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Les sources de l’histoire de Marmoutier au temps de Charles le Chauve

Section i: Le passage du monastère de Marmoutier à l’ordre canonial

A) Les sources de l’histoire de Marmoutier au temps de Charles le Chauve

Pour reconstituer l’histoire du monastère de Marmoutier au milieu du IXe siècle nous disposons de trois types de documents :

- cinq diplômes royaux dont deux de Louis le Pieux et trois de Charles le Chauve octroyés entre 814 et 852. Aucun n’est conservé en original puisque le chartrier de Marmoutier comme celui de Saint-Martin de Tours a beaucoup souffert sous la révolution

- deux actes privés, eux aussi connus par des copies, la donation de Troannus qui date du temps de Louis le Pieux et une charte du comte et abbé Vivien daté de 846.

- un récit hagiographique la Translatio sancti Gorgonii rapportant l’arrivée à Marmoutier en 846 d’un corps saint venu de Rome qui a probablement été rédigé peu de temps après les événements qu’il rapporte.

Il convient, dans un premier temps, de regarder comment sont désignés les moines de Marmoutier dans ses différentes sources.

Le premier est un diplôme de Louis le Pieux du 3 décembre 814 octroyant l’immunité au monastère de Marmoutier311. Les religieux y sont désignés par l’expression

« servi Dei » de laquelle on ne peut rien inférer puisque le servitium Dei incombe

semble-t-il autant aux clercs qu’aux moines. Aucun élément dans ce diplôme ne donne d’indications supplémentaires sur l’observance des religieux de Marmoutier.

Le deuxième est un diplôme de Louis le Pieux daté du 19 novembre 832 affectant des biens pour les vêtements des religieux de Marmoutier. Ceux-ci sont désignés par le terme fratres qui, nous l’avons vu, peut convenir aussi bien aussi bien à des moines qu’à des chanoines. Cependant un indice de la présence d’une communauté monastique à Marmoutier peut être trouvé dans la formule par laquelle est désigné le monastère :

« le monastère de saint Martin (…) en lequel ce même très illustre confesseur du Christ, lui-même, a milité pour le Seigneur avec une troupe de moines »312

Cette exaltation de la vie monastique au temps du fondateur de Marmoutier se comprend mieux si l’on admet que cette forme de vie est toujours observée en ce lieu au moment de la rédaction de ce diplôme. Notons qu’il ne s’agit là que d’un indice et non d’une preuve formelle.

Le troisième est un diplôme de Charles le Chauve daté du 29 décembre 843313 renouvelant le diplôme de Louis le Pieux du 3 décembre 814. Arthur Giry a démontré que ce diplôme avait été interpolé au Xe siècle314. Le texte original, autant qu’on puisse en juger, était étroitement apparenté à celui du diplôme de Louis le Pieux. Dans son état actuel le diplôme ne comprend aucune précision sur l’observance des religieux de Marmoutier.

Le quatrième est un diplôme de Charles le Chauve en date du 30 août 845315 ; confirmant l’affectation faite par l’abbé Renaud d’un certain nombre de villae aux religieux de Marmoutier désignés par le terme ambigu de fratres. L’on pourrait voir dans le préambule de ce diplôme évoquant les prières et les nécessités des prêtres sacerdotes, un indice de la présence d’une communauté cléricale à Marmoutier. Mais il s’agit d’une

311 Diplôme édité par Arthur GIRY in, « Un diplôme royal interpolé de l’abbaye de Marmoutier » in Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Comptes-rendus des séances, 1898, p. 177-202, p. 190-192.

312 Diplôme de Louis le Pieux pout Marmoutier édité par dom Bouquet in Recueil des historiens de France, tome 6, p. 129 : « Monasterio sancti Martini (…) in quo idem ipse praeclarissimus Confessor Christi regulariter cum turma monachorum Domino militavit. »

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314 Arthur GIRY in, « Un diplôme royal interpolé de l’abbaye de Marmoutier » in loc. cit.

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fausse piste puisque ce préambule est le même que celui du diplôme du 13 juin 845 pour le monastère Saint-Florent-le-Vieil316, un établissement qui abrite sans conteste une communauté monastique. Tout juste peut-on penser que ce préambule indique que le requérant, l’abbé Renaud est probablement un religieux ce que confirme d’ailleurs de l’épithète venerabilis.

Le cinquième est un diplôme de Charles le Chauve daté du 3 avril 852 confirmant l’affectation faite aux religieux de Marmoutier par le recteur laïque, Robert – généralement identifié à Robert le Fort. C’est le premier diplôme dans lequel le terme clerici apparaît pour désigner les religieux de Marmoutier. Ceux-ci sont donc à cette date des chanoines.

