourir en vertu de l’art. 12 LPN dans les procédures de réexamen des produits phytosanitaires » sans qu’une base légale supplémentaire ne soit nécessaire.

Comme déjà évoqué, la procédure d’homologation des produits phytosanitaires et la procédure d’enregistrement des variétés au catalogue sont comparables à plus d’un titre865 : il s’agit dans les deux cas d’autorisations de mise sur le marché, délivrées sous la forme de décisions de portée générale, visant à prévenir des dangers pour la santé publique et pour l’environnement qui pourraient résulter de l’utilisation de ces produits dans le domaine agricole. Les principes énoncés dans cette jurisprudence sont ainsi pertinents pour notre question, et il faut donc en conclure que les associations de protection de la nature et de l’environnement, pour autant qu’elles remplissent les conditions de l’art. 12 al. 1 let. b et al. 2 LPN, devraient pouvoir contester l’enregistrement d’une variété au catalogue.

En résumé, il faut à notre avis conclure que les personnes démontrant un intérêt digne de protection à attaquer le refus ou l’admission de l’enregistrement d’une variété au catalogue doivent pouvoir agir. Il s’agit de l’unique moyen de garantir l’accès à la justice dans le domaine des variétés, où les titres de propriété intellectuelle et la position dominante d’un certain nombre de sociétés ont tendance à réglementer le marché de manière unilatérale. ll est ainsi indispensable d’assurer un contrepoids légal dans un domaine où l’équilibre économique n’est pas garanti. Il faut toutefois relever que cette solution entraine certaines difficultés relatives au calcul des délais.

En effet, les destinataires de la décision de portée générale n’en prendront connaissance qu’au moment de sa publication dans la Feuille fédérale, alors qu’elle sera notifiée directement à l’obtenteur866.

c. Autorité compétente

Deux solutions sont envisageables pour répondre au problème de qualité pour agir engendré par l’art. 19 OSP.

Il serait premièrement possible d’appliquer la règle de l’art. 19 OSP, limitant la procédure d’opposition à l’obtenteure ou à sa représentante, et de permettre parallèlement à toutes les personnes présentant un intérêt digne de protection selon les règles ordinaires de procédure de recourir au TAF.

864 Arrêt du Tribunal fédéral 1C_312/2017 du 12 février 2018, JdT 2019 I 92.

865 Voir notamment Chapitre 1, p. 126 ss.

866 STADELHOFER, N 25 ss ad art. 16c-16d LETC.

Cette solution pourrait correspondre à celle préconisée par l’art. 166 al. 2 LAgr, qui prévoit spécifiquement – bien qu’il s’agisse d’un rappel de la règle générale prévue par la LTAF (art. 33 let. d LTAF) – que les décisions des offices, départements et décisions cantonales de dernière instance peuvent être portées devant le TAF. On pourrait argumenter que ce rappel de la règle générale vise vraisemblablement un objectif particulier, faute de quoi il serait inutile. Cet indice pourrait suggérer que le législateur a voulu garantir que les personnes non habilitées à former opposition au sens de l’art. 19 OSP pourraient tout de même recourir au TAF. Or cet argument est peu convaincant, et la solution qu’il engendre entrainerait des difficultés d’application certaines. Deux autorités différentes seraient alors compétentes pour se prononcer sur la validité d’une même décision, en fonction de l’identité du demandeur : l’OFAG si la décision est contestée par l’obtenteur et le TAF si la décision est contestée par d’autres personnes.

Cette proposition doit donc être écartée, au profit d’une autre solution plus adaptée. Selon le principe de hiérarchie des normes, avec lequel l’art. 19 OSP se trouve en contrariété, la norme de droit inférieure contraire à règle de rang supérieur ne doit pas être appliquée867. L’art. 4 PA confirme également cette règle, puisqu’il prévoit que

« [l]es dispositions du droit fédéral qui règlent une procédure plus en détail sont applicables en tant qu’elles ne dérogent pas à la présente loi ». Or dans le cas de l’art. 19 OSP, seule la restriction de la qualité pour agir est contraire au droit supérieur, mais non le principe même de l’opposition. Ainsi, la procédure d’opposition doit être maintenue, mais elle ne doit pas être limitée à l’obtenteur ou à son représentant.

En résumé, quiconque présente un intérêt digne de protection au sens de l’art. 48 PA peut s’opposer auprès de l’OFAG à une décision d’enregistrement au catalogue.