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Inadéquation entre la législation et la situation dans les monastères

Section i: Enquête sur la législation canonique du concile de Ver (755) à la fin du règne de Charlemagne

B) Inadéquation entre la législation et la situation dans les monastères

Le canon 11 du concile de Ver de 755 a défini de manière claire la différence entre moines et chanoines en la fondant principalement sur le lieu de résidence : les moines vivant dans des monastères, les chanoines auprès de l’évêque. Cependant, il faut bien constater que cette législation canonique est loin d’être partout appliquée.

En effet, à la fin du VIIIème siècle, sous le règne de Charlemagne, en de nombreux monastères, il est bien difficile de savoir si la communauté est composée de moines ou de chanoines. Le fait a été souligné par Josef Semmler, qui a établi deux listes - l’une de

monastères suburbains, l’autre de monastères ruraux - en lesquels les communautés hésitaient entre les deux formes de vie110.

Nous nous contenterons de présenter trois exemples, cités d’ailleurs par Josef Semmler, qui permettent d’apercevoir des situations diverses mais dont aucune ne correspond pleinement à la norme canonique. Le premier exemple est celui du monastère de Saint-Wandrille dont les religieux semblent être, à la fois, des moines et des clercs : moines dans le sens qu’ils observent la règle de saint Benoît, clercs, puisque, dans le cas de cet établissement, l’entrée dans le monastère semble signifier systématiquement l’entrée dans la cléricature. Le second exemple est celui du monastère d’Echternach au sein duquel semblent cohabiter deux groupes de religieux : des moines observant la règle de saint

Benoît, et des clercs, notamment des prêtres, qui ne l’observent pas. Le dernier exemple est

celui de Saint-Martin de Tours dont les religieux se voient reprochés par Charlemagne leurs hésitations quant à leur norme de vie.

a) Confusion entre tonsure cléricale et prise d’habit monastique : Saint-Wandrille

Pour l’histoire de Saint-Wandrille nous disposons d’une source exceptionnelle, les

Gesta sanctum patrum Fontanellensium récemment éditées sous le titre Chronique des abbés de Fontenelle111. La date de composition de ces Gesta est l’objet de nombreux débats. Cependant l’hypothèse de l’historien britannique Ian Wood nous paraît séduisante : il place la rédaction de la grande partie des Gesta dans les dernières années du VIIIème siècle et la met en relation avec celles de plusieurs textes hagiographiques concernant les premiers abbés de Fontenelle, la Vita Lamberti et la Vita Ansberti112. Plus récemment,

Hubertus Lutterbach a montré que, dans ses trois sources, le vocabulaire laissait planer une

110 Josef Semmler, “Karl der Grosse un das frankische mönchtum“ in Karl der Grosse Lebenswerk und Nachleben, Dusseldorf, 1965, Band II, p Les listes de monastères se trouvent aux pages 258 et 259. Josef Semmler cite, pour les monastères suburbains : Saint-Denis, Saint-Hilaire de Poitiers, Saint-Pierre le Vif et Sainte-Colombe de Sens, Aignan d’Orléans, Bénigne de Dijon, Marcel de Chalon, Saint-Martial de Limoges, Saint-Cybard d’Angoulême, Saint-Aubin d’Angers, Saint-Salvy d’Albi et Saint-Victor de Marseille ; pour les monastères ruraux : Saint-Maurice d’Agaune, Saint-Wandrille, Bèze, Montierender, Maur des Fossés, Lobbes, Amand, Bavon et Pierre de Gand, Hubert, Saint-Trond et Echternach.

111 Chronique des abbés de Fontenelle éditée par Pascal Pradié, Paris, 1999.

112 Ian Wood, « Saint-Wandrille and its hagiography » in Church and chronicle in the Middle Ages. Essays presented to John Taylord, Londres, 1991, pp 1-14. Son principal argument est que le rédacteur des Gesta dit s’appuyer pour les vies des abbés du VIIIème siècle sur le témoignage oculaire de vieux moines.

certaine ambiguïté sur la nature de l’entrée au monastère : profession monastique ou entrée dans la cléricature113 ?

Ainsi, dans les Gesta de l’abbé Austrulfe, l’auteur s’exprime ainsi à propos de l’entrée au monastère du prêtre Hardouin :

« Hardouin prêtre de la celle du martyr saint Saturnin, qui au temps d’(Austrulfe) reçut l’habit de la cléricature dans ce couvent »114

.

