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Organismes génétiquement modifiés (OGM)

A. Définition du génie génétique

Les principaux organismes génétiquement modifiés cultivés dans le monde appartiennent pour l’instant à des espèces de grandes cultures – à savoir le colza, le maïs, le coton et le soja950. Or les organismes génétiquement modifiés font l’objet d’une réglementation bien particulière, et méritent par conséquent d’être traités séparément des autres types de cultures. En effet, en plus d’être soumise à la réglementation ordinaire sur les semences et plants décrite ci-dessus, la mise en circulation, tout comme l’utilisation de ce type de matériel doivent être autorisées par les autorités.

A ce jour, l’utilisation de matériel génétiquement modifié est interdite dans l’agriculture suisse, et ce jusqu’en 2021 en tout cas (art. 37a LGG)951. Toutefois, le cadre légal relatif à ce type de matériel est déjà en place et n’est « paralysé » que par le moratoire sur l’utilisation d’OGM dans l’agriculture. Dès lors que le Parlement considérera qu’il n’y a plus lieu de renouveler ce moratoire, le cadre légal en question entrera matériellement en vigueur et réglementera l’utilisation d’OGM dans l’agriculture, de sorte qu’il nous parait important, sans entrer dans les détails techniques, d’en présenter les grandes lignes.

Notons à titre préliminaire que la définition de ce qui constitue un « organisme génétiquement modifié » est sujet à débat, en raison des avancées technologiques, qui ont tendance à devancer la législation952. La loi fédérale sur le génie génétique définit les organismes génétiquement modifiés comme « tout organisme dont le matériel génétique a subi une modification qui ne se produit pas naturellement, ni par multiplication ni par recombinaison naturelle » (art. 5 al. 2 LGG)953.

Cette définition couvre indéniablement les premières techniques de génie génétique vert, selon lesquelles l’ADN d’une espèce est intégré à une autre, permettant ainsi un croisement qui ne peut être effectué naturellement954.

Or il semblerait que le statut juridique de nouvelles techniques de sélection des plantes (NPBT, soit les New Plant Breeding Techniques) ne soit pas clairement défini, car on ignore s’ils tombent sous le coup de cette définition955. En effet, selon ces techniques, la création d’une plante nécessite une modification génétique, mais la plante finale ne contient pas de trace de cette modification956. Le groupe d’experts mandaté par la Confédération dans le cadre du Projet national de recherche 59, « Utilité et risques de

950 Portail Québec, Source d’information sur les organismes génétiquement modifiés, www.OGM.gouv.qc.ca > OGM en chiffres (page consultée le 1er septembre 2017).

951 FF 2017 4009, p. 4010.

952 Question parlementaire MUNZ 15.1022 « Besoin de réglementation dans le domaine du génie génétique. Comment définir un OGM ? » ; FF 2016 6301, p. 6313.

953 Pour une discussion de cette disposition, voir PETITPIERRE-SAUVAIN (2012/2), p. 165s.

954 DOBBELAERE & BERNAUER (2013), PNR59 ; http://www.nfp59.ch > résultats (page consultée le 29 août 2017 – ce lien n’est plus accessible);SCHWEIZER &ERRAS (2012),p. 117.

955 FF 2016 6301, p. 12 ; OFAG, Stratégie Sélection végétale 2050 (2016), p. 22.

956 DOBBELAERE & BERNAUER (2013), PNR59 ; http://www.nfp59.ch > résultats (page consultée le 29 août 2017 – ce lien n’est plus accessible).

la dissémination des plantes génétiquement modifiées » considère que « [g]râce aux nouvelles techniques, la modification n’est plus décelable dans les plantes destinées à la culture. Par conséquent, qualifier ces plantes de génétiquement modifiées n’est correct que sous certaines réserves »957.

Si cette question fait encore l’objet de recherches et de questionnements en Suisse et dans l’Union européenne, l’un de ses aspects a été tranché par la CJUE. Alors que l’Avocat Général avait recommandé d’exclure les nouvelles techniques de modification génétique (notamment la mutagénèse dirigée) du champ d’application de la réglementation européenne sur les OGM, la Cour a pris la décision inverse958. Elle a ainsi admis, en juillet 2018, que les organismes obtenus par certaines techniques de mutagénèse, tout comme ceux obtenus par transgénèse, constituent des OGM959.

