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Champ d’application de la réglementation

A. Moyens de production

Les articles 158ss de la loi sur l’agriculture portent sur les moyens de production, soit les substances et organismes servant à la production agricole, dont font notamment partie les engrais, les produits phytosanitaires, les aliments pour animaux et le matériel végétal de multiplication (art. 158 al. 1 LAgr).

C’est la notion de matériel de multiplication végétal qui est au cœur du présent travail : elle « recouvre l’ensemble des matériels destinés à la mise en place des cultures servant à la production agricole, qu’il s’agisse de matériel obtenu par reproduction sexuée, par multiplication végétative ou in vitro »734. Il s’agit plus précisément des semences, plants, greffons, porte-greffes, et toutes autres parties de plante, destinés à être multipliés, semés, plantés ou replantés (art. 2 let. a OMM).

L’utilisation du matériel en vue de la reproduction est essentielle à la qualification de matériel de multiplication. En effet, les semences et plants qui ne sont pas destinées à la reproduction ne tombent pas sous le coup du droit agricole. Pour les semences de blé par exemple, deux hypothèses se présentent : ces dernières peuvent être destinées à être semées et sont donc régies par les dispositions de la LAgr susmentionnées. Par contre, les grains de blé destinés à être moulus pour obtenir de la farine sont exclus du champ d’application des articles 158ss LAgr735.

En effet, les dispositions relatives au matériel de multiplication ne règlent en aucun cas la mise en circulation ou la production de produits agricoles, soit « des denrées alimentaires et des matières premières provenant des végétaux et d’animaux »736. Ces derniers sont soumis aux dispositions régissant les denrées alimentaires737. Les deux domaines ne sont toutefois pas totalement indépendants l’un de l’autre, puisque la législation agricole prévoit que les moyens de production ne peuvent être mis en circulation ou importés que si les denrées alimentaires fabriquées à partir de produits de base traités avec ces moyens satisfont à la législation sur les denrées alimentaires (art. 159 al. 1 let. c LAgr)738.

B. Production et mise en circulation

La loi fédérale sur l’agriculture autorise le Conseil fédéral à réglementer la mise en circulation, l’importation et l’utilisation de matériel végétal de multiplication

734 FF 1995 IV 621, p. 687.

735 Il s’agit des mêmes grains, qui sont sélectionnés selon leur taille : les plus petits sont ressemés, alors que les plus gros sont moulus pour obtenir de la farine.

736 FF 1996 IV 1, p. 85.

737 Notamment la LDAI, l’ODAIOUs, l’OPOVA, l’OIDAI, l’ODAIGM et l’ordonnance du DFI du 16 décembre 2016 sur les denrées alimentaires d’origine végétale, les champignons et le sel comestible (ODAIOV), RS 817.022.17.

738 Au sujet de la réglementation sur les denrées alimentaires, voir Chapitre 1, p. 67 ss.

(art. 159a LAgr)739. Le Conseil fédéral a fait usage de cette compétence, en édictant l’ordonnance sur le matériel de multiplication, qui règle la production professionnelle et la mise en circulation du matériel végétal de multiplication, mais ne traite pas de son utilisation (art. 1 al. 1 let. a OMM et art. 159a LAgr).

En effet, quoique la possibilité de réglementer l’utilisation de matériel végétal de multiplication soit prévue par la LAgr depuis 1992, cette compétence a uniquement été utilisée pour régler l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés, qui comporte des risques de dissémination dans l’environnement et de pollinisation des cultures alentours740. L’utilisation de semences et plants non génétiquement modifiés n’est pas réglementée, de sorte que la culture des variétés soumises à un enregistrement obligatoire au catalogue des variétés est bien autorisée, même si la variété ne figure pas au catalogue741.

