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Protection tarifaire aux frontières

A. Ouverture des marchés et soutien à l’agriculture

3) Protection tarifaire aux frontières

Les produits agricoles circulent entre Etats, selon la capacité de production et la consommation interne dans chaque pays, de sorte qu’une proportion importante des produits consommés dans le monde a été transportée au-delà de frontières nationales.

Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’un domaine relevant de la politique agricole, les règles relatives à l’exportation de produits agricoles sont centrales dans l’agriculture nationale, comme le relève le Conseil fédéral :

« Même si les contributions à l’exportation ne sont pas un instrument de la politique agricole, mais la complètent au titre de mesure d’accompagnement, elles ont un effet de soutien favorable à l’agriculture sur les quantités écoulées et sur les prix des matières premières agricoles indigènes bénéficiant de contributions à l’exportation » 609.

Dans la même idée, la réglementation de l’importation de produits agricoles étrangers sur un marché national peut permettre de limiter la concurrence : puisque chaque Etat a intérêt à pouvoir accéder aux marchés étrangers pour l’exportation de ses propres produits, tout en limitant l’entrée de produits étrangers pouvant concurrencer la production nationale, les mesures aux frontières font l’objet de nombreuses discussions au sein de la communauté internationale.

En ce qui concerne l’importation de produits agricoles, les quotas, ou mesures quantitatives, sont en principe interdites par le droit de l’OMC (boite rouge, art. 11 §1 GATT). En revanche, les taxes sur les importations sont, elles, autorisées, bien que les Etats en négocient régulièrement la réduction (art. 13 GATT). La liste des concessions tarifaires constitue le résultat de ces négociations, dans le cadre desquelles chaque Etat s’engage à respecter une limite maximale de ses taxes d’importation610.

Suite l’adhésion de la Suisse à l’OMC, la révision de la réglementation interne en matière d’importation a dû être opérée de manière stratégique, puisqu’environ la moitié des produits agricoles consommés en Suisse proviennent de l’étranger611. Par

607 FF 1996 IV 1, p. 5.

608 OCDE, Reforming agricultural subsidies to support biodiversity in Switzerland (2017), p. 5.

609 FF 2017 4073, p. 4087.

610 VAN DEN BOSSCHE &ZDOUC (2017), p. 474.

611 LAST,BUCHMANN,GILGEN,GRANT,SHRECK (2015), p. 67.

ailleurs, le prix élevé des produits suisses les rend particulièrement vulnérables à la concurrence en cas d’importation massive de produits étrangers moins chers.

Les mesures quantitatives de protection à la frontière ont ainsi été remplacées par des droits de douane, admissibles au regard du droit de l’OMC. Les importations sont depuis gérées par le biais de contingents tarifaires (art. 16 à 22 LAgr), selon lesquels les frais de douane augmentent et deviennent prohibitifs au-dessus d’une certaine quantité de produits importés (art. 18 LAgr)612. La Suisse a, à l’heure actuelle, ratifié 28 contingents tarifaires, recensés à la Partie 1, Section 1-b de la Liste des concessions LIX-Suisse-Liechtenstein. Les quantités et les droits de douane pour chaque produit sont adaptés tous les trois mois (loi sur le tarif des douanes613 via art. 19 LAgr), de sorte à correspondre à la situation mondiale614. De plus, l’importation de fruits et de légumes est modulée par le biais de cet instrument selon les saisons, de manière à ne pas concurrencer les produits suisses et à permettre une disponibilité annuelle des produits : les contingents sont bas pendant la saison de production suisse et hauts, voire inexistantes hors saison615.

Par ailleurs, le système des prix seuils permet au Conseil fédéral de fixer le prix auquel un produit agricole devrait être importé pour assurer l’écoulement des denrées suisses sans y apporter de concurrence étrangère à bas prix (art. 20 LAgr et art. 1 de la loi fédérale sur l’importation et l’exportation de produits agricoles transformés)616.

Au moment de l’adoption de ce système, le Conseil fédéral relevait qu’il permet non seulement d’imposer plus fortement les produits importés si ceux-ci dépassent les quantités fixées, de sorte qu’ils ne fassent pas de concurrence aux produits nationaux, mais qu’il concrétise également l’obligation fixée aux Etats Membres par le GATT de permettre l’accès au marché d’une certaine quantité d’un produit agricole à un taux préférentiel convenu617.

