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Organismes génétiquement modifiés dans l’alimentation

C. Sécurité sanitaire des denrées alimentaires

3) Organismes génétiquement modifiés dans l’alimentation

Les effets sur la santé des produits phytosanitaires et des OGM soulèvent des questions et des débats identiques. En effet, la question de la composition biologique des produits agricoles est centrale lorsqu’est abordée la question de sécurité des denrées alimentaires, et les conséquences sur la santé humaine de l’ingestion de produits OGM font l’objet de débats scientifiques, médiatiques et politiques importants depuis quelques décennies533.

Deux situations doivent toutefois être distinguées en matière d’OGM dans l’alimentation : l’ingestion par l’être humain d’organismes génétiquement modifiés, à savoir des plantes ou des animaux dont l’ADN a été modifié de manière artificielle, et la consommation de produits d’origine animale tirés d’animaux ayant été nourris avec des aliments contenant des OGM. La présente section ne concerne ainsi que le premier cas de figure, en lien direct avec la production végétale. Les animaux nourris avec des aliments génétiquement modifiés ne sont d’ailleurs pas considérés comme OGM, et sont ainsi exclus des réglementations dans ce domaine534.

De nombreuses études ont aujourd’hui démontré les risques pour la santé liés à l’ingestion de produits OGM. Ceux-ci peuvent se montrer toxiques à haute dose, et provoquer des résistances aux antibiotiques, des maladies pulmonaires et intestinales, augmenter le risque de réactions allergiques, et entraver le développement de certains organes535.

Malgré ces études, un degré d’incertitude semble perdurer quant à la nocivité des aliments produits à partir d’OGM, puisque d’autres études, relayées notamment par des institutions officielles, nient leur caractère dangereux536. En 2005, l’OMS affirmait, dans un rapport intitulé « Biotechnologie alimentaire moderne, santé et développement : étude à partir d’exemples concrets », que la consommation d’OGM était absolument sans risque pour la santé des êtres humains537.

DUFOUR résume cette situation d’ambivalence et d’incertitude comme suit : « On nous assure que l’utilisation n’a pas encore produit d’effets négatifs sur la santé humaine. Il ne faut toutefois pas sous-estimer le fait que les résultats d’analyse

532 Rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation, Rapport du 24 janvier 2017, p. 4.

533 LEE (2005), p. 250.

534 Le préambule du règlement européen 1829/2003 prévoit par exemple, à son §16, que les « produits élaborés à partir d’animaux nourris avec des aliments génétiquement modifiés ou traités avec des médicaments génétiquement modifiés » sont exclus de son champ d’application (Règlement 1829/2003 du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, JO L 268/1 du 18 octobre 2003, pp. 1-23).

535 PRESCOTT, CAMPBELL, MOORE, MATTES, ROTHENBERG, FOSTER, HIGGINS, HOGAN (2005); AUBERT

(2000); PUSZTAI (1999).

536 DUFOUR (2011), pp. 41 ss.

537 OMS, Biotechnologie alimentaire moderne, santé et développement (2005).

bénéficient souvent de la protection du secret industriel et sont rendus publics au compte-goutte »538. En effet, il y a fort à supposer qu’en matière d’OGM, les méthodes scientifiques utilisées par certaines équipes de recherches sont similaires à celles décrites en lien avec la nocivité de certains pesticides.

Quelles que soient les raisons de ce débat, deux positions s’opposent face à cette situation. D’une part, un bloc d’Etats mené par les Etats-Unis et le Canada, considère qu’en l’absence de preuves scientifiques, il n’y a pas lieu de considérer qu’un produit OGM est différent d’un même produit non OGM539. Ainsi, selon le principe d’équivalence substantielle (Substantial Equivalence), rien ne justifie de réglementer différemment les aliments OGM des aliments non-OGM puisque les premiers sont jugés tout aussi sûrs que les deuxièmes540.