Deux étapes de la vie d’une semence sont ainsi réglementées : sa production et sa mise en circulation. La mise en circulation est définie comme la vente, la possession ou l’offre en vue de la vente, ainsi que toute remise, livraison ou cession à des tiers, à titre onéreux ou non (art. 2 let. b OMM). En d’autres termes, tout transfert de matériel végétal de multiplication constitue une mise en circulation742.

La production, quant à elle, recouvre toute fabrication de matériel de multiplication, y compris le conditionnement (art. 2 let. c OMM). De façon générale, la production d’une semence est réglementée par l’ordonnance sur le matériel de multiplication, à l’exception du matériel issu de la production d’une entreprise agricole : si celui-ci est destiné à être utilisé par la même entreprise (usage propre), il peut être conditionné sans être soumis à l’OMM (art. 2 let. c OMM in fine). En d’autres termes, les semences de ferme – soit les « récoltes de graines pour la semence par l’agriculteur dans sa propre exploitation »743 – peuvent être produites librement, sans être soumises aux exigences de l’ordonnance sur le matériel de multiplication. Notons toutefois que si ces semences de ferme sont par la suite mises en circulation en vue d’une production agricole (par exemple échangée ou vendue d’un agriculteur à un autre), elles tomberont tout de même sous le coup de la réglementation sur les semences.

Ainsi, s’il est difficile pour un agriculteur de se procurer les premières semences d’une variété non inscrite au catalogue pour laquelle l’inscription est obligatoire – puisque leur mise en circulation est interdite – il peut ensuite librement les reproduire en tant que semences de ferme, et il est libre de les cultiver, même en grande quantité.

Dans certaines régions du monde, il s’agit d’une exception capitale à l’obligation

739 On peut d’ailleurs s’interroger sur la compétence du Conseil fédéral pour réglementer la

« production » de matériel de multiplication. En effet, la norme de délégation (l’art. 159a LAgr), l’autorise à adopter des normes d’exécution relatives à la mise en circulation, l’importation et l’utilisation du matériel de multiplication, mais non sa production.

740 RO 1998 1822. Au sujet de la mise en circulation de matériel de multiplication génétiquement modifié, voir Chapitre 1, p. 165 ss.

741 Chancellerie fédérale, Avis de droit Chanvre (2008), p. 271.

742 Notons que dans la version de la LAgr de 1983, seule la « commercialisation » du matériel végétal de multiplication était régi par la loi (art. 41c aLAgr ; FF 1983 IV 50). On peut donc constater une restriction de la réglementation dans le domaine des semences et plants.

743 OFAG, Glossaire (2013).

d’inscription, qui permet la continuation d’une pratique ancestrale, consistant à sélectionner sur le territoire de chaque ferme les semences les mieux adaptées aux conditions climatiques et géographiques. Selon les informations recueillies auprès de professionnels, l’exception relative aux semences de ferme a toutefois peu d’importance en Suisse, où la culture de ces semences est une pratique peu ancrée.

C. Caractère professionnel

Tant la production que l’utilisation finale du matériel végétal de multiplication doivent revêtir un caractère professionnel pour être soumis au cadre légal relatif au matériel de multiplication.

En effet, l’ordonnance sur le matériel de multiplication règlemente la production professionnelle et la mise en circulation de matériel végétal de multiplication destiné à l’utilisation professionnelle dans l’agriculture (art. 1 al. 1 let. a OMM). « En apportant cette précision, on entend mettre en évidence que la présente ordonnance et les ordonnances qui en découlent ne règlent que le domaine commercial. Tout le domaine

"amateur" peut donc en être exclu »744, précisait l’OFAG lors de la modification de cette disposition.