En ce qui concerne l’exportation des produits agricoles suisses vers l’étranger, la situation est différente. Si les subventions à l’exportation font partie de la boite rouge en vertu de l’art. 3 de l’Accord SMC, les produits agricoles faisaient l’objet d’une exception jusqu’en 2015, et pouvaient donc se voir soutenu lors de leur exportation.

Toutefois, les subventions à l’exportation pour les produits agricoles ont été totalement interdites par la Conférence ministérielle de Nairobi en 2015618. Il s’agit d’une étape importante sur le plan international, puisque les subventions à l’exportation – bien qu’elles soient soumises à une obligation de réduction – étaient jusque-là utilisées par les pays industrialisés pour soutenir l’exportation du surplus de leurs produits agricoles vers d’autres pays, où ils étaient mis sur le marché à un prix inférieur à celui

612 Conseil fédéral, Vue d’ensemble du développement à moyen terme de la politique agricole (2017), p. 33.

613 Loi fédérale du 9 octobre 1986 sur le tarif des douanes (LTaD), RS 632.10.

614 FF 1996 IV 1, p. 112.

615 Conseil fédéral, Vue d’ensemble du développement à moyen terme de la politique agricole (2017), p. 33.

616 FF 1996 IV 1, p. 111.

617 FF 1996 IV 1, p. 114; FF 1994 IV 995, p. 116.

618 OMC, Conférence ministérielle de Nairobi du 19 décembre 2015, Concurrence à l’exportation, WT/L/980.

des produits locaux, créant ainsi une situation de distorsion de la concurrence619. Avant la décision de Nairobi, les subventions à l’exportation avaient déjà fait l’objet de nombreuses discussions et controverses. Elles avaient été interdites par le GATT pour tous les produits, à l’exception des produits agricoles (art. XVI al. 4 GATT).

L’AsA contenait toutefois des limites d’engagement et des étapes de réduction (art. 3 al. 1 et art. 9 AsA)620. Par ailleurs, l’Union européenne avait supprimé ses subventions à l’exportation en 2013, passant ainsi « dans le camp des membres de l’OMC qui prônent une interdiction définitive de ces subventions »621. En 2015, au moment des négociations de Nairobi, la Norvège, le Canada et la Suisse étaient les seuls pays « industrialisés » membres de l’OMC à octroyer des subventions à l’exportation pour les produits agricoles622.

La décision ministérielle de Nairobi prévoyait un délai transitoire en 2020 pour la mise en conformité des législations nationales (Décision ministérielle, Note 4623), de sorte que la Suisse a depuis entamé un processus d’adaptation législative. En 2009, les subventions à l’exportation pour les produits agricoles de bases, tels que les fruits et les fromages, avaient déjà été supprimés624. Toutefois, l’ancienne loi fédérale sur l’importation et l’exportation de produits agricoles transformés (« Loi chocolatière »), concrétisée par l’ancienne ordonnance sur les contributions à l’exportation, prévoyait toujours des taxes à l’exportation pour le lait et les céréales panifiables utilisées dans la fabrication de produits transformés destinés à l’exportation (art. 3 ss loi sur l’importation et l’exportation de produits agricoles transformés)625. Il s’agissait de compenser la cherté des matières premières suisses afin de permettre aux industries alimentaires suisses de travailler avec des matières premières suisses pour fabriquer des produits concurrentiels pour l’exportation internationale.

Les contributions à l’exportation ont, en 2015, concerné 11% de la farine de froment et 6% du lait exportés sous forme de produits transformés. La même année, le prix de la farine de froment et des produits laitiers de base suisses était respectivement 2,3 et 2,6 fois plus élevé que la moyenne internationale626. Le lait, qui nécessite d’être écoulé à l’étranger puisque le taux d’auto-approvisionnement de la Suisse s’élève à 115%, a représenté 83% du budget alloué aux contributions à l’exportation entre 2013 et 2015627. Les céréales, dont la production nationale représente 80% des besoins

619 ORFORD (2015), p. 13; GONZALEZ (2011), p. 79; GONZALEZ (2011/2), p. 503.

620 FF 2017 4073, p. 4081.

621 FF 2017 4073, p. 4081.

622 FF 2017 4073, p. 4098.

623 OMC, Décision ministérielle de Nairobi (2015), note 4.

624 FF 2017 4073, p. 4081.

625 Loi fédérale du 13 décembre 1974 sur l’importation et l’exportation de produits agricoles transformés, RS 632.111.72 ; Modification du 11 mars 2016 de l’ordonnance sur les contributions à l’exportation (RO 2016 955) ; Ordonnance du 23 novembre 2011 réglant les contributions à l’exportation de produits agricoles transformés (ordonnance sur les contributions à l’exportation), RS 632.111.723.