En Suisse, le Conseil fédéral a pris note de cette décision. Dans son message relatif à la prolongation du moratoire sur la mise en circulation d’organismes génétiquement modifiés, il souligne que la réglementation en vigueur couvre ainsi les nouvelles techniques de modification génétique960. Dans le même sens, la Commission fédérale d’éthique pour la biotechnologie dans le domaine non humain (CENH) concluait, dans son rapport de mai 2018, que le principe de précaution devrait être appliqué de manière stricte aux nouvelles techniques de modifications génétiques. Elle recommandait par ailleurs que la dimension politique de l’utilisation des biotechnologies et de la gestion des incertitudes qui y sont liées soient mieux prises en compte961.

B. Cadre légal et constitutionnel

La disposition constitutionnelle relative au génie génétique se divise en deux parties distinctes. Tout d’abord, l’alinéa premier de l’art. 120 Cst. est une norme programmatique, qui protège l’être humain et son environnement contre les abus en matière de génie génétique962. L’alinéa 2 de cette disposition confie à la Confédération le mandat de légiférer sur l’utilisation du « patrimoine germinal et génétique des animaux, des végétaux et des autres organismes ». La sécurité de l’être humain, de l’animal et de l’environnement, ainsi que la diversité génétique doivent être prises en compte par la réglementation.

Ce mandat constitutionnel – auquel font référence plusieurs lois fédérales963 – a été mis en œuvre par le biais de la loi fédérale sur le génie génétique (LGG), qui a été adoptée en 2003 et est entrée en vigueur le 1e janvier 2004. Par la suite, une série

957 DOBBELAERE & BERNAUER (2013), PNR59 ; http://www.nfp59.ch > résultats (page consultée le 29 août 2017 – ce lien n’est plus accessible).

958 Conclusions de l’Avocat Général, M. Michal BOBEK, présentées le 18 janvier 2018, Affaire C-528/16.

959 CJUE, Confédération paysanne c. Premier ministre et ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, 25 juillet 2018, Affaire C-528/16.

960 Conseil fédéral, Rapport explicatif sur la modification de la loi sur le génie génétique (prolongation du moratoire sur la mise en circulation d’organismes génétiquement modifiés), 2020, p. 7.

961 Commission fédérale d’éthique pour la biotechnologie dans le domaine non humain (CENH), L’idée de précaution dans le domaine de l’environnement (2018), p. 24.

962 ERRAS (2006), p. 46, PETITPIERRE-SAUVAIN (2012), p. 123.

963 Principalement les art. 27a al. 2 LAgr et les art. 29a ss LPE.

d’ordonnance d’exécution sont venues préciser les différents domaines du génie génétique. L’ordonnance sur la dissémination dans l’environnement a été adoptée en 2008, et règlemente l’utilisation d’OGM en milieu ouvert, alors que l’utilisation d’OGM en milieu confiné est régie par l’ordonnance sur l’utilisation confinée (OUC964), adoptée quatre ans plus tard. Le cadre légal relatif aux OGM n’est toutefois pas encore complet : la coexistence entre les cultures OGM et non OGM, dont le principe est garanti à l’art. 7 LGG, n’est par exemple pas réglementée de manière suffisamment précise, car les projets d’ordonnance sur la coexistence ont été refusés ou abandonnés en 2005, 2013 et 2016965. Cette lacune législative a justifié la prolongation du moratoire en 2017, car en l’absence de règles précises sur la coexistence, il n’était pas acceptable de permettre les cultures OGM, qui risquaient d’envahir les cultures classiques966. Dans son message relatif à la prolongation du moratoire en 2009, le Conseil fédéral justifiait déjà la prolongation de cette mesure par le fait qu’elle laisserait le temps de permettre une transition sûre et sans lacunes vers la mise en place d’une réglementation adaptée : « La prolongation du moratoire crée une sécurité juridique durant une période pendant laquelle tous les aspects juridiques ne sont pas réglés au niveau des ordonnances et les divers instruments d’exécution ne sont pas encore disponibles »967. En 2020, le même argument était à nouveau avancé par le Conseil fédéral pour prolonger le moratoire jusqu’en 2025968.