L’expression « habit de la cléricature » (clericatus habitus) est en elle-même fort ambiguë puisque si le moine se distingue par un vêtement particulier, la coule, il n’en est pas de même pour le clerc qui se distingue seulement par la tonsure.

Cette expression se retrouve dans la Vita Lamberti115, dans un contexte qui augmente son ambiguïté. Quelques lignes après l’avoir utilisée, l’auteur désigne la communauté de Fontenelle comme une « troupe de moines » (caterva monachorum). Il semble donc que dans l’esprit du rédacteur de la Vita, il faille recevoir la cléricature pour devenir moine.

Cependant le passage le plus significatif se trouve dans la Vita Ansberti. Voici comment y est décrite l’entrée d’un religieux au monastère :

« Alors, prosterné au sol, adorant humblement le Christ qui demeurait en un père si grand, il lui demandait humblement de le faire moine. En effet il disait être prêt à renoncer au siècle de corps et d’esprit et il insistait en suppliant pour que lui fût enlevée la chevelure de sa tête par amour du Christ comme celui-ci l’avait ordonné. Or le révérend père, écoutant sa demande sainte et digne de Dieu, disait qu’il voulait qu’il eût un délai pour réfléchir à cette entrée, pour que, tout comme l’enseigne la règle apostolique et monastique, il sût vers quoi il était venu. Ce délai accompli, l’insigne père recevant les réponses des frères spirituels, ils accomplirent ses pieux vœux, tout comme il avait demandé, et le rendirent honorable par l’habit de la cléricature. »116.

113

Hubertus Lutterbach, Monachus factus est. Die Mönchwerdung im frühen Mittelalter, Münster, 1995, pp

114 « Harduinus, cellae sancti Saturnin martiris presbiter, qui sub eius tempore hoc in coenobio clericatus suscepit habitum. ». Le texte latin est celui de l’édition de frère Pascal Pradié mais nous avons modifié sa traduction puisqu’il élude le problème en traduisant clericatus habitum par habit monastique.

115 Vita Lamberti éditée par Wilhelm Levison in M.G.H. Scriptores rerum merowingicarum V, Hanovre, 1910, pp 606-612. Le passage que nous analysons ici se trouve aux pages 608 et 609.

116 Vita Ansberti éditée par Wilhelm Levison idem pp 613-641 : « Tum humi prostratus, Christum in tanto patre manentem humiliter adorans, postulabat ab eo monachum se fieri. Nam corpore et menti saeculo renuntiaturum aiebat, comamque sui capitis in Christi amore ut iuberet deponi, summisse flagitabat. Audiens autem venerandus pater sanctam et Deo dignam eius postolationem, inducias consulendi super hoc dicebat haberi se vellent, sicut apostolica et monastica docet regula, sciret, ad quo venerat. Quibus expletis, spritualium fratrum consulta suscipiens inclitus pater, pia eius vota, veluti postolaverat impleverunt clericatusque habitu decorabilem reddiderunt. »

Cet extrait est remarquable car il présente une entrée au monastère conforme par certains aspects aux prescriptions de la règle de saint Benoît mais reflétant par d’autres un esprit tout à fait différent. La demande faite à l’abbé en se prosternant décrite par le verbe

postulare, le délai accordé par l’abbé et la référence à la « règle monastique et

apostolique » (apostolica et monastica regula), c’est-à-dire très probablement la règle de

saint Benoît et même l’emploi de l’expression « vœux pieux » (pia vota) indiquent

clairement que Saint-Wandrille abrite une communauté monastique bénédictine. Cependant l’expression clericatus habitus que l’on retrouve ici semble indiquer que le profès reçoit la cléricature à son entrée au monastère : cela est contraire à l’esprit de la

règle de saint Benoît pour lequel le moine reste un laïc.