Les semences et plants produits par des jardiniers amateurs ou destinés à être utilisés par ceux-ci ne sont ainsi pas soumis au droit agricole, et peuvent être produits et mis en circulation librement. Les particuliers peuvent donc sans autre produire, échanger ou vendre des semences, qui ne sont pas soumises aux exigences de l’OMM et de ses ordonnances. Or, si l’exemple du jardin potager chez un particulier représente un cas clair de non-application de la réglementation en question, la réponse semble plus floue dans certaines configurations, telles que les jardins potagers associatifs ou participatifs, les organisations de réinsertion professionnelle à caractère agricole ou les associations d’échanges de semences. Ceux-ci sont-ils soumis à la réglementation s’ils produisent, acquièrent, vendent, ou échangent du matériel végétal de multiplication ? Il s’agit ainsi de déterminer le seuil, en termes quantitatifs ou qualitatifs, à partir duquel on se trouve dans un cadre professionnel de production agricole.

Selon STAUBER, la qualification de « professionnel » doit être comprise comme synonyme d’« exploitant » au sens de l’art. 2 de l’ordonnance sur la terminologie agricole (OTerm745)746. Il s’agirait ainsi de toute personne physique ou morale ou société de personnes, qui gère pour son compte et à ses risques et périls une exploitation et en assume le risque commercial. Cette disposition mentionne le caractère commercial, et permet d’affiner légèrement la définition recherchée. En revanche, la notion d’exploitation agricole à laquelle se réfère l’art. 2 OTerm engendre les mêmes difficultés de délimitation que celle de « professionnel ». En effet, l’exploitation agricole est définie à l’art. 6 OTerm comme une entreprise agricole qui se consacre à la production végétale ou animale et remplit d’autres conditions de

744 OFAG, Commentaire concernant la modification de l’OSP (2010), ad art. 1.

745 Ordonnance du 7 décembre 1998 la terminologie agricole et la reconnaissance des formes d’exploitation (ordonnance sur la terminologie agricole - OTerm), RS 910.91.

746 STAUBER (2016), p. 457, note 2052.

caractère organisationnel. Or le terme d’« entreprise agricole » n’est pas défini dans l’OTerm, mais uniquement dans la loi fédérale sur le droit foncier rural (LDFR). Son article 7 dispose qu’il s’agit d’une « unité composée d'immeubles, de bâtiments et d'installations agricoles qui sert de base à la production et qui exige, dans les conditions d'exploitation usuelles dans le pays, au moins une unité de main-d’œuvre standard » (art. 7 al. 1 LDFR).

Cette définition ne semble pas compatible avec l’art. 6 OTerm, car elle entrainerait un résultat absurde : on ne se trouverait en présence d’une exploitation agricole qu’au-dessus de certaines limites de surfaces agricoles utiles extrêmement hautes (45 hectares environ s'il n'y a ni bétail ni cultures spéciales)747. DONZALLAZ relève cette maladresse dans les termes choisis, qui, s’ils sont bien identiques, ne se rapportent pas à la même notion748. Les textes allemands font d’ailleurs la différence entre l’entreprise agricole au sens de l’art. 6 OTerm («Unternehmen ») et au sens de l’art. 7 LDFR (« Gewerbe »).

DONZALLAZ suggère plutôt une définition négative de la notion d’entreprise agricole, en excluant les exploitations de hobby ne poursuivant pas de but économique. « Elles [les exploitations de hobby] visent donc une autre fin, parfois idéale, souvent de délassement »749. A notre avis, la finalité économique de la production doit effectivement être prise en compte, puisque le caractère professionnel de toute activité implique obligatoirement une composante économique. En effet, si l’on se concentrait sur la taille de la production, les grandes associations ou coopératives de culture maraichère pourraient être considérées comme des producteurs professionnels, en contradiction avec l’esprit coopératif ou amateur de ces structures.

Le but de chaque structure doit ainsi être examiné afin d’évaluer s’il est de caractère économique, ou si au contraire il est de caractère idéal, et entraine de manière accessoire une activité commerciale. Pour ce faire, une référence à la qualification du but idéal ou économique des associations au sens des art. 60ss du code civil (CC750) nous semble pertinente. Le but d’une association est considéré comme idéal quand aucun avantage économique direct n’est octroyé aux membres de l’association, et que le but de cette dernière n’est donc pas l’obtention de bénéfices à répartir entre eux751.

