• Aucun résultat trouvé

Effets secondaires de l’agriculture sur la santé

1) Pollution de l’eau

L’une des inquiétudes relatives à l’utilisation d’engrais et de produits phytosanitaires dans l’agriculture est liée au fait que ces produits puissent intégrer la

554 Le TF se réfère à une étude de 2002 de l’OFEV, des forêts et du paysage, Sicherung der gentechnikfreien Bioproduktion (2002), p. 82.

555 Arrêt du Tribunal fédéral 2A_357/2002 du 13 février 2003, consid. 3.3.

556 U.S Farmers Report Widespread GM Crop Contamination, Inter Press Service, 3 mars 2014;

Monsanto sued small farmers to protect seed patents, report says, The Guardian, 12 février 2013.

557 A ce sujet, voir Chapitre 1, pp. 93 ss.

558 DUFOUR (2011), p. 3.

559 Voir à ce sujet, Chapitre 2, pp. 165 ss.

560 Cet élément est développé dans la section Commerce international et agriculture, Chapitre 1, pp. 90 ss.

chaine alimentaire par le biais de l’eau, en étant entrainés vers les cours d’eau ou en pénétrant dans les nappes phréatiques à travers les sols561.

En effet, si l’ingestion de denrées alimentaires contenant des substances chimiques peut être dangereuse pour la santé, la consommation d’eau contenant de telles substances a évidemment les mêmes conséquences. Dans l’eau, une catégorie de substance est particulièrement préoccupante : les nitrates, présents dans les engrais azotés, qui ne sont pas retenus par les sols, et s’infiltrent progressivement jusqu’aux nappes phréatiques. Les nitrates ont été classés comme « cancérogènes probables » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), et des liens ont été établis entre l’exposition au nitrate et la méthémoglobinémie, ou « syndrome du bébé bleu », potentiellement létal562.

Comme pour la présence de substances chimiques dans l’alimentation, la LDAI et ses ordonnances règlent la présence de tels résidus dans l’eau potable. En effet, selon l’art. 4 al. 2 let. a LDAI, l’eau destinée à la consommation humaine est considérée comme une denrée alimentaire. Les limites relatives à chaque substance sont fixées par l’ordonnance sur l’eau potable et l’eau des installations de baignade et de douches accessibles au public (OPBD563), dont l’Annexe 2 prévoit par exemple une dose maximale de 40mg de nitrates ou de 0.1 μg de chaque pesticide particulier par litre d’eau. Il est intéressant de noter que contrairement à l’OPOVA, l’OPBD limite la somme maximale des différents pesticides, qui ne doit pas dépasser 0.5 μg/l (Annexe 2 OPBD).

Selon le Conseil fédéral, « [l]e risque pour la santé humaine de la consommation d’eau de boisson est jugé très faible » en Suisse, notamment en raison du fait que les eaux de boisson proviennent à 80% de nappes phréatiques, jugées plus sûres que l’eau des lacs et rivières, d’où est puisée 20% des eaux de boisson564. Ce constat est aujourd’hui remis en cause par la récente étude de l’OFEV, démontrant la présence, dans de nombreux cours d’eau de Suisse, de quantités de chlorothalonil dépassant la concentration admise dans les eaux souterraines565.

Le Conseil fédéral fait d’ailleurs de la protection des eaux l’une des priorités du Plan d’Action visant à la réduction des risques et à l’utilisation durable des produits phytosanitaires566. Les mesures adoptées dans ce cadre afin de limiter les résidus d’engrais et de produits phytosanitaires dans l’eau ont déjà été exposées dans la section concernant l’agriculture et l’environnement567 : il s’agit notamment d’incitations financières visant à encourager le recours à des méthodes de culture

561 BRIAN (2009), p. 39. Voir à ce sujet Chapitre 1, pp. 44 ss.

562 Centre international de recherche sur le cancer, Agents classés par les monographies du CIRC ; https://monographs.iarc.fr/fr > Évaluations > Liste des évaluations > Vol. 1-123 (page consultée le 9 décembre 2018) ; DUDLEY (1991).

563 Ordonnance du DFI du 16 décembre 2016 sur l’eau potable et l’eau des installations de baignade et de douches accessibles au public (OPBD), RS 817.022.11.

564 Conseil fédéral, Plan d’action produits phytosanitaires (2017), p. 14 ; REINHARD,KOZEL,HOFACKER, LEU (2017), p. 84.

565 OFEV ; www.bafu.ch > Thème Eaux > Dossiers > Métabolites du chlorothalonil dans les eaux souterraines : première estimation de la pollution en Suisse (page consultée le 2 juin 2020).