626 FF 2017 4073, p. 4087.

627 FF 2017 4073, p. 4082.

suisses, ont bénéficié des 17% restant du budget relatif aux contributions à l’exportation entre 2013 et 2015628.

Suite à la décision de Nairobi, la nouvelle loi sur l’importation de produits agricoles transformés est entrée en vigueur le 1er janvier 2019629. L’exportation de produits agricoles a été supprimé de la réglementation.

Pour permettre aux produits laitiers et aux céréales panifiables suisses de rester intéressants pour l’exportation, il était toutefois nécessaire de mettre en place de nouveaux instruments de soutien, compatibles avec l’interdiction des contributions à l’exportation. Des mesures de soutien liées au produit pour les productrices de lait et de céréales panifiables ont ainsi été instaurées630. Le nouvel article 40 LAgr permet le versement d’un supplément-lait de 3 centimes par kg de lait, versé directement à tous les producteurs631. De manière similaire, le nouvel article 55 LAgr prévoit le versement d’un supplément-céréales de 2.9 CHF par quintal de céréales632.

Le Conseil fédéral précise que l’efficacité de ces nouvelles mesures de soutien devra être analysée après quatre ans de mise en œuvre. Il semble que la volonté des autorités suisses aille plutôt dans le sens d’une déréglementation que d’un maintien de ce type de mesures dans le futur. En effet, le Conseil fédéral proposait – en conclusion de son message concernant la suppression des contributions à l’exportation pour les produits agricoles transformés – une ouverture des marchés :

« Le niveau des prix suisses des matières premières s’adapterait ainsi à celui des marchés voisins. Opter pour cette solution, qui aurait un fort impact sur l’agriculture suisse bien au-delà des secteurs laitier et céréalier, exigerait cependant des analyses approfondies et des discussions politiques qui ne pourraient être achevées dans le délai transitoire fixé par l’OMC pour le démantèlement des subventions à l’exportation. Ces analyses et ces discussions relatives à une ouverture complète des marchés devront donc s’effectuer dans le cadre du développement de la politique agricole à moyen et long terme, notamment en raison des évolutions possibles de la politique commerciale internationale, par exemple dans le domaine des accords de libre-échange »633.

De manière générale, le Conseil fédéral estime que la protection douanière est une mesure chère et inefficace pour soutenir l’agriculture suisse, car elle n’est pas liée à des

628 FF 2017 4073, p. 4093.

629 Loi fédérale du 15 décembre 2017 sur l’importation de produits agricoles transformés, RS 632.111.72.

630 FF 2017 4073, pp. 4091 ss.

631 A l’exception du lait transformé en fromage, pour lequel le soutien continuera à s’élever, comme c’est le cas actuellement, à 15ct/kg. Au sujet du versement aux producteurs directement, voir l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_403/2017 du 4 décembre 2018.

632 FF 2017 4073, p. 4093.

633 FF 2017 4073, p. 4097.

exigences liées aux modes de production (écologiques ou éthiques par exemple) et les frais engendrés ne parviennent pas directement aux agriculteurs634.

De plus, si d’un point de vue national, le système de soutien à l’agriculture paraît nécessaire, la question est moins claire à la lumière de considérations d’égalité entre pays du Nord et pays du Sud. En effet, il est souvent relevé que les pays

« industrialisés », qui sont en mesure de soutenir leur agriculture, créent une distorsion de la concurrence sur les marchés internationaux et défavorisent ainsi les produits en provenance des pays en voie de développement qui n’ont pas les moyens de le faire635. Bien que le constat des inégalités entre pays du Nord et du Sud en matière commerciale soit partagé par la plupart de la doctrine, deux courants s’affrontent quant aux solutions pour résoudre ce problème : la libéralisation des marchés agricoles ou un renforcement des soutiens étatiques636. Si la question n’a pas lieu d’être tranchée dans le cadre de cette thèse, elle a pour intérêt d’expliquer un certain nombre de tensions en matière de soutiens à l’exportation.

B. Production agricole respectueuse de la santé et de