747 L’unité de main-d’œuvre standard – à laquelle se réfère l’art. 7 al.1 LDFR – est un indicateur permettant de mesurer la taille d’une exploitation agricole et de la convertir en termes de travail.

Différents facteurs sont pris en compte dans cette évaluation, tels que la taille de la surface agricole dédiée aux différentes cultures, le nombre d’animaux de rente, ou encore le caractère biologique des cultures (art. 3 OTerm). Elle paraît à premier abord comme un moyen efficace de délimiter ce qui représente une activité professionnelle ou amatrice. Toutefois, après un calcul approximatif, on devrait en déduire qu’on se trouve en présence d’une entreprise agricole à partir de 45 hectares de surface agricole utile cultivée de manière conventionnelle (à l’exclusion des cultures spéciales). Ces exigences paraissent extrêmement hautes, puisque la surface moyenne d’une exploitation agricole en Suisse est de 19 hectares (OFS, Agriculture suisse, statistiques de poches, 2016, p. 9) ;HENNY

(2003)mentionne un seuil de 27 hectares pour la reconnaissance d’une entreprise agricole au sens de la LDFR (p.142). Il s’agit toutefois d’un calcul établi sous d’anciennes modalités de calculs d’unité de main d’œuvre standard (UMOS), revus à la baisse depuis le 1e janvier 2016 (RO 2015 4525).

748 DONZALLAZ (2006), p. 311 ; DONZALLAZ (2008), pp. 133 et 141.

749 DONZALLAZ (2006), p. 311.

750 Code civil suisse du 10 décembre 1907, RS 201.

751 PERRIN &CHAPPUIS (2008), p. 4.

La poursuite d’un but idéal n’exclut cependant pas l’exercice d’une industrie en la forme commerciale si elle permet de poursuivre le but idéal (art. 61 al. 2 CC)752. Si au contraire l’association vise à fournir à ses membres des avantages économiques indirects, elle sera considérée comme une association à but économique. Tel est le cas par exemple si elle cherche à ouvrir des marchés, à permettre un accès facilité à un marché à ses membres, ou à défendre des intérêts économiques753.

Le but idéal doit ainsi être admis dans le cas des associations de (ré)insertion professionnelle, qui proposent des activités de jardinage à leurs usagers et vendent les produits récoltés et leurs semences et plants pour financer le fonctionnement des ateliers et l’acquisition de matériel. En ce qui concerne la situation des coopératives de jardinage, qui proposent par exemple des paniers de légumes hebdomadaires à leurs membres en échange d’une somme fixe et d’une participation aux tâches de jardinage, il s’agira d’analyser de cas en cas comment sont utilisées les sommes récoltées par la vente des produits. Si elles sont réinjectées dans le fonctionnement de l’institution (par exemple pour la location d’un terrain, l’achat de matériel etc.) le but idéal de l’institution devra alors être reconnu.

Par conséquent, nous sommes d’avis que le caractère professionnel au sens de l’OMM doit être admis si le but prépondérant de l’exploitation est économique. Si au contraire le but de la structure est de nature idéale et qu’une activité commerciale est exercée pour financer certaines activités, le caractère professionnel doit être nié : dans ce cas, la structure en question n’est pas soumise à la réglementation en matière de semences.

Les praticiennes interrogées dans le cadre du présent travail ont d’ailleurs toutes confirmé que malgré l’imprécision de la notion, le critère économique est le seul qui permette de délimiter une activité professionnelle d’une activité non professionnelle.

En revanche, toutes ont souligné qu’il existe en réalité une zone grise quant à l’applicabilité de la règlementation à certains acteurs. Les petits volumes de semences, de plants et de produits agricoles concernés par ce flou expliquent le peu d’intérêt que semble susciter cette question.