L’impression qui ressort de ces différents textes, probablement rédigés à Saint-Wandrille à la fin du VIIIème siècle, est que, dans l’esprit de leurs rédacteurs, l’entrée dans la vie monastique marquait aussi l’entrée dans la cléricature. En cela la pratique de la communauté de Fontenelle au temps de Charlemagne s’écartait des prescriptions canoniques, notamment des décisions prises par les pères du concile de Ver, qui tendaient à distinguer nettement vie monastique et vie canoniale.

b) Moines et prêtres dans le même monastère : Echternach

Le deuxième exemple est celui du monastère d’Echternach pour lequel nous disposons aussi d’une source d’information exceptionnelle quoique d’une autre nature : il s’agit des nombreux actes de la fin du VIIIème siècle retranscrits dans le liber aureus, le cartulaire du monastère d’Echternach publié au début du siècle dernier par l’historien luxembourgeois Camillus Wampach117. L’examen des chartes datant de la fin du VIIIème siècle laisse planer un doute quant à la nature de la communauté résidant en ce temps-là à Echternach. En effet, si les deux diplômes royaux de Charlemagne non datés, pour lesquels l’éditeur du cartulaire donne une fourchette comprise entre 775 et 784118

, désignent les religieux d’Echternach comme des moines (monachi), deux actes privés, l’un daté de l’année 786-787119, l’autre de l’année 792-793120

, emploient le terme de clercs (clerici).

117

Camillus Wampach, Geschichte der Grundherrschaft Echternach im Frühmittelalter, II Quellenband, Luxembourg, 1930.

118 Idem n°92 et 93.

119 Idem n°96.

120

Cependant l’expression la plus significative se trouve dans la charte de donation de Théodrade datée de la quatrième année du règne de Charlemagne (774-775) qui s’adresse

« aux saints moines, aux prêtres, et à tout le clergé qui se consacrent en ce lieu nuit et jour à l’œuvre de Dieu »121

.

Cette expression semble indiquer qu’à l’intérieur même du monastère d’Echternach, tous les religieux n’observent pas pleinement la règle de saint Benoît mais que cohabitent en réalité des bénédictins et des clercs. Cette situation expliquerait que les religieux soient tantôt désignés comme des monachi, tantôt comme des clerici. Là encore il apparaît que les prescriptions du concile de Ver n’ont pas été appliquées en ce lieu, pas plus d’ailleurs que celles de l’Admonitio generalis puisque le terme clerici est encore employé pour désigner les religieux en 792-93.

c) Ni moines, ni chanoines : les religieux de Saint-Martin de Tours

La situation des religieux de Saint-Martin de Tours au tout début du IXe siècle est principalement connue par une lettre de Charlemagne datée par son éditeur Ernst Dümmler de la fin de l’année 801 ou de l’année 802. Cette lettre prend place dans le conflit entre Alcuin, abbé de Saint-Martin de Tours Théodulphe, évêque d’Orléans, récemment étudié par Hélène Noizet122. Celle-ci a notamment produit au début de son article un récit synthétique des événements. Il nous paraît nécessaire de le résumer pour éclairer le contexte dans de la rédaction de cette lettre et expliquer son ton fort sévère pour les religieux de Saint-Martin de Tours. Un clerc de l’église d’Orléans, condamné par son évêque, s’est échappé de prison et a trouvé refuge à Saint-Martin de Tours où il pense pouvoir bénéficier du droit d’asile. Théodulphe obtient de Charlemagne l’autorisation de ramener le criminel à Orléans et, aussitôt, envoie des hommes à Tours pour accomplir cette tâche. Mais, à la suite de diverses péripéties, l’arrestation dégénère en une véritable émeute populaire contre les hommes de Théodulphe. Ceux-ci, après avoir été molestés, rentrent à Orléans bredouilles. Théodulphe écrit alors à Charlemagne pour se plaindre du traitement réservé à ces hommes et pour accuser les religieux de Saint-Martin de Tours d’avoir fomenté la révolte. Alcuin, lui aussi, écrit à l’empereur pour donner sa version des

121 Idem n°75 : « ad illos sanctos monachos vel presbiteros vel omni clero qui ibidem die noctuque operi Dei insistunt ».

122 NOIZET Hélène, « Alcuin contre Théodulphe: un conflit producteur de normes » in Alcuin de York à Tours, op. cit., p. 113-129.