566 Conseil fédéral, Plan d’Action produits phytosanitaires (2017), p. 6.

567 Voir Chapitre 1, pp. 44 ss.

nécessitant moins d’engrais et de produits phytosanitaires et à encourager l’acquisition de matériel permettant de limiter la dispersion des substances lors de leur application. Cette approche incitative est accompagnée d’une approche coercitive en lien avec les pratiques les plus problématiques, qui impose notamment le respect d’une distance de sécurité entre les exploitations agricoles et les cours d’eau, à l’intérieur de laquelle l’application de produits phytosanitaires est interdite.

2) Pollution de l’air

La dispersion des produits phytosanitaires sur les cultures a également d’importantes implications pour les habitants des zones limitrophes des cultures et pour les agriculteurs responsables de l’application de ces produits. En effet, outre la voie orale, la voie cutanée et l’inhalation représentent des voies de contact entre les produits et l’organisme humain. Ainsi, lors de la dispersion du produit, ce dernier reste en suspension dans l’air et peut entrer en contact avec la peau des personnes se trouvant dans un certain périmètre, qui risquent également d’inhaler de fortes doses de produit.

Tout près de chez nous, dans l’Ain, l’affaire des « bébés nés sans bras » a attiré il y a quelques années l’attention du public sur le lien potentiel entre l’utilisation de pesticides et les malformations observées chez des nouveaux nés. En effet, une dizaine d’enfants souffrant de la même malformation sont nés entre 2009 et 2014 dans un périmètre de 17 km en région rurale. La responsabilité des pesticides avait d’abord été écartée par les autorités françaises suite à une première étude568. Toutefois celle-ci a été lourdement critiquée, notamment par des scientifiques interrogés par le journal Le Monde, qui soulignaient « [d]es erreurs méthodologiques "grossières", "indignes", des marges de confiance "ubuesques"… ». Le Monde affirmait que les trois scientifiques consultés « formulent des critiques assassines à l’encontre du rapport rassurant de l’agence »569. Le taux de prévalence de ce type de malformations était en effet 58 fois supérieur à la norme, ce qui a notamment justifié l’ouverture d’une seconde enquête, menée conjointement par des médecins, des spécialistes de l’environnement et des spécialistes des malformations.

De telles situations ont également été observées dans d’autres régions du monde, comme par exemple au Mexique, où les pesticides utilisés dans les plantations d’avocats sont suspectés d’être responsables de nombreuses fausses couches dans les villages situés à proximité570. En Californie, une étude menée à UC Berkeley a prouvé en 2019 que les adolescents de la région agricole de la Salinas Valley – ayant été exposés à certains pesticides durant la grossesse – présentent une activité cérébrale inférieure à celle de leurs pairs571.

568 Santé Publique France, Communiqué du 4 octobre 2018 ; https://www.santepubliquefrance.fr/ >

Accueil presse > Tous les communiqués > Surveillance des anomalies congénitales (page consultée le 7 décembre 2018).

569 Enfants nés sans bras : les mauvais calculs de Santé Publique France, Le Monde du 16 octobre 2018.

570 Cette situation, avait notamment été dénoncée par l’émission Envoyé Spécial du 21 septembre 2017, « Les avocats du diable ».

571 SAGIV,BRUNO,BAKER,PALZES,KOGUT,RAUCH,GUNIER,MORA,REISS,ESKENAZI (2019).

Les agriculteurs responsables de l’épandage des produits sont également particulièrement exposés à des risques pour leur santé. Selon l’Institut national [français] de la santé et de la recherche médicale (INSERM), la voie cutanée représente la source principale d’exposition aux produits phytosanitaires dans le cadre professionnel572. Cet institut a effectué une revue de la littérature scientifique, et en a tiré la conclusion suivante :

« D’après les données de la littérature scientifique internationale publiées au cours des 30 dernières années et analysées par ces experts, il semble exister une association positive entre exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies chez l’adulte : la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate et certains cancers hématopoïétiques (lymphome non hodgkinien, myélomes multiples) »573.

L’étude reconnaît également le risque de malformation en cas d’exposition durant la période prénatale et périnatale.

Si le lien entre ces pathologies et l’utilisation de produits phytosanitaires a été établi il y a plusieurs années par le monde scientifique, il commence à peine à être reconnu par le droit574. La France a légalement reconnu juridiquement la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle des agriculteurs en mai 2018575, et le Tribunal supérieur de Californie à San Francisco a reconnu en août de la même année le lien entre le cancer d’un jardinier professionnel et l’utilisation du célèbre pesticide Roundup576. Depuis, deux autres affaires californiennes et une affaire française ont été jugées dans le même sens577.