D’autre part, un deuxième bloc d’Etats, représentés principalement par l’Union européenne, préconise une approche prudente en vertu du principe de précaution541. Selon cette conception, il vaut mieux limiter les risques dus à la consommation d’OGM tant que le doute subsiste542. Ainsi, le Règlement européen 1829/2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés prévoit une procédure d’autorisation ainsi qu’une obligation stricte d’étiquetage annonçant la présence d’OGM dans la denrée alimentaire concernée (art. 4 ss et 12 ss Règlement 1829/2003543). Il est intéressant de souligner que le préambule du Règlement affirme que « [s]i l'équivalence substantielle est une étape essentielle du processus d'évaluation de l'innocuité des aliments génétiquement modifiés, elle ne constitue pas une évaluation de l'innocuité en soi » (§6 Préambule Règlement 1829/2003). On pourrait y voir une volonté de marquer l’opposition presque idéologique entre l’Europe et les Etats-Unis sur la question des OGM : effet, la mention de ce principe dans un paragraphe du préambule, dont la signification est floue, sans qu’il ne soit repris dans une disposition du règlement, laisse à penser qu’il s’agit davantage d’un élément politique que d’une règle à portée normative.

Sans surprise, l’approche suisse se recoupe avec l’approche européenne. Dans le cadre de l’harmonisation de la législation suisse en matière de denrées alimentaires avec la législation européenne, l’ajout explicite du principe de précaution dans la loi suisse a constitué l’un des changements majeurs de la nouvelle loi fédérale sur les denrées alimentaires (art. 22 LDAI)544. Le Conseil fédéral soulignait à ce titre que bien que le principe soit déjà ancré implicitement dans l’ancienne LDAI, sa mention explicite était désormais nécessaire :

538 DUFOUR (2011), p. 1.

539 THOMAS (2006), p. 239; DUFOUR (2011), p. 61.

540 DUFOUR (2011), p. 49; GARNER &WESLEY-SMITH (2015), p. 282.

541 LECHEVALLIER (2006), pp. 211 ss.

542 Voir notamment les plaintes des Etats-Unis devant l’organe de règlement des différends de l’OMC à l’encontre des mesures de précautions européennes concernant l’importation de produits OGM.

(Organe de règlement des différends de l’OMC, CE — Approbation et commercialisation des produits biotechnologiques (Etats-Unis), DS291, DS292, DS293).

543 Règlement 1830/2003 du 22 septembre 2003 concernant la traçabilité et l'étiquetage des organismes génétiquement modifiés et la traçabilité des produits destinés à l'alimentation humaine ou animale produits à partir d'organismes génétiquement modifiés, JO L 268 du 28 octobre 2003, pp. 24-28.

544 FF 2011 5181, p. 5193.

« Selon le droit de l’UE, les mesures édictées par les Etats membres et par la Communauté pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux doivent reposer, en principe, sur une analyse des risques. Dans des cas particuliers, lorsqu’il y a un risque pour la vie ou la santé, mais qu’il y a encore une incertitude scientifique, le principe de précaution ancré dans l’art. 7 du règlement (CE) no 178/2002 permet d’adopter des mesures de gestion du risque ou d’autres actions dans l’attente d’informations scientifiques complémentaires permettant une évaluation plus complète du risque. Dorénavant, ce principe destiné à protéger la santé devra également avoir sa place en droit suisse »545.

Au-delà de cette introduction du principe de précaution, le droit de fond n’a toutefois pas changé suite à la refonte du droit alimentaire. Comme l’indique le Rapport explicatif de l’OSAV relatif à la LDAI, les dispositions concernant les OGM dans l’alimentation ont été reprises telles quelles de l’ancien droit546.

Les produits OGM sont définis en Suisse comme toutes les denrées alimentaires qui sont elles-mêmes des OGM, qui contiennent des OGM ou qui ont été obtenues à partir d’OGM ou de croisement avec des produits OGM (art. 2 ODAIGM547). La notion d’organisme génétiquement modifié est, elle, définie par renvoi à la réglementation sur le génie génétique, qui prévoit qu’il s’agit de « tout organisme dont le matériel génétique a subi une modification qui ne se produit pas naturellement, ni par multiplication ni par recombinaison naturelle » (art. 5, al. 2, LGG, via art. 30 ODAIOUs)548.