événements. Charlemagne répond à l’abbé de Saint-Martin de Tours par une lettre en laquelle il critique très sévèrement l’attitude des frères de Saint-Martin de Tours dans cette affaire. C’est cette réponse qui comporte un paragraphe dans lequel l’empereur s’en prend au mode de vie des religieux de Saint-Martin de Tours :

« Bien sûr vous savez, vous qui vous dîtes communauté de ce monastère et serviteurs de Dieu – plaise au ciel que vous le soyez vraiment ! – de quelle manière votre vie a déjà été fréquemment décriée par beaucoup et non sans raison. En effet vous disiez tantôt que vous étiez des moines, tantôt des chanoines, tantôt, ni l’un ni l’autre. Et nous, prenant soin de vous, et pour effacer cette mauvaise réputation, nous avons choisi pour vous un recteur et maître idoine et nous en avons fait venir un de provinces lointaines capable de vous édifier une vie droite par des paroles et des admonitions et, parce qu’il était religieux, de vous façonner par l’exemple d’une bonne conversatio. »123

De ce passage, deux idées peuvent être retenues. Tout d’abord, avant la nomination d’Alcuin comme abbé en 796, les religieux de Saint-Martin de Tours étaient critiqués pour leur hésitation entre vie monastique et vie cléricale : « vous disiez tantôt que vous étiez des moines, tantôt des chanoines, tantôt ni l’un ni l’autre » (Aliquid enim monachos, aliquando

canonicos, aliquando neutrum vos esse dicebatis). Cette formule doit être rapprochée, nous

semble-t-il, du chapitre 77 de l’Admonitio generalis qui dénonçait les clercs « qui feignent être des moines par l’habit et le nom et qui ne le sont pas » et leur demandait de choisir une bonne fois pour toute entre vie monastique et canoniale. Les frères de Saint-Martin de Tours faisaient partie des clercs visés par ce chapitre et, dans un premier temps, la promulgation de l’Admonitio generalis n’a en rien fait changer leur attitude. C’est pourquoi Charlemagne désireux de voir sa législation appliquée dans un des plus prestigieux monastères du royaume franc a - et c’est là le second point notable - nommé Alcuin comme abbé à charge pour lui de mettre fin à cet abus La mission d’Alcuin est ici décrite en des termes remarquablement précis. Certes, il doit les instruire par des paroles et des admonitions (verbis et admonitionibus), mais l’essentiel de sa tâche semble bien être de fournir par sa propre vie un exemple digne d’être imité par l’ensemble de la communauté. De ce point de vue l’emploi du verbe informare, qui signifie au sens propre façonner, nous paraît tout à fait significatif : il montre que Charlemagne accorde une

123 Lettre de Charlemagne à Alcuin éditée par Ernst Dummler, in M.G.H. Epistolae IV, Berlin, 1895, n°247, p. 399-401 : « Ipsi quoque nostis, qui congregatio huius monasterii et servi Dei - et utinam veri – dicimini, qualiter iam crebro vita vestra a multis diffamata est, et non absque re. Aliquando enim monachos, aliquando canonicos, aliquando neutrum vos esse dicebatis. Et nos, consulendo vobis, et ad malam famam abolendam, magistrum et rectorem idoneum vobis elegimus et de longinquis provintiis invitavimus, qui et verbis et admonitionibus vos rectam vitam instruere et, quia religiosus erat, bonae conversationis exemplo potuisset informare. »

grande importance au comportement personnel de l’abbé pour imposer une observance digne à l’ensemble de la communauté.

Un point n’apparaît pas très clairement ici : quel genre de vie Charlemagne a-t-il demandé à Alcuin d’imposer à Saint-Martin de Tours, la vie monastique ou la vie canoniale ? Il me semble qu’une source permet de répondre à cette question. Il s’agit d’un diplôme de Charlemagne en faveur de Saint-Martin de Tours, dont la souscription est perdue mais qui peut être daté entre le début de l’abbatiat d’Alcuin et le couronnement impérial de Charlemagne, soit entre 796 et 800124. Dans cet acte, les religieux de Saint-Martin de Tours sont désignés comme des moines (monachi). On peut certes douter que cette dénomination reflète la réalité de la vie des frères de Saint-Martin de Tours, mais elle traduit forcément la volonté de Charlemagne de voir régner la vie monastique en ce lieu.

Reste à savoir comment Alcuin s’est acquitté de la tâche qui lui était confiée. Sa correspondance est peu diserte sur le sujet. Deux lettres nous paraissent cependant mériter l’examen.