A s’en tenir aux diplômes royaux, nous ne pouvons rien conclure sur l’observance des religieux avant le 3 avril 852, date à laquelle Marmoutier abrite une communauté de chanoines. Si l’on acceptait l’hypothèse que, dans le second diplôme de Louis le Pieux, la désignation des compagnons de Martin comme des moines serait un indice sérieux de l’observance monastique à Marmoutier au moment de la rédaction de ce document, cela permettrait de fixer une fourchette chronologique pour le changement d’observance à Marmoutier entre le 19 novembre 832 et le 3 avril 852.

Les autres documents permettent-ils de préciser quelque peu cette estimation ? Outre les diplômes royaux nous disposons de deux actes privés.

Le plus ancien est la donation du comte Troannus datée de mars 833317 qui ne comprend aucune précision sur l’observance des religieux de Marmoutier.

Le second acte est beaucoup plus intéressant pour nous. Il s’agit d’une charte de l’abbé Vivien daté du 1er

janvier 846318. Dans cette charte, deux éléments semblent indiquer que, dès ce moment-là, Marmoutier est le lieu de résidence d’une communauté canoniale. Tout d’abord cette charte attribue des biens en bénéfice au prêtre Ebrenus, custode du monastère de Marmoutier. Or la détention de tout bien à titre personnel, qu’ils s’agissent de propriétés privées ou de bénéfices, est strictement interdite aux moines par la

règle de saint Benoît. D’où l’on serait tenté de conclure qu’Ebrenus est un chanoine.

Ensuite, tous les souscripteurs de la charte, dont on peut penser qu’il s’agit en partie des

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317 Donatio quam fecit Troannus comes et uxor eius Bova Majori-Monasterio de rebus suis in pago Vindocensi éditée par Dom Mabillon in Annales ordinis sancti Benedicti, tome 2, Preuves LV, p. 738-739.

318 Charta Viviani abbatis de ecclesia S Mariae apud Majus-monasterium sita éditée par Dom Mabillon in Annales ordinis sancti Benedicti, tome 2, Preuves LXVI, p. 746.

religieux de Marmoutier, sont des clercs puisque leur souscription est précédée de la mention de leur grade ecclésiastique. Nous avons là deux indices probants de l’adoption de l’observance canoniale à Marmoutier dès le début de l’année 846.

Malheureusement cette hypothèse semble être contredite par le dernier document à notre disposition, la Translatio sancti Gorgonii qui est un récit hagiographique non daté mais probablement rédigé peu après les événements qu’il rapporte qui ont eu lieu en 846. A vrai dire, le témoignage de la Translatio sancti Gorgonii n’est pas pleinement cohérent. Le début de la Translatio semble en effet accrédité l’idée que le monastère de Marmoutier abrite une communauté canoniale puisqu’elle désigne ainsi les religieux de cet établissement :

« Renaud, vénérable abbé du monastère de Marmoutier en même temps que des prêtres, diacres et clercs du susdit monastère »319

Cependant, dans la suite du récit, nous apprenons que parmi les clercs accompagnant l’abbé Renaud à Rome pour aller y chercher les reliques de saint Gorgonius figure un certain moine Garnier (Garnerius monachus) nommément cité car il est guéri miraculeusement par les reliques. De même, lorsqu’il en vient au récit de l’adventus des reliques du saint à Marmoutier l’auteur désigne les religieux du monastère par l’expression « tant les clercs que les moines » (tam Clerici quam monachi). Ces notations de l’auteur de la Translatio sancti Gorgonii ne sont pas faciles à interpréter. Il ne nous semble pas qu’il faille postuler la coexistence à Marmoutier de deux groupes distincts : les clercs d’une part et les moines d’autre part. Garnier, qui accompagne Renaud à Rome, semble à la fois considéré comme un moine et comme un clerc. Il est possible que l’appellation clerici désignent ceux des moines de Marmoutier qui ont été promu à la cléricature mais n’en continuent pas moins d’observer la règle de saint Benoît. On peut aussi penser que le flou de la terminologie employée dans la Translatio sancti Gorgonii traduit la situation confuse régnant en 846 à l’intérieur du monastère de Marmoutier où, comme en témoigne la charte du 1er janvier, la règle de saint Benoît n’est plus appliquée dans toute sa rigueur.

319 Translatio sancti Gorgonii, éditée in Acta sanctorum Maii , pp55-58 : « Rainaldus Cellae Majoris monasterii Venerabils Abba simul cum aliquibus Presbyteris et diaconibus reliquisque Clericis ex praefato monasterio. »