Il est intéressant de noter que la loi suisse ne considère pas que les OGM dans les denrées alimentaires représentent des « nouvelles sortes de denrées alimentaires » (art. 15 al. 2 let. a ODAIOUs), ce qui aurait pour conséquence de les soumettre à une réglementation différente. En effet, les produits OGM sont exclus du champ d’application de l’ordonnance du DFI sur les nouvelles denrées alimentaires, dont la procédure de mise sur le marché est plus souple. Cette situation prévaut également dans l’Union européenne depuis l’entrée en force du Règlement 2015/2283 relatif aux nouveaux aliments, dont l’art. 2 al. 2 let. a prévoit qu’il ne s’applique pas aux aliments génétiquement modifiés, alors que ceux-ci étaient couverts par l’ancien Règlement 258/97 relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires (art. 1 al. 2 let. a à c)549.

545 FF 2011 5181, p. 5196.

546 OSAV, Rapport explicatif ODAIOU (2014), p. 11.

547 Ordonnance du DFI du 23 novembre 2005 sur les denrées alimentaires génétiquement modifiées (ODAIGM), RS 817.022.51.

548 Au sujet de cette définition et de la manière dont elle influence le champ d’application de la réglementation en matière d’OGM, voir Chapitre 2, p. 165 ss.

549 Règlement 2015/2283 du 25 novembre 2015 relatif aux nouveaux aliments, JO L 327 du 11 décembre 2015, pp. 1-22 ; Règlement 258/97 du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires, JO L 43 du 14 février 1997, pp. 1-6.

La mise sur le marché suisse de produits OGM destinés à la consommation humaine est soumise à autorisation (art. 31 al. 1 ODAIOUs cum 5 al. 1 ODAIGM550) et requiert que la présence d’OGM soit indiquée clairement sur l’étiquette (art. 36 al. 1 let. h et 37 ODAIOUs). L’OSAV peut délivrer cette autorisation s’il estime que les produits sont sûrs en l’état des connaissances scientifiques. Vu les potentielles implications environnementales et biologiques de la dissémination d’OGM, l’OSAV doit par ailleurs s’assurer que l’autorisation de mise sur le marché ne serait pas en contradiction avec diverses autres lois en la matière, en obtenant notamment l’accord de l’OFEV et de l’OFAG (art. 31 al. 2 et 3 ODAIOUs cum art. 4 ODAIGM)551.

Chaque autorisation de mise sur le marché, valable pour une durée initiale de dix ans, est publiée à la Feuille fédérale (art. 5 al. 2 et 3 ODAIGM). En août 2020, trois types de maïs et un type de soja transgéniques étaient autorisés dans les aliments suisses.

Onze types de vitamines, d’enzymes et de protéines génétiquement modifiés étaient par ailleurs autorisées (contre seulement six deux ans auparavant)552.

Un régime de tolérance est toutefois prévu dans le cas où de petites quantités d’OGM sont présentes de manière non intentionnelle dans des denrées alimentaires.

Dans ce cas, une autorisation n’est pas nécessaire lorsque les traces d’OGM ne dépassent pas 0.5% de la masse totale de l’ingrédient concerné (art. 6a al. 1 let. b ch.1 ODAIGM cum art. 32 al. 2 ODAIOUs). L’OGM concerné doit toutefois avoir été jugé non nocif pour la santé par une autorité étrangère, selon une procédure comparable à la procédure suisse et tout danger pour l’environnement doit pouvoir être écarté par l’OFEV (art. 6a al. 1 let. a et al. 2 ODAIGM). A l’heure actuelle, quatre types de maïs et un type de soja génétiquement modifiés sont touchés par ce régime de tolérance en Suisse (Annexe 2, via art. 6a al. 5 ODAIGM).