La première, adressée à Arn, archevêque de Salzbourg, est datée d’août 799. Alcuin y conseille à son correspondant d’exhorter les moines au respect de leur vœu en lui rappelant deux citations scripturaires qui sont celles qui apparaissaient déjà dans le chapitre 73 de l’Admonitio Generalis, à cette différence près qu’Alcuin ne se réfère visiblement pas au même texte biblique125. A l’appui de ces propos Alcuin rapporte à Arn l’installation d’une communauté de moines dans une cella dépendant de Saint-Martin de Tours et située à proximité du monastère, Saint-Paul de Cormery :

« J’ai, récemment, à environ huit milles du monastère de Saint-Martin, fait se réunir une sorte de congrégation selon la vie monastique et la religion régulière, constituée dans un premier temps de frères venus de Gothie où l’abbé Benoît a établi la vie régulière. Mais, maintenant, selon la volonté de Dieu, quelques-uns y viennent pour se consacrer (à Dieu) par un vœu saint. Il ne faut pas boiter dans le service de Dieu mais monter par la voie royale. »126

124 Diplôme édité par Engelebert Mulhbacher, M.G.H. Diplomata Karolinorum I, Hanovre, 1906, n°195.

125

Pour la citation du Deutéronome, Alcuin donne « Vovete et reddite domino Deo vestro. » au lieu de « Vota vestra reddite domino Deo vestro. » ; pour celle du Lévitique, « Melius est non vovere, quam non reddere » au lieu de « Melius est non vovere, quam vota non reddere. ». Il convient de noter cependant que, dans ce deuxième cas, l’un des manuscrits de l’Admonitio generalis donne la même formule qu’Alcuin. L’on peut aussi remarquer que ces citations, celles de l’Admonitio generalis comme celles d’Alcuin sont très différentes du texte de la Vulgate.

126 M.G.H. epistolae IV op. cit., n° 184: « Noviter congregationem feci, quasi octavo miliario a monasterio sancti Martini monachicae vitae et regularis religionis, primo ex fratribus de Gothia ubi Benedictus abba regularem constituit vitam. At nunc, volente Deo, aliqui veniunt sancta se devotione mancipantes. Non est claudicandum in Dei servitio, sed via regia gradiendum. ». Ce passage a été traduit par Annick CHUPIN

Il convient d’examiner attentivement ce passage. Remarquons tout d’abord que le nom de Cormery n’est pas cité. Si le lieu ici évoqué par Alcuin a pu être identifié avec la

cella Saint-Paul de Cormery, c’est par un rapprochement entre ce passage et un diplôme de

Charlemagne daté du 3 juin 800 par lequel le roi autorise l’installation de moines bénédictins à Cormery tout en spécifiant que cette cella doit demeurer une dépendance de Saint-Martin de Tours127. La lettre d’Alcuin à Arn de Salzbourg est donc antérieure au diplôme fixant le statut précis de Cormery. Cela explique que l’abbé de Saint-Martin de Tours ne précise pas la situation institutionnelle de la communauté monastique qu’il vient d’installer : il parle « d’une sorte de congrégation » (quaedam congregatio).

L’observance de cette nouvelle congregatio est, elle, bien établie. S’il n’y a pas de référence explicite à la règle de saint Benoît, il est précisé que les premiers frères sont des disciples de Benoît d’Aniane venus de Gothie. Cela indique clairement la volonté d’Alcuin de fonder une congregatio bénédictine.

Cependant cette congregatio n’accueille pas que des religieux venus de Gothie. Alcuin note aussi que « certains y viennent sancta se devotione mancipantes. ». Nous avons laissé cette expression en latin car elle est difficile à traduire en français. En effet, Alcuin joue, de manière tout à fait consciente nous semble-t-il, sur l’ambiguïté du vocabulaire et sur le décalage entre le sens des mots en latin classique et en latin chrétien. Chez les auteurs chrétiens le verbe mancipare signifie « se consacrer » et c’est ce sens que l’on est tenté de retenir tout d’abord, mais il faut aussi prendre en compte le sens très fort du verbe mancipare en latin classique, « se vendre comme esclave ». De même le substantif devotio signifie « dévotion » en latin chrétien mais l’on y retrouve la même