En Suisse, le Conseil fédéral, qui reconnaît le lien entre l’utilisation prolongée et régulière de produits phytosanitaires et l’apparition d’allergies, de cancers et de maladies neurologiques, telles qu’Alzheimer et Parkinson, ainsi que des perturbations endocriniennes et des troubles cognitifs, souligne toutefois que ces maladies ne sont pas répertoriées de manière centralisée en Suisse : « Par conséquent, il n’est pas possible, faute de données suffisantes, de tirer des conclusions sur les maladies chroniques des utilisateurs de PPh »578.

Les mesures spécifiques proposées par les autorités suisses portent donc principalement sur le respect de la protection individuelle, par le biais notamment du

572 INSERM, Pesticides : Effets sur la Santé (2013).

573 INSERM, Pesticides : Effets sur la Santé (2013).

574 Voir à ce sujet Chapitre 4, p. 231 ss et 236 ss.

575 Modification du 18 mai 2018 du Décret n° 2012-665 du 4 mai 2012 révisant et complétant les tableaux des maladies professionnelles en agriculture annexés au livre VII du code rural et de la pêche maritime.

576 San Francisco County Superior Court – California, Johnson vs. Monsanto, Tentative Ruling, 10 octobre 2018, Affaire N° CGC -16-550128.

577 Alameda County Superior Court – California, Hardeman vs. Monsanto, Affaire N° 16-CV-00525-VC, 27 mars 2019; Cour d’appel de Lyon, première chambre civile, Paul François c. SAS Monsanto, RG 17/06027, 11 avril 2019; Alameda County Superior Court – California, Pilliod vs. Monsanto, Affaire N° 16-md-02741-VC, 13 mai 2019.

578 Conseil fédéral, Plan d’action produits phytosanitaires (2017), p. 15.

port de tenues de protection lors de l’épandage des produits579. Les mesures de précaution nécessaires (port de lunettes de protection, de gant ou de masque), établies par le service d’homologation en lien avec chaque produit, doivent être indiquées sur l’étiquette du produit (art. 55 al. 2 et Point 2.1 Annexe 8 OPPh).

D’autres mesures sont également prévues par le Plan d’Action produits phytosanitaires, telles que la recherche pour le développement d’alternatives à la protection phytosanitaire chimique ou le durcissement des critères pour l’obtention de l’autorisation de mise en circulation des produits phytosanitaires pour l’utilisation non professionnelle580. Il est toutefois intéressant de souligner que ni le Plan d’Action du Conseil fédéral, ni la législation sur les produits phytosanitaires ou sur l’environnement ne prévoient de mesures pour limiter les risques pour les personnes habitant à proximité des cultures, comme par exemple le respect d’une distance minimale entre la zone d’épandage et la zone d’habitation. Seul le guide de l’OFEV et de l’OFAC d’aide à l’exécution sur l’épandage par aéronefs de produits phytosanitaires, de biocides et d’engrais interdit l’épandage en cas de vent ou de hautes températures, et impose le respect d’une distance de sécurité de 60m avec les zones d’habitation et les bâtiments publics581.

La décision d’autorisation de mise sur le marché d’un produit phytosanitaire peut en revanche contenir certaines restrictions, y compris concernant l’utilisation du produit afin d’assurer la protection de la santé des habitants (art. 18 al. 6 let. d OPPh).

Un devoir de diligence est également imposé par l’art. 61 OPPh aux personnes utilisant les produits, qui doivent veiller à ce que ces derniers ne présentent pas de danger pour la santé humaine ou pour l’environnement. Au-delà de ces deux dispositions, lorsque l’OPPh se réfère à la santé humaine, elle ne mentionne que les utilisatrices, et non les personnes susceptibles d’être exposées aux produits de manière incidente.

Ainsi, la réglementation suisse en matière d’épandage de produits phytosanitaires ne vise pas spécifiquement la protection de la population contre des disséminations aériennes. Or, si la protection des agriculteurs fait l’objet de dispositions spécifiques, on se demande pourquoi la Suisse n’a pas ratifié la Convention n°170 de l’OIT sur la protection la santé et de la sécurité des personnes manipulant des produits chimiques au travail et la Convention n°184 concernant la sécurité et la santé dans l’agriculture582.

579 Conseil fédéral, Plan d’action produits phytosanitaires (2017), p. 15. Pour les mesures générales visant à la réduire l’utilisation et la dissémination de produits phytosanitaires, Chapitre 1, pp. 44 ss.

580 Conseil fédéral, Plan d’Action produits phytosanitaires, pp. 41 et 47 ss.

581 OFEV/OFAC, Épandage par aéronefs de produits phytosanitaires, de biocides et d’engrais (2016).

582 Organisation internationale du travail ; https://www.ilo.org > Normlex > Conventions et protocoles à jour non ratifiés par la Suisse.

VI. Agriculture et commerce international