La question intéressante de savoir si cette tolérance est également admissible pour les denrées alimentaires issues de l’agriculture biologique a été examinée par le Tribunal fédéral dans un arrêt de 2003553. Ce dernier a considéré qu’une réponse positive s’imposait, car « la tolérance zéro […] ne ressort pas des travaux préparatoires et serait du reste matériellement irréalisable en l'état actuel de la technique ». Selon le Tribunal fédéral, la dissémination d’organismes génétiquement modifiés est inévitable, mais le seuil de tolérance devrait être bien inférieur pour les produits biologiques afin de correspondre à l’attente des consommateurs, qui s’attendent à ce

550 Le renvoi de cette disposition n’a vraisemblablement pas été mis à jour, puisqu’elle prévoit encore que « L'OSAV octroie l'autorisation si le produit OGM satisfait aux exigences fixées à l'art. 22 al. 2, ODAlOUs. ». La procédure d’autorisation était effectivement régie par l’art. 22 aODAIOUs (RO 2005 5451), mais elle figure désormais à l’art. 31 ODAIOUs.

551 Les lois avec lesquelles l’autorisation pourrait potentiellement entrer en contradiction sont les suivantes : LPE ; LAgr ; Loi fédérale du 21 mars 2003 sur l’application du génie génétique au domaine non-humain (LGG), RS 814.91 ; Loi fédérale du 16 décembre 2005 sur la protection des animaux (LPA), RS 455 ; Loi fédérale du 22 septembre 2012 sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme (Loi sur les épidémies – LEp), RS 808.101 ; Loi fédérale du 1 juillet 1966 sur les épizooties (LFE), RS 916.40 ; Ordonnance du 10 septembre 2008 sur l’utilisation d’organismes dans l’environnement (Ordonnance sur la dissémination dans l’environnement – ODE), RS 814.911.

552 OSAV, Autorisations pour les produits à base d’OGM (2020) ; OSAV, Autorisations pour les produits à base d’OGM (2018).

553 Arrêt du Tribunal fédéral 2A_357/2002 du 13 février 2003.

que les produits biologiques contiennent moins d’éléments génétiquement modifiés que des produits conventionnels554. Il conclut qu’« [i]l n'appartient toutefois pas au Tribunal fédéral de substituer sa propre appréciation à celle du Conseil fédéral lorsque, comme en l'occurrence, la délégation législative accorde au Conseil fédéral un large pouvoir d'appréciation pour fixer les dispositions d'exécution »555.

Si la décision du TF peut paraître surprenante au premier abord, puisque l’on s’attendrait à ce que les produits biologiques soient précisément exempts de toute trace d’OGM, une approche pragmatique vient en revanche relativiser un tel jugement. En effet, il s’agit de ne pas pénaliser l’agriculture biologique en lui imposant des exigences inatteignables, alors qu’elle ne peut rien faire pour lutter contre la dissémination involontaire d’OGM dont elle n’a pas la maitrise. De nombreux exemples d’agriculteurs américains victimes de contamination accidentelle ont d’ailleurs été médiatisés, soulignant l’injustice d’un tel système556.

En conclusion, la question de la réglementation des OGM dans l’alimentation est sensible et largement liée à l’opinion publique. Toutefois, au-delà des divergences entre l’Europe et les Etats-Unis, une certaine harmonisation réglementaire est imposée par le système international, qui limite passablement la marge de manœuvre des Etats en matière de réglementation des OGM557 : DUFOUR, dans sa thèse, examine non pas la volonté des Etats de respecter la méfiance citoyenne vis-à-vis des OGM, mais leur capacité à le faire dans un monde globalisé, où la mondialisation « remettrait en cause cette vision d’un lien consubstantiel ou indissoluble entre le juridique et l’étatique »558.

On note d’ailleurs que la réglementation suisse et européenne relative à la présence d’OGM dans l’alimentation est plus souple que celle régissant la culture d’OGM sur le territoire559. Cette observation s’explique notamment par le fait les règles du commerce international imposent un assouplissement des exigences nationales en matière d’importation de denrées alimentaires, alors que l’interdiction de certains types de cultures sur un territoire échappe à ce cadre légal560.