La prolongation du moratoire soulève toutefois des questions, tant du point de vue formel que matériel. Le moratoire prenait initialement la forme d’une disposition constitutionnelle transitoire, à savoir l’art. 197 ch. 7 Cst., prévoyant que « [l]'agriculture suisse n'utilise pas d'organismes génétiquement modifiés durant les cinq ans qui suivent l'adoption de la présente disposition constitutionnelle ». Cette disposition avait été intégrée à la Constitution en 2005 contre l’avis du Conseil fédéral, suite à l’initiative populaire « pour des aliments produits sans manipulations génétiques »969. En 2009, le Conseil fédéral avait proposé la prolongation du moratoire pour trois années supplémentaires, en suggérant le transfert de cette disposition au niveau légal pour éviter à l’avenir la lourdeur de modifications constitutionnelles970. L’art. 37a LGG a ainsi été adopté en 2009 : il prévoyait initialement qu’aucune autorisation ne serait octroyée jusqu’au 27 novembre 2013 pour la mise en circulation d’OGM dans l’agriculture, la sylviculture et l’horticulture. Ce moratoire a encore été renouvelé en 2012 et en 2016, et l’art. 37a LGG prévoit actuellement qu’aucune

964 Ordonnance du 9 mai 2012 sur l’utilisation des organismes en milieu confiné (OUC), RS 814.912.

965 SCHWEIZER &ERRAS (2012), pp. 121 ss.; FF 2016 6301, p. 6306 ; Pour un résumé chronologique, voir Parlement, Objet du Conseil fédéral n° 16.056, synthèse.

966 FF 2016 6301, p. 6302. Au sujet de l’application du Principe de précaution dans le domaine du génie génétique, voir JUNGO (2012), pp. 211 ss et MAHIEU (2007), pp. 55 ss et 224 ss.

967 FF 2009 4887, p. 4905.

968 Conseil fédéral, Rapport explicatif sur la modification de la loi sur le génie génétique (prolongation du moratoire sur la mise en circulation d’organismes génétiquement modifiés), 2020, p. 4.

969 FF 2004 3929, p. 4630; FF 2005 3823.

970 FF 2009 4887, p. 4888.

autorisation ne sera délivrée jusqu’au 31 décembre 2021971. En 2020, le Conseil fédéral s’est à nouveau prononcé en faveur d’une nouvelle prolongation jusqu’en 2025972.

Selon le Conseil fédéral, les restrictions à la liberté économique imposées par cette mesure aux producteurs de semences OGM et aux agriculteurs sont pour l’instant justifiées par des motifs sanitaires et environnementaux, en l’absence de connaissances suffisantes sur les effets potentiels des organismes génétiquement modifiés et en vertu du principe de précaution (art. 74 al. 2 Cst., art. 148a LAgr, art. 1 al. 2 LPE et art. 2 al. 1 LGG)973. En revanche, la question se pose de savoir si le moratoire sera toujours conforme à l’art. 36 Cst. si, dans le futur, des études scientifiques permettent de prouver que les OGM ne posent pas de risques particuliers. Dans cette hypothèse, la protection de l’être humain, des animaux, de l’environnement et de la diversité biologique ne constituera plus un intérêt public suffisamment fort pour justifier l’interdiction des cultures OGM.

Le Conseil fédéral considère que dans une telle hypothèse, il faudra admettre que la mesure vise un objectif économique, et que seule une disposition de rang constitutionnel serait à même de prévoir une telle mesure. Il est en revanche convaincu que la restriction de la liberté économique est pour l’heure justifiée par le fait que les données scientifiques ne permettent pas d’exclure les risques susmentionnés974. De plus, les milieux concernés ne se disent pas intéressés à cultiver des OGM et la portée de la restriction est matériellement limitée, puisqu’elle ne concerne pas la recherche, mais uniquement l’agriculture, la sylviculture et l’horticulture975. Tant les consommateurs que les agriculteurs démontrent une grande méfiance à l’égard des OGM, invoquant principalement la menace pour la sécurité biologique, les risques pour la biodiversité, les eaux et les sols, les difficultés de mise en œuvre dans l’agriculture suisse à petite échelle et les coûts relatifs aux mesures de coexistence pour les cultivateurs d’OGM976. Vu ce consensus et l’absence de données scientifiques convaincantes, le moratoire ne pose pour l’instant de problème de justification.

C. Contrôle des variétés : Enregistrement au catalogue

La relation entre les différentes législations évoquées jusqu’ici est particulièrement intéressante concernant l’inscription de variétés génétiquement modifiées au catalogue des variétés. En effet, si l’utilisation de matériel génétiquement modifié est pour l’instant interdite par la loi sur le génie génétique, l’inscription de

971 RO 2013 3489; FF 2017 4009, p. 4010.

972 Conseil fédéral, Rapport explicatif sur la modification de la loi sur le génie génétique (prolongation du moratoire sur la mise en circulation d’organismes génétiquement modifiés), 2020.

973 MANGA (2011), p. 278; ZHANG, WOHLRUETER, ZHANG (2016), pp. 121s.

974 FF 2016 6301, pp. 6344s; Conseil fédéral, Rapport explicatif sur la modification de la loi sur le génie génétique (prolongation du moratoire sur la mise en circulation d’organismes génétiquement modifiés), 2020, p. 16.

975 FF 2016 6301, p. 6343; Conseil fédéral, Rapport explicatif sur la modification de la loi sur le génie génétique (prolongation du moratoire sur la mise en circulation d’organismes génétiquement modifiés), 2020, p. 13.

976 FF 2016 6301, pp. 6315s.

variétés génétiquement modifiées au catalogue des variétés est autorisée, et même prévue par l’ordonnance sur le matériel de multiplication (art. 9b OMM).

Un renvoi à la procédure des paliers prévue par la réglementation sur les organismes génétiquement modifiés (art. 6 LGG) permet toutefois d’assurer que la variété dont l’enregistrement au catalogue a été demandé satisfait aux exigences de l’ODE (art. 9b al. 3 OMM) 977 : des essais doivent avoir été menés, d’abord en milieu confinés, puis dans le cadre de dissémination expérimentale, et ils doivent avoir permis de déterminer que la variété en question ne présente pas de risque pour l’être humain, les animaux, l’environnement et la biodiversité.

Les études scientifiques ne permettant pour l’heure de démontrer une telle absence de risque, aucune variété génétiquement modifiée n’a encore été inscrite au catalogue suisse des variétés.

D. Contrôle des semences et plants et contrôle des acteurs de production

La disposition réglant la certification et la production de matériel de multiplication est rédigée comme suit : « Ne peuvent être produits et certifiés (s.l.) que les semences et plants d'une variété enregistrée dans le catalogue des variétés selon l'art. 13 ou dans le catalogue commun des variétés de l'Union européenne, ou d'une variété expérimentale, à l'exception des variétés génétiquement modifiées » (art. 20 let. a OSP ; italique ajouté par l’auteure). Cette disposition porte à confusion à plus d’un titre.

Tout d’abord, la question se pose de savoir si l’exception relative aux variétés génétiquement modifiées se rapporte uniquement aux variétés expérimentales, ou également aux variétés enregistrées dans le catalogue suisse ou européen des variétés.

Dans la première hypothèse, le matériel de multiplication d’une variété génétiquement modifiée pourrait être produit et certifié, pour autant que la variété soit enregistrée dans un catalogue des variétés. La deuxième hypothèse exclut en revanche le matériel génétiquement modifié appartenant à une variété expérimentale ou enregistrée.

Ensuite, la conséquence de cette exclusion est également peu claire : le matériel génétiquement modifié est-il privé de toute production et certification, ou peut-il être produit et certifié sans forcément appartenir à une variété expérimentale ou à une variété homologuée ? Au vu du but de la réglementation sur les organismes génétiquement modifiés, qui vise précisément à renforcer les exigences relatives à ce type de matériel, la deuxième hypothèse peut être exclue.

On doit donc à notre avis en conclure que le matériel génétiquement modifié peut être produit et certifié, pour autant qu’il appartienne à une variété homologuée sur le plan suisse ou européen. En effet, lorsque le moratoire sera levé, le matériel génétiquement modifié sera soumis à la réglementation sur le matériel de multiplication, qui devra donc permettre sa certification.

977 Arrêt du Tribunal administratif fédéral A-6728/2007 du 10 novembre 2008, consid